Le Bus: Roman
Par Mélanie Richoz
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À propos de ce livre électronique
« Ça la fait rire de conduire un bus par lequel elle a imaginé tant de fois se faire écraser. »
Jeanne, Cerise et Léonie, trois soeurs hantées par le secret de la génération qui les précède. Trois soeurs qui se battent contre le vide. Puis Chloé qui s’apprête à réussir là où sa mère et ses tantes ont échoué…
Découvrez ce roman familial, au coeur d'une famille dans laquelle les femmes gardent un secret au plus intime d'elles-mêmes.
EXTRAIT
Cerise imagine qu’être maman c’est avoir la chance d’aimer quelqu’un inconditionnellement.
La chance et le droit.
Un petit,
tout petit,
qui grandit avec l’amour qu’on a pour lui.
Un garçon, brun et bouclé, aux yeux en amande ?
Ça lui manque…
En dedans, en dehors.
sur la peau, dans la nuque, partout,
en tout temps
et de plus en plus fort.
Elle essaie d’éloigner ces assourdissants regrets qui, comme les mouches, n’ont pas de mémoire et reviennent, avec une bête insistance, là où on les a chassés. Ça vrombit dans sa tête. Ça se prend les pattes dans la toile de son cerveau et ça s’achoppe au sommeil. Elle se tourne, se retourne dans son lit. Se déshabille. Se lève, boit un verre de lait à la recherche du goût crémeux de l’enfance, ouvre la fenêtre. Secoue son coussin. Se recouche. Se tourne, se retourne. Cogite.
Avant de s’avouer vaincue, se relève, desserre ses poings et, à la lueur d’une lune capricieuse, dessine avec de la cendre qu’elle effrite entre ses doigts. Presque à l’aveugle, à l’instinct, elle l’étale sur le papier veiné, tâtonne, effleure, palpe, pulpe et paume.
Elle cherche à sentir, à lâcher, à se libérer,
à recouvrir.
À croquer l’indicible qui, sur le support, se transforme et crépite jusqu’à l’opacité avant d’être jeté et brûlé dans la cheminée qui enfume son appartement.
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
En 135 pages, l’écriture de Mélanie Richoz se déploie avec douceur, bonté, nous percute et à la fois nous enveloppe de tendresse, de ce quelque chose que l’on ressent au fond de soi, comme un enfant que l’on porte et qui se développe, grandit. - Le blog du petit carré jaune
Sortez un peu de votre zone de confort, ouvrez les yeux et respirez un grand coup. L’inconnu, la nouveauté, l’inhabituel peuvent vous entraîner sur des chemins de traverses littéraires dérangeants, étonnants, mais au demeurant fort agréables. - ActuaLitté
À PROPOS DE L'AUTEUR
Mélanie Richoz, ergothérapeute de profession, a publié une dizaine de livres dont, aux Éditions Slatkine, Je croyais que (2010), Tourterelle (2012), Mue (2013), Le Bain et la douche froide (2014), J’ai tué papa (2015) et Un garçon qui court (2016). Le Bus est son cinquième roman. De la chronique à la nouvelle, de la nouvelle au roman, elle essore le quotidien, le banal qui n’a rien de banal lorsqu’on lui prête l’attention qu’il mérite.
En savoir plus sur Mélanie Richoz
J’ai tué papa: Un roman bouleversant sur l'autisme Évaluation : 1 sur 5 étoiles1/5Nani Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
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Aperçu du livre
Le Bus - Mélanie Richoz
Cerise
Cerise avait démenti.
En réalité, depuis les examens médicaux,
elle y pensait
chaque jour
et plusieurs fois par jour.
Elle ne se voyait pas franchir volontairement le pas, se jeter d’un pont ou avaler des cachets, mais avait le fantasme d’un suicide passif où elle accueillait
la mort avec apaisement, la mort qui l’aurait choisie,
elle.
Quand un bus ou un camion la doublait sur la route cantonale et aspirait son scooter, elle s’agrippait aux poignées du guidon et fermait les yeux.
Une, deux, parfois trois secondes.
Et remettait son destin entre les mains de la Vierge Marie qui, selon toute vraisemblance, la préférait en vie.
Épargnée, elle s’amusait à scénariser l’accident et son enterrement.
Un corps
dans les airs
libre et léger
qui plonge,
serpente la ligne d’horizon,
tournoie,
au ralenti,
vole…
vole,
vole !
Un corps
muet
qui n’entend pas,
qui fait abstraction
du trafic et des klaxons.
Un corps désarticulé
qui vole,
vole !
Vole…
Jusqu’à ce qu’il éclate contre un pare-brise
en myriade de bris de verre.
Un corps
dans un cercueil,
sur lequel ses proches en pleurs
déposent des gerbes de fleurs,
et ses sœurs,
des marguerites jaune soleil
cueillies en bordure de route.
Un corps
éteint.
À sa place.
Enfin.
En paix.
Cerise avait été surprise que la question sur l’envie de mourir fut soulevée par la psychologue alors qu’il lui semblait ne laisser transparaître aucun signe. En abordant le sujet, cette dernière lui sauvait peut-être la vie.
Jeanne
Maman nous avait ordonné de ne pas poser de questions à Cerise.
C’était son histoire, pas la nôtre.
« Ne l’embêtez pas avec ça, d’accord ? »
Encastrées dans le canapé du salon, Léonie et moi avions acquiescé sans comprendre ce que ça signifiait, ce qu’il impliquait, mis à part le fait que Cerise ne recevrait pas de gifle le jour où elle deviendrait une femme et n’aurait donc pas à se déchirer l’hymen avec les Tampax Super Maxi Plus qui gisaient sur la machine à laver le linge et qui, avec les soubresauts du tambour, tombaient parfois à terre.
À la veille d’un cours de piscine où j’étais indisposée, et après avoir échoué dans l’enfilage d’un tampon martyre bien trop large pour une fille de douze ans, le cœur battant, j’avais eu le courage de suggérer à maman d’en acheter des mini – l’infirmière du planning familial nous avait expliqué, au cours d’éducation sexuelle, qu’il en existait de plusieurs tailles.
Elle m’avait ri au nez.
« Qu’est-ce que tu crois ? On est toutes faites pareil ! »
Vraisemblablement, non.
Cerise n’était pas comme nous.
À l’issue de cette discussion à sens unique, l’un de nos seuls entretiens de famille, nous savions le sujet clos. Inutile d’en demander davantage et de perdre du temps en palabres, maman n’ajouterait rien, l’affaire était classée.
Nous avions l’habitude des affaires classées.
Ce qui était dit était dit, et puis voilà.
Cerise
La porte de l’adolescence avait claqué à la figure de Cerise ; elle s’était retrouvée seule dans la cage d’un corps mal fini, mal fait, mal formé. Informe. Difforme. Infirme. Indéfini. Invaginé. Monstrueux ? Muselé.
Mais joli de l’extérieur. Élancé, gracieux et perlé de deux petits seins tout à fait parfaits qui, de loin, ravissaient les garçons.
L’un d’eux, Charles, un ami de sa grande sœur Jeanne, l’avait même invitée au cinéma. Et cela, en toute connaissance de cause.
« Il m’a dit que ça ne lui posait pas de problème, tu sais… » lui avait confié Jeanne sur le chemin du collège.
Le soir, il avait appelé à la maison. C’est sa mère qui avait décroché :
« Cerise, c’est pour toi ! »
Elle avait quitté son bureau où, appliquée, elle préparait une épreuve d’anglais pour le lendemain, avait dévalé les escaliers et saisi le combiné.
En entendant Charles, elle avait piqué un fard, et son estomac s’était noué.
Son père, sa mère, ses sœurs et l’ouvrier, déjà attablés et suspendus à ses lèvres, l’attendaient pour commencer le repas.
Pressée d’en finir, elle avait lâché de petits « oui » furtifs et, plus vite que sa pensée, avait accepté l’invitation de Charles : samedi, 17 h 45, au Corso 2 pour aller voir Lune de fiel.
Elle s’était ensuite glissée à sa place sur le banc d’angle, en face de son père, entre Jeanne et Léonie.
La place du milieu.
La place de l’antiplace.
Depuis petite, elle avait l’impression de ne pas en avoir, et quand elle cherchait à y remédier, à attirer l’attention de sa mère qui avait enchaîné trois grossesses en moins de quatre ans, elle était brusque. Son besoin excessif d’être touchée, enlacée, dorlotée, agaçait.
« Tu n’es pas seule, Cerise. Tu sais bien… Allez, ouste ! du balai ! » rouspétait sa mère en la repoussant.
Elle aurait aimé être l’aînée ou la benjamine.
Ou l’aimée.
Avoir chaud.
Malgré plusieurs couches de vêtements, portés été comme hiver, elle grelottait toujours.
L’appel téléphonique de Charles l’avait réchauffée. Pas de frisson, l’espace d’une soirée… Mais la pétoche, oui, au moment du coucher. La boule au ventre.
Que lui avait-il pris d’accepter cette invitation ? Qu’allait-elle bien pouvoir dire à ce garçon ? Qui était-il ? Elle ne l’avait croisé que deux ou