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Une petite musique jouée sous la verrière de la Fabrique de munitions
Une petite musique jouée sous la verrière de la Fabrique de munitions
Une petite musique jouée sous la verrière de la Fabrique de munitions
Livre électronique233 pages3 heures

Une petite musique jouée sous la verrière de la Fabrique de munitions

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À propos de ce livre électronique

Bérenger, un jeune homme de vingt ans va travailler dans la fabrique de munitions Le Serpentin afin d' enquêter sur la disparition de son vénéré maître Napoléon Troche. Ce sera l'occasion pour lui de découvrir un monde ubuesque piloté par une ordinatrice (féminin de...) obsédée sexuelle. Mais son monde va basculer, ses yeux vont s'ouvrir et l'aventurier qu'il était va découvrir l'amour et la vertu. Adieu maître vénéré, famille adorée et turbulente, la vie n'est plus tout à fait la même.
LangueFrançais
Date de sortie6 janv. 2014
ISBN9782312019796
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    Aperçu du livre

    Une petite musique jouée sous la verrière de la Fabrique de munitions - Jean-Bernard Papi

    cover.jpg

    Une petite musique jouée sous la verrière de la Fabrique de Munitions

    Jean-Bernard Papi

    Une petite musique jouée sous la verrière de la Fabrique de Munitions

    (Enquête sur la disparition de Napoléon Troche)

    Roman plein d’humour et presque policier

    LES ÉDITIONS DU NET

    22 rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    © Les Éditions du Net, 2013

    ISBN : 978-2-312-01979-6

    Avertissement

    Rien n’est vrai dans ce roman d’une haute teneur morale et irréprochable d’un point de vue développement durable. Les lieux les dates les noms des personnages, tout n’est que fiction, y compris les procédés et méthodes pour obtenir des explosifs. Sage application du Principe de Précaution, nul écrivain digne de ce nom, à part peut-être monsieur Larousse, n’est stupide au point de fournir à ses lecteurs la composition de la poudre noire ou de la nitroglycérine.

    Ce livre est avant tout un roman policier pacifique car si l’on tue, il faut bien vivre, c’est à coups de bilboquet, symbole oh ! combien de l’amour, et à grand renfort de vin blanc breton, liquide très inoffensif en petite quantité mais qui absorbé abondamment devient un puissant inhibiteur du système digestif. Je prie aussi ceux qui croiront se reconnaître dans mes personnages de voir un bon psychiatre avant de téléphoner à leur avocat.

    Je n’irai pas jusqu’à affirmer que la fabrique de munitions Le Serpentin et son personnel et n’existent pas quelque part en France ou, pour être plus précis quelque part en Charente. Je vous dois un aveu : c’est en visitant une fonderie de la Défense Nationale des environs d’Angoulême que l’idée de ce roman m’est venue. Á l’époque je souhaitais commencer une collection de canons qui ferait, je l’espérais, beaucoup d’effet dans mon jardinet. Hélas ! Je l’ai bien vu ce jour-là, les canons sont devenus hors de prix.

    Chapitre 1

    Peu avant trois heures de l’après-midi, Bérenger sonna à la porte de service de la fabrique de munitions Le Serpentin, au lieu-dit Rouelle, commune de Saint-Cuffec. Cette porte, un méchant cadre de bois garni de grillage pour poulailler, avait été placée à plus de vingt mètres de l’entrée principale, une imposante grille de fonte, par des architectes soucieux des hiérarchies comme on le lui expliquera plus tard. Cette mise à l’écart ostentatoire et méprisante, car il fallait aussi pour y parvenir piétiner une herbe épaisse et ronceuse où se soulageaient les chiens de Saint-Cuffec, avait pour but de mortifier les quémandeurs avant même qu’ils aient sonné. De toute façon, il n’y avait que ces deux entrées possibles, la fabrique Le Serpentin était entourée sur son périmètre de très hauts murs hérissés de tessons de bouteilles.

