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L'enfant de l'île de Sein: Le Gwen et Le Fur - Tome 21
L'enfant de l'île de Sein: Le Gwen et Le Fur - Tome 21
L'enfant de l'île de Sein: Le Gwen et Le Fur - Tome 21
Livre électronique259 pages3 heures

L'enfant de l'île de Sein: Le Gwen et Le Fur - Tome 21

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À propos de ce livre électronique

Le petit Marin, cinq ans, échappe un jour à la vigilance de sa mère sur une plage de Saint-Malo. Marianne retrouve son fils au poste de secours, mais quel n’est pas son effroi quand celui-ci prétend qu’elle n’est pas sa mère, qu’il s’appelle Paul Le Guilcher, et qu’il habite l’île de Sein !
La noyade dont a failli être victime l’enfant l’a-t-elle à ce point bouleversé pour qu’il s’obstine dans ses propos les semaines suivantes ?
Aucune réponse académique ne va satisfaire la jeune mère. Jusqu’au jour où elle rencontre le professeur David Miller, pédopsychiatre spécialisé dans les cas de réincarnation. Ensemble, ils vont se rendre avec Marin sur cette île du bout du monde si particulière, puis enquêter sur le passé de ce Paul Le Guilcher, qui serait décédé à l’âge de vingt-sept ans. Cette quête de la vérité, si elle aide Marin et sa mère, va faire remonter des secrets enfouis que certains essaieront à tout prix de garder bien cachés…

À PROPOS DE L'AUTEURE

Avec vingt et un titres déjà publiés, Françoise Le Mer a su s’imposer comme l’un des auteurs de romans policiers bretons les plus appréciés et les plus lus.
Sa qualité d’écriture et la finesse de ses intrigues, basées sur la psychologie des personnages, alternant descriptions poétiques, dialogues humoristiques et suspense à couper le souffle, sont régulièrement saluées par la critique. Son roman Le baiser d’Hypocras a obtenu le Prix du Polar Insulaire à Ouessant en 2016. Née à Douarnenez en 1957, Françoise Le Mer enseigne le français dans le Sud-Finistère et vit à Pouldreuzic.
LangueFrançais
ÉditeurPalémon
Date de sortie14 oct. 2020
ISBN9782372602662
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    Aperçu du livre

    L'enfant de l'île de Sein - Françoise Le Mer

    PROLOGUE

    Saint-Malo, juillet 2019

    — M’an, je peux aller me baigner avec les copains ?

    La voix suppliante et l’ombre portée de la tête du petit garçon sur son visage réveillèrent en sursaut Marianne Bécher. À peine sortie de sa torpeur, la jeune femme sentit les doigts frais et ensablés de son fils sur la peau de sa gorge. Elle cligna des yeux derrière ses lunettes de soleil et s’assit sur son drap de bain. Sa voix pâteusait de fatigue lorsqu’elle s’adressa au groupe d’enfants debout devant elle, à contre-jour.

    — Qui vous accompagne ? demanda-t-elle à l’aîné de douze ans.

    — On n’est tout de même pas des bébés, Marianne ! s’insurgea le Rémi en question. On est là, en face ! Que veux-tu qu’il nous arrive ? Maintenant, si Marin n’a pas le droit, c’est son problème… Nous, en tout cas, on y va !

    — Hep ! morigéna Adèle, la mère du pré-ado rebelle, allongée à la gauche de Marianne. Tu baisses d’un ton, Rémi ! Et un peu de solidarité entre vous, que diable ! Vous nagez tous comme des poissons mais ce n’est pas le cas de Marin. Il n’a pas encore quatre ans. Donc, vous pouvez aller vous baigner sans nous, mais vous le surveillez, compris ? Votre liberté est à ce prix !

    Sophie, l’autre amie de Marianne, assise à sa droite sur une serviette immaculée, interpella ses jumelles tout en s’enduisant de crème solaire.

    — Hermione ! Athalie ! Vous avez entendu Adèle ? Alors, chacune à votre tour, vous resterez au bord avec Marin. D’accord ?

    Comme Athalie ronchonnait, Adèle prit la défense de la fillette.

