La Salamandre Bleue
Par Christian Copay
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Aperçu du livre
La Salamandre Bleue - Christian Copay
La salamandre bleue
« Entre la nostalgie légère du départ et le bonheur anticipé, mais tout aussi léger, de l’arrivée, il se sent en équilibre… »
Daryush Shayegan,
La lumière vient de l’Occident,
pp. 212-213, novembre 2013.
Editions de l’Aube, Editeur
Christian Copay
La salamandre bleue
La nostalgie légère du départ
Livre III
Roman
Les Éditions Chapitre.com
123, boulevard de Grenelle 75015 Paris
© Les Éditions Chapitre.com, 2014
ISBN : 979-10-290-0136-9
1
L’exil du départ
De Casa Violeta Reforma, Dominique avait suivi la Grand Cherokee de Jean, convoyée par un voiturier récemment recruté, dont la mission était toute simple : parcourir les sept cents mètres séparant le restaurant de Véro du Sir Winston Churchill, un des dix meilleurs restaurants de Mexico.
Il avait été facile pour Dominique de reconstituer les fréquentations du voiturier, de remonter sa piste jusqu’à Enrique Vila, et donc Jorge Greuss, le véritable commanditaire.
Il suffisait à Dominique de s’assurer de l’accomplissement serein de la tâche du voiturier : piéger le véhicule après l’avoir acheminé, dans le but d’éliminer Véro et Jean.
Comme prévu, le voiturier alla garer la Cherokee à l’extrémité du parking du Churchill, et non face au restaurant, comme la logique l’aurait voulu. Dans l’ombre du parking, à l’abri des regards, il allait pouvoir armer le système explosif, connecté à l’allumage du moteur.
De ses jumelles à vision nocturne, Dominique surveillait les préparatifs du voiturier, qui, après avoir armé le détonateur de la bombe, repartit à pied, saluant jovialement le portier du Churchill.
En cette veille de Noël 2013, la nuit était inhabituellement douce à Mexico, une nuit de philosophe, de philosophe généreux. Une nuit de Timon d’Athènes.
Le portier remit à Dominique les clés de la Rolls Royce Silver Cloud 1955, garée sous un dais, juste devant l’entrée de la maison.
Dominique posa la Rolls à côté de la Cherokee, entre celle-ci et le restaurant, très exactement en haut du plan incliné menant vers l’entrée des fournisseurs, bloquant ainsi cet accès – se le réservant.
Au bout de quelques minutes, Véronique apparut, lui tendit le deuxième jeu des clés de la Cherokee sans le regarder. Fermement, Dominique la poussa a l’abri, pour actionner la télécommande d’ouverture de la Cherokee sans mettre la sécurité de Véro en danger. Dans l’éventualité où le contact des explosifs aurait été malencontreusement connecté à l’ouverture des portes, et non au contact du moteur.
Véronique l’embrassa sans un mot, en s’attardant peut-être un peu plus que les circonstances ne le justifiaient. Ses lèvres tremblaient en l’embrassant.
Elle regagna le restaurant, en se disant que cette Rolls avait le même âge qu’elle.
La Grand Cherokee déverrouillée, Dominique y installa son propre explosif, relié, lui, à un système de télécommande. Il manoeuvra le portail des fournisseurs ; deux hommes, qui attendaient à l’extérieur dans une fourgonnette, installèrent deux colis de taille et forme humaines aux deux places avant de la voiture. Ils s’éclipsèrent, et le portail fut refermé.
Dominique s’installa au volant de la Rolls, et attendit.
Il était un peu plus de trois heures du matin lorsque, somnolant, il fut tiré de sa torpeur par Jean, accompagné de Véro.
Du côté gauche de la voiture, à l’abri des éventuels regards venant du restaurant, ils embarquèrent à l’arrière de la Rolls.
Véro frissonna en apercevant les deux silhouettes installées aux places avant de la Cherokee.
Dominique manoeuvra à nouveau le portail électrique des fournisseurs, desserra le frein de secours et laissa descendre la lourde voiture sur son erre, sans engager le contact.
