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Motus: Thriller à Saint-Jacques de Compostelle
Motus: Thriller à Saint-Jacques de Compostelle
Motus: Thriller à Saint-Jacques de Compostelle
Livre électronique331 pages4 heures

Motus: Thriller à Saint-Jacques de Compostelle

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À propos de ce livre électronique

Avec ce premier roman, N.J. Leroy réduit l’espace entre l’imaginaire et le réel...

Saint-Jacques de Compostelle, Espagne.
Un couple de truands se déplace avec une étrange cargaison. Deux fillettes, enlevées à Paris.
Où les emmènent-ils ? Pourquoi ? Quel sera leur destin ?

Une intrigue troublante et des personnages attachants !

EXTRAIT

Moteur et feux éteints, ce fut dans un silence absolu hormis le gémissement des pneumatiques sur la cailasse que le LT25 double cabine termina sa course sous le vieux pont en ruine. Branko descendit, enfouit la clef de contact dans sa poche et alluma sa lampe-torche. Un cercle lumineux tremblotant et instable éclaira faiblement une portion du terrain-vague. L'odeur fétide qui s'engouffra insidieusement dans ses narines souleva son estomac vide. Détritus. Excréments. Carcasses d'animaux en décomposition.

À PROPOS DE L'AUTEUR

D’origine italienne, N.J. Leroy est née en 1963 en Belgique.
Ses parents émigrent de Sicile peu avant sa naissance. Ouvrier dans le secteur du bâtiment, son père s’installe en Région flamande, favorisant ainsi une intégration totale de la famille, à l’écart des « ghettos » préexistants.
En comédienne qui s’ignore, au détour d’un passage en tant qu’animatrice radio, elle prêtera sa voix pour des slogans radiophoniques.
LangueFrançais
Date de sortie9 févr. 2018
ISBN9782930848303
Motus: Thriller à Saint-Jacques de Compostelle

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    Aperçu du livre

    Motus - N.J. Leroy

    Prologue

    De l’Espagne au Canada, juillet 2009

    Moteur et feux éteints, ce fut dans un silence absolu hormis le gémissement des pneumatiques sur la caillasse que le LT 28 double cabine termina sa course sous le vieux pont en ruine. Branko descendit, enfouit la clef de contact dans sa poche et alluma sa lampe-torche. Un cercle lumineux tremblotant et instable éclaira faiblement une portion du terrain-vague. L’odeur fétide qui s’engouffra insidieusement dans ses narines souleva son estomac vide. Détritus. Excréments. Carcasses d’animaux en décomposition. Il éructa bruyamment et cracha par terre. Il sursauta lorsqu’il s’aperçut qu’Erna, sa passagère, se trouvait à côté de lui. Il ne l’avait pas entendue arriver. Comme les félins, Erna effleurait à peine le sol de sa démarche délicate et prudente. Comme eux, l’obscurité n’altérait pas son acuité visuelle. Comme eux, les odeurs puissantes l’aguichaient.

    Après avoir jeté quelques brefs regards aux alentours, le couple disparut dans les fourrés. Branko réapparut le premier. Tout en terminant de reboutonner son pantalon, il rejoignit la camionnette et s’assit au volant. Dans un soupir satisfait, il mit en marche le poste de radio et enclencha le lecteur CD. Ses paupières s’affaissèrent sur ses yeux globuleux. Leur mission était sur le point de s’achever. Encore un peu de patience et ils pourraient s’acheter la villa dont ils rêvaient depuis si longtemps. Une, comme celle qu’ils avaient repérée à Pompano Beach, en Floride.

