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L'enfant de l'île rouge: Roman initiatique
L'enfant de l'île rouge: Roman initiatique
L'enfant de l'île rouge: Roman initiatique
Livre électronique215 pages3 heures

L'enfant de l'île rouge: Roman initiatique

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À propos de ce livre électronique

Valérie mène une existence paisible dans une ville de Provence. Jusqu’au jour – favorisé par le hasard - où le désir lui vient de retrouver les traces de ses origines. Ces origines qui se perdent du côté de l’Île Rouge, Madagascar, où ses parents actuels sont allés l’adopter, il y a plus de vingt ans.

Le jeu de piste peut commencer pour remonter l’histoire. Diverses rencontres, plus ou moins provoquées, vont aider à reconstruire ce passé, en France d’abord, à Madagascar ensuite, au cours d’un premier voyage éblouissant à valeur de découverte et d’initiation. Au fil de ses recherches, Valérie, redevenue Sahondra, son premier prénom, se métamorphose, gagne en maturité, se détache d’une mère adoptive surprotectrice, s’imprègne d’une culture, d’un mode de vie, apprend à connaître un pays qui la fascine et des gens qui lui rappellent d’où elle vient.

Progressivement, au terme d’un parcours douloureux mais nécessaire, la vérité se découvre : un père biologique français, expatrié provisoire dans la Grande Île, et Hortensia, une mère malgache aimante et effacée. Alors prend corps chez Valérie-Sahondra le rêve de reconstruire ce que la vie a défait en rapprochant ces êtres à la fois éloignés et proches. Une entreprise qui doit lui permettre, en même temps, de trouver son unité personnelle, de réconcilier en elle l’Européenne et la fille de l’Île Rouge. Au risque de créer du désordre.

Ce roman, inspiré de situations réelles, traite avec subtilité des diverses problématiques liées à l’adoption tout en évoquant un pays attachant et proche, Madagascar.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Après une carrière au Conseil Général du Var dans le domaine de l'Action Sociale, Michèle Stalloni s'est orientée vers l'humanitaire et l'aider aux pays du Tiers monde. Elle a d'abord créé une association d'aide à l'adoption internationale, puis, en 1996, l'ONG "Espoir pour un enfant" qui, par le parrainage, soutient les enfants en détresse de Madagascar.
LangueFrançais
ÉditeurPLn
Date de sortie18 mars 2021
ISBN9791096923625
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    Aperçu du livre

    L'enfant de l'île rouge - Michéle Stalloni

    cover.jpg

    L’enfant de l’Île rouge

    Ce livre, largement inspiré de la réalité, n’aurait pu voir le jour sans l’aide patiente et efficace de mon mari, Yves Stalloni, qui m’a fait bénéficier de sa longue expérience en matière d’écriture. Qu’il en soit remercié. MS

    Michèle Stalloni

    L’enfant de l’Île rouge

    Roman

    I

    On cherche un appartement et on se retrouve à remonter le fil de ses origines. Faute de pouvoir changer d’identité on se contente de changer de domicile. C’est peut-être mon cas. Pourtant j’atteste qu’en ramassant, dans la salle d’attente de l’hôpital, ce journal plié en deux et consacré aux petites annonces, mon but était bien de consulter exclusivement la rubrique des locations. Vingt-six ans, financièrement autonome, sentimentalement rangée et toujours chez mes parents. La situation est devenue difficilement tenable entre une mère qui veut tout régenter et un père qui m’ignore. Il y a bien le confort d’une maison bourgeoise et d’une intendance assurée. Et la chaleur d’un milieu affectif fort. Trop fort même. Possessif sans doute. Mais tu sais d’où tu viens, ma fille  : ne te plains pas si on t’aime trop, tu aurais pu passer ta vie dans un vide familial autrement plus douloureux que la somme des prévenances dont tu sembles maintenant te lasser. Tout a une fin  : il faut tourner la page, devenir une grande, s’assumer comme disent les collègues psys de l’hôpital quand ils analysent un cas.

