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L'Homme sans nom: Une affaire mystérieuse
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L'Homme sans nom: Une affaire mystérieuse
Livre électronique347 pages5 heures

L'Homme sans nom: Une affaire mystérieuse

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À propos de ce livre électronique

Quand l'aristocratie enquête autour d'un crime

Fortuné du Boisgobey débute réellement sa carrière de romancier par les romans « judiciaires » dont le thème principal est la narration d’une action criminelle et de la lutte entreprise contre son ou ses auteurs. Ce roman-ci possède la particularité d’une construction en deux temps, après avoir débuté, de manière très moderne pour l’époque, par une séquence anticipée.

Le schéma principal de la première partie est celui qui va très souvent s’imposer à l’auteur : un personnage de la classe aristocratique, ici le vicomte Henri de Servon, se trouve confronté à un mystère d’apparence criminel et décide d’enquêter à son sujet ; ce qui ne va pas forcément sans risque puisqu’il finit par se retrouver en prison… Et il se trouve confronté à un mystérieux étranger, M. de Pancorvo, un Sud-Américain fort riche.
La seconde partie repose sur un procédé typique des feuilletons du Second Empire : le récit rapporté. Ici, il n’est pas question de manuscrit retrouvé ou de confession in extremis, mais du témoignage, à la barre d’un tribunal, d’un personnage qui sait ce qui s’est passé et va pouvoir révéler le fin mot de l’histoire.
A noter l’intervention du policier Jottrat, personnage qui sera l’un des héros principaux d’un prochain roman, Disparu !

Le roman est publié d’abord dans le Petit Moniteur Universel du Soir, du 10 juin au 14 août 1869 ; il paraît en librairie chez Dentu en 1878, sous le titre : Une affaire mystérieuse.

A l'aide du policier Jottrat, Fortuné du Boisgobey livre un roman policier rythmé, dont l'intrigue judiciaire est élégamment construite.

EXTRAIT 

Les événements politiques qui remplirent les six premiers mois de 1848 ne laissaient guère de place à d’autres préoccupations.
L’intérêt qui s’attache aux curiosités judiciaires s’était reporté tout entier sur les combats de la rue ou sur les luttes de la tribune, et les faits singuliers qui se déroulèrent à cette époque dans le monde parisien le plus élevé passèrent à peu près inaperçus.
Après la révolution de février, les clubs élégants étaient restés longtemps déserts ; mais, vers la fin de l’été, les fidèles de la vie à grandes guides commencèrent à reprendre leurs habitudes.
On revenait dîner au Café de Paris ; on retournait au théâtre ; on se remettait à jouer et à souper.
A jouer surtout.
Il semblait qu’on voulût se dédommager d’une interruption forcée, et l’on reprit les parties avec une ardeur qui s’expliquait peut-être aussi par l’incertitude de l’avenir.
C’était surtout dans un des cercles les plus renommés du Paris d’alors que les gros joueurs se donnaient rendez-vous, et, chaque nuit, autour d’une table de baccarat dressée au milieu du grand salon rouge, on perdait et on gagnait des sommes énormes.
A voir l’or et les billets de banque s’entasser sur le tapis vert, on ne se serait pas douté que les valeurs industrielles étaient en baisse et que les fermages ne se payaient guère.
L’argent, qui se cachait partout et qui fuyait les affaires, se montrait hardiment au jeu, et changeait de mains entre une heure et cinq heures du matin avec une facilité incroyable.