    Jusque-là, tout roulait à la perfection. Pas de contrôles routiers. Les deux fillettes installées à l’arrière de leur fourgon étaient plus dociles que prévu. De toute manière, en cas de pépin, ils savaient ce qu’ils devaient faire. Depuis leur départ de Paris jusqu’à leur halte à Saint-Jacques-de-Compostelle, ils avaient parcouru à peu près mille six cents kilomètres. Dix-huit heures de voyage sans le moindre accroc durant lesquelles ils avaient épuisé tous leurs vivres. Branko rouvrit un œil et scruta sa montre. Si tout allait bien, dans un peu moins de deux heures, il pourrait enfin manger un vrai repas et dormir confortablement à bord du yacht ancré spécialement pour eux à Camariñas. Il regrettait qu’Erna ne puisse le relayer dans la conduite de la camionnette. Elle se débrouillait pourtant parfaitement au volant de n’importe quelle automobile, sans jamais avoir obtenu de permis de conduire. Cependant, les ordres qu’ils avaient reçus étaient clairs : c’était lui l’unique chauffeur.

    Le craquement que la porte du passager produisit à son ouverture le sortit de sa torpeur. Erna lança négligemment sa pochette d’affaires intimes sur le siège inoccupé et lui demanda d’attendre encore un moment avant de démarrer. Elle trottina jusqu’à l’arrière du fourgon et procéda à l’inspection habituelle.

    Quelques secondes plus tard, les portes à vantaux claquèrent et la fine silhouette regagna sa place en pointant un pouce lilliputien en l’air. Branko mit le contact, pressa la pédale d’accélération et après quelques manœuvres fastidieuses pour effectuer un demi-tour, la vieille camionnette cahota pour rejoindre la route nationale.

    Le yacht était amarré sur une portion de plage éloignée du port et de toute habitation. Il avait été gracieusement mis à leur disposition par un riche industriel espagnol dont l’identité était gardée secrète. Après avoir consulté les instructions reprises sur un carnet de route, Branko s’arrêta précisément à l’endroit indiqué. Muni d’un tournevis, il enleva les fausses plaques qu’il rangea dans un grand sac de voyage. Ensuite, ils sortirent les brancards où gisaient les deux fillettes. Toute trace de leur présence dans le LT28 effacée, le couple poussa les lits à roulettes jusqu’au chaland qui menait à l’embarcation.

    Le luxe et les dimensions des cabines témoignaient des moyens que seule une catégorie de privilégiés pouvait s’offrir. Tout était prévu jusqu’au moindre détail : équipements hi-fi haut de gamme, consoles de jeux, caisses de champagne et provisions de nourriture en masse.

    Six jours plus tard, les rives d’Isle of Palms en Caroline du Sud se profilèrent à l’horizon. Branko étira ses gros bras tatoués. Retrouver la terre ferme le soulageait presque. Si la tranquillité et le silence du large l’avaient apaisé, au bout d’un moment, l’inactivité le rendait nerveux. Les deux gamines avaient dormi durant toute la traversée. Les puissantes drogues administrées par Erna avaient eu un double avantage : leurs proies n’avaient pas souffert du mal de mer (ce qui l’avait personnellement épargné des odeurs et nettoyages répugnants) et en plus, tout risque potentiel de pleurs et de jérémiades avait été englouti dans la torpeur artificielle.

    À l’escale, Erna l’aida à charger les brancards dans leur nouveau moyen de locomotion. Conformément aux dernières instructions, Branko s’arrêta une paire d’heures plus tard dans une petite rue en cul-de-sac sur la Rifle Range Road. Leur mission s’achevait là.

    Deux individus en costards griffés et lunettes de soleil les attendaient, dos appuyé sur le flanc d’un camping-car flambant neuf. L’un avait un corps athlétique et le teint hâlé ; l’autre, manifestement plus vieux et de taille nettement inférieure à son collègue, disposait, sans être véritablement laid, d’un physique assez quelconque. Branko ne put s’empêcher de penser au duo dans le film « Men in Black ». D’instinct, il s’approcha du plus grand qui ne se gêna pas pour le toiser avec mépris.

    — Un peu de shopping ne vous ferait pas de mal, persifla-t-il. Ne perdez pas de temps. Apportez-moi votre road book et sortez les colis.