    Pour éloigner les journalistes et photographes, gens particulièrement tenaces et prêts à tout pour s’immiscer dans les secrets de la Défense Nationale, une petite pancarte de métal accrochée au grillage les prévenait que celui-ci, après délibérations de la direction, pouvait être parcouru par un courant de 20. 000 volts. L’écriture de cette pancarte était très agréable à l’œil et le fond vert pomme du plus bel effet. Après l’avoir lue, Bérenger la redressa d’une pichenette car elle penchait vers la gauche. Une fabrique de munitions ce n’est tout de même pas n’importe quoi et on n’y entre pas comme dans une banque, se dit-il.

    On était au cœur de l’été et il était vêtu d’une chemisette de coton grenat qui portait, brodé sur sa pochette, l’écusson de la Bilboquet Association de Paris (BAP) et d’un pantalon de lin bleu foncé fraîchement repassé. Malgré ses vêtements légers, il suait abondamment et s’essuyait le visage avec une serviette de table en papier ramassé lors d’un repas précédent « Chez Jules » à Chateauroux. Avant de partir pour la fabrique, il s’était chaussé de mocassins de toile blanche achetés l’an passé au Maroc, des mocassins trop blancs, trop nets, trop chers, pour prétendre être embauché, ainsi chaussé comme simple magasinier de basse classe. Une erreur, une sale erreur qu’il allait payer dans pas longtemps, pronostiquait-il. Il déplora de ne pas avoir pris ses vieilles chaussures de tennis et son blue-jean comme il en avait eu l’idée d’abord. C’est Maman qui l’en avait dissuadé. « Tu dois faire bonne impression, avait-elle grondé. Contrairement à ce que tu penses, un magasinier dans une fabrique comme celle-ci, vieille de trois siècles et appartenant à l’État, est propre et soigné, immaculé même comme un chirurgien à l’instant où il quitte l’hôpital. Il y a des traditions, nom d’un chien, chez les artificiers, que même un novice ne peut ignorer ! »

    – Un moment s’il vous plaît, nasilla une voix dans le haut-parleur d’un téléphone encastré dans l’épaisseur du mur, à gauche de la porte grillagée, et au-dessous d’une petite plaquette émaillée de couleur sombre portant la mention : Gardien.

    Bérenger se sentit soulagé, il y avait quelqu’un, un gardien, qui prendrait le temps de l’écouter. Probablement siégeait-il dans cette maisonnette qu’il apercevait à travers le grillage, sur un terre-plein d’herbes roussies. Il ne sera pas nécessaire de revenir plus tard, comme c’est la coutume en général pour une embauche, d’après ce qui se dit à Pôle Emploi. Il examina la construction en attendant que son occupant se manifeste plus carrément. Il avait un petit peu étudié l’architecture avec madame Échelle et il situait la maisonnette vers la fin du 17° siècle, tout comme les bâtiments, des ateliers vraisemblablement, que l’on apercevait plus loin. Même à cette époque, songea-t-il, l’obligation d’un gardien s’était imposée.

    Un écu de très ancienne facture ornait le linteau de porte. Le blason des Montembert, lut-il avec difficulté de son œil pourtant précis et rigoureux de joueur de bilboquet, sur une plaque de cuivre vissée sur le mur. Les grandes fleurs de lys en bronze, privilège royal de la fabrique, avaient été arrachées au moment de la Révolution et fondues pour en faire des piques, expliquait-on encore sur cette plaque. Des piques en bronze ! Ça ne devait pas être facile à manier, même par des révolutionnaires portés par la fureur, se dit-il.

    Il se retourna vers les membres de la bande à Papa, ainsi qu’ils se désignaient entre eux affectueusement, lesquels patientaient à quelques pas derrière lui. Papa, qui affectionnait l’ancienne civilisation athénienne pour sa discipline, préférait l’appeler sa phratrie. Chacun d’eux lui fit, à sa manière, un geste d’encouragement. Maman lui envoya un baiser du bout des doigts ; Papa lui fit un petit signe discret de la tête, fonce mon garçon, semblait-il vouloir lui dire ; l’oncle Gérard agita la main droite mollement comme pour lui signifier son congé ; Marguerite, la fiancée de Gérard, lui cligna de l’œil gauche d’une manière coquine et Suzy, la bonne, exceptionnellement vindicative, brandit son poing dans une exhortation à la lutte des classes.