A PROPOS DE L'AUTEUR

Fortuné du Boisgobey est né en 1821 et mort en 1891. Écrivain emblématique du XIXe siècle, il s'est essayé au genre du roman policier, judiciaire et historique. Ayant connu un succès considérable de son vivant, il est considéré comme l'un des plus grands feuilletonistes de la littérature française. Il fut à la tête de la Société des Gens de Lettres entre 1885 et 1886.
LangueFrançais
Date de sortie10 juil. 2015
ISBN9782360589029
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    Aperçu du livre

    L'Homme sans nom - Fortuné du Boisgobey

    Bibliothèque du Rocambole

    Œuvres de Fortuné du Boisgobey - 2

    collection dirigée par Alfu

    Fortuné du Boisgobey

    L’Homme sans nom

    (Une affaire mystérieuse)

    1869

    AARP — Centre Rocambole

    Encrage édition

    © 2011

    ISBN 978-2-36058-902-9

    Préface

    d’Alfu

    Fortuné du Boisgobey  1 débute sa carrière de romancier — si l’on exclut quelques essais de jeunesse — par les romans « judiciaires » dont le thème principal est la narration d’une action criminelle et de la lutte entreprise contre son ou ses auteurs.

    Ce roman-ci possède la particularité d’une construction en deux temps, après avoir débuté, de manière très moderne pour l’époque, par une séquence anticipée, autrement dit la relation d’un épisode qui ne pourra être réellement compris par le lecteur que plus tard quand l’ensemble de l’histoire lui aura été conté.

    Le schéma principal de la première partie est celui qui va très souvent s’imposer à l’auteur : un personnage de la classe aristocratique, ici le vicomte Henri de Servon, se trouve confronté à un mystère d’apparence criminel et décide d’enquêter à son sujet ; ce qui ne va pas forcément sans risque puisqu’il finit par se retrouver en prison… Et il se trouve confronté à un mystérieux étranger, M. de Pancorvo, un Sud-Américain fort riche — dont M. de Noreff, le comte Borodino, Wilfrid Wassmann et tant d’autres seront les dignes successeurs dans l’œuvre de l’auteur !

    La seconde partie repose sur un procédé typique des feuilletons du Second Empire : le récit rapporté. Ici, il n’est pas question de manuscrit retrouvé ou de confession in extremis, mais du témoignage, à la barre d’un tribunal, d’un personnage qui sait ce qui s’est passé et va pouvoir révéler le fin mot de l’histoire.

    Dans cette histoire-là, il est question de marine — autre grand thème des romans populaires de l’époque, d’Eugène Sue à Jules Verne ! Et même de plongée sous-marine.

    Et il est question de duel… en chambre !

    Mais il est aussi question d’enquête policière, avec relevé d’indices et inductions.

    « Robert avait assisté souvent dans son bourg de Whitstable à des paris engagés sur ces machines, qui se composent de deux roues séparées par un siège étroit, et il avait été émerveillé de la vitesse avec laquelle elles franchissaient l’espace. […]

    Les ressorts, rouillés comme s’ils avaient séjourné longtemps dans l’eau, étaient en partie brisés, et Robert apprit que les gamins venaient de découvrir cet instrument au fond d’une citerne abandonnée. […]

    Du choc imprévu de ses pensées, un rapprochement avait jailli.

    Ce berger qui, dans la nuit du crime, avait vu passer un voyageur fantastique, cette course diabolique sur un appareil étrange, tout lui était expliqué. » (p. 161)

    Enfin, le moindre mérite de ce roman n’est pas de dénoncer une pratique ayant encore malheureusement cours en plein dix-neuvième siècle : la traite des Noirs.

    A noter pour finir, l’intervention d’un personnage qui sera l’un des héros principaux d’un prochain roman : le policier Jottrat 2.

    Le roman est publié d’abord dans le Petit Moniteur Universel du Soir, du 10 juin au 14 août 1869 ; il paraît en librairie chez Dentu en 1878, sous le titre : Une affaire mystérieuse.

    1 Pour une approche plus complète de l’auteur et de son œuvre, lire le n°1 de la revue Le Rocambole.

    2 Lire Disparu ! dans la même collection.

    Prologue

    L’été de 1846 touchait à sa fin. Par une magnifique journée du mois de septembre, deux douaniers achevaient leur faction sur la côte escarpée qui borde l’entrée du golfe de Saint-Tropez, dans le Var.