Une fois parvenu dans la rue, il déclencha la fermeture du portail, puis actionna le démarreur de la voiture.
Après avoir parcouru cinquante mètres, il appuya sur la télécommande de mise à feu de ses explosifs, qu’il conservait dans la poche de sa chemise.
Il accéléra.
En passant devant le portail principal du restaurant, tous trois virent l’embrasement de l’explosion de la Cherokee, exagérée par la double charge d’explosifs. Le personnel courait en tout sens ; dans les reflets rougeoyants des flammes, se dessinait la silhouette immobile d’Enrique, à l’entrée de la maison.
Son destin était scellé, dans l’esprit de Jean comme dans celui de Dominique.
Dominique conduit rapidement, jusqu’à la maison de Tecamachalco, où le couple prend une petite demi-heure pour remplir deux sacs de voyage.
À cette heure tardive, le trafic reste intense sur le Circuito Interior de Mexico, la rocade intérieure qui les mène vers l’aéroport. Les bandes de circulation sont étroites pour une voiture aux hanches aussi larges que la Rolls.
Dominique dirige la voiture, au-delà des grands terminaux récemment inaugurés, vers le terminal réservé aux vols privés, et pénètre facilement dans la zone sous douane, jusqu’au pied d’un Falcon, stationné en sortie d’un grand hangar illuminé.
Il fait signe au couple d’attendre un instant dans la voiture, et se rend vers les bureaux de contrôle des vols.
Durant ces formalités, Véro et Jean pénètrent rapidement dans l’avion, où ils sont attendus par l’équipage, qui met les moteurs en chauffe dès leur arrivée.
Dominique saute plus qu’il ne gravit les marches menant à l’avion, qui entame aussitôt son taxi sur les pistes de l’aéroport Benito Juarez, pour décoller un quart d’heure plus tard.
Ce n’est qu’à ce moment qu’enfin ils osent se regarder, tremblants, ne sachant si rire ou pleurer.
Dominique donne le ton, brandissant le champagne :
– Célébrons cette renaissance. Jean, Véro, vous êtes morts ! Vous êtes libérés !
Nous allons voir ce qu’il adviendra de vos assassins, des assassins de vos enfants, des assassins de Margo et Giovio – et de ceux dont nous ignorons les noms. Buvons à votre mort !
Véro s’émeut :
– J’ai l’impression d’avoir pris un coup de vieux : nous sommes vraiment passés très près de la Faucheuse ce soir ! Jean, ne me fais plus jamais passer par là !
– le coup de poker était calculé, mais c’est vrai, le risque était important : il fallait être sûrs qu’ils veuillent effectivement se débarrasser de nous ce soir, et il fallait arriver à coordonner notre opération en douceur, sans pouvoir être soupçonnés, ni avant les événements, ni, encore moins, plus tard.
Dominique précise :
– Vous n’êtes pas sortis d’affaire, loin de là ; il faut sortir de l’espace aérien mexicain, ce qui ne devrait pas poser de problème, mais surtout, il va falloir que l’avion subisse un accident, qu’il disparaisse en mer ; l’opération est délicate. Nous avons quatre heures devant nous.
Le Falcon disparaît des écrans radar civils au-dessus de la mer des Antilles. Il vole ensuite à basse altitude durant plusieurs centaines de kilomètres jusqu’à l’île de la Tortue, au large du Venezuela, en espérant qu’aucun radar militaire ne le repère – ne le signale.
Inhabitée, cette île sert sporadiquement de terrain d’entraînement à l’armée vénézuélienne. L’île est déserte à ce moment de l’année : pas d’exercices en cours. L’amerrissage se passe sans dégâts, tous abordent un radeau de survie, et s’éloignent du lieu du naufrage en pagayant, vers une plage de l’île.
Le Falcon s’enfonce lentement dans les flots, après que l’équipage en eût neutralisé les balises de détresse et détruit les boîtes noires.
L’équipage a usé de fausses identités. Dominique aussi. Ils pourront revenir rapidement à d’autres activités.
Le lendemain, au petit jour, un bateau rapide les récupère : plus discret qu’un petit hydravion.