    Il examina la robe de cotonnade blanche à fleurettes roses et bleues qui moulait le corps juvénile et délicieusement épanoui de Suzy et son regard remonta jusqu’aux yeux gris et pétillant de la jeune fille. Il écrasa une larme, il ne la verrait plus que le soir.

    – Tu ne vas pas en prison, tout de même ! lui cria Gérard.

    – Si, puisque je vais travailler ! répondit le jeune homme.

    – Attend, ils ne t’ont pas encore accepté, marmonna Papa pessimiste.

    Le soleil frappait de dos le petit groupe. Bérenger plissa les yeux. Il tenta d’oublier ce qui l’attendait en se concentrant sur les jambes musclées de Suzy qu’il devinait à travers le tissu. Il les compara à celles de Marguerite, longues et fines sous sa jupe blanche. Il soupira encore, écrasa une seconde larme puérile et fit de nouveau face à l’appareil téléphonique. Une voix bien timbrée et un tantinet métallique, avec un soupçon de féminité cependant, exigea qu’il décline son état civil.

    – Bérenger, répondit-il fermement.

    – Quoi ?

    – C’est mon prénom.

    – Ah bon, nom de famille ?

    – Bérenger.

    – Aussi ?

    – Oui.

    – Né le ?

    Bérenger répondit au questionnaire avec tout le zèle dont il était capable. Maman et Papa l’aidaient en apportant une précision sur un détail qu’il ignorait, comme le lieu de naissance du trisaïeul maternel, ou la liste de tous les collatéraux mâles des Bérenger jusqu’à la huitième génération. Y compris les Bérenger-Minot, la branche folle, éteinte voici dix ans à Saint-Paul, dans l’Oregon américain.

    – L’établissement de la fiche de renseignements a duré 1 heure et 3 minutes exactement, précisa Gérard, le logisticien de la bande, d’un ton neutre.

    Ce n’est qu’après ces formalités, indispensables en raison du travail particulier, et très secret, que la fabrique Le Serpentin effectuait pour le compte de la Défense Nationale, que la voix dans l’interphone, toujours alerte et bien timbrée, s’enquit du motif de la visite.

    – Je viens pour une place de magasinier, répondit Bérenger du ton le plus modeste.

    – Il vient pour une place de magasinier, reprit en chœur mais à voix basse, toute la phratrie derrière lui.

    Béranger eut un mouvement d’agacement et de la main leur fit signe de se taire.

    – La place ? Quelle place ? répéta, comme il fallait s’y attendre, la voix dans l’appareil.

    Elle avait perdu de sa cordialité et l’on sentait que désormais la lutte allait s’engager entre le candidat et elle. Bérenger se racla la gorge et affirma ses assises au sol, en maître du bilboquet se préparant à un assaut difficile.

    – Ne dis pas n’importe quoi, surtout, lui souffla Papa à l’oreille.

    Maman, Suzy et Marguerite vinrent tour à tour l’embrasser pour lui insuffler l’envie de vaincre. Suzy lui empoigna même, virilement, les testicules et les lui comprima dans un grand élan d’affection. Il se sentit après ça prêt à affronter le redoutable Phénix qui se cachait derrière la petite grille du téléphone mural.

    – Je ne te demanderai pas la date bien connue de notre fondation, les dates, elles aussi bien connues, qui virent naître dans ce siècle nos vénérés dirigeants d’aujourd’hui. Je ne te demanderai pas non plus le poids de poudre contenu dans la cartouche utilisée par le fusil Mas 36 entre janvier 1939 et juin 1940, car je subodore en toi plus qu’un simple technicien et bien plus encore qu’un magasinier de première classe. Je te demanderai simplement ceci : Qui es-tu donc, toi qui oses prétendre à un emploi parmi nous ?

    – Tu es le plus beau, souffla Suzy.

    – Le plus intelligent, affirma Maman.

    – Le plus astucieux, dit Papa.

    – Le plus sensuel, murmura Marguerite.