    Il était près de midi, et il faisait une chaleur torride.

    Pour s’abriter du soleil, ils s’étaient couchés à l’ombre d’un buisson de lentisques qui les cachait parfaitement, et tout près d’une fontaine dont le voisinage leur donnait un peu de fraîcheur.

    A leurs pieds s’étendait à perte de vue la Méditerranée, unie et calme comme un lac.

    Un temps pareil n’est pas favorable aux contrebandiers, et il y avait bien peu de chances de faire une capture.

    D’ailleurs, on n’apercevait pas une voile. Du bleu partout, sauf un petit noir à l’horizon qui pouvait bien être un nuage ou un rocher.

    Au bout d’une demi-heure, il sembla aux douaniers que le point noir grossissait.

    Une heure après, il n’y avait plus de doute : le point noir était une barque, et cette barque venait droit sur la côte.

    Cela n’avait rien que de très naturel.

    Au bout de deux heures, la barque était à une portée de fusil de la plage, et on distinguait parfaitement l’homme qui la conduisait.

    Cet homme était seul et ramait vigoureusement de ses deux avirons ; il s’arrêtait de temps en temps et semblait chercher à reconnaître un point du rivage.

    Les deux douaniers, couchés sur le haut de la falaise, étaient complètement invisibles.

    Bientôt le rameur parut avoir trouvé ce qu’il cherchait, car il aborda, sauta à terre et tira sa barque un peu sur le sable, pour que le flot ne l’entraînât pas.

    Après cette opération, il regarda encore la côte, comme pour s’assurer qu’elle était déserte, et, satisfait sans doute du résultat de son examen, il se mit à courir à toutes jambes vers la falaise.

    Les douaniers pensèrent que cela valait la peine d’être observé, et ils observèrent.

    L’homme grimpait sans hésiter par un étroit sentier qui conduisait en droite ligne à la fontaine.

    Ils le voyaient maintenant de très près. Ce n’était pas un pêcheur de la côte : les douaniers les connaissaient tous.

    C’était au moins singulier.

    Arrivé au haut de la falaise, l’homme s’arrêta un instant, regarda autour de lui, et, ne voyant personne, il courut à la source, se jeta à plat ventre, et se mit à boire à pleine bouche et à même la fontaine.

    Evidemment il mourait de soif.

    Il but longuement, se trempa la tête, s’aspergea, barbota pendant un grand quart d’heure.

    Puis il se releva, regarda encore à droite et à gauche, et parut se disposer à regagner sa barque.

    A ce moment, les douaniers jugèrent convenable d’apparaître.

    Ils n’avaient à l’endroit de cet inconnu aucune idée bien arrêtée ; mais il leur semblait étrange qu’on vînt de la pleine mer exprès pour boire à une fontaine.

    Ils se dressèrent donc tout à coup, et leur brusque apparition produisit sur le buveur un effet extraordinaire.

    Il se mit aussitôt à dégringoler par la falaise, dans la direction de sa barque.

    Il courut comme une chèvre et du pas d’un homme qui a fréquenté longtemps le pays.

    Un homme qui se sauve est toujours suspect, et, dans tous les pays, on court après lui.

    Les douaniers n’eurent garde de manquer à cet usage.

    Ils rejoignirent le fuyard, et ils lui mirent la main au collet au moment où il touchait presque à la barque.

    L’homme se débattit vigoureusement ; mais après une courte lutte, il fut terrassé et solidement attaché.

    Il avait le regard effaré d’une bête fauve prise au piège, et il portait au front une blessure récente.

    Son costume se composait d’un pantalon de toile à voiles et d’un chapeau de paille troué comme une écumoire.

    Pas de paletot, pas de chemise, pas de souliers. Les marins provençaux ne s’habillent pas comme les canotiers de la Seine ; mais enfin ils s’habillent, et l’inconnu n’était pas habillé du tout.