    Branko ignora la remarque et se retourna en lançant un coup d’œil complice à Erna qui s’exécuta aussitôt. Il commença le déchargement alors qu’Erna avait récupéré le calepin qu’elle avait soigneusement scellé, conformément aux directives. Tout y était consigné. Depuis les préparatifs du double enlèvement, jusqu’aux différents moyens de déplacement qu’ils avaient dû emprunter clandestinement pour traverser une portion de l’Europe, l’Atlantique Nord et la Caroline du Sud. Elle le remit au second type qui jusque-là n’avait pas ouvert la bouche.

    — J’espère qu’il est complet, marmonna celui-ci.

    Sa voix nasillarde était presque inaudible.

    — Le chef nous a dit que la police a entendu un témoin au sujet des disparitions. Ils n’ont qu’un signalement assez vague des kidnappeurs. Pour le moment, Interpol ne lance aucun mandat de recherche. Ils ont trop peu d’éléments pour les orienter vers une piste valable. Cependant, il vous est interdit de vous rendre en Europe ensemble. En tout cas, pas avant un bout de temps. Restez sur vos gardes et ne prenez pas de risque inutile. C’est compris ?

    Branko acquiesça.

    Le déclic d’ouverture de la mallette posée sur le siège conducteur résonna savoureusement dans ses oreilles. Le petit homme extirpa deux enveloppes de bonne taille qu’il coinça sous son bras.

    Branko hallucinait. Les papiers qui régularisaient sa situation aux Etats-Unis ainsi que les liasses de billets en rétribution de leur sale besogne se trouvaient là, à moins d’un mètre de lui, sous l’aisselle humide et malodorante d’un abruti qui s’amusait de toute évidence à mettre leur patience à l’épreuve. L’envie ne manquait pas à Branko de lui déboucher les sinus selon une méthode toute personnelle, mais comme toujours, il garda la tête froide.

    Il se remémora le jour où le cours de sa vie avait pris une tournure inattendue. Cela remontait à plus de dix ans maintenant. Après un séjour en Afrique où il avait combattu avec une troupe de mercenaires serbes déployés au Zaïre en 1997, Branko avait réintégré son gang basé à Belgrade. Spécialisé en trafics d’armes et stupéfiants, le groupe ciblait aussi les cambriolages qui rapportaient gros. Le dernier coup auquel il avait participé avec quatre autres comparses était l’attaque d’une bijouterie. Rapidement maîtrisé, le joaillier leur avait donné les marchandises et l’argent. Seulement, la suite ne s’était pas déroulée comme prévu. Alors qu’ils se dirigeaient vers la sortie avec leur butin, le compagnon du commerçant avait surgi par une porte dérobée qui ne figurait pas sur leurs plans. Avec une insouciance ahurissante, le jeune homme s’était mis à tirer à l’aveugle. Tout s’était passé très vite. Deux gangsters s’étaient aussitôt écroulés, abattus à bout portant. Le chef du gang avait riposté en éliminant les deux témoins puis ils s’étaient enfuis à bord de leur Hummer. Assis à l’arrière du véhicule, Branko se souvenait encore de la douce chaleur qui s’était répandue le long de son tibia droit. Contrôlant le flux de sa pensée inconsciente comme dans l’autohypnose, le grand gaillard était capable d’effacer toute douleur physique. Aucune grimace, aucun gémissement ne le trahissait. Juste une fine couche de sueur recouvrait sa tête entièrement chauve. Cette résistance exceptionnelle suscitait chez ses frères d’armes tant l’admiration que la jalousie. La balle qui avait léché son genou avait tout de même emporté avec elle une grosse masse de chair et fracassé la moitié de sa rotule, ce qui nécessitait une intervention chirurgicale rapide. Comparable à un dispensaire, la cache secrète où on l’avait largué était équipée de tout le matériel médical approprié. Les soins étaient prodigués par des médecins corrompus rémunérés par la mafia.

    Quelques semaines plus tard, alors qu’il effectuait ses exercices quotidiens de rééducation, un homme de la pègre s’était présenté à lui. Mandaté par son supérieur, l’individu venait lui proposer un contrat très spécial. Un contrat juteux qu’aucun malfrat n’aurait refusé. Un contrat qui le mettait définitivement à l’abri. L’homme lui avait expliqué qu’il avait été choisi parce que son profil sortait du lot. Non seulement ses facultés de récupération étaient exceptionnelles, mais en plus, Branko disposait d’un atout bien plus rare. Son identité restait inconnue des polices. Contrairement à la plupart des crapules, Branko était perspicace : sa violence était calculée et modérée. Il n’utilisait la force que lorsqu’elle était indispensable à sa survie. Et ceux qui avaient eu affaire à lui n’étaient plus là. Ni pour riposter ni pour témoigner contre lui. Depuis l’accord qu’il avait scellé ce soir-là, Branko avait basculé dans un tout autre genre de criminalité : la traite d’êtres humains. Il n’avait plus eu à se soucier de quoi que ce soit. Tout lui était fourni sur un plateau d’argent. Instructions précises et fiables, armes puissantes et planques sûres.

    Peu après son engagement, on lui présenta une coéquipière. Les missions devaient s’exécuter en tandem, c’était une règle immuable.

    Erna était polonaise, sans attache ni domicile fixe. En la voyant, la toute première fois, Branko s’était inquiété de l’aspect chétif de celle qu’on lui imposait sans lui demander son avis. Petite, menue, la pâleur du visage d’Erna était accentuée par la blondeur de ses cheveux filasses. Cependant, Branko savait qu’il ne fallait pas se fier aux apparences.

    Erna traînait derrière elle un passé aussi tumultueux que le sien. L’enfance particulière de cette femme avait fait d’elle un personnage cruel, d’une incomparable froideur. Abandonnée dès la naissance dans une décharge de Gdansk comme un vulgaire détritus, Erna Nieznany avait été récupérée par les services sociaux de Zabianka. Ses séjours d’orphelinats en foyers d’accueil l’avaient façonnée. Irréparablement. Nourrisson abusé, adolescente réduite à l’obéissance et à la soumission inconditionnelles, avant même d’avoir atteint l’âge adulte Erna comptait à son actif les délits les plus crapuleux. Les maisons de correction et ses brefs passages en prison lui avaient permis de rencontrer des énergumènes tout aussi peu recommandables qu’elle-même parachevant ainsi ses connaissances en matière de délinquance. Plus tard, les camps d’entraînement ukrainiens avaient peaufiné sa ruse et sa puissance.

    Branko se félicitait d’avoir réussi à dompter ce petit bout de femme avec laquelle il se trouvait plusieurs points communs et même certains atouts complémentaires. Tout comme lui, elle était indépendante, inébranlable et… libertine. Alors qu’il tenait un rôle plus actif tant dans leurs ébats intimes que dans leurs missions, la tête pensante du duo était Erna. C’était elle qui sélectionnait les proies et c’était elle qui s’en occupait si ça tournait mal.

    Son équipière avait encore une fois brillamment relevé le défi.

    Cette fois, Erna avait jeté son dévolu sur un couple de touristes hollandais en visite à Paris. Leurs enfants correspondaient exactement aux critères imposés par leur patron. Le plus délicat avait été de choisir le moment propice pour ne pas se faire repérer. La confusion et le désordre qui régnait toute l’année à Montmartre avaient facilité leur tâche. Le plan s’était déroulé comme prévu et personne n’était en mesure de dire où étaient passées les gamines.

    Après avoir vérifié la conformité de la livraison avec son collègue, l’homme bronzé s’avança vers eux.

    — C’est ok. Voici vos papiers et votre argent. Le boss a dit qu’il vous contacterait d’ici peu pour une prochaine mission.

    Débarrassés de leur cargaison et leur récompense enfin en leur possession, Branko et Erna remontèrent dans leur véhicule, sans le moindre remords, sans la moindre compassion quant au sort qui serait réservé aux deux jeunes victimes.

    Dès la mise en route du moteur, Erna déchiqueta sa propre enveloppe et contrôla son contenu. Le compte y était ; identique à celui reçu par Branko : quinze liasses constituées de cent billets de cent dollars. Un rictus de satisfaction tordit étrangement la fine bouche de la Polonaise.

    Les gangsters avaient chargé les fillettes à l’arrière de leur camping-car. Le binôme, pareil à celui de Branko et Erna, ignorait les directives des complices qui croisaient leur chemin. Il n’avait aucun indice sur le rôle de ceux qui les précédaient ou de ceux qui les relayaient. La mise en place des opérations était d’une logique fallacieuse. Pour chaque expédition, ils ne disposaient que d’instructions concises : la marche à suivre, les tâches à réaliser, les précautions particulières à prendre et quelques fois la transmission d’un ordre. Le règlement interdisait de partager toute information, aussi minime soit-elle, avec quiconque. Les pistes qui menaient les victimes vers leur lieu d’arrivée étaient puissamment brouillées pour que personne ne soit en mesure de savoir à quel stade de la trajectoire il se situait.

    Les deux comparses poursuivirent tranquillement leur route vers le nord. En vingt minutes tout au plus, ils atteindraient l’aéroport d’East Cooper où des Jets Cessna Citation les attendaient. Tout comme les autres, l’objet de leur mandat leur importait peu : demande de rançon, trafic d’organes ou approvisionnement de réseaux pédophiles, rien n’avait le pouvoir d’influencer leur motivation personnelle. Si les enveloppes qu’ils avaient remises aux Polaks se montraient substantielles, les leurs s’avéraient deux fois plus grosses et suffisaient à annihiler tout état d’âme.

    Sur place, chacun des brancards fut chargé dans un avion distinct. Les hommes embarquèrent tous deux dans celui où ils avaient installé Saskia Kuipers, la fillette qui avait de longs cheveux blonds. Katlyne Vanderstraeten, la rouquine, ferait route avec un autre duo.

    Les destinations des deux enfants divergeaient à cet instant précis. Définitivement. À plusieurs milliers de kilomètres de distance, l’une de l’autre, leur macabre destin allait pourtant se révéler très similaire.

    L’appareil atterrit deux heures plus tard en Pennsylvanie où les individus firent une halte pour la nuit. En voiture, ils en auraient eu pour au moins treize heures sans compter les risques de contrôles routiers. Mais le chef prévoyait et arrangeait tout. Il avait le bras long. Très long. La vigilance se jouait sur chaque détail et tous les moyens de transport étaient minutieusement sélectionnés. Les autorisations de vol ou de traversées maritimes étaient toujours réglées d’avance. Rien n’était laissé au hasard. Chaque arrêt était scrupuleusement planifié. Le lendemain, ils survoleraient le Lac Michigan et l’Ontario pour atteindre le nord du Manitoba où un nouveau véhicule les attendait. Là-bas, une équipe allait sans doute prendre le relais jusqu’à un prochain objectif. Enfin, c’est ce qu’ils supposaient. Ils ne connaissaient que le point final de leur propre mission et après tout, le reste leur était égal.

    Ils se levèrent tôt. Ce fut avec un goût amer en bouche, laissé par deux ou trois cafés serrés avalés à la hâte, qu’ils rembarquèrent dans l’avion. Durant le voyage, ils finirent de compléter et de sceller leur carnet de bord.

    La porte de l’appareil s’ouvrit sur le tarmac de Norway House, au Canada. La température extérieure n’excédait pas les dix degrés en dépit de la saison estivale. Enveloppés de vêtements chauds, les deux hommes se dirigèrent vers une camionnette stationnée aux abords de l’aéroport privé.

    Délaissant peu à peu la forêt manitobaine, le véhicule mit le cap vers une zone au paysage apocalyptique. Le Nunavut. Les habitations distantes de plusieurs dizaines de kilomètres se profilaient sous le tapis rosé de la toundra. Le terrain, escarpé et sublimé par les bouquets de saxifrages pourpres qui jaillissaient entre les fentes rocheuses, s’étendait à perte de vue.

    Quelques heures plus tard, ils se présentèrent à l’entrée d’un chalet isolé. Un homme et une femme aux visages presque entièrement masqués par des chapkas en lapin campaient sur le perron. Une épaisse doudoune blanche complétait leur tenue. Les deux hommes réglèrent les formalités et, débarrassés de leur fardeau, ils tournèrent les talons. Deux motoneiges étaient à leur disposition. Tout comme leurs prédécesseurs, ils allaient pouvoir rentrer. Leur juste récompense en poche. Ils enfourchèrent les engins et glissèrent en zigzaguant vers les faisceaux verdoyants de l’aurore boréale qui colorait l’horizon, loin de se douter que le voyage de leur marchandise se terminait définitivement, à quelques pas de là.

    À peine plus au nord, un territoire ignoré fourmillait mystérieusement, très profondément enfoui sous le pergélisol du Nunavut.

    Nuvavut « Notre Terre », juillet 2009

    La cage métallique atterrit dans un bruit sourd après une course inouïe pour dévaler les trois cents mètres de profondeur. Quelques dizaines de secondes plus tard, l’ascenseur s’ouvrit sur une pièce hexagonale ressemblant à un local sécurisé comme on en voyait dans les sous-sols des banques. Les seuls objets qui s’y trouvaient étaient un banc et un distributeur automatique de tuniques intégrales blanches. Après avoir ôté leur chapka et leur doudoune, l’homme et la femme enfilèrent les survêtements. Dès qu’ils furent prêts, ils avancèrent le brancard vers la porte blindée située à l’opposé de l’ascenseur. Le garde posté en surface qui les avait fait entrer surveillait distraitement leurs mouvements sur son écran de contrôle. Il tourna son visage vers la poubelle et, dans un souffle puissant, il cracha un gros chewing-gum qui s’aplatit sur le mur. C’était la troisième fois depuis le début de la journée qu’il visait à côté. Dépité, il haussa les épaules et se décida enfin à presser sur le bouton permettant aux visiteurs de poursuivre leur chemin. Au sous-sol, la lourde porte émit un chapelet de cliquetis avant de se déverrouiller entièrement. Le brancard s’insinua alors dans les entrailles du bunker du Nunavut.

    La fillette fut transportée jusqu’à une salle nommée « zone de transit ». Des plaques en aluminium tapissaient les murs. Hormis un interrupteur et un thermostat situés à l’entrée de la pièce, les parois lisses étaient dépourvues de tout ornement. Un large miroir sans tain corroborait cependant la présence d’un local adjacent. La femme et l’homme entrèrent, précédés du lit à roulettes où dormait Saskia. Soustraits à leur regard, les cinq médecins alignés derrière le vitrage cessèrent leurs bavardages. Ils se mirent à épier les gestes des deux individus.

    L’homme ajusta le lit sur les marques au sol et actionna le système de blocage des roues. Dans un rituel parfaitement rodé, la femme ôta le plaid qui recouvrait totalement l’enfant. Elle le plia avec soin et le rangea. Puis, elle s’approcha de la vitre sombre et tira sur un loquet. Un portillon s’ouvrit sur un coffre et elle y déposa une boîte en carton qui bascula dans la pièce secrète. Comme des automates, l’homme et la femme rebroussèrent chemin, abandonnant derrière eux le petit corps flasque, désormais à la disposition des curieux.

    Au bout d’un bref moment, les membres de l’équipe médicale s’installèrent autour de la table. L’un d’entre eux avait récupéré la boîte et en avait vidé le contenu devant un siège encore inoccupé. À peine avaient-ils repris leur bruyant colloque que le retardataire arriva.

    Se contentant de saluer l’assemblée d’un léger signe de tête, l’imposante silhouette de Nicolas Duran rejoignit à grandes enjambées son fauteuil directorial. Il examina rapidement les carnets de bord relatifs aux enlèvements puis, levant la main gauche devant lui, il intima le silence.

    — Messieurs, je ne vous apprendrai rien en vous disant qu’un nouveau pensionnaire vient tout juste d’être livré dans notre bunker. Il s’agit d’une fillette de huit ans, de type caucasien.

    1

    Adama’s Blum, Austin, Texas, septembre 2009

    Lisa Lorenzi-Blum traversait le sentier pentu dans un rythme soutenu. Les fines brindilles qui se rompaient sous ses pas ponctuaient la cadence régulière de sa course. Le chemin de terre faisait place maintenant à une pelouse parfaitement tondue. Le jogging matinal et quotidien de Lisa allait s’achever dans une centaine de mètres.

    En contrebas, le double portail en fer forgé se dressait fièrement, étalant sur son sommet l’identité de la somptueuse propriété : « Adama’s Blum ».

    Les portes automatiques s’ouvrirent en grand et, à son passage, les gardiens la saluèrent. L’hacienda était nichée au bout d’une longue allée bordée d’ormes et de chênes. Les murs de pierre qui ceinturaient les deux cent cinquante hectares de terres exploitées en parcs et loisirs équestres assuraient à l’Adama’s Blum une protection digne d’une forteresse.

    Lisa prit sa gourde, avala une rasade d’eau et, après quelques derniers exercices d’étirements, elle rentra.

    La porte-fenêtre grande ouverte laissait filtrer une légère brise qui embaumait la chambre du doux parfum des magnolias et des plants de jasmin grimpants le long des façades tels de longs fils d’Ariane. Austin jouissait d’un climat subtropical, dont la température élevée et saturée en humidité, pouvait monter jusqu’à 38 ° C.

    Lisa prit une longue douche rafraîchissante. Puis, elle se sécha tout en se contemplant dans le miroir.

    Ce soir, elle fêtait son quarantième anniversaire.

    Son visage et sa silhouette conservaient encore toute leur grâce cependant, comme beaucoup de femmes qui franchissaient ce cap, Lisa redoutait le regard des autres. Elle entra dans la pièce qui jouxtait sa chambre à coucher. D’interminables garde-robes s’étalaient dans ce qui ressemblait plus à un salon qu’à un dressing-room. Dans un angle, le buste d’une femme nue reposait sur un socle de marbre noir. A ses côtés, une méridienne de style vénitien siégeait telle une pièce de musée. Les rouleaux de soie orange vif emprisonnés sous l’armature en acajou sculpté contrastaient superbement avec la sobriété de l’endroit. Serge Blum, le père de son mari et propriétaire des lieux, avait fait appel à son ami Ernesto pour meubler et ornementer l’hacienda. Le célèbre designer s’était imprégné d’influences culturelles multiples et avait bâti son œuvre sur le métissage des genres. L’éclectisme de ses projets qu’il réservait aux lieux atypiques témoignait de son prodigieux talent. Entouré des meilleurs artisans, il avait empli la demeure texane d’une harmonie raffinée où s’opposaient avec équilibre les styles et les époques.

    Lisa jeta son dévolu sur une robe rose toute simple. Passant sous une voûte située à l’autre bout de la pièce, elle pénétra dans une chambre affectée aux accessoires, chaussures et sacs à main assortis à chacune de ses toilettes. Elle enfila une paire de sandales, noua un foulard dans ses cheveux et descendit les marches d’un pas rapide.

    Les décorateurs professionnels œuvraient déjà un peu partout, respectant à la lettre les instructions du propriétaire. La fête étant toutefois donnée en son honneur, Lisa s’était mis en tête d’ajouter pour l’occasion sa touche personnelle en confectionnant elle-même quelques bouquets décoratifs. Et puis, plus encore que le sport, ses promenades dans les parcs de la demeure avaient le pouvoir d’apaiser ses tensions.

    La métamorphose constante de la nature la fascinait. Soumise aux caprices du vent et aux heurts fortuits de la pluie, chaque parcelle revêtait, d’un instant à l’autre, un aspect inattendu. Les senteurs végétales vagabondaient et jouaient à cache-cache avec les sculptures ornementales, libres de s’imposer auprès d’elles ou de les fuir.

    Au gré de son errance, Lisa atteignit les serres.

    L’immense hall circulaire s’ouvrait sur un jardin d’hiver chapeauté d’une coupole en vitrail corallin : La Rotonda. Les impressionnantes verrières de

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