    — Dis donc, Sophie, l’apostropha-t-elle en riant, je ne voudrais pas me mêler de ta façon d’éduquer tes gosses, mais tu n’as jamais entendu parler du féminisme ? Pourquoi tes filles devraient-elles, seules, s’occuper de Marin ? Et Hector, alors ? Ou les miens, Rémi et Nathan… Ils veulent tous acquérir leur autonomie, soit ! Je le conçois. Quand j’étais petite, j’avais horreur, aussi, d’avoir mes parents sur le dos, à me surveiller ! Mais ils sont tous solidaires et responsables les uns des autres.

    La gentille petite Hermione prit alors le benjamin de la troupe par la main.

    — Viens, Marin, lui dit-elle de sa voix douce. Je vais te mettre tes flotteurs !

    Fiérot, le garçonnet se retourna vers sa mère, un sourire triomphant aux lèvres. Du bout des doigts, Marianne lui adressa un baiser, le cœur gonflé comme une voile d’une bouffée d’amour pour son fils unique.

    Lorsque, quelques minutes plus tard, la volée d’enfants s’égailla, les trois mères de famille suivirent des yeux six paires de jambes surmontées d’un bateau en caoutchouc et qui zigzaguaient entre les vacanciers pour rejoindre la mer. Adèle, la plus pragmatique des trois amies, avait auparavant briefé la jeune troupe. Au cas où l’un d’eux se perdrait, elle déposait une serviette rouge juste derrière elles, sur l’un des hauts pieux de chêne serrés les uns contre les autres, qui servaient de brise-lames à marée haute. Ses deux fils avaient levé les yeux au ciel.

    — On n’est pas des débiles, maman ! s’était alors insurgé Nathan, son cadet.

    — Ni des taureaux dans une arène, renchérit l’aîné. Suffit de savoir qu’on s’est installés devant la villa Pelletier. T’abuses, tout de même !

    — Et vous deux, vous n’êtes que des pécores ! ne se laissa pas démonter leur mère. Vos amis ne sont pas malouins comme vous et ne connaissent pas aussi bien que vous la plage du Sillon ! Allez, oust ! Au bain ! Ne revenez pas noyés ou vous n’aurez pas de goûter !

    Les enfants partis, Marianne se serait bien laissé aller à nouveau aux plaisirs d’une sieste réparatrice mais, prise en sandwich entre ses deux amies, assises à présent, et qui péroraient ensemble au-dessus de son ventre comme s’il se fût agi d’une table d’apéro, elle se redressa sur les coudes, trop lasse cependant pour participer à ce joyeux papotage.

    Déformation professionnelle ? Peut-être. Quoi qu’il en fût, Marianne associait le plus souvent les êtres qu’elle côtoyait à une couleur auditive. À sa gauche, donc, Adèle, La Traviata, donnait la réplique à Rhapsody in Blue, incarnée par Sophie. Il s’ensuivait parfois des brouhahas cacophoniques desquels il lui était difficile de s’extirper.

    — Et toi, qu’est-ce que tu en penses, ma puce ?

    Les deux visages étaient tournés vers elle. Selon toute vraisemblance on lui demandait son avis…

    — Heu… Excusez-moi, les filles mais je n’ai pas écouté, répondit Marianne en toute franchise. Douze heures d’avion dans les pattes depuis trois jours ; j’avoue que je suis épuisée. Tu disais, ma Sophie ?

    — Bah ! Aucune importance… Tu dois encore partir en tournée ces temps-ci ?

    — Non, mes prochains concerts n’auront lieu que les 16 et 17 août. Varsovie et Prague.

    — Ça te laisse un peu de temps pour te reposer et profiter de ton fils ! intervint Adèle.

    — Pfftt… penses-tu ! Liszt au programme. Sans doute le compositeur le plus difficile, techniquement, à interpréter. Six heures quotidiennes de piano d’ici là… J’ai beau essayer de jongler avec les horaires de Marin, le compromis entre ma carrière de soliste et ma vie de famille reste un parcours de funambule… J’en parle avec vous pour la première fois, les filles, mais je pense que ma décision est prise. J’ai des contrats pour les deux prochaines années, et après…

    — Oh non ! Pas ça ! l’interrompit Sophie. Ne nous dis pas que tu vas mettre un terme à ta carrière de pianiste ! Après tous les sacrifices que tu as faits pour en arriver là, ce n’est juste pas possible ! Tu imagines une seconde la tête de ta mère ?