    Une toilette aussi succincte était éminemment suspecte. Ce fut bien pis quand on examina la barque ; elle était aussi nue que l’homme qui la montait : elle contenait deux avirons, et pas autre chose.

    Ni mât, ni voile, ni gouvernail ; pas de provisions, pas même une cruche d’eau ; pas de nom ni de numéro à l’arrière.

    Les douaniers commencèrent à questionner l’inconnu, mais ils n’en tirèrent aucune réponse. Assez embarrassés de leur capture, ils se décidèrent à le conduire au bourg le plus voisin, qui possédait un juge de paix et une prison.

    L’homme se laissa mener sans résistance et sans prononcer une parole. Ce n’est qu’en arrivant à la geôle qu’il ouvrit la bouche pour dire : « J’ai faim ».

    On lui donna un pain de munition qu’il dévora en quelques minutes, et on alla chercher le juge de paix, qui l’interrogea sans pouvoir en obtenir une réponse, et qui, ne sachant trop qu’en faire, l’expédia entre deux gendarmes au chef-lieu de l’arrondissement, comme prévenu de vagabondage.

    Un vagabond de la mer !

    Là, le juge chargé de l’instruction essaya à son tour de faire parler cet étrange prisonnier. Mais toute l’habileté d’un magistrat habitué à déjouer les ruses des prévenus vint échouer contre une défense bien simple.

    L’inconnu ne mentait pas : il se taisait.

    Ce silence obstiné donnait à un vulgaire délit de vagabondage les proportions d’une grosse affaire criminelle.

    Un homme qui refuse de dire ce qu’il est, ce qu’il a fait, d’où il vient, doit avoir pour se taire de bien graves motifs, quand il sait que ce refus peut le retenir longtemps en prison. D’ailleurs, on ne vient pas presque nu se rafraîchir sur une côte déserte ; on ne se promène pas sans vêtements, sans eau et sans vivres dans une barque sans numéro.

    Il y avait là un mystère qui cachait très probablement un crime.

    — Mais lequel ?

    La première idée qui se présentait était celle d’un massacre en pleine mer, commis par l’équipage révolté de quelque navire ; mais alors, comment ce malheureux se trouvait-il abandonné dans ce canot délabré ?

    Une circonstance ajoutait encore à l’obscurité qui couvrait cette affaire.

    Pour trouver la fontaine, qu’on n’apercevait pas de la mer, il fallait avoir pratiqué la côte.

    L’homme était donc déjà venu dans ce pays, où cependant pas un habitant ne le reconnaissait. L’examen de sa personne ne pouvait guère aider à éclaircir ce mystère.

    Il n’était ni vieux ni jeune, ni beau ni laid, ni gras ni maigre.

    Ce n’était pas ce qu’on appelle un homme comme il faut ; ce n’était pas non plus un paysan ni un matelot.

    En un mot, on voyait très bien ce qu’il n’était pas ; on ne voyait pas du tout ce qu’il était.

    En présence de cette énigme vivante, le juge se trouva fort embarrassé.

    C’était un magistrat encore jeune et plein de zèle ; il avait à sa disposition les moyens si nombreux et si puissants dont la loi a armé l’instruction criminelle, et il résolut de les employer tous, s’il le fallait.

    Il commença par faire venir de Toulon des agents de la chiourme, car on pouvait avoir affaire tout simplement à un évadé du bagne.

    Ces agents déclarèrent que l’inconnu n’avait jamais été leur pensionnaire.

    Il s’adressa à tous les parquets de France et d’Italie, en leur envoyant le signalement de l’individu, pour savoir s’il ne s’appliquait pas à quelque fugitif de leur ressort. Il reçut de tous des réponses négatives.

    Il écrivit dans tous les ports des côtes voisines pour demander si une barque n’avait pas été volée quelque part.

