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Panthéia - Tome 2: Roman
Panthéia - Tome 2: Roman
Panthéia - Tome 2: Roman
Livre électronique461 pages6 heures

Panthéia - Tome 2: Roman

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À propos de ce livre électronique

Louise et Gabriel ont refait leurs vies sur Terre. Mais si Gabriel s’est plutôt bien acclimaté à leur nouveau quotidien, Louise ne cesse de penser à ceux qui sont restés sur Panthéia. Un soir, elle entend une voix, celle de Natalan. Son âme est alors violemment projetée vers son corps d’origine. Elle est de retour sur sa planète, auprès des siens. Mais les retrouvailles ne ressemblent en rien à ce qu’elle s’était imaginé… Les panthéiens sont inquiets. Les disparitions et les phénomènes inexpliqués se multiplient. Panthéia n’est pas guérie.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Née en 1988 dans les Deux Sèvres, Ellen L. exerce aujourd'hui le métier d'actuaire et jongle entre son travail, sa vie de maman et ses différents passe-temps : l'écriture, la lecture, le dessin et la couture. Depuis le collège et la découverte de Harry Potter, elle est passionnée par la littérature fantastique. Panthéia est son premier projet.
LangueFrançais
Date de sortie30 mars 2020
ISBN9791037705501
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    Aperçu du livre

    Panthéia - Tome 2 - Ellen L

    Les personnages

    La famille impériale

    LOUISE : fille de Veera et de Cloris, petite-fille d’Alôn

    GABRIEL : frère de Louise, frère jumeau d’Axel, petit-fils d’Alôn

    AXEL : frère de Louise, frère jumeau de Gabriel, petit-fils d’Alôn

    VEERA : fille d’Alôn et mère de Louise, Gabriel et Axel

    CLORIS : père de Louise, Gabriel et Axel, mort lors de la grande tempête

    ALON : ex-impératrice de Panthéia, tuée par Veera lors de la grande tempête

    DORIS GAELY : ex-impératrice de Panthéia, tuée par Alôn lors de la grande tempête

    ANILLIO : ex-empereur de Panthéia, époux de Doris Gaély, père de Nìn

    NATALAN : enfant adopté par Doris Gaély et Anilliò

    NIN : fille de Doris Gaély et Anilliò

    Les panthéiens

    KIRON : grand médecin de Doris Gaély et de sa famille, meilleur ami de Cloris

    EYNIA : enfant illégitime de Doris Gaély et de Joras, fils adoptif de Gwynd

    KURELLIA/SUZIE : ex-meilleure amie de Louise sur Terre

    GARNOW : ami d’Eynia, appartient au peuple des rescapés

    GWYND : mère adoptive d’Eynia et mère naturelle de Natalan et Ivy

    IVY : fille de Gwynd

    JORAS : ex-Manol et amant de Doris Gaély

    Les gardiens

    KEROS : meneur des gardiens

    THELION : bras droit de Kéros

    KATILIN : fidèle de Kéros et meilleure amie de Thélion

    OLIAS : nouveau membre du peuple des gardiens

    Les terriens

    FABRICE : père adoptif de Louise, Gabriel et Axel

    LAURENE : mère adoptive de Louise, Gabriel et Axel

    1

    L’eau chaude ruisselle lentement le long de mon corps. Sa caresse sur ma peau me détend, elle m’enveloppe tout entière. Le doux bruit blanc de l’eau qui s’écoule m’apaise, me berce. Je ferme les yeux. Je me sens partir.

    Avant de m’écrouler dans la baignoire, je tourne le robinet et mets fin à cet instant de grâce.

    Je sors, encore trempée. La vapeur d’eau emplit la pièce, ce qui prouve que je suis restée sous la douche bien plus des cinq minutes imposées par le règlement. Je reste nue et me plante devant le miroir. Comme tous les matins, l’image qu’il me renvoie me perturbe.

    Ce n’est pas moi.

    Et, comme tous les matins, j’essaie de me convaincre. Je dois m’y faire. Ce corps, ce visage, ce regard, ce ne sont plus ceux de Tessa Birieux, mais les miens.

    Je frotte mes longs doigts contre mes yeux brillants de fatigue. Cela fait des jours que je ne dors plus et j’ai l’impression que mon visage se résume en deux énormes cernes.

    Pourquoi Panthéia revient-elle me hanter maintenant ?

    Voilà dix mois que nous sommes revenus, Gabriel et moi. Nous nous sommes créé de nouvelles vies. Nous avons tourné la page. Il a fallu du temps et une entraide constante, mais nous avons réussi : nous rentrons à l’université dans deux jours.

    Le jour, je m’investis à fond dans ce nouveau projet. J’organise, je planifie, je bouscule Gabriel qui prend chaque jour comme il vient.

    La nuit, mon inconscient reprend le pouvoir. Il me parle avec la voix de Natalan, il prend la forme de son visage, je crois même sentir son parfum… C’est bien plus qu’un rêve. À chaque fois, le retour à la réalité est douloureux, et pas seulement pour mon cœur. Je me sens ankylosée et faible, comme si mon corps n’avait pas bougé depuis des jours. Je n’en ai pas encore parlé à Gabriel, mais je commence à m’inquiéter.