    L’argument de son amie d’enfance déclencha un fou rire chez Marianne. Bien sûr, elle avait pensé à sa mère, Clara Bécher, professeure de piano et pygmalion de sa fille. Mais pouvait-on toujours vivre par procuration ses ambitions inassouvies et sa soif de reconnaissance ? La jeune femme se souvenait encore du jour où elle avait avoué sa grossesse à sa mère. « Ce gosse qui allait gâcher « leur » carrière »… s’était-elle écriée dans un lapsus. La bouderie maternelle avait duré quelques mois, jusqu’au moment où, s’intéressant enfin au père du futur bébé, elle avait appris qu’il s’agissait d’un violoniste de renom. Si même la génétique s’y mettait, bon sang ne saurait mentir ! Au demeurant, pour l’heure, Marin ne donnait aucune prédisposition particulière pour la musique…

    Mais devant l’air désolé de Sophie, Marianne reprit son sérieux et serra la main de son amie.

    — Ne t’en fais pas pour moi, ma Soso ! À un certain moment, on a un choix à faire entre l’essentiel et le vital… Et je n’ai pas envie de passer à côté de l’enfance de Marin. D’ailleurs, toi-même, tu as bien renoncé au théâtre à la naissance des jumelles, non ?

    — Oui, mais parfois, je le regrette… avoua Sophie. Je sais que je passe pour un monstre en vous disant ça, mais c’est ainsi. C’est très dur d’abandonner sa passion, crois-moi. Compliqué, quand on est une femme, d’avoir une carrière atypique. Alors, de temps en temps, lorsque j’ai le cafard et que les gosses sont à l’école, il m’arrive d’apprendre un bout de rôle, histoire de ne pas me rouiller, et de le jouer devant mon fidèle public : mon reflet dans le miroir de ma chambre. Pitoyable, hein, les filles ?

    Pour ne pas céder à l’émotion, Adèle envoya une bourrade à celle qui aimait tellement le théâtre classique qu’elle avait appelé ses enfants : Hector, Athalie et Hermione.

    — Et qu’est-ce que je pourrais dire, moi qui n’ai aucun de vos talents ? bougonna-t-elle. Je ne peux même pas apprendre par cœur ma liste de courses pour la supérette ni jouer au pipeau « Au clair de la lune » ! Tenez, les filles, je vois d’ici la tronche de mon épitaphe de bobonne bourge et malouine ! Tellement translucide qu’on sera forcé d’avoir recours à des périphrases pour me définir ! « Ci-gît Adèle Merleau-Prigent, épouse de…, mère de…, amie de… »

    — Oh, Adèle ! s’exclama Marianne. Arrête de te dénigrer ! Tu es la meilleure de nous trois ! Heureusement qu’on t’a ! Avec toi, tous nos problèmes épineux trouvent une solution ! Tu nous apaises et tu nous maternes, sans jamais nous juger. Pas vrai, Sophie ?

    La jeune pianiste ne savait pas encore combien les qualités prêtées à son amie allaient être soumises à rude épreuve.

    C’est à ce moment-là qu’apparurent Hermione et Nathan. Ils revenaient du bain et paraissaient contrits. Ils se poussaient mutuellement en avant comme s’ils se désignaient l’un l’autre comme bouc émissaire.

    — Vous en faites une tête ! déclara Adèle au plus jeune de ses fils. Où sont les autres ? Vous vous êtes disputés ?

    — C’est pas ça, m’an, fit l’enfant d’une voix feutrée. On est venus vous prévenir… On ne trouve plus Marin. Les autres le recherchent.

    Galvanisées, les trois femmes se levèrent d’un bond et se précipitèrent vers la mer. Adèle prit le temps de se retourner pour intimer l’ordre aux deux enfants de rester là et d’ouvrir grand leurs yeux au cas où le petit essaierait de revenir par lui-même. Quand elle rejoignit ses amies, Sophie et Marianne avaient déjà de l’eau à mi-cuisses et faisaient face à Hector, Athalie et Rémi, soudés et penauds. Ce dernier désignait du doigt le canot pneumatique jaune, renversé, à sept ou huit mètres du bord.