    Aucun des renseignements obtenus ne parut se rapporter au canot monté par le prisonnier.

    Le juge se décida à mettre en œuvre ces misérables qu’on appelle en argot de prison des moutons, c’est-à-dire qu’on donne au pauvre diable deux compagnons de chambre chargés de l’épier et de le faire parler.

    Ils en furent pour leurs frais d’éloquence.

    Le camarade, qui causait volontiers sur des sujets indifférents, leur glissait entre les doigts dès qu’il voyait poindre la moindre allusion à ses aventures.

    Enfin on était allé jusqu’à user d’un moyen extrême : on avait pris les noms des malfaiteurs évadés ou contumaces dont les signalements offraient quelque ressemblance avec l’inconnu, et, la nuit, au milieu de son sommeil, on le réveillait brusquement en l’appelant d’un de ces noms-là.

    On espérait que si on tombait sur le sien, il ne serait pas maître d’un premier mouvement.

    Jamais il ne s’y laissa prendre.

    Arrivé à ce degré de mystère, l’affaire prenait les proportions d’une lutte d’amour-propre entre le juge et l’homme-problème.

    Mais on ne pouvait prolonger indéfiniment la situation et tenir l’inconnu en prison préventive jusqu’à ce qu’il lui plût de parler.

    De guerre lasse, on le renvoya comme vagabond devant le tribunal de police correctionnelle.

    Son affaire avait attiré à l’audience toute la population de la petite ville, et même quelques étrangers qui étaient venus passer l’automne en Provence.

    L’un d’eux, le vicomte Henri de Servon, camarade de collège du juge d’instruction, chez lequel il était venu prendre domicile pour un mois, s’était intéressé à cette histoire avec la curiosité d’un Parisien désœuvré.

    Il était allé voir l’inconnu en prison, et il se trouva au premier rang à l’audience.

    Le prévenu ne se présenta pas vêtu du costume par trop succinct qu’il portait dans sa barque. On lui avait donné les habits de la prison : veste et pantalon de grosse laine.

    C’était un homme de taille moyenne, plutôt grand. Il devait avoir de quarante-cinq à cinquante ans. Ses cheveux et sa barbe, qu’il portait tout entière, étaient restés très noirs. Ses traits, peu réguliers, n’étaient pas déplaisants, et ses yeux bruns avaient une expression douce et intelligente.

    Le soleil avait répandu sur sa peau une teinte de bistre qui dénotait une profession exposée à l’air, comme celle de chasseur ou de marin.

    Ses mains, sans être celles d’un ouvrier, avaient travaillé.

    Son langage était correct et dépourvu de tout accent.

    On s’attendait à une audience dramatique ; on fut complètement trompé.

    Le prévenu resta calme, muet, impénétrable.

    On le pressa de questions, on lui tendit des pièges, on lui représenta les conséquences de son entêtement. Tout fut inutile.

    L’inconnu ne se départit jamais de sa douceur obstinée, et en entendant lire le jugement qui le condamnait, pour vagabondage, au maximum de la peine, — un an et un jour de prison, — il eut l’attitude d’un homme résigné à toutes les conséquences d’une résolution prise.

    Il avait fallu pourtant lui donner un nom, afin de baptiser la condamnation, pour ainsi dire, et on l’appela Jacques, comme l’avaient fait déjà les gardiens de la prison, dans l’embarras où ils s’étaient trouvés pour le désigner.

    Peu de jours après, l’homme sans nom était dirigé sur une maison de réclusion, dans un département voisin.

    La toile tombait avant le dénouement du drame.

    Henri de Servon s’était passionné pour cette énigme sans mot, comme il se serait passionné pour une grosse partie à son cercle, et avant de rentrer à Paris, il eut l’idée de faire déposer au greffe cinq cents francs pour qu’on les remît au prisonnier à l’expiration de sa peine.

    C’était un placement au profit de sa curiosité.