    C’est pour moi un peu plus compliqué. Rompre avec des parents biologiques n’est jamais que l’étape naturelle d’un processus d’émancipation. Une sorte de sevrage, comme pour le petit animal qui s’éloigne distraitement de sa mère après qu’il a tiré d’elle tout ce qui était nécessaire à sa survie. Mais quitter le foyer d’une famille adoptive s’apparente à une trahison, la rupture d’un contrat à perpétuité par le plus avantagé des contractants. Les preuves d’amour et d’attachement dans une famille normale ne sont pas indispensables  ; le lien de sang est une garantie contre les déchirements. Avec des parents de substitution, tout est toujours à prouver et à conquérir. Le moindre signe d’indifférence ou de rébellion est perçu comme une menace à l’intégrité du cœur. Mes innocentes révoltes d’adolescente ont pris parfois les proportions d’une tentative d’assassinat.

    Mais tout cela est déjà loin. Et ma décision est prise.

    Je n’ai donc pas trouvé l’appartement idéal dans ces huit feuilles maculées de tapageuses publicités pour des téléphones portables ou des cuisines sur mesure. En revanche, j’ai appris qu’on peut, grâce à ces publications, apprendre le chinois avec un authentique Pékinois, acheter des ruches remplies de quarante mille abeilles, trouver une place à bon compte dans une voiture qui chaque semaine part pour Paris, faire des rencontres de toute nature, vendre sa vieille collection des Cahiers du Cinéma et, bien sûr, se procurer tous les meubles, objets ustensiles divers toujours en TBE et pour un prix à débattre. Misérable étalage des transactions humaines ou bourse d’échange pour société en mal de consommation  ?

    J’y ai surtout trouvé l’annonce inattendue, perdue dans une rubrique au titre vague (DIVERS). Elle est encore là, sur ma table, morceau de journal hâtivement déchiré, alors que ce qui m’intéresse tient à peine en deux lignes  :

    Assoc. humanitaire, ch. personnes bénévoles ayant temps libre pour venir en aide à enfants de Madagascar.

    Suit un numéro de téléphone.

    Voir apparaître Madagascar dans ce pseudo-journal représentatif des sociétés d’opulence a quelque chose d’inconvenant. D’indécent même. J’ai été unmoment choquée de voir le nom du pays où je suis née voisiner avec une horloge comtoise début XIXe, une bétonnière de 250 litres et une J.-F. – 42 ans, profession libérale – cherchant compagnon – pour sortir, et plus si affinités. Madagascar mérite mieux. Les associations humanitaires aussi qui se discréditent en recrutant dans ces feuilles de chou. Pourquoi pas dans les agences d’intérim aussi  ? Le bénévolat ne se programme pas, et on ne s’improvise pas, sous prétexte qu’on a du temps, le défenseur des causes généreuses. Et que penser d’une association à prétention humanitaire qui ne réussit pas à attirer naturellement des adhérents  ? Encore une supercherie, une imposture destinée à abuser de la bonne foi des naïfs. À moins qu’il s’agisse de la couverture voyante d’une secte. J’ai entendu dire que c’est parfois ainsi qu’on se fait enrôler.

    La prudence, grande vertu familiale, m’incite à écarter cette invitation suspecte. Mais il y a Madagascar. Ce nom qui me fait rêver et qui me trouble. Mon pays. Au moins celui où je suis née. Bien qu’on ne puisse pas appeler «  mon pays  » un lieu dont on ne sait rien, ni la langue, ni la géographie, ni la culture… J’en veux à mes parents de m’avoir si longtemps privée de toute information sur cette terre, s’efforçant même de ne pas prononcer de nom de l’île devant moi, prenant soin d’écarter de mon univers tout ce qui pourrait me rappeler mes racines et, qui sait  ? éveiller l’envie d’aller les retrouver. J’en veux à moi-même d’être entrée dans le jeu, d’avoir consenti passivement au silence, à cette occultation délibérée. Je ne me suis pas assez rebiffée. J’ai été lâche. Coupable. Plus qu’eux.

    Si j’avais réclamé avec insistance, on m’aurait dit, on m’aurait expliqué, on m’aurait même invitée à partir, pour découvrir ces lieux magiques. Mais je n’ai formulé que des demandes timides, que j’abandonnai dès que je voyais le visage contrarié de maman. À quoi bon lui faire de la peine  ? D’autant que son choix du mystère a toujours été compensé par un surcroît de tendresse et de générosité. Dois-je aussi me sentir coupable de m’être abandonnée avec délice au sort enviable des enfants uniques  ? Si j’ai été une enfant gâtée est-ce parce que j’étais adoptée ou parce que j’étais la seule descendance de la famille  ? J’aurais pu abuser davantage. J’ai plutôt été une bonne fille. Pas grand chose à me reprocher.