    — Il nous a fait la comédie pour tenir la ficelle du bateau, expliquait-il. Alors, Hermione le lui a prêté.

    — Mais est-ce qu’il était dans le canot ? demanda Marianne d’une voix blanche.

    Les trois enfants haussèrent les épaules, dubitatifs.

    — On sait pas… On jouait à nager entre les jambes des autres, avoua Athalie.

    Adèle arracha plus qu’elle ne prit le tuba et le masque de plongée de son fils aîné.

    Tétanisée par la peur, Marianne suivit des yeux le crawl rapide et efficace de la jeune femme. La nageuse, parvenue au niveau de la frêle embarcation, plongea à trois reprises, explorant le fond. Puis elle fit « non » d’un signe de la main, en direction de la plage. Ce geste, qui se voulait rassurant, ne parvint pas à apaiser pour autant la sourde angoisse de la mère.

    Durant ce temps, Sophie allait d’un groupe de baigneurs à l’autre, interrogeant les adultes. N’avaient-ils pas remarqué un petit garçon brun de trois ans, vêtu d’un short rouge et portant des brassières orange ? Mais personne ne semblait avoir fait attention à la présence de Marin.

    — C’est plutôt encourageant ! décréta Adèle dès qu’elle eut rejoint ses amies sur le bord en traînant le canot pneumatique par la ficelle. Un gosse ne se noie pas au nez et à la barbe d’une cinquantaine de pèlerins ! Ne tremble pas comme ça, ma puce. On va le retrouver, ton petiot. Il s’est juste égaré.

    Le côté naturellement cheftaine d’Adèle prit aussitôt le pas sur l’amie compatissante. Elle ordonna d’abord aux enfants de retourner à leurs serviettes et de ne plus en bouger sous couvert des pires menaces. Les trois scouts de service obtempérèrent sans broncher. Puis elle partagea les rôles avec, à l’appui, ses célèbres pourcentages invérifiables dont elle abusait et qui clouaient le bec à ses contempteurs.

    — On sait, de source sûre, que 80 % des gamins qui se perdent sur une plage ne se dirigent jamais face au soleil. Donc, Marianne et moi, on va du côté des remparts. Mais il reste 20 % de chance que Marin soit parti de l’autre côté. C’est là où tu iras, Sophie. Retournons prendre nos portables. Et l’on s’appelle dès que l’une ou l’autre a des nouvelles.

    Côte à côte, Adèle et Marianne marchaient d’un pas rapide, qui fouillant du regard la plage, qui auscultant le bord de l’eau. Pétrie d’angoisse et de remords, la mère de l’enfant considérait le panorama, pourtant sublime, comme menaçant. Au large, les lignes courbes de l’île de Cézembre figuraient dans le ciel la silhouette d’un monstre marin sorti des flots. Les hauts murs des remparts de Saint-Malo lui semblaient plus ombreux que d’ordinaire. Face à elle, l’îlot du Grand Bé, occultant dans sa végétation le linceul granitique d’une tombe muette, n’était-il pas de mauvais augure ?

    Contre la conjuration d’un chaos, Marianne appelait à l’aide tout le panthéon de l’empyrée, de Vesta à Héra en passant par la Vierge Marie, ou même les mânes de Chateaubriand dont l’esprit hantait les lieux.

    Comme elle s’en voulait… C’était de sa faute si son petit avait disparu. Lorsqu’on est une mère digne de ce nom, on ne laisse pas un enfant de trois ans et demi sous la surveillance de gamins à peine plus âgés que lui… Son extrême fatigue n’était en rien une excuse.

    « Oh, Dieu ! Faites qu’il ne lui soit rien arrivé ! Pardon, Yvan ! Je ne suis pas à la hauteur… Mais même si tu es en colère contre moi, ne rappelle pas notre fils auprès de toi, où que tu sois, mon amour, je t’en supplie… »

    Marianne dut s’arrêter un instant, tant ses jambes flageolaient. Adèle, craignant qu’elle ne tombe, la soutint d’un bras vigoureux.