    Il s’était dit qu’une fois ses comptes réglés avec la justice, l’inconnu le rembourserait avec le récit de ses aventures.

    Le calcul ne se trouva pas juste.

    Un an après, le vicomte apprit que l’homme avait fait les douze mois de prison sans trahir son incognito et qu’il était allé habiter Marseille sous la surveillance de la police.

    Mais ce fut tout. L’homme sans nom ne donna pas signe de vie. Il n’écrivit même pas pour remercier, quoique l’argent lui eût été remis fidèlement à sa sortie.

    La révolution de février survint quelque temps après, et Henri de Servon avait à peu près oublié cette histoire, quand, vers la fin de l’année 1848, il se trouva mêlé à des aventures bien autrement étranges.

    1.

    Les événements politiques qui remplirent les six premiers mois de 1848 ne laissaient guère de place à d’autres préoccupations.

    L’intérêt qui s’attache aux curiosités judiciaires s’était reporté tout entier sur les combats de la rue ou sur les luttes de la tribune, et les faits singuliers qui se déroulèrent à cette époque dans le monde parisien le plus élevé passèrent à peu près inaperçus.

    Après la révolution de février, les clubs élégants étaient restés longtemps déserts ; mais, vers la fin de l’été, les fidèles de la vie à grandes guides commencèrent à reprendre leurs habitudes.

    On revenait dîner au Café de Paris ; on retournait au théâtre ; on se remettait à jouer et à souper.

    A jouer surtout.

    Il semblait qu’on voulût se dédommager d’une interruption forcée, et l’on reprit les parties avec une ardeur qui s’expliquait peut-être aussi par l’incertitude de l’avenir.

    C’était surtout dans un des cercles les plus renommés du Paris d’alors que les gros joueurs se donnaient rendez-vous, et, chaque nuit, autour d’une table de baccarat dressée au milieu du grand salon rouge, on perdait et on gagnait des sommes énormes.

    A voir l’or et les billets de banque s’entasser sur le tapis vert, on ne se serait pas douté que les valeurs industrielles étaient en baisse et que les fermages ne se payaient guère.

    L’argent, qui se cachait partout et qui fuyait les affaires, se montrait hardiment au jeu, et changeait de mains entre une heure et cinq heures du matin avec une facilité incroyable.

    Un jour, au plus fort de cette fièvre, vers la fin du mois d’octobre, un des membres les plus assidus du cercle cessa tout à coup d’y paraître.

    C’était un jeune gentilhomme fort riche, originaire du Languedoc, qui était venu passer l’hiver à Paris et qui avait gagné depuis un mois des sommes importantes.

    D’abord on s’inquiéta peu de son absence, car l’intimité entre joueurs ne dépasse guère les limites du tapis vert ; mais on ne tarda pas à apprendre qu’il n’avait pas reparu à son domicile depuis plusieurs jours.

    Sa famille s’était émue et le faisait chercher.

    M. de Sieurac — c’était son nom — avait quitté le cercle un matin, vers quatre heures, et depuis l’instant où il avait franchi la porte de la rue, on ne retrouvait de lui aucune trace.

    Il était probable qu’il avait, suivant son habitude, pris une voiture pour se rendre dans le faubourg Saint-Germain, où il demeurait ; mais les cochers de place et de remise qu’on interrogea ne purent donner aucun renseignement précis.

    Un seul affirma que, cette nuit-là, il avait conduit à la gare du chemin de fer de Rouen un voyageur dont le signalement se rapportait à celui du jeune homme disparu.

    Il était bien difficile de croire qu’à pareille heure, sans bagages et en toilette de soirée, M. de Sieurac se fût mis en route pour une destination inconnue.

    On pensa à un suicide.

    C’est une hypothèse toujours admissible quand il s’agit d’un joueur.

    Mais, outre qu’il était fort riche, M. de Sieurac avait toujours été heureux à la partie, et, la nuit même de sa disparition, il avait gagné une très forte somme.