    — Louise, j’aimerais me doucher avant de partir bosser, s’agace Mélanie derrière la porte.

    J’enfile des sous-vêtements et une robe à la va-vite. Tant pis pour le maquillage, quant à mes nouveaux cheveux crépus, je n’ai toujours pas appris à les discipliner.

    J’ouvre la porte et me présente souriante devant ma colocataire.

    — J’ai presque réussi à tenir le timing cette fois, je tente de la convaincre.

    — Non, répond-elle le regard blasé.

    Je la laisse passer et me dirige vers notre chambre lorsqu’elle se retourne :

    — Je me demande bien ce que tu peux faire dans cette salle de bain ! Tu as une mine horrible !

    Elle se contente de sourire et ferme la porte.

    — Gabriel t’attend dans la cuisine, annonce-t-elle enfin.

    Je fais demi-tour et traverse l’appartement pour rejoindre mon frère.

    Nous partageons cette colocation avec quatre autres étudiants. Grâce à une association d’aide à la réinsertion, mon frère et moi avons rapidement trouvé un toit et des petits boulots pour subvenir à nos besoins. Nous vivons ici depuis six mois avec Mélanie, Harold, Jérémy et Pavla. L’entente est amicale et des liens se sont créés. Chacun garde ses secrets, c’est une sorte d’arrangement tacite entre nous.

    Lorsque j’entre dans la cuisine, une odeur de café me prend les narines. Avoir différentes vies, différents corps n’y change rien : je déteste le café.

    — Comment peux-tu boire ce jus de chaussette ?

    Assis à table, interrompu en pleine mastication d’une biscotte généreusement beurrée, Gabriel lève les yeux vers moi.

    — Tu as une tête affreuse, dit-il.

    — C’est bien pour ça que je compte me reposer aujourd’hui, je rétorque. Je mange un morceau et je retourne au lit. C’est mon dernier jour de congé, je compte bien en profiter pour recharger mes batteries.

    — J’ai d’autres plans pour toi.

    Il cache son sourire malicieux derrière sa tasse de café. Ses cheveux roux, tout autant indisciplinés que les miens, bouclent sur ses tempes ce qui accentue ses traits rieurs. Peu importe le corps, les expressions de mon frère sont agréables et paisibles, qu’il soit un orphelin français, un panthéien un peu paumé ou un jeune britannique sans attache.

    — Je n’ai pas l’intention de sortir de cet appartement, je persiste.

    Cette fois, il ne sourit plus. Ce changement d’attitude m’étonne.

    — Je veux aller les voir.

    Il me laisse quelques secondes pour comprendre. Je sais naturellement où il veut en venir. Nous avons abordé ce sujet trois fois au cours de cette semaine.

    — On en a déjà parlé, je ne pense pas que ce soit une bonne idée, je souffle avec impatience.

    — Pourquoi ? dit-il excédé.

    — Je ne sais pas, c’est trop… bizarre !

    Je m’assieds à ses côtés pour entamer mon petit déjeuner. Il s’approche de moi et chuchote :

    — J’en ai besoin pour faire le deuil du passé. Et vu ta tête, je pense que ça ne te serait pas inutile ! Depuis quand tu ne dors plus ?

    — Je ne pense pas qu’aller voir nos tombes réponde à mes problèmes de sommeil.

    Gabriel jette un regard vers le couloir pour s’assurer que personne ne nous surprenne. Bien entendu, nos colocataires ne savent pas que nous sommes frère et sœur. Nul doute qu’ils aient compris que nous avions un passé commun, mais personne ne nous a jamais demandé d’éclaircir cet épisode de nos vies.

    — Accompagne-moi, tu pourras toujours rester dans la voiture. Je ne peux pas y aller sans toi.

    Je prends du temps pour répondre, à la recherche d’une excuse. Je pense réellement qu’aller se recueillir sur nos propres tombes est malsain et que cela ne nous apportera que du chagrin. Mais Gabriel n’en démord pas.

    — Je dois déjeuner avec Jérémy tout à l’heure, on devra être de retour pour treize heures, j’abdique enfin.

    Il lâche un soupir contrarié.

    — Quoi ? Je m’impatiente.

    — Je sais que ça ne me regarde pas, mais je me disais qu’il était peut-être un peu trop tôt pour te mettre avec quelqu’un d’autre, avoue-t-il, gêné.

    Je le fixe, ahurie.

    — Premièrement, je ne suis PAS avec quelqu’un d’autre, je discute avec lui, c’est tout.

    — Arrête, tu sais très bien que…

    — Deuxièmement…, je le coupe, en effet cela ne te regarde pas.

    Mon ton est sec et j’ai peur de l’avoir vexé.

    — Ne t’inquiète pas, dis-je avec plus de douceur.

    *

    L’appartement se situe dans un vieil immeuble des années soixante-dix, à deux kilomètres du centre-ville. La décoration est restée dans son jus, à l’image d’une cuisine et d’une salle de bain aux meubles en bois et aux faïences beige foncé. Les sanitaires vieux de quarante ans complètent ce camaïeu de marron. Les matelas sont trop mous, les tapisseries tachées et la chaudière capricieuse. Il y a deux grandes chambres, une pour les garçons, l’autre pour les filles. Le salon, notre espace préféré, est petit et encombré, mais nous adorons y passer nos soirées à papoter et à rire.

    Après quelques négociations avec Harold, Gabriel me tend fièrement les clés de la Twingo de notre colocataire. Il nous faudra une bonne heure pour rejoindre notre ancienne vie, non loin de la rue des glycines.

    — Il a accepté de nous la prêter à condition que tu conduises, dit-il. Je ne comprends pas pourquoi il n’a pas confiance en moi…

    — Peut-être parce que tu as noyé son téléphone en faisant la vaisselle ou encore parce que tu as déchiré son pull fétiche.

    — Je voulais l’essayer avant de m’acheter le même !

    — Tu fais deux tailles de plus que lui ! je souris.

    Les premiers kilomètres sont bruyants. Gabriel s’amuse avec l’autoradio, il chante à tue-tête. Je l’accompagne sur certains morceaux et je ris jusqu’à en avoir mal au ventre. Chaque jour, et particulièrement dans des moments comme celui-ci, je me dis que j’ai une chance inouïe de l’avoir à mes côtés.

    Et puis, nous reconnaissons les paysages de notre enfance. Nous n’avons plus envie de rire. Un lourd silence s’installe, nos souvenirs emplissent l’habitacle de la vieille Twingo.

    Je revois notre lycée et je pense à Suzie, ou plutôt Kurellia, qui m’a accompagnée pendant ces années difficiles. Même aujourd’hui, je ne sais toujours pas si son amitié était totalement sincère ou si tous ces moments ensemble n’étaient qu’un pas de plus vers l’objectif de sa mission : ma mort. Et puis, elle nous a volé notre frère. C’est injuste de ma part, mais j’ai besoin de croire qu’Axel n’a pas pris cette décision en totale objectivité.

    Un peu plus loin, sur la droite, se trouve la piscine municipale. Ma dernière visite a certainement dû marquer les esprits. Je me demande ce qu’est devenu Maxime, ce garçon orgueilleux et lâche qui a su ponctuer mes années lycée de moments d’humiliation.

    À deux pas d’ici se trouve la rue des glycines, ses jardins entretenus et ses maisons standards. Il y a surtout notre maison au numéro 21. J’imagine Fabrice et Laurène en train de cuisiner, avec leurs tabliers personnalisés et un peu de Brassens en fond musical.

    Une boule grossit dans mon ventre. Les souvenirs heureux et malheureux se succèdent dans mon esprit. Toutes les émotions liées au passé, celles que j’essaie d’ignorer depuis des mois, rejaillissent sans que je puisse les contrôler. Mes yeux commencent à s’embuer et j’ai du mal à me concentrer sur la route. Ne pouvant plus me retenir, je renifle et frotte mes yeux trempés. Gabriel se tourne vers moi :

    — C’est dur pour moi aussi, tente-t-il de me rassurer.

    — Je suis juste fatiguée, je hoquette.

    — Je sais que tu ne dors pas bien depuis plusieurs jours.

    — C’est normal, c’est la rentrée…

    Il laisse s’écouler quelques secondes, avant de reprendre.

    — Non, je ne suis pas sûr que ce soit normal.... car moi non plus je ne dors pas bien, avoue-t-il.

    Je hausse les épaules.

    — Nous sommes arrivés, j’annonce.

    La petite église de la ville se tient face à nous. Le cimetière est situé juste derrière. L’endroit est désert, la messe doit être terminée.

    Gabriel me prend la main et plonge ses yeux verts dans les miens :

    — On y va ?

    J’hésite encore. Je le regarde. Sa grande taille, son teint blafard, ses cheveux roux. Puis j’étudie mes mains, ma peau noire, mes rondeurs. Nos corps semblent hors contexte ici. Nos différentes vies s’entremêlent ce matin, et je ne suis pas sûre d’aimer ça.

    — OK, mais on ne reste pas longtemps.

    Main dans la main, nous remontons doucement l’allée principale. Les massives dalles de pierre défilent autour de nous. J’avance, mal à l’aise et crispée. J’entends la voix de Gabriel qui donne le rythme de notre marche :

    — Rochion, Durand, Larille, non, non, par-là non plus…

    Certains noms m’évoquent de vieilles connaissances, probablement des aïeuls de nos anciens amis du collège ou du lycée.

    — On devrait peut-être se séparer…, propose-t-il.

    — Inutile.

    La taille du cimetière est proportionnelle à la taille de notre ville, nous ne mettons pas beaucoup de temps pour parcourir toutes ses allées.

    Je lui montre du doigt trois stèles parfaitement alignées sur notre gauche, au bout d’un passage étroit. Deux d’entre elles sont légèrement vieillies alors que la troisième est immaculée. Gabriel pose une main sur mon épaule.

    Solennellement, nous nous dirigeons vers nos tombes.

    Gabriel, Laurent, Julien.

    Axel, Fabrice, Paul.

    Louise, Laurène, Rose.

    Nos noms sont gravés en lettres majuscules dans la pierre blanche. Je connais les deux premières stèles pour les avoir vues une seule fois avec Fabrice et Laurène, quelques jours après l’enterrement. S’ils revenaient les fleurir presque tous les dimanches, je restais à la maison, préférant ignorer ce qu’ils faisaient. Découvrir la troisième est un véritable choc.

    Louise, Laurène, Rose. Née il y a dix-neuf ans, morte le jour de son dix-huitième anniversaire. Il m’est impossible de décrire ce que je ressens. Qui a déjà vu sa propre tombe ? Je m’accroupis lentement et touche la pierre. J’ai du mal à imaginer mon corps là-dessous, celui de la jeune fille maigrichonne et triste. Ça fait un an qu’ils m’ont enterrée, quatre ans pour les jumeaux. Malgré ce temps passé, les tombes sont couvertes de fleurs, de bougies et de quelques photos encadrées. Ces marques d’affection désintéressées et sincères me serrent le cœur. À nouveau, les larmes me montent aux yeux.

    Je jette un œil vers Gabriel. Il ne se tient pas devant son propre nom, mais devant celui d’Axel. Axel, notre frère, celui qui a choisi de nous abandonner. Gabriel pleure en silence, la mâchoire crispée.

    — Je ne comprendrai jamais son choix, laisse-t-il échapper.

    Le lien qui les unit a toujours été unique. Depuis leurs naissances, ils ne s’étaient jamais quittés, formant un duo complémentaire et indispensable à leur bonheur. Jusqu’au jour où Axel a décidé de vivre sa propre vie en restant sur Panthéia, dans les bras de Kurellia.

    — Essaie simplement de lui pardonner, dis-je en lui prenant le bras.

    — Tu as réussi toi ?

    Je ne sais pas quoi répondre. Pourtant, le regard de Gabriel est insistant. J’ai du mal à analyser ce que je ressens. J’ai passé dix mois à éviter de penser à lui.

    Alors que je sonde mon cœur, mes yeux se posent sur un homme qui arrive au loin. Mon cœur bondit dans ma poitrine. Je connais cette silhouette, cette démarche.

    — Gabriel, quel jour sommes-nous ? je demande tout en gardant un œil sur l’homme.

    Mon frère me scrute, surpris par ma question.

    — Dimanche, tu le sais très bien. Pourquoi ?

    — Parce que Fabrice arrive pour fleurir nos tombes.

    Gabriel fait volte-face pour vérifier, puis il se tourne à nouveau vers moi. Je vois la panique couvrir son visage d’un voile blanc.

    — Qu’est-ce qu’on fait ? demande-t-il. On va lui parler ?

    Cette idée est tentante. Je meurs d’envie de lui parler, d’entendre sa voix rassurante. J’aimerais tellement qu’il me serre dans ses bras réconfortants.

    Et puis, je remets les pieds sur Terre.

    — Surtout pas ! Il ne nous connaît pas, OK ? Nous allons partir discrètement.

    Il hoche la tête, déçu, et avec autant de naturel que possible, nous nous éloignons doucement.

    Mon cœur me crie de le regarder à nouveau, d’aller le voir, de tenter de lui expliquer. Mais il ne comprendrait pas. Tout le travail accompli depuis des mois pour tourner la page est sur le point de partir en fumée.

    — Excusez-moi. S’il vous plaît ?

    Nous nous stoppons net. Nous échangeons un rapide regard affolé avant de faire demi-tour.

    Fabrice s’avance vers nous, les mains chargées de fleurs. Plus il s’approche, plus les marques sur son visage sont visibles. S’il avait réussi à se remettre tant bien que mal du départ des jumeaux, il semble que ma mort l’ait définitivement accablé. Il a perdu du poids et quelques cheveux. Il y a un an que je ne l’ai pas vu, et j’ai l’impression qu’il a vieilli de dix ans. Je dois me mordre les lèvres pour ne pas pleurer.

    — Désolé de vous déranger, mais j’ai cru vous voir devant les tombes de mes enfants. Vous… les connaissiez ?

    De près, je n’ose plus le regarder alors que Gabriel est en train de beuguer, les yeux fixés sur Fabrice, la bouche à moitié ouverte. Inutile de compter sur lui. Mon cœur bat la chamade et je sens une sueur froide se créer dans mon dos. Entendre à nouveau sa voix me renvoie à un millier de souvenirs de mon enfance.

    — Euh… oui, un peu, je marmonne.

    — Puis-je vous demander comment vous vous appelez ? Peut-être qu’ils m’ont déjà parlé de vous.

    Mon cerveau patauge. Je dois mentir, je dois mentir…

    — Je suis Anna, et lui c’est Sylvain. Nous les avons rencontrés pendant un séjour en colonie de vacances, en primaire.

    Ma voix sonne étrangement à mes oreilles, mais Fabrice ne semble pas remarquer mes hésitations.

    — Ah oui, les vacances sur l’île d’Oléron, se rappelle-t-il.

    Je souffle intérieurement, soulagée.

    — Nous nous connaissions, mais nous n’avons jamais réellement lié d’amitié. Ce matin, nous passions dans les environs, alors…, je continue avec un peu plus d’assurance.

    J’indique les stèles du regard au lieu de finir ma phrase.

    Soudain, je vois les lèvres de Gabriel se mettre à bouger et j’anticipe une catastrophe.

    — Comment va Laurène ? lâche-t-il.

    Je lui donne un coup de coude discret mais énergique dans les côtes. Fabrice est surpris, mais il répond avec politesse.

    — Elle est toujours malade, mais ça va, je ne suis pas inquiet.

    Pourtant son expression indique le contraire. Je n’ai pas le temps d’analyser ce qu’il vient de dire, Gabriel s’apprête à lui poser une nouvelle question, mais je le coupe.

    — Nous espérons sincèrement qu’elle se remettra vite. Nous allons reprendre notre route, alors nous vous souhaitons une bonne journée Fab… Monsieur.

    Je me retourne, mais Fabrice nous rappelle.

    — J’ai encore une question, si vous permettez.

    Cette fois le regard de mon père cherche le mien avec insistance. Je ne peux pas me dérober.

    — Auriez-vous quelque chose à me donner ? demande-t-il.

    Je me tourne vers Gabriel qui ne comprend pas plus que moi. J’ai l’impression que nous avons raté un épisode.

    — Euh… non, désolée.

    Fabrice ne bouge pas. Puis au bout de quelques secondes, il baisse le regard, visiblement déçu.

    — Pas de problème. Je ne vous retarderai pas davantage. Faites bonne route, et peut-être à bientôt.

    *

    Le retour à l’appartement se fait sans un mot. Je n’arrive pas à sortir de mon esprit la peine immense de Fabrice. J’avais tellement envie de lui assurer que nous sommes en vie et de le prendre dans mes bras. J’ai beau tordre le problème dans tous les sens, il n’y a aucune solution. Jamais Fabrice et Laurène ne sauront que nous sommes vivants. Voilà dix mois que j’en arrive à la même conclusion, et pourtant une étincelle d’espoir subsiste encore.

    Bien que Gabriel soit à mes côtés, je me sens soudain très seule. Je pensais pouvoir démarrer une nouvelle vie heureuse et libre en oubliant mon passé. Mais je m’aperçois que tous les efforts faits depuis des mois sont encore loin de suffire. Je dois l’admettre, il n’y a pas un jour où je ne pense pas à ceux que j’ai laissés derrière moi.

    Certaines expressions familières de Gabriel me ramènent inévitablement à ses autres apparences physiques : le garçon un peu rond que j’ai vu grandir ou le jeune homme robuste qu’il est vraiment. Mon esprit divague alors vers Axel, ce frère qui me manque tellement, son jumeau. Et puis leurs visages défilent : Kurellia, Eynia, Veera, Cloris, Anilliò… et Natalan, bien sûr.

    Chaque jour, je me demande ce qu’il est en train de faire, ce qu’il est devenu. Chaque jour, je me demande s’il pense à moi.

    Dès que je vois une plante, une fleur ou un arbre, j’ai envie de les toucher avec ma main gauche pour voir si le syla dépasse les frontières de nos corps.

    Si Gabriel n’était pas là pour me l’assurer, je me demanderais si tout ce que j’ai vécu est bien réel.

    Maintenant, je dois l’admettre pour avancer : Panthéia me manque.

    Je me gare dans la rue et nous rejoignons nos chambres, nous promettant de reparler de ce qu’il s’est passé plus tard. Dans dix minutes, il sera treize heures. J’ai juste le temps de retrouver une attitude de circonstance pour Jérémy.

    J’entre dans la pièce et je constate avec soulagement que Mélanie est toujours au travail et que Pavla vadrouille je ne sais où. Je m’écroule sur mon lit une place. Je fixe le plafond et je replace les briques de ma carapace une à une.

    2

    J’ai l’impression de voler. Mon corps, mes pensées, mes problèmes n’existent plus. Je reconnais le bruit sourd de ma respiration. Cela me ramène à un souvenir lointain. Impossible de m’en rappeler exactement comme si mon cerveau refusait de chercher davantage. Je sais juste que je suis sous l’eau, complètement immergée. Je n’ai ni froid ni chaud. Je ne suis pas fatiguée. Je ne suis pas énervée. Je suis juste bien, sereine.

    Le temps passe. Des minutes, des heures, peut-être plus. Peu importe, je pourrais rester ici pour l’éternité.

    Soudain, une puissante vague me bouscule. Elle me dérange dans ma méditation. J’essaie de vite l’oublier et de retrouver la paix. Je ne veux pas être ailleurs.

    Une deuxième vague, beaucoup plus violente, me renverse. Mon esprit tourbillonne, brassé par les masses de liquide. Le calme me fuit. D’où viennent-elles ?

    J’anticipe l’arrivée de la troisième. Je retrouve mes sensations, mon corps s’anime. J’ouvre les yeux au moment où elle déferle sur moi.

    Elle me gifle, aussi puissante qu’un raz-de-marée. Je suis secouée, frappée de tous les côtés. En rage, je me mets à hurler. Mais aucun son ne sort. Au contraire, c’est l’eau qui s’infiltre et qui me noie. Je me débats, je frappe cette puissance invisible, immatérielle. Je meurs d’étouffement une seconde fois…

    — Louise !

    On me secoue sans ménagement. Je prends une grande bouffée d’air.

    — Ça y est, elle est réveillée, j’entends qu’on chuchote.

    Je regarde autour de moi, la respiration rapide, paniquée. Cinq paires d’yeux sont rivées sur moi.

    — Redresse-toi, dit Gabriel en m’aidant.

    — Ça va ? s’inquiète Jérémy.

    Je les reconnais plus à leurs voix qu’à leurs physiques. Nous sommes plongés dans le noir, nous devons être au beau milieu de la nuit. Je suis assise sur mon lit, en pyjama. Je ressens la désagréable humidité de la sueur dans mon dos et sur mon front.

    — Oui, ça va, je réponds haletante. Que se passe-t-il ?

    — Il se passe que tu étais en train de t’étouffer ! s’exclame Mélanie. Heureusement que je ne dormais pas encore quand tu as commencé à te débattre comme une furie.

    — J’ai fait un cauchemar horrible, dis-je en essayant d’adopter un ton léger.

    Leur attention me perturbe. J’ai envie qu’ils s’écartent, qu’ils me laissent respirer.

    — Normalement, même si on rêve qu’on est en train de mourir, on n’est pas réellement en train de mourir, intervient Harold avec son pragmatisme à toute épreuve. Sauf que toi… tu t’étouffais vraiment !

    Un silence pesant s’installe.

    — Elle est peut-être… euh… je ne sais pas comment on dit en français, dit Pavla derrière les autres. Elle a des problèmes de respiration quand elle dort ?

    — De l’apnée du sommeil, tu veux dire ? comprend Harold.

    — Oui, voilà.

    Cette discussion ne mènera nulle part. Je les interromps.

    — Je vais aller prendre un peu l’air, allez vous coucher. Merci de m’avoir réveillée.

    Ils hésitent. Je commence à me lever pour aller chercher mon manteau.

    — Je vais t’accompagner, propose Gabriel.

    — OK.

    — Moi aussi, s’empresse Jérémy.

    J’aurais dû m’en douter. Depuis quelques jours, les relations sont tendues entre lui et mon frère.

    Je m’approche du grand brun athlétique, tout en cherchant les bons mots. Il n’a pas pris le temps de passer un tee-shirt. Même dans la pénombre, sa plastique laisse peu de place à l’imagination.

    — Tu te lèves à six heures demain pour aller bosser, va te reposer, je lui murmure. Je sors cinq minutes et ensuite je vais prendre un bouquin pour me changer les idées. Inutile de rester avec moi.

    Je sais ce qu’il a envie de me répondre : pourquoi accepter le soutien de Gabriel et pas le sien ? Heureusement pour moi, il a la délicatesse de ne pas insister. Il passe une main sur mon bras et rejoint la chambre des garçons avec Harold.

    Le froid me saisit. Je me recroqueville sous ma doudoune. Notre petite rue est déserte mais toujours éclairée par des lampadaires faisant office de poteaux électriques ou téléphoniques. Dans ce quartier pauvre, toute dépense doit être indispensable, sauf pour la lumière…

    Gabriel me rejoint sur le trottoir. Il a la mine fatiguée et inquiète, ce qui ne lui est pas coutumier.

    — Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond là-bas, dit-il le regard perdu dans le vide.

    Je lève les yeux vers les fenêtres au-dessus de nos têtes. L’appartement est très mal isolé. Nos colocataires risquent d’entendre notre conversation.

    — Allons ailleurs, je propose.

    En pyjamas et manteaux, nous remontons la rue en direction du parc, un terme flatteur pour un espace vert plus petit qu’un terrain de tennis avec un unique banc cassé. Je m’assieds, les jambes contre la poitrine. Gabriel préfère rester debout.

    — Qu’as-tu vu dans ton cauchemar ? demande-t-il.

    Je lui raconte dans les détails : mon corps immergé, la sensation de bien-être, les vagues et ce que j’ai vu au moment où j’ai ouvert les yeux.

    — J’étais là-bas, je conclus. J’étais sur Panthéia. J’ai vu Axel.

    Il est sous le choc.

    — Ce n’était pas un simple cauchemar n’est-ce pas ? souffle-t-il.

    Je frissonne, je cache mon visage dans le col de mon manteau. Peut-être qu’il ne fait pas si froid. Peut-être que je suis juste tétanisée par la peur.

    — Non, ce n’était pas un simple cauchemar, j’étais réellement en train de mourir.

    Gabriel se passe une main sur le visage.

    — Je ne comprends pas…

    — Et s’ils veulent que nous revenions ?

    Il me regarde, ahuri.

    — C’est impossible ! Si tu y retournes, l’histoire va se répéter !

    — Je n’ai pas d’autre explication…

    Il lâche un grognement contrarié.

    — Dis-moi ce que tu as sur le cœur, je m’impatiente.

    — Je comprends mieux pourquoi tu te rapproches de Jérémy…

    Alors là, je ne le suis plus.

    — En vérité, tu n’arrives pas à tourner la page. Tu te forces, tu fais semblant, mais dans le fond tu veux y retourner.

    Les mots qu’il choisit me blessent. Je sens les larmes et la colère monter.

    — Que me reproches-tu exactement ? Je ne fais pas assez d’effort ? Vouloir retrouver mon frère et l’homme que j’aime n’est en fait qu’un caprice de petite fille ?

    — C’est une question de vie ou de mort ! réplique-t-il en haussant le ton. Ton inconscient agit à ta place, c’est lui qui essayait de te tuer ce soir ! Si tu y retournes, nous mourrons tous !

    — JE LE SAIS ! je crie avec rage.

    Cette fois, il se tait.

    Je frissonne à nouveau. Ces fraîches nuits de fin d’été nous annoncent la nouvelle saison. Les arbres vont bientôt se parer de leurs belles couleurs jaune orangé et la terre entrera en sommeil pendant de longs mois. Ces images m’apaisent. J’ai toujours aimé l’automne et le sentiment de renouveau qu’il me procure.

    — Rentrons avant de tomber malades, conseille mon frère.

    À mon réveil, je comprends tout de suite que j’ai encore passé une nuit agitée. La sonnerie de mon alarme est presque douloureuse : je dois aller bosser. Il n’est plus question de passer une demi-heure sous la douche et de savourer tranquillement mon petit déjeuner en papotant. Pour grappiller encore quelques minutes de sommeil, j’ai bien sûr réglé mon alarme le plus tard possible… Acte que je regrette tous les matins mais que je suis incapable de corriger le soir. J’ai donc quinze minutes pour me préparer et quinze autres minutes pour me rendre sur mon lieu de travail.

    Grâce à l’association de réinsertion des jeunes en difficulté qui nous a soutenus Gabriel et moi, j’ai pu obtenir un contrat de vendeuse dans une boutique de produits locaux, « D’Ici et d’antan ». Je m’y rends quatre jours sur sept. Le reste du temps, je prépare ma première année de médecine. L’ensemble des ouvrages qui m’avaient été offerts à mon dix-huitième anniversaire m’auraient bien été utiles, mais j’ai dû me les racheter, un par un, salaire après salaire.

    Dès que j’entre dans la boutique, je sens la bonne odeur de propre mêlée au sucré alléchant des sablés au caramel.

    — Salut, Louise !

    — Salut, Jeanne, désolée pour le retard.

    Ma patronne, une trentenaire célibataire et hyperactive, a revêtu son costume de chasseuse de microbes : charlotte, gants et tablier. Je sais qu’elle brique tout le magasin depuis plus d’une heure.

    — Cinq minutes de retard, comme tous les matins ! Je ne m’attendais pas à ce qu’il en soit autrement pour ton dernier jour ici.

    — Tu pourrais me passer un savon, au moins je partirais d’ici avec plaisir.

    J’avance vers elle, la mine boudeuse, pour la prendre dans mes bras. Jeanne est plus une amie qu’une patronne. La quitter me déchire le cœur. J’aimais travailler ici.

    — On peut y remédier, dit-elle, je peux prendre une grosse voix et te pointer du doigt, comme ça.

    Elle pose son index sur ma poitrine, les sourcils froncés mais les yeux pétillants de malice. J’éclate de rire.

    — Ce n’est pas un adieu, continue-t-elle avec sérieux. Tu pourras revenir la saison prochaine.

    Cette perspective libère mon ventre d’un poids lourd.

    — Ce serait avec plaisir ! je m’exclame. Mais j’espère que tu n’auras pas trouvé un meilleur sous-fifre d’ici là…

    — Impossible ! Quoique… si je trouve quelqu’un de ponctuel…

    Elle me lance un coup d’œil ironique. Je m’apprête à lui répondre lorsque je vois son regard changer de trajectoire. Quelque chose derrière moi l’interpelle.

    — Tiens, ce n’est pas ton colocataire là-bas ?

    Je me retourne et scrute la rue à la recherche d’une silhouette connue. Il ne me faut pas longtemps pour reconnaître Gabriel sur le trottoir d’en face.

    Je ne comprends pas… il devrait être au travail, dans un restaurant à l’autre bout de la ville. Est-il venu me voir pour discuter ?

    — Excuse-moi.

    Je laisse Jeanne et je sors de la boutique. Mais Gabriel est déjà parti. À quoi joue-t-il ? Je l’aperçois au coin de la rue, à portée de voix. Je l’appelle. Malgré le bruit de la circulation, je sais qu’il aurait dû m’entendre. Mais il ne se retourne pas. Je réitère. Toujours pas de réaction. Agacée, je trottine dans sa direction tout en criant son nom. Là encore, il me file entre les doigts. Je le vois partir au loin…

    — Alors tu as pu le rattraper ? me demande Jeanne à mon retour dans la boutique.

    — Non, je marmonne inquiète.

    Mon amie n’insiste pas davantage et nous reprenons chacune nos tâches attitrées. Je file vers le débarras où les stocks arrivés ce matin sont entassés. J’ouvre le premier carton et commence à garnir les présentoirs. Pendant ce temps, Jeanne s’occupe des clients. Elle discute, elle sourit. Je n’ai personne pour me déranger dans ma tâche et j’ai les mains occupées. Je peux donc avoir l’esprit totalement ailleurs sans culpabiliser.

    Mon frère m’a délibérément ignorée, sans parler du fait qu’il aurait dû être à son poste à cette heure-ci. Pourquoi passer si près de la boutique sans venir me voir ? Aurait-il une connaissance dans le quartier dont il souhaite garder le secret ? Mais alors, pourquoi se donner rendez-vous ici ? Non, rien ne colle. Le comportement de Gabriel est une énigme que je compte bien résoudre.

    À dix-huit heures tapantes, Jeanne ferme le rideau métallique. Je reste au milieu de la boutique, immobile.

    — Eh bien, qu’est-ce qu’il t’arrive ? s’enquiert-elle.

    — J’essaie d’imprimer chaque image du magasin dans ma mémoire, je réponds, émue.

    — Tu es trop sentimentale ! sourit-elle. Allez, file chercher tes affaires.

    Elle a raison. Ce n’est pas un adieu. C’est à peine un au revoir puisque je pourrais retrouver Jeanne pendant l’hiver, pour boire un verre par exemple, et dès le retour des beaux jours je reprendrai ma place.

    Vêtue de mon foulard et de ma veste, je la rejoins dans la cour derrière le magasin.

    — Tu sais, je voulais te dire quelque chose avant que tu ne démarres ta nouvelle aventure, commence-t-elle timidement. Je sais que l’appart’ dans lequel tu vis n’est pas des plus confortables. Et à six dans un quatre pièces, j’ai peur que tu ne trouves pas de moment pour réviser calmement. Alors que moi, je vis seule dans un soixante mètres carrés…

    — Tu me proposes de cohabiter ? je m’étonne.

    — Oui je crois bien que c’est ce que je suis en train de faire ! On s’entend bien et puis je m’ennuie tellement le soir que je suis à deux doigts d’adopter un chat pour lui faire la conversation. Aie pitié de moi…

    Sa proposition me touche. Elle fait partie des personnes généreuses et sensibles qui ont pris soin de Gabriel et moi depuis notre retour.

    — Je te promets d’y réfléchir sérieusement ! je m’exclame, ravie.

    Bien sûr, je suis tentée d’accepter. Mais cela implique de vivre sans Gabriel, j’ai besoin de temps pour savoir si je suis prête. D’ailleurs, il est temps que je le retrouve.

    Je serre mon amie dans mes bras et la remercie chaleureusement, avant de prendre la direction de l’arrêt de bus.

    Le trajet me paraît interminable. C’est l’heure de pointe, je passe près de trois quarts d’heure le nez collé contre la vitre, peinant à respirer. La nuit commence à tomber lorsque je sors au dernier arrêt.

    Le restaurant dans lequel travaille Gabriel est situé dans une zone commerciale et fait partie d’une grande chaîne. Des horaires à rallonge pour un maigre salaire, mais Gabriel ne s’en plaint jamais. Il trouve son bonheur dès qu’il est en relation avec les gens, qu’ils soient plus ou moins aimables.

    Il doit être de service toute la soirée, alors je devrais le trouver ici. Normalement.

    — Le restaurant n’est pas encore ouvert, m’accueille une jeune femme au moment où je passe les portes.

    La petite brune me regarde à peine, visiblement très pressée.

    — Oui, excusez-moi, je voulais…

    — Vous souhaitez réserver ? me coupe-t-elle.

    — Non, je réponds avec plus d’insistance. Je voulais simplement parler à Gabriel, si possible.

    Le visage de mon interlocutrice prend une expression satisfaite.

    — Il ne travaille plus ici ! lance-t-elle avec un plaisir non dissimulé.

    Sa réponse me laisse bouche bée. J’ai du mal à y croire. Pourquoi ne m’en a-t-il pas parlé ?

    — Mais… depuis quand ? je bégaie. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

    — Le patron l’a viré il y a une semaine. Il a été patient, si ça n’avait tenu qu’à moi et aux autres, nous l’aurions fait bien avant.

    — Viré ? Mais

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