La vedette les dépose plusieurs heures plus tard sur une île dépendant de la république de Trinidad et Tobago, à l’extrémité sud de celle-ci. Sur une île louée par Dominique, et bénéficiant d’un confort rustique mais complet.
– Nous voici au repos forcé pour quelque temps, annonce Jean. Quelques mois, le délai nécessaire pour que les assurances versent le capital de l’assurance-vie à Dominique ; le temps nécessaire pour que leur enquête aboutisse à la conclusion de notre mort, dans la Cherokee, à Mexico. Les cendres qui y seront retrouvées seront certifiées comme étant les nôtres. Cela nous donne le temps de planifier une nouvelle vie.
– Je vous procurerai de nouveaux papiers, des identités toutes fraîches, et le passé qui va avec, reprend Dominique. S’assurer d’avoir convaincu les assurances est une chose, convaincre Greuss que vous êtes bien morts, en est une autre.
– Pas question de faire preuve de grandeur d’âme, cela nous a suffisamment nui, et j’en suis le premier responsable, admet Jean. Enrique et Greuss doivent disparaître. Définitivement.
Dominique, tu t’en charges, comme convenu…
– Oui, comme convenu, mais de façon indirecte…
Véro s’est éloignée des comploteurs, fatiguée, pensive, un grand bleu à l’âme, mais aussi curieuse de découvrir son nouveau domaine.
Dominique leur fait découvrir les aspects pratiques de la vie locale : un groupe électrogène, des panneaux solaires, trois grandes citernes d’eau douce, un poulailler, quelques chèvres, un potager, et des fruits partout dans la nature ; pour communiquer, une radio VHF à utiliser avec parcimonie, et un téléphone satellitaire crypté, pour ce qui est confidentiel. Pour la liaison internet, une antenne tout en haut de l’île, avec interdiction d’utiliser les boîtes mail des deux défunts – même pour les ouvrir et les lire sans répondre aux courriers. Mais rien n’empêche d’ouvrir de nouveaux comptes sous pseudonymes, et sans reprendre contact avec la famille ni personne de connu, bien sûr. Mais avec qui communiquer, dans ce cas ? C’est absurde ! Ah si, cela sera utile avec Dominique, pour ce qui est du registre des communications non-confidentielles.
L’île est située au sud de Trinidad, à une demi-heure en bateau d’Icacos, petit village allongé le long de sa plage blanche. Les côtes du Venezuela sont aussi proches de l’ile que ne l’est Icacos. Dans un premier temps, Jean et Véro ne pourront pas se rendre à Trinidad – ni au Venezuela, si l’envie les en prenait.
L’île est habitée en permanence par un couple de gardiens ; ils peuvent se charger de leur logistique.
– C’est une prison où tu nous mets, Dominique ?… s’exclame Véro.
– Des prisons comme ça, on en redemande. Ça ne durera pas. Je dois vous laisser là tous les deux, maintenant. Et pour ce que j’ai à faire, je préférerais être à votre place, crois-moi.
Jean et Véro se retrouvent face à face. Seuls.
Ou presque. L’île compte trois maisons : la principale, à l’écart de la plage, sur les hauteurs de l’île ; une construction classique, en bois dur et toit de palmes ; l’électricité est acheminée depuis le groupe électrogène, à bonne distance de là – à cause du bruit – et fournit de quoi s’éclairer et alimenter deux frigos ainsi que quelques grands ventilateurs en plafond. Pas de climatisation : la construction, en hauteur sur l’île, toute en toit et avec peu de murs et cloisons, favorise une aération naturelle, un courant d’air doux, permanent sous cette latitude. L’île est protégée de l’action des ouragans saisonniers par sa latitude, proche de l’équateur.
La maison principale est grande : une immense pièce de réception ouverte sur deux côtés opposés, incluant un lieu de cuisine, et quatre chambres séparées de la grande pièce à vivre par des cloisons, mais largement ouvertes sur l’extérieur et la nature environnante. Le plancher et les cloisons sont en teck et acajou massifs, amenés de l’Amazonie proche.