    On ne lui connaissait d’ailleurs aucun chagrin.

    Il était insensé de croire qu’un homme dans cette situation d’esprit et de fortune avait été se jeter à la Seine après une nuit joyeuse et fructueuse.

    Il était plus naturel de croire à un crime, et on se dit que dans le portefeuille de M. de Sieurac il y avait bien de quoi tenter les voleurs qui, en ce temps de crise financière, rencontraient rarement de pareilles aubaines.

    Mais, depuis deux ans à peu près, les bandes d’escarpes qui infestaient les rues de Paris vers la fin du règne de Louis-Philippe avaient entièrement disparu.

    Les derniers débris de ces redoutables associations de malfaiteurs avaient été jugés et condamnés en 1846, et, depuis lors, il n’avait plus été question d’attaques nocturnes.

    Les recherches que la police dirigea dans ce sens n’aboutirent à rien.

    Le seul indice recueilli fut la découverte du portefeuille de M. de Sieurac, qu’on ramassa déchiré et souillé de boue dans les terrains déserts qui s’étendaient alors près de la barrière du Roule.

    Inutile de dire que ce portefeuille était parfaitement vide.

    Ce fut tout.

    On explora inutilement la rivière et le canal. Le corps de M. de Sieurac ne fut pas retrouvé.

    Cette étrange disparition occupa tout Paris pendant huit jours ; mais, une semaine après l’événement, Paris l’avait déjà oublié, et au cercle, où M. de Sieurac était fort connu et assez aimé, sa mort probable n’arrêta pas le baccarat une seule nuit.

    Un mois ne s’était pas écoulé qu’une aventure, moins tragique il est vrai, advint à un des joueurs les plus assidus de la grosse partie.

    C’était un officier de l’armée d’Afrique qui était venu passer à Paris quelques mois de congé.

    Il était riche et joueur déterminé ; mais il apportait, dans l’exercice de sa passion favorite, une régularité toute militaire.

    A minuit, il s’asseyait à la table de baccarat, et à trois heures précises il quittait la partie, qu’il fût en bénéfice ou en perte.

    A trois heures et quelques minutes, quel que fût le temps, il s’acheminait à pied vers son domicile, situé rue de Bourgogne, en sifflant une vieille fanfare d’Afrique.

    Il jouait le plus souvent avec une mauvaise chance marquée ; mais quand, par hasard, la veine lui souriait, il la poussait avec la vigueur d’un spahi habitué à charger à fond, et il enlevait parfois de très gros gains.

    Un soir, ou plutôt un matin, qu’il rentrait chez lui, après avoir gagné une bataille chaudement disputée, il lui sembla voir des ombres suspectes se glisser le long du mur d’un grand jardin, à l’angle du quai d’Orsay.

    Le capitaine Laverdan avait trop pratiqué en Algérie la guerre d’embuscades pour ne pas se défier des coins obscurs, et il savait qu’en chemin suspect il ne faut pas tourner trop court.

    Il eut donc soin de se tenir au milieu de la chaussée, et, par surcroît de précaution, il dégaina une courte épée cachée dans sa canne.

    En même temps il marchait vers l’entrée de la rue de Bourgogne en s’éclairant militairement, c’est-à-dire en regardant à droite et à gauche.

    Un pas, un coup d’œil.

    Bien lui en prit.

    Au moment où il dépassait une porte basse qui s’ouvrait dans le mur du Palais-Bourbon, il vit un homme s’élancer sur lui, et il se sentit saisir par-derrière.

    Une main vigoureuse lui serrait le cou, et une autre main fouillait sa poitrine.

    Mais le capitaine n’avait pas oublié l’école du sabre. Il exécuta un en arrière pointez ! qui fit lâcher prise à l’agresseur, et il se retourna vivement pour faire face à l’ennemi.

    Le coup avait dû porter, car le voleur chancelait ; mais, à ce moment, deux autres coquins arrivaient à la rescousse, et l’officier jugea opportun de battre en retraite.

    Il ne fut pas poursuivi.

    Le lendemain, cette histoire était la nouvelle du cercle.

    Cette fois, on était fixé : c’était bien une attaque nocturne en règle, et la police, à laquelle le capitaine alla faire sa déclaration, se mit en campagne avec ardeur.

    Un des assaillants avait dû être grièvement blessé, car il avait largement arrosé de sang les pavés de la paisible rue de Bourgogne ; à l’aide de cet indice, le chef de la brigade de sûreté se faisait fort de mettre la main sur la bande.

    Quand il se commet un crime de ce genre, on sait à peu près dans quelle catégorie de coquins il faut chercher le coupable, et un coup d’épée est une marque qui ne s’efface pas du jour au lendemain.

    Mais on explora en vain les garnis mal famés et les estaminets borgnes ; on ne découvrit pas le moindre blessé suspect.

    La bande, s’il y en avait une, s’était encore une fois évanouie comme un fantôme insaisissable.

    Rien ne rattachait cette tentative de vol à la mort trop probable de M. Sieurac, et pourtant les deux aventures présentaient une coïncidence singulière.

    Le capitaine si heureusement sauvé et le jeune homme si tristement disparu portaient tous les deux dans leur poche une grosse somme et venaient tous les deux de gagner au baccarat.

    Si les voleurs connaissaient cette circonstance, ils avaient dû être renseignés par des témoins de la partie.

    Quelque inadmissible que parût cette supposition, la police, défiante de sa nature, ne crut pas inutile de faire à petit bruit une enquête dans le cercle.

    On se renseigna sur les gens de service ; on les surveilla, et on ne découvrit absolument rien.

    Il ne résulta de toutes ces recherches qu’une sorte de malaise général dans le cercle.

    On se regardait, et on s’observait. Il y avait des soupçons dans l’air. Mais la partie ne s’arrêta pas pour si peu.

    Henri de Servon se trouvait absent au moment où se passaient ces singuliers événements.

    Après la révolution de février, il avait quitté Paris pour aller vendre une terre de Bretagne, et il avait été retenu à la campagne beaucoup plus longtemps qu’il ne le pensait.

    C’était alors un homme de trente ans, qui avait les défauts et les qualités du temps et du milieu où il vivait.

    Bien né, bien élevé et suffisamment intelligent, il avait gâté tous ces avantages par une incurable légèreté et un goût immodéré pour la vie facile.

    Du reste, s’il avait compromis sa fortune et manqué son existence, il n’était pas devenu méchant.

    L’indulgence un peu banale qu’il pratiquait l’avait conduit à des imprudences, à des relations fâcheuses ; mais du moins cela n’avait pas gâté son cœur.

    Le hasard de sa naissance et ses relations en avaient fait ce qu’on appelait alors un viveur.

    Au fond, c’était un curieux, un chercheur, et il n’avait guère que la passion de l’inconnu.

    Les derniers événements avaient achevé d’ébranler sa fortune déjà fortement entamée ; il avait prolongé son séjour en Bretagne pour tâcher de réparer quelques brèches, et il était rentré à Paris avec des projets d’économie et de sagesse.

    Depuis son retour, il s’était même abstenu par système de mettre les pieds au cercle.

    Un soir pourtant, excédé d’un spectacle des plus maussades qu’il venait de subir dans un petit théâtre, il eut l’idée de monter au club.

    A sa grande surprise, il trouva devant la cheminée du salon une réunion des plus animées.

    Il était évident qu’il venait de se passer un événement extraordinaire.

    Tout le monde parlait à la fois.

    Henri de Servon ne comprit rien d’abord à la conversation, puis il finit par saisir au vol quelques phrases.

    — Ce pauvre baron ! disait-on. Pour une fois qu’il lui arrive

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