    — Je suis sûre que tu es en train de te monter un film, Marianne ! Arrête, veux-tu ! Tu as vu ta tête ? Si tu tombes dans les pommes, on ne sera pas plus avancées ! Répète comme un mantra l’adage de Calderón de La Barca : « Le pire n’est jamais certain. » Et respire un bon coup !

    — Mais Yvan… balbutia la jeune mère en claquant des dents.

    Face à elle à présent, Adèle prit son amie par les épaules et la secoua comme un prunier avant de l’embrasser sur la joue.

    — Ce n’est pas parce que tu as perdu ton compagnon dans un accident que votre fils va connaître le même sort. Arrête, je t’en supplie, sois forte…

    Elles croisèrent à ce moment-là une vieille dame qui, soulevant sa jupe jusqu’aux genoux, prenait un bain de pieds. Elle fixa Marianne d’un regard inquiet.

    — Vous allez bien ? Vous êtes souffrante ?

    Ce fut Adèle qui répondit à la place de son amie.

    — Ça va aller, Madame. Merci. Nous cherchons son petit garçon qui s’est perdu sur la plage.

    — Un joli bambin brun avec un short rouge ?

    — Vous avez aperçu Marin ? s’écria alors Marianne, d’une voix quasi hystérique.

    Posément, la vieille dame expliqua aux deux jeunes femmes qu’elle avait rencontré un couple qui, dix minutes auparavant, consolait un petit garçon en pleurs. Il portait aux avant-bras des bouées orange et disait avoir chaviré de son bateau. Il ne savait plus où étaient ses copains. Le couple l’avait alors conduit au poste de secours.

    — Que nous sommes sottes, Marianne ! s’exclama joyeusement Adèle. Nous aurions dû commencer par là ! Merci mille fois, Madame ! Il s’agit sûrement de Marin.

    — J’ai cru comprendre qu’il s’appelait Paul mais je me suis sans doute trompée, rectifia la dame. Je suis un peu dure d’oreille.

    Adèle prit Marianne par la main et, après s’être retournée pour remercier la vieille dame une fois encore, toutes deux traversèrent la plage en courant pour atteindre le poste de secours, à une cinquantaine de mètres de là. À la porte de la cabine, un CRS, muni de jumelles, surveillait la mer. Répondant par l’affirmative à la demande essoufflée de Marianne, le secouriste lui dit d’entrer. Son fils était bien là et une collègue s’occupait de lui.

    Des larmes de soulagement et de reconnaissance jaillirent des yeux de la mère lorsqu’elle retrouva son petit, en bonne santé. Elle s’accroupit devant lui mais il détourna la tête, préférant siroter le jus d’orange qu’on lui avait donné. Sans doute boudait-il un peu parce qu’il s’était cru abandonné.

    — Oh Marin ! Mon chéri ! Si tu savais comme maman a eu peur ! lui chuchota-t-elle en le caressant.

    — Je m’appelle pas Marin. Et puis, c’est pas toi ma vraie maman… répondit-il d’un air buté.

    Marianne ébouriffa les cheveux de son fils pour se faire pardonner.

    — Allez, mon amour, dis merci à la dame et on va rentrer…

    — À la maison de Sein ? s’enquit le petit.

    — Mais enfin, Marin, de quoi tu parles ? On habite Rennes.

    — Je m’appelle pas Marin, je t’ai dit ! Mais Paul ! Paul Le Guilcher. Et je veux voir ma maman d’avant !

    — Ta maman d’avant ? répéta Marianne, totalement désorientée à nouveau. Mais tu n’as qu’une maman, et c’est moi…

    — Non, heu ! Ma maman d’avant, de quand j’étais vieux !

    D’un air quelque peu soupçonneux, la secouriste s’adressa alors à Marianne :

    — Vous avez vos papiers d’identité, Madame ? Ainsi que ceux de cet enfant ? Vous comprendrez que je ne peux pas le laisser partir avec n’importe qui… Depuis qu’un couple de touristes nous l’a amené, ce petit garçon prétend s’appeler Paul Le Guilcher. Et, toujours selon ses dires, il habite l’île de Sein.