    Gérard soupira. « Le meilleur d’entre nous, mon neveu, finit-il par dire. Et c’est celui-là même que nous envoyons ad patres ! »

    – N’exagérons rien, dit la voix métallique, sans préciser plus avant.

    Bérenger ferma les yeux. Il revit son enfance, presque entièrement consacrée à la préparation de cet instant redoutable, c’est-à-dire l’IRDE ou Interrogatoire Relatif à une Demande d’Emploi. Il était maintenant au pied du mur, c’est le cas de le dire, et le dernier et exigeant entraînement que lui avait imposé Papa voici deux jours allait probablement porter ses fruits. Il l’espérait car il savait tout. Tout ce que l’on pouvait honnêtement et humainement savoir concernant la terre inanimée et les êtres qui l’habitent.

    Il revit la classe studieuse de madame Échelle et ses condisciples. Il revit le tableau blanc, le magnétoscope, les ordinateurs « La Bécasse » made in France, l’étuve et le calorimètre, la petite bibliothèque vitrée où l’on mettait aussi les pommes à mûrir en hiver, et l’écorché si rigolo avec ses fossettes sur les fesses, sans oublier le squelette surnommé Paul VI et le dentier de Malraux qui ornait le bureau professoral… Il se souvint des longues heures de révision qui suivaient la fin de l’année scolaire lorsqu’il récitait d’alpha à zêta le dictionnaire de grec, explications et synonymes compris, ou plusieurs chapitres biscornus de biologie génétique. Tout ça avait été revu, il y a deux jours, devant Papa et Gérard constitués en jury d’examen, et d’embauche. « Ah les diplômes, affirmait Papa d’une voix étranglée par l’émotion, il n’y a que ça d’important dans la vie. Aucune qualité humaine ne remplacera jamais un bon diplôme, même acquis de justesse… »

    Béranger feuilleta, si l’on peu dire, pour vérifier son savoir et la rapidité de ses méninges, ses notes et ses documents bien classées dans sa mémoire en pointant au hasard un sujet qu’il se récita à toute allure. Il fit ainsi défiler le diagramme de l’activité sexuelle, sous nos climats, des mouches drosophiles entre mai et juillet, puis les bilans annuels concernant la culture du maïs dans la partie septentrionale du Chili. Il traça, toujours dans sa mémoire, les courbes de consommation journalière du ciment Portland à Singapour ainsi que celles ayant trait à la pêche du thon blanc à Java entre le 15 janvier et le 15 mars. Il compara, sans bien comprendre pourquoi, l’envolée du tourisme néerlandais dans les îles Aléoutiennes au marché, en décroissance constante, des porcelaines (porcelaine n. f. Mollusque gastéropode, genre Cypræa, assez commun dans les mers chaudes, dont la coquille vernissée est parsemée de taches colorées) dans le Pacifique sud. Tout ça par habitude humaine de tout noter, comparer et envisager, même le pire ou l’insignifiant.

    Il retrouva rapidement à partir des éléments de base et pour tester ses capacités mémorielles, la méthode de résolution de l’équation bicarrée, la composition chimique de l’acétylène, le procédé Bessemer d’obtention de l’acier, la formule donnant la valeur de la force centripète et celle donnant la tension d’un ressort spiral. Il aurait pu continuer ainsi indéfiniment passant fort logiquement des différentielles partielles aux torseurs tout en jonglant avec les espaces à n dimensions, mais il ne voulait pas non plus s’épuiser. Il n’avait pas eu la possibilité de faire des impasses dans ses révisions et ne l’avait pas souhaité non plus, par prudence. En outre, ses professeurs éminents, ne sachant trop ce dont il aurait besoin en ce jour fatal, s’étaient efforcés de lui transmettre la totalité de leur propre savoir. Précisément ce qu’eux-mêmes, nonobstant l’inévitable usure de la transmission de l’information, avaient appris de leurs maîtres passés sans trop se soucier de logique ou de nécessité. En fait, je le répète c’était aujourd’hui un véritable savant dans tous les domaines.

    Il se souvint alors des conseils de monsieur Bonenfant, expert en pédagogie marxiste : « Quand tu ne sais pas, reformule la question autant de fois que nécessaire jusqu’à user la patience de celui qui t’interroge. »

    – Qui je suis ? murmura-t-il alors. Qui suis-je ? Qui sommes-nous, humains perdus dans la forêt angoissante de notre ignorance ?…

    – Très bien ! déclara Papa dans son dos, belle entrée en matière, mais il faut aller plus loin.

    Bérenger se souvint qu’une méthode, enseignée également par monsieur Bonenfant, consistait à renvoyer la question à celui qui la posait de manière à le plonger dans un embarras auquel il n’était pas préparé. On pouvait espérer même que, pris de panique, il se dégonfle comme cela arrivait fréquemment aux journalistes de la télé face à feu Georges Marchais.

    – Et vous, qui êtes-vous donc ? grinça-t-il d’une voix râpeuse, un brin audacieuse et effrontée.

    – Je suis une machine, répondit la voix du ton le plus naturel.

    Coincé, pensa Bérenger avec amertume. Une machine, que peut-on contre elle ?

    – Je ne suis qu’un humain, soupira-t-il.

    – Bravo, dit la voix mais cherchez encore.

    – Un imbécile, un sot d’humain qui n’arrive pas à la hauteur du premier boulon de votre auguste socle.

    – Penses-tu, en disant cela, que je sois vaniteuse ?

    – Oui.

    – Alors entre et vient m’embrasser.

    Chapitre 2

    Bérenger se retourna vers la bande à Papa et, comme un général de près de deux mètres, fit des deux bras le V de la victoire. J’ai gagné, disaient ses yeux remplis de fierté.

    – Tu n’as pas encore l’emploi, lui fit remarquer Papa. Il faut signer.

    Bérenger eut un geste désinvolte. La signature sera une formalité ! Tandis que la lourde grille de l’entrée principale se mettait lentement en branle, il se demanda si on allait lui libérer la totalité de la route comme pour un ministre, ou simplement un passage, de quoi glisser le corps mince, musclé et orgueilleux d’un futur magasinier. La grille ne ménagea qu’une étroite échancrure dans laquelle il s’engagea, les épaules de biais et en forçant sur ses côtes. C’était plus humiliant encore que d’entrer par le portillon grillagé. On lui faisait comprendre de cette manière que, si on l’embauchait, il commencerait sa carrière tout au bas de l’échelle. Avant qu’il ne franchisse totalement la grille, Suzy et Marguerite se précipitèrent de nouveau pour l’embrasser.

    – Bonne chance ! dit Suzy en écrasant ses lèvres parfumées sur sa bouche.

    – On attendra impatiemment que tu ressortes, dit Marguerite en l’embrassant idem et goulûment.

    – Tu es un petit veinard, marmonna la machine dans le téléphone, tu es aimé.

    Vingt grands mètres de route au moins le séparaient de la maisonnette du gardien. Il marcha d’un bon pas vers son petit perron de trois marches tout en détaillant les larges pierres dont était constituée la façade. Il avait une formidable mémoire visuelle qui emmagasinait les détails, tous les détails même les plus inutiles, mais hélas comme c’est le cas en général chez les jeunes gens, sans volonté de classement. Il nota donc mécaniquement, et pêle-mêle, l’appareillage rectiligne et quasi arithmétique des murs, la beauté rosée et moussue des tuiles, la gargouille grimaçante qui terminait, au ras du sol, la gouttière. Il passa entre deux haies de buis minuscules qui encadraient deux carrés de terreau plantés d’anémones siciliennes, puis il poussa le bouton électrique d’une sonnette à deux tons. En attendant, il s’appuya, séducteur et nonchalant, contre la grosse porte de bois peinte d’un beige militaire quelconque et sans éclat.

    Un petit jeune homme au teint brouillé, aux yeux colériques et injectés de sang, indice d’un disfonctionnement du foie, de l’estomac et du pancréas, apparut une fois la porte ouverte. Il puaient si fort la bière rance que Bérenger, sous le fouet de son haleine, recula et descendit

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