    Mais Madagascar se présente. Au bout d’un simple coup de téléphone. Après tout, qu’est-ce que je risque  ?

    Il a fallu ruser. Attendre que maman soit dans le jardin pour ne pas éveiller ses soupçons. Précaution inutile d’ailleurs puisque le responsable est absent. On me demande de laisser mon nom et mon numéro, on me rappellera. Les répondeurs m’ont toujours glacée d’effroi. Celui-là me sauve. Je crois que j’aurais bafouillé, inventé une histoire, ou simplement raccroché si on avait essayé de percer mon identité et encore plus de connaître les raisons de ma démarche. Je ne suis pas prête. Je m’interroge sur l’opportunité de remuer tout ça, de secouer cette douce quiétude qui satisfait tout le monde. Pourquoi ébranler l’équilibre de ma vie actuelle entre la maison, Olivier et l’hôpital  ? Cette absence est un signe. Les choses doivent rester en l’état. Même le nom de cette association ne m’inspire pas confiance  : «  Les Enfants de l’Île Rouge  » Quelle mièvrerie  ! C’est ainsi qu’on appâte les imbéciles. J’ai failli marcher dans cette affaire. Trop bonne comme toujours – et pas assez prudente aurait dit maman.

    J’ai rappelé de l’hôpital. La pile de journaux était toujours là dans la salle d’attente, objet tentateur, accusateur, dans lequel je croyais lire à distance et par transparence cette petite annonce particulière, et surtout le nom remarquable de «  Madagascar  ». Mes préventions étaient stupides. Je ne connaissais rien de cette association et je serais toujours à temps de prendre mes distances quand j’aurais clairement identifié l’escroquerie. On ne doit pas laisser passer une chance comme celle-là. C’est la Providence qui m’indique le chemin (je me surprends à parler comme maman  : il est urgent de déménager  !). Chacun sait trouver les meilleures justifications aux actes déraisonnables qu’il a décidé d’accomplir. C’est ce qu’on nomme la mauvaise foi. Je ne suis, sur ce chapitre, pas pire qu’une autre.

    Une voix de femme a répondu. Premier choc, alors que le message du répondeur était dit par un homme. Les gourous des sectes sont habituellement des hommes. À moins qu’il s’agisse de la secrétaire.  Grands moyens, la secte, alors qu’ils prétendent manquer de personnel et faire appel aux bénévoles  ! Ou suis-je tombée ?

    Je vais trop vite et j’ai tout faux. C’est la présidente de l’association. Elle a une voix flûtée et méridionale. Elle ne croyait pas beaucoup aux résultats de cette petite annonce qu’une amie lui a suggérée et même offerte. Ella a eu d’ailleurs très peu d’appels et souvent fantaisistes, des gens qui n’avaient pas compris, croyant qu’on offrait un voyage à Madagascar, d’autres qui voulaient bien travailler dans l’humanitaire, mais pas avec l’Afrique, pour des raisons obscures et sans doute racistes, d’autres qui appartenaient à une autre association très dynamique et qui se proposait d’absorber «  Les Enfants de l’Île Rouge  ».

    «  Tout cela est amusant  », dit la voix au téléphone, et elle rit de bon cœur. J’ai, malgré mes réticences, donné mon nom, inventé une motivation et accepté, comme sans le vouloir, un rendez-vous pour le lendemain. La présidente s’appelle Nicole Fabre.

    Bien entendu, je n’irai pas.

    La maison a été facile à trouver dans un quartier que je connais, autrefois recherché et devenu depuis une dizaine d’années assez populaire. Une maison des années trente qui a dû avoir du charme mais qui sent son temps. Les balcons de fer forgé ont quelque chose de vieillot, le grain de la façade, pourtant repeint de couleur claire, ne correspond plus aux revêtements des constructions actuelles. Quant à ces fenêtres en relief, elles ne conviennent plus du tout aux habitats provençaux. Le jardin lui-même est d’un autre temps  : un figuier, des mimosas, de chétifs massifs de fleurs dispersés entre des allées cimentées qui permettent de passer d’un escalier à l’autre pour accéder à la terrasse où donne la porte d’entrée. 

