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Le cercle des anciens détenus anonymes: Thriller
Le cercle des anciens détenus anonymes: Thriller
Le cercle des anciens détenus anonymes: Thriller
Livre électronique377 pages5 heures

Le cercle des anciens détenus anonymes: Thriller

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À propos de ce livre électronique

Lorsque Frédéric Legras recouvre sa liberté après un passage derrière les barreaux à Toulouse, c’est auprès du cercle des anciens détenus anonymes qu’il trouve aide et réconfort. Pour se reconstruire, il va devoir accepter l’idée qu’il n’est pour rien dans la disparition tragique de ses proches. Ainsi, les membres de ce cercle vont rapidement devenir pour lui une seconde famille. Mais les démons du passé rôdent, tel Mike son ex codétenu qui le contraint à honorer un pacte scellé lors de son séjour sous les verrous.

Un panel de personnages hauts en couleur, des histoires de vie savamment imbriquées. Digne d’un véritable scénario de cinéma, servi par une écriture espiègle et un style un brin décalé. Un régal !

À PROPOS DE L'AUTEURE

Sylvia De Jésus est originaire des Pyrénées Orientales où elle exerce la profession d'aide soignante. Il s'agit là de son second roman, après A Prats, Evy a disparu, un polar publié en 2003.
LangueFrançais
Date de sortie18 févr. 2020
ISBN9791097150389
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    Aperçu du livre

    Le cercle des anciens détenus anonymes - Sylvia De Jésus

    jésus

    Toulouse

    10 Septembre 2000

    Cercle des anciens détenus anonymes

    « Le coup, il ne l’a pas vu venir. La voiture non plus… S’il l’avait vue, il se serait poussé, forcément ! Ce n’était pas de ma faute. On avait dit qu’on ferait comme ça, c’était le jeu… »

    Au lieu de ça, j’avais l’eau qui coulait sur mes yeux, mes cils étaient comme de vieux essuie-glaces à l’agonie. Ce liquide gelé me gênait plus que les menottes autour de mes poignets.

    Les gyrophares des pompiers, la pluie, toute cette pluie et l’orage avec les éclairs des photographes un peu journalistes, un peu amateurs… Puis les questions que me posaient les hommes en bleu de la gendarmerie.

    Notre plan était pourtant simple. La voiture, Maurice ne l’avait pas vue venir, c’était tout !

    L’haleine du moustachu aux dents jaunes fumeuses de cigarillos m’empêchait de me concentrer. Chaque mot qu’il articulait près de mon visage me faisait l’effet d’une station d’épuration se déversant dans mes narines. Alors je me mettais en apnée. Dans mon crâne, des millions d’images comme celles des vieux albums photo que nous regardions dans le grenier les jours de pluie, des jours comme celui-là…

    À cet instant, j’aurais tout fait pour revenir en arrière, pour sentir à nouveau l’odeur de poussière qui se dégageait de ces vieux livres, mélangée à celle de la naphtaline imprégnée dans les costumes du dimanche de ces gens sur les photos, ceux qui n’existaient plus.

    « Regardez-moi quand je vous parle ! »