La deuxième maison est une maison de plage, les pieds dans l’eau, bâtie sur pilotis. La structure est la même que celle de la maison principale, mais de dimensions plus réduites. Une seule chambre et une pièce à vivre, pas de salle de bains, d’eau courante ni de cuisine : les poissons pêchés sont directement grillés, sur la plage.
La dernière maison se trouve à l’extrémité de la jetée, qui est apparemment le seul accès à l’île ; le bateau de service, un Riva Super Florida 403, beau mais antique – il a l’âge de la Rolls du Churchill, donc celui de Véro, aussi -, y est attaché, et le logement est occupé par le couple qui s’occupe du service et de la maintenance de l’île.
J’ai l’âge de la Rolls et du Riva. Des beautés séduisantes.
Mon nom est Véronique. Véronique comment ? J’aimerais m’appeler Dinaire, le nom de Jean. Je me suis appelée Aufflard, je préfère ne pas m’en souvenir. Le nom de mon père était Fiévez, je n’y attache aucun souvenir qui vaille la peine d’être mentionné. Je m’appelle donc Véronique. Véro. Tout simplement.
Aujourd’hui est le premier jour de mon avenir, le premier jour d’une renaissance.
Fille d’instituteur en zone rurale, j’ai connu une enfance ennuyeuse dépourvue de malheurs, et souvent joyeuse. Un éveil aux sens plutôt précoce, je crois. Un éveil à la vie pourtant tardif.
Mes choix de jeunesse ont été mal formulés ; mes objectifs mal construits ; j’étais, je crois, attirante – je sais que je le suis toujours. J’ai du retard de plaisir, j’ignore si je parviendrai à le rattraper.
La beauté physique est un handicap. En tout cas cela a été mon cas. Je le comprends aujourd’hui, en revoyant les quelques photos qui subsistent de mon adolescence, au fil des fuites en avant, erreurs qui ont pourtant déterminé la plus récente époque de ma vie. La période la plus épanouie, aussi.
Pas de nostalgie dans cette revue, même pas quant à la beauté de mes vingt ans, trop ronde, trop rebondie, mais si fluide. Pas assez de personnalité.
La beauté physique a été un handicap. J’ai attiré des salauds, qui ressemblaient à ce qu’ils croyaient voir en moi, et que je n’étais pas.
Comment dire : je faisais peur aux gentils, je les intimidais ; j’aurais dû leur dire qu’ils me plaisaient, mais l’éducation que j’ai reçue ne m’avait pas préparée à ce mode de fonctionnement. La fille attend que l’on claque des doigts, pas le contraire. Cela m’a pris du temps, pour me convaincre d’inverser cette pratique.
J’attirais les dragueurs, les hâbleurs, qui ne me plaisaient pas vraiment mais qui me flattaient – quoi de plus rassurant que cela ?
Mon éducation, et peut-être – sans doute – mon caractère me menaient à un calcul social à court terme. Fonder un foyer, épouser un notable, l’accrocher avec des enfants, les élever. Épouser quelqu’un qui soit de préférence proche de chez moi : pas un étranger, pas un voyageur ; quelqu’un de stable, qui m’assure un futur sans danger, sans angoisse. Un peu court comme idéal, mais cela me rassurait.
Dès mon adolescence, j’avais de l’ambition ; j’en suis sûre. Mais mon environnement était tellement limité que je ne savais pas vers quoi la diriger, et personne autour de moi n’a su, pu, ni voulu m’aider. Ni moi la bâtir à cette époque.
J’ai très mal dirigé mon ambition. Mon bac en poche – c’était considéré comme une réussite, dans ma famille, en 1974-, on m’a inscrite à l’université, dans la foulée, sans me consulter quant à l’orientation que je souhaitais prendre. Cette inscription était un sujet de discussion et un motif de fierté, dans les commérages à l’épicerie de Deville, le village de mes parents.
Je partis à l’université avec un sentiment de délivrance, celle qui consistait à quitter le poids d’une famille qui me correspondait de moins en moins. Et avec un objectif : me trouver