    1

    16 juin 2020

    Accoudée au bastingage de l’Enez Sun, Marianne Bécher regardait le continent s’éloigner un peu plus. L’embarcadère de Sainte-Evette n’était plus qu’un point sur la côte. Sous sa frondaison luxuriante, Audierne la blanche déroulait ses festons de pierre, remodelait ses criques argentées. Le sillage nacré du bateau, poursuivi par le vol de quelques mouettes criardes, laissait, dans le lointain, s’effilocher ses mailles d’écume. Le ventre mou de l’océan prenait de longues respirations grises. Si le temps ne souriait pas aux éclats des vagues, du moins, il ne pleuvait pas.

    Emmitouflée dans un gros pull tricoté main, la jeune femme tournait régulièrement la tête pour surveiller son fils, assis sur une banquette de bois, à deux mètres d’elle. Marin feuilletait sa bande dessinée, peu dérangé par le roulis du bateau. Son attitude, naturelle et décontractée, laissait sa mère un peu perplexe. N’aurait-il pas dû, étant donné les circonstances, faire montre d’un peu plus d’enthousiasme ou de fébrilité ? Pas une fois, il ne s’était montré impatient. Le sempiternel « C’est quand qu’on arrive ? » n’avait pas encore été prononcé.

    Marianne s’amusa alors à balayer du regard le pont du bateau. Après la longue et éprouvante période de confinement imposée à tous les Français, la vie reprenait le dessus. Un petit événement, à tribord, venait de provoquer une onde de choc chez beaucoup de passagers. Quelqu’un avait pointé du doigt la mer. Et de s’égosiller « Un dauphin ! Un dauphin ! Venez voir ! »

    Alors qu’une bonne moitié des voyageurs quittaient leur banc, portable en main, pour immortaliser ce moment, Marin avait juste relevé la tête un instant avant de replonger, imperturbable, dans la lecture de sa BD, imité en cela par des passagers qui semblaient être du pays, c’est-à-dire ceux qui ne portaient ni le ciré, ni le tricot rayé, ni les bottes réglementaires.

    Se faisait-elle des idées ? Une étrange impression saisit Marianne en analysant l’attitude de son fils. C’était la première fois que tous deux se rendaient au bout du bout de ce Finistère. Rennaise, la jeune femme se sentait elle-même touriste dans ce département breton. Or, on aurait dit que Marin avait, du haut de ses presque cinq ans, déjà fait cette traversée des dizaines voire des centaines de fois. C’était un enfant d’ordinaire curieux, mais, en l’occurrence, alors que depuis des mois il trépignait d’impatience, la tarabustant presque quotidiennement pour qu’elle l’amène sur l’île de Sein, il manifestait autant d’intérêt que lorsqu’ils prenaient le bus pour aller faire des courses.

    — Tu n’as pas faim, mon chéri ?

    — Non, merci, maman.

    Maman… maman… Comme ce vocable était doux à entendre de cette bouche enfantine. Marianne se remémora cette atroce journée sur la plage du Sillon, l’année précédente. Déjà onze mois de cela. Onze mois de crainte, de doute, d’espoir, de désespoir, de rendez-vous pris chez des spécialistes de tout crin : neurologue, psychiatre, psychologue, thérapeute… Tout cela pour s’entendre dire que Marin était un garçon absolument normal, qu’il n’avait pas subi de commotion cérébrale, qu’il possédait juste la sensibilité exacerbée et l’imagination d’un enfant précoce. Certes, tous ces médecins étaient de bonne foi et voulaient l’aider. Mais elle aurait aimé voir leur tête si l’un de leurs propres enfants leur avait jeté à la figure « Tu n’es pas ma mère, ou mon père ! … Je ne m’appelle pas Pierre, Paul, Jacques, mais Vincent… Quand je suis mort, je t’ai choisie comme nouvelle maman et je suis tombé dans tes bras ».

    La jeune femme ne souhaitait cette expérience insolite à aucun parent. Elle s’était même remise en question après qu’une psychologue lui eut souligné sa détresse

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