    Sur la boîte aux lettres, deux plaques de couleurs distinctes  : M. et Mme Fabre et en dessous Les Enfants de l’Île Rouge. On a du mal à croire qu’une secte puisse venir se perdre dans cet endroit sans âme.

    La voix du téléphone m’accueille sans cérémonie, me faisant traverser une véranda en désordre et un long couloir avant de pénétrer dans une pièce assez exiguë encombrée de dossiers. Entre le bureau et l’ordinateur, un canapé de toile où on m’invite à m’asseoir et à m’expliquer.

    Moment difficile. Ne pas se découvrir trop vite. Plutôt laisser venir.

    – Voilà, j’ai lu votre annonce. J’ai trouvé étrange qu’une association s’y prenne ainsi pour trouver des membres… Je pensais plutôt que tout le monde avait envie aujourd’hui de faire de l’humanitaire. C’est à la mode… Moi-même… Et puis, il y a Madagascar…

    – Vous connaissez  ?

    - Je n’y suis jamais allée. Mais (comment répondre sans tout révéler  ?) j’ai de vagues parents là-bas, que je n’ai pas vus depuis longtemps et qui… (pas vraiment un mensonge  !).

    – Vous êtes née là-bas  ? Je trouve que vous avez un peu le type. Ou alors vous êtes d’origine réunionnaise. Les Français de La Réunion se sentent très proches des Malgaches. J’en ai eu parfois dans mon équipe. Ils ont gardé un attachement sentimental à cette partie du monde  ; parfois ils se sentent une dette avec des voisins si démunis. Le revenu moyen d’un Malgache peut être jusqu’à vingt fois inférieur à celui des habitants des îles d’à côté comme Maurice ou La Réunion. Je comprends qu’on ait envie de rectifier cette injustice.

    Ainsi, elle sait des choses sur Madagascar. C’est une femme simple, avenante, rieuse même. Devenant un peu plus grave pour évoquer des situations de grande misère. Mais sans pathos. Précédant ma curiosité, elle détaille quelques petits faits de la vie malgache  :

    – À la campagne, le téléphone ne fonctionne jamais  : les paysans sectionnent les câbles pour s’en servir de fil de fer et font du charbon de bois avec les poteaux. À Tana, dans certains quartiers, des dizaines d’enfants vivent dans la rue, jour et nuit, dormant sur des cartons, à même le trottoir. Vous ne pouvez jamais circuler dans une voiture sans remonter les vitres de peur qu’on vous arrache votre montre ou vos lunettes. Il est fréquent que les coffres arrière soient visités aux feux rouges. Et puis…

    Elle s’arrête, songeuse, craignant de me décevoir, de me choquer peut-être.

     – Tout cela s’explique par des conditions d’extrême pauvreté. Quand on manque de tout, on ne peut être très regardant sur les moyens de s’en sortir. Mais la majorité des Malgaches sont des gens honnêtes, paisibles, respectueux du droit et accueillants aux étrangers. Ils déploient des trésors d’intelligence pour mener une vie honorable, élever leurs enfants dignement. Ils sont admirables… Pour les enfants surtout c’est bouleversant. Les naissances sont mal contrôlées, les abus sexuels fréquents et tout cela fait de petits malheureux abandonnés à la naissance, sans parler des vrais orphelins, dont les parents sont morts faute de soins.  Croyez-moi, il y a beaucoup à faire, et l’action de mon association est bien modeste comparée aux besoins.

    Un silence. Je comprends que ce préambule développé sans emphase est destiné à me mettre en confiance, à donner du crédit à une association que j’ai d’abord soupçonné d’être une façade et que j’ai tendance, maintenant, à juger artisanale. Elle se tait et m’observe en souriant. C’est évidemment à moi de parler. Je me lance.

    – Oui, je suis née à Madagascar en 1974. Mais je n’ai pas connu mes parents. Un peu comme vous le dites, j’ai été abandonnée alors que j’avais à peine quelques jours. J’ai eu la chance d’être adoptée par un couple de Français, mes parents actuels. Ils étaient coopérants. Mon père était cadre financier dans une banque, ma mère n’occupait pas d’emploi, mais allait régulièrement aider les religieuses dans un orphelinat. C’est là que j’ai été recueillie. À vrai dire, je ne connais pas très bien le détail, car mes parents sont toujours restés flous sur ces circonstances.

    Ne pas en dire plus. Ne pas évoquer cette préoccupation qui me tenaille depuis quelques mois  : retourner là-bas, retrouver mes vrais parents, comprendre ce qui s’est passé, bref me reconquérir une identité, reconstruire l’image brisée de ma personnalité. Cesser ainsi de me sentir inaccomplie, hybride  ; mettre en accord la couleur de ma peau et le champ de ma culture  ; retrouver un nom et même un prénom, qui me convienne mieux que ce Valérie que j’ai aimé à une époque et que je trouve maintenant déplacé, caricatural. Ne rien lui dire de ma souffrance et de mon espoir.

    – Je me sens proche de tous ces gens qui souffrent et auquel j’aimerais apporter quelque chose. Notamment ces enfants malheureux. Je suis infirmière à l’hôpital et je travaille depuis deux ans dans un service de pédiatrie. Mais les enfants que je vois sont bien nourris, pas vraiment malades. Ils ont près d’eux des parents qui les aiment et les entourent. Je suppose que c’est bien différent pour les petits de Madagascar.

    On me regarde à nouveau en souriant et en me faisant comprendre que la bonne volonté et le cœur, pour être nécessaires, ne suffisent pas pour mener une action durable contre la misère. On ne se lance pas dans le bénévolat pour se donner bonne conscience.

    – Réfléchissez, Mademoiselle. Je ne tiens pas à ce que vous veniez nous rejoindre sur un coup de tête sans lendemain. Combien j’ai eu de contacts avec des jeunes filles comme vous, pleines d’enthousiasme et qui très vite se lassaient, trouvaient nos actions pas assez spectaculaires ou gratifiantes. Je préfère encore que vous me disiez non tout de suite. Notre travail est obscur, souvent ingrat même. Il faut recueillir des dons de toutes sortes, argent, livres, vêtements, équipement divers. Il faut solliciter, quémander. Puis réceptionner, classer, trier, inventorier, expédier. Il faut entretenir des correspondances avec les orphelinats de l’île, vérifier la bonne distribution de nos envois. Il faut démarcher, expliquer, convaincre, puis gérer, organiser… Et je n’ai pas les moyens de vous offrir un voyage touristique à Madagascar. Quand on a vingt-cinq ans, il est normal qu’on aspire à autre chose. Je vous comprendrais… Mais en même temps j’ai besoin de jeunes gens comme vous  ; j’ai divers projets, deux membres de l’association doivent quitter la ville  ; le travail ne va pas manquer.

    J’ai cru un moment que j’avais montré trop de tiédeur. Cette satanée prudence toujours  ! J’aimerais protester, jurer de ma motivation, prouver ma sincérité. Elle me précède, comme si elle devinait ce que j’allais dire.

    – Surtout n’allez pas croire que vous devez quelque chose à ce pays où vous êtes née par hasard. Bien sûr vous vous sentez attirée, vous vous croyez débitrice. Mais il faut savoir accepter ce que l’on est. Vous n’avez plus rien de malgache, sauf la couleur de votre peau – et encore, je la trouve bien claire. Si vous avez vécu avec vos parents une enfance et une jeunesse heureuses, vous ne devez surtout pas en avoir honte. C’est l’honneur de l’adoption de pouvoir donner du bonheur à quelques enfants. Ceux qui sont restés à Madagascar n’imaginent pas votre vie, de même que vous ne pourriez plus vivre comme eux. Croyez-moi on ne décide pas d’aider les autres pour résoudre ses propres problèmes.

    J’ai retranscrit cette conversation aussi fidèlement que je l’ai pu. Je suis certaine d’avoir retenu au mot près quelques unes des phrases de Madame Fabre. Je ne me suis finalement engagée à rien. J’ai quitté la maison des années trente avec une légère rancune à l’égard de la donneuse de leçons, installée dans ses certitudes humanitaires.  Ai-je bien fait d’y aller  ? Ne plus se poser de questions quand le processus est en marche. Madagascar a cessé d’être une île lointaine aux contours imprécis. Je commence à discerner des lieux et des êtres. Le projet prend forme. L’association «  Les Enfants de l’Île Rouge  », malgré son nom un peu trop touristique, sera le tremplin de ma reconquête. Je n’ai plus à tergiverser. C’est à moi de décider et d’agir. La machine est en marche. 

    J’ai enfin, après plusieurs semaines, parlé à Olivier de mes contacts

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