    Mes yeux refusaient de se poser sur le moustachu, son haleine fétide me paralysait. Il fallait que je fuie, que je remonte le temps, que je m’échappe de cet enfer, alors je me suis réfugié dans ma tête, le seul endroit où il ne pouvait pas m’atteindre. Je me voyais petit, avec les dents en moins, j’étais un pirate en quête de trésors qui n’attendaient que moi. Soudain, je me suis dit que si le type continuait à me parler trop près, j’allais m’arrêter de respirer jusqu’à ce que je meure, un peu comme quand j’étais gamin. Le moustachu ne concevait pas que je ne puisse pas comprendre ce qu’il me disait. Alors, il me parlait plus fort et plus près encore, mais je n’étais pas sourd… je ne comprenais pas, c’est tout. Tout à coup, une douleur sur mes mollets. J’eus à peine le temps de réaliser ce qui venait de se passer qu’un rictus de fierté se dessinait sur le visage du gendarme. Je tombai alors à genoux. Je voulais mettre mes mains sur mon visage pour sécher mes larmes, mais les menottes m’empêchaient de bouger. À ce moment-là, j’aurais aimé avoir les yeux dans le dos pour pouvoir les cacher, pour dissimuler ma stupeur, mon incompréhension et ma souffrance. Le gendarme avait sa matraque dans la main, celle qui venait de s’abattre sur ma chair, il m’avait cassé quelque chose… Je ne savais pas quoi encore. Une femme avec d’énormes seins sous son uniforme s’approcha. Elle avait du mal à se déplacer dans son pantalon bleu trop serré sur ses cuisses de cheval de trait. Au fur et à mesure qu’elle avançait, je l’imaginais en culbuto. J’entendais son souffle et reniflais son odeur de transpiration mêlée à celle du lait caillé collé sur son taille quarante-huit. Les sourcils agacés, elle s’approcha de moi doucement, comme si elle voulait être gentille, comme si elle savait que ce n’était pas de ma faute, comme si elle savait que ce n’était qu’un jeu.

    En attendant, il était dans le sac plastique, il avait même une fermeture éclair, le sac…

    Le moustachu me releva violemment la tête en tirant fort sur mes cheveux, je perçus à nouveau une douleur terrible dans la nuque, une déchirure et un grand crac dans ma colonne. Je m’écroulais par terre, les menottes dans le dos, le visage dans la boue et les cris stridents du flic dans mes oreilles. La grosse policière se pencha sur moi et me dit de regarder ce que j’avais fait… Les corps inanimés de Ricky et Mady gisaient à quelques mètres de moi.

    Une femme pleurait dans les bras de son mari. C’était probablement quelqu’un qui les aimait très fort, sinon, pourquoi pleurait-elle ? Elle n’était pas blessée et ne semblait pas avoir mal quelque part… ça devait être la peine qui la mettait dans cet état… J’ai compris un jour que ça pouvait faire ça. À ce moment-là, je réalisai à quel point l’être humain était étrange et fascinant à la fois.

    Richy et Mady ne pleuraient pas eux, ils ne disaient rien… Ils ne bougeaient pas, pour une fois. Je ne les supportais pas de toute façon. Ils étaient agressifs avec leurs dents pointues et leur façon d’aboyer. Non, je ne les aimais vraiment pas.

    Lorsque le moustachu me souleva, la douleur sur ma colonne fut insupportable, les larmes roulèrent alors sur mes joues. Il m’avait cassé quelque chose, c’était sûr.

    « Fais attention ! Il se pisse dessus cet « hijo de puta », cria la grosse en uniforme. »

    Le gendarme écœuré me laissa tomber par terre. Mon crâne percuta violemment le goudron, ma vision se brouilla instantanément. Quelques instants après, les flashs cessèrent de crépiter, les journalistes ne bougeaient plus, le silence était devenu assourdissant. La pluie continuait à tomber, je ne sentais plus les gouttes… Je n’avais plus froid, plus faim, plus mal… Peut-être même que si j’arrêtais de respirer je ne mourrais pas, pensais-je lorsque mes yeux se fermèrent.

    Invincible, c’est ce que je croyais être jusqu’à ce que le toubib de l’hôpital m’annonce que j’avais les deux jambes brisées et trois côtes cassées.

    Le moustachu et son culbuto m'avaient bien arrangé. Pourtant, tout ça n'était qu'un jeu qui avait mal tourné. Je repensais aux regards médusés des gens, à ceux qui avaient assisté à la scène et qui n'avaient rien fait.

    « La voiture, ils ne l'ont pas vu venir, c'est tout. »

    C’est ce que j’ai dit au gendarme qui est venu me voir dans ma chambre d’hôpital quand j’étais plâtré de la taille aux orteils.

    — Merci Fréderiiiiic !

    Ils disent ça tous en cœur à la fin de chaque réunion. Ici, les gens sont assis en cercle. Au centre, il y a une grosse clé. Celui qui veut parler doit la prendre dans ses mains. Lorsqu’il a fini, il la confie à un autre. C’est une thérapie de groupe, mais eux, ils ne sont pas comme moi, ou alors, c’est moi qui ne suis pas comme eux. Je ne sais pas. Ce que j’aime, ce sont les beignets et le café servis à la fin de chaque rencontre.

    Toulouse

    Centre pénitentiaire

    Cellule 451

    Deux ans plus tôt

    — Tu sais ce qu’on fait aux mecs comme toi, ici ? me demanda l’autre.

    — Non, je ne sais pas.

    — On leur apprend les bonnes manières, face de craie.

    Mon voisin me parlait tout en se touchant le sexe devant un magazine.

    Je restais allongé sur mon lit et sentais les vibrations que faisait le grand type noir sur la couchette du haut. Il pouvait faire ça jusqu’à quatre fois par jour. Quand il ne se touchait pas, il faisait des pompes en me regardant de façon étrange. Des fois, je voyais ses veines se dessiner sur son front et les gouttes de sueur ruisseler entre ses sourcils épilés.

    Toulouse

    28 Octobre 2000

    Cercle des anciens détenus anonymes

    Fréderic Legras, c’est ainsi que je m’appelle. Je viens d’avoir trente-huit ans et j’habite rue du Périgord au centre de Toulouse, au quatrième étage d’un de ces immeubles roses, côté cour. J’ai un balcon avec un barbecue et deux chaises longues dont l’une a un pied cassé et l’autre un seul accoudoir qui tient. On les avait eus en promo et on s’était dit que c’était quand même bien de les mettre en décoration. Il y a aussi une table avec un plateau en verre où « il ne faut rien poser dessus parce que ça laisse des traces ». Deux nains de jardin sont plantés dans des bacs à fleurs, mais ça pousse pas bien les nains, ils n’ont pas grossi depuis qu’ils sont là. Planter des fleurs, ce n’était pas possible, parce que « ça salit la terrasse quand on arrose et qu’il y a plein de terre partout et que c’est toujours les mêmes qui nettoient ». Sur la rambarde, un père Noël acheté dans un magasin discount se balance au gré des courants d’air depuis les dernières fêtes, il doit y avoir trois ans. Il était là avant moi. Il a son sourire délavé figé sur son visage joufflu. Il aime regarder les rideaux en dentelle de ma cuisine et admire les autocollants en forme de fleurs collés aux fenêtres du salon. « C’est pour pas que les mouches salissent les vitres », disait l’autre. C’est vrai que c’est efficace, quand on enlève l’autocollant, il n’y a pas d’excréments dessous. Ma femme Raymonde m’a quitté il y a six mois, juste quelques jours avant ma sortie de prison. Elle est partie après m’avoir avoué que notre fils Willy n’était pas le mien et qu’elle était tombée amoureuse de Boris le boucher, maître incontesté dans la fabrication des chipolatas et merguez. Je crois même qu’il participe à des concours de sculpture sur chair à saucisse ou quelque chose du genre. Dans le camion de déménagement, Raymonde a pris notre fils qui n’était pas le mien, les meubles qui étaient les nôtres mais qu’elle ne pouvait pas laisser car elle n’avait pas de sous pour s’en acheter d’autres, ainsi que Malo le chat, un être aussi productif et utile que mon beau père. Je ne l’aimais pas de toute façon, il avait cette manière si particulière de me regarder, un peu comme s’il était au cirque… quand le numéro était nul. L’appartement s’est vidé sans que je m’en aperçoive. Quand je suis revenu un matin, il n’y avait plus rien sauf la facture des déménageurs épinglée sur la porte des toilettes.

    — Merci Frédériiiiic !

    Déjà la clé tournait et un autre dont j’ignorais le nom commençait à parler de lui.

    Toulouse

    Centre pénitentiaire

    Cellule 451

    Deux ans plus tôt

    Je viens de passer deux jours à l’infirmerie à cause des migraines dans ma tête. Depuis que je suis petit, j’ai des douleurs très fortes, comme si quelqu’un cassait toutes les cloisons de mon cerveau avec un marteau. Je me souviens de la première fois que c’est arrivé. J’habitais chez tante Sophie et Oncle Philippe. Ce dernier venait de boxer ma tatie et lui faisait du mal dans la chambre, elle hurlait de douleur et le suppliait d’arrêter. Moi, je restai avec Maurice dans le salon pour le rassurer. Quand la migraine est arrivée, je suis allé dans la cave, j’ai pris la matraque de tonton.

    Dans la chambre, il était allongé par terre sur ma tante qui se débattait. J’ai levé la massue aussi haut que j’ai pu puis j’ai tapé fort sur le crâne de Philippe. Il a été assommé sur le coup. Ma tante en se relevant péniblement m’a dit d’aller me cacher avec mon frère. J’ai enveloppé Maurice dans une couverture et je suis parti chez le voisin demander de l’aide. Une dame est venue nous chercher, nous avons été placés en famille d’accueil puis tante Sophie a quitté son mari quand il était à l’hôpital. Il n’en est jamais sorti, il est mort des suites de ses blessures à la tête… Je suis allé à son enterrement, il y avait sa famille, ses amis et tante Sophie. Tous pleuraient. Moi, je n’ai pas compris pourquoi elle ressentait ça. Elle devait l’aimer, je ne sais pas. Pourtant, il ne servait à rien et il lui faisait du mal. C’était un être inutile et sans intérêt. Il a bien fait de mourir finalement.

    Depuis que je partage ma cellule avec Mike, je suis tout le temps habité par les migraines. Le grand noir ne comprend pas que je doive dormir. Lui, chante la nuit, mange, crie, appelle les autres et joue avec son sexe pendant qu’il regarde la télévision. Après, il fume des joints et met dans son nez toutes sortes de substances étranges. Moi, ça me donne des céphalées de plus en plus fortes, alors je vomis tout le temps. Finalement, l’autre jour Bachir m’a accompagné à l’infirmerie parce que ça n’amusait plus Mike de me voir penché au-dessus des toilettes.

    Amalia, l’infirmière hongroise, m’a donné des cachets pour calmer la douleur : je m’endors aussitôt et me réveille trois jours plus tard. Dans la pièce, l’odeur d’antiseptique et d’arnica me rappelle pourquoi je suis là. Le meuble gris métallisé et les classeurs alignés sur l’étagère au-dessus du bureau donnent une atmosphère particulière à ce lieu qui semble être un havre de paix face à ma cellule empestée de cannabis, chaussettes sales, excréments et after-shave bon marché.

    — Bonjour Frédéric, tu pouvoir retourner dans ta cellule aujourd’houi. Je t’ai donné médicaments trop forts, je crois. Tu dormir trop longtemps. Est-ce que tu vas bien maintenant ?

    C’est fou ce que j’aime la douce voix d’Amalia.

    — Mieux, je vais un peu mieux. Bachir n’est pas là ?

    — Lui est en repos, c’est Louc qui est de service.

    — Louc, ça rime avec plouc, dis-je en souriant.

    — Oui, Luuuuc prononça-t-elle en arrondissant bien ses lèvres tout en appuyant sur les lettres du prénom de ce crétin.

    Le maton le plus pervers du monde devait être ce petit blond au crâne rasé et aux dents trop blanches pour être les siennes. Les formateurs ne devaient pas savoir quoi en faire à sa sortie de stage… ils l’ont envoyé à Toulouse. Il est plus dangereux que nous tous réunis.

    — Où est Luc ?

    — Lui est allé foumer une cigarette, il croyait que tou dormirais encore longtemps.

    Amalia était une brune au sourire charmeur… Une de celles qu’on regarde en se disant qu’elle nous rappelle quelqu’un. Ce quelqu’un était Audrey Hepburn. Elle avait cette élégance naturelle que certains des prisonniers ne pouvaient s’empêcher de commenter avec leurs propres termes. Bombasse, bonasse, cochonne. En plus d’avoir un physique flatteur, elle était gentille et sentait bon. Parfois je l’imaginais s’habiller le matin, se coiffer et attraper le flacon de parfum de la main droite pour se vaporiser délicatement le cou et les cheveux de vanille - jasmin.

    — Je vais devoir retourner voir Mike ?

    — Tou n’as pas le choix. Louc arrive, il va t’emmener dans ta cellule.

    — Alors ? On a fait un gros dodo ma poule ? Allez, tafiole, je t’emmène rejoindre ta copine. Je crois que tu manques à Mike beugla le gardien en arrivant dans la pièce.

    Cet individu sans cervelle avait décidé que j’aimais les hommes et que mon voisin de cellule s’était amouraché de moi.

    — Je pense que Mike veut me tuer. Réellement. Je suis sérieux. Est-ce que vous me comprenez ?

    Louc le plouc m’entendait, mais rien ne semblait pouvoir franchir la barrière de son cerveau.

    — Qui aime bien châtie bien. Allez, avance.

    Il me disait ça comme s’il parlait du temps, ou du programme télé tout en me forçant à me relever.

    — Dans ce cas, il m’aime beaucoup Mike, il m’aime trop. Je vous assure…

    — Vos problèmes de couple ne me regardent pas dit-il en riant très fort pour que tout le monde l’entende.

    Mais c’était une prison et dans ces endroits, il n’y a pas plus sourd que celui qui n’entend pas, je crois que c’est comme ça qu’on dit ou autrement peut-être. Luc est un de ces êtres à la compréhension limitée, son crâne rasé et lustré sert de bouclier au bon sens. L’infirmière à la vanille voyant que j’étais en mauvaise posture s’avança alors vers lui avec ses yeux de biche et sa moue boudeuse.

    — Tou ne crois pas qu’il pourrait dormir encore un peu, il a l’air vraiment fatigué et c’est vrai que Mike ne l’aide pas. Mike loui veut dou mal.

    — Ce ne sont pas mes oignons, tu piges Amalia ? Et puis, tu es juste une petite soigneuse, compris ? Ce qui se passe hors de ton secteur ne te regarde pas.

    — Excouse-moi Louc, je ne parle pas bien le français… mais il me semble que les soigneurs sont ceux qui s’occupent des animaux.

    — C’est bien ce que je disais, fit-il en riant à gorge déployée.

    Il claqua la porte de l’infirmerie pour me faire avancer au pas comme un lieutenant de l’armée.

    — Une deux ! Une deux ! Plus vite, nom de Dieu !

    Dans la coursive menant à l’enfer, les autres détenus alertés par les cris regardaient le spectacle en sifflant.

    Plus mes pas résonnaient, plus Luc s’excitait.

    — C’est un bon petit soldat ça ! Mais oui mon vieux, on est un bon petit soldat ! Allez, continue, Une deux ! Une deux !

    Il me faisait passer devant ma cellule, puis me disait de m’arrêter.

    — Maintenant, tu vas me faire la même chose en marche arrière comme si tu marchais sur une corde. N’oublie pas, tu ne dois pas tomber !

    Dans ma tête, je priais pour qu’un autre surveillant arrive. Pourquoi n’y en avait-il pas un autre ? Il était occupé, il avait peut-être disparu, Luc l’avait sûrement tué.

    — Soldat Legras, m’entendez-vous ?

    Je l’entendais, mais je ne l’écoutais plus.

    — Soldat Legras, obéissez ! Je vous ordonne de marcher sur cette foutue corde en arrière, nom de Dieu !

    Les détenus riaient. Semblables à des singes en cage par temps d’orage, ils s’agitaient dans tous les sens et beuglaient des mots que je ne comprenais pas.

    — Legras ! Soldat Legras ! Si tu ne fais pas ce que je te dis, je te colle une branlée devant tes camarades.

    Il me menaçait avec sa matraque tel un chevalier affrontant un dragon cracheur de feu. Des images de ces livres de contes me revinrent à l’esprit, ces belles histoires que me lisait ma mère avant de mourir. Dans les fables, il y avait toujours un brave type de la catégorie prince très gentil en quête d’une damoiselle désespérée coincée dans une tour. Les chevaliers ne s’appelaient jamais Luc.

    Soudain, je la sentis sur mes mollets, encore… la matraque. La douleur remonta alors jusque dans mon cerveau, jusque dans mes souvenirs, jusqu’au soir où Maurice était mort. Comment en étions-nous arrivés là ?

    — Alors, t’as mal ? Legras, bouge ton cul saloperie. Relève-toi connard. Tu vas marcher comme je te l’ai dit maintenant, capito ?

    J’étais à genoux, les larmes coulaient sur mes joues. Il était dans mon dos à me hurler dessus. Je me relevai péniblement. Je me tenais droit face au mur opposé à ma cellule. Le calme était revenu, les prisonniers ne disaient rien. Il n’y avait que le silence derrière ces regards rivés sur nous.

    — Recule connard ! Allez !

    Je ne bougeais plus. Je m’opposais à ce jeu. Pourquoi faudrait-il que je m’amuse avec lui, il n’était pas sympa. Non, je ne voulais pas reculer sur une corde, pas même une corde imaginaire. Je souffrais de vertiges depuis tout petit, mais ça, il ne le savait pas.

    La matraque s’abattit à nouveau sur mes mollets. Je m’effondrai une fois de plus sur le sol usé par les pas de tous ces hommes enfermés.

    — Arrête tes conneries Luc ! Ça suffit ! Qu’est-ce que tu fous bon sang ? Laisse ce pauvre type tranquille ! ordonna Ramon-Pedro, le deuxième gardien qui revenait de sa pause en courant, alerté par les cris d’un des détenus.

    Luc était rouge de colère, les veines sur ses tempes prêtes à exploser. Dans ses yeux, une malveillance profonde et inexplicable. Je crois que c’est ce que j’y ai vu, je ne sais pas, mais je trouvais que ces mots sonnaient bien. Il lâcha sa matraque puis se tourna vers l’autre.

    — Il s’est mal comporté, il méritait une correction, je dois me faire respecter tu comprends ? marmonna Luc entre ses dents sans regarder l’autre.

    — Tu aurais dû m’appeler. C’est le protocole ! On en discutera plus tard. Va prendre ta pause, tu en as besoin. Je m’occupe de lui maintenant.

    Le deuxième gardien m’aidait à me relever pendant que les menottes dans mon dos ciselaient ma chair et forçaient sur mes épaules.

    Lorsque Luc passa la porte, Ramon me demanda si je me sentais bien.

    Je fis signe que ça allait tandis qu’il fermait la porte de ma cellule.

    L’odeur de crasse et de drogue envahit aussitôt mes narines, la vision de Mike regardant le télé-achat tout en se grattant les parties intimes me fit prendre conscience que l’enfer n’était rien à côté de ma vie dans cet endroit.

    Toulouse

    11 décembre 2000

    Cercle des anciens détenus anonymes

    Depuis que je suis sorti de prison, ma vie a beaucoup changé.

    La nuit, je travaille dans une usine de sushi. Je préfère bosser de nuit parce que je n’ai jamais eu le courage de demander à être de jour. Le patron ignore comment je m’appelle et même que j’existe.

    Exister, c’est quelque chose que je n’ai jamais su faire depuis que je suis né. Ma mère a accouché sous X, ça voulait dire ce que ça voulait dire. Elle ne m’a rien laissé, même pas un prénom. C’est la sage-femme qui me l’a choisi, elle m’a donné celui du fils qu’elle n’avait jamais eu. Je partais de cette façon dans la vie. Sans mère, sans père et avec le prénom de quelqu’un qui n’existait pas. Les dés étaient pipés avant même que j’aie poussé le premier cri. J’ai été adopté par un couple stérile. Les Legras. La femme était caissière et l’homme mécanicien. Ma mère passait beaucoup de temps au téléphone avec sa sœur à raconter des choses en fumant des cigarettes tout en levant les yeux au ciel. Lui passait beaucoup de temps avec Véronique Jacquard… la comptable qui s’occupait de sa petite entreprise. Un jour, ma mère, Jacquie Legras a surpris mon père David Legras en train de caresser les cheveux de Véronique. Suite à cet incident, ils ont beaucoup crié, pleuré, hurlé. Peu de temps après, le ventre de maman s’est mis à gonfler, c’est de cette façon qu’est arrivé Maurice, le deuxième garçon de la maison. Le miracle de la famille Legras disait papa. Longtemps j’ai cru que les bébés se faisaient de cette manière, en se criant dessus. Aussi, j’évitais tout conflit avec les individus du sexe opposé.

    Un jour de décembre, maman m’a demandé d’écrire une lettre au père Noël. J’ai fait ce qu’elle m’a dit. Elle a souri en découvrant ma liste de souhaits et m’a pris dans ses bras. C’est le dernier souvenir qu’il me reste de nous deux. Ces honnêtes gens décédèrent suite à un accident de la route un soir de réveillon de la Saint Sylvestre. Un chauffeur ivre les a percutés tandis qu’ils marchaient sur le trottoir pour rentrer à la maison. J’avais six ans. La sœur de maman, tante Sophie nous a recueillis Maurice et moi. Mais elle n’avait pas de place pour nous dans sa vie. Elle n’en avait déjà pas pour elle, alors la venue de deux enfants dans son foyer n’était pas chose facile. Son mari, l’oncle Philippe était un passionné de sport. Il aimait le foot, le rugby, le tennis, la boxe et la bière. Il rentrait de son travail et s’installait dans le fauteuil avec sa boisson favorite… Il l’aimait tellement qu’il pouvait en boire jusqu’à quinze cannettes par jour... « le sport, ça donne soif » était sa réplique préférée… Quand il avait eu un bon échauffement devant la télévision, il boxait tante Sophie. Il gagnait toujours, sauf une fois, le jour où il est mort parce que je l’ai tué. Notre pauvre tatie fut tellement malheureuse de perdre notre garde qu’elle quitta Toulouse pour s’installer à Perpignan avec un ami qui la consolait. Elle nous envoyait des cartes postales aux anniversaires et aux Noëls. Pour Maurice et moi, la famille d’accueil, c’était comme une vraie famille, sauf qu’il n’y avait pas un tonton qui buvait des bières ou une tante qui passait son temps à pleurer. Il y avait juste Gigi et Daniel avec leurs trois enfants déjà grands.

    Ils habitaient une immense maison très belle, faite de briques roses dans les vieux quartiers de Toulouse, pas loin de la Basilique Saint Sernin. Le matin, Gigi nous emmenait à l’école. Nous passions devant l’épicerie de Joaquim, ensuite nous nous arrêtions acheter le pain chez Valentine Dufour, boulangère depuis 1895. J’adorais l’odeur de pain chaud mélangée à celle des brioches et des croissants. Ça me rappelait un peu maman, un peu tatie et un peu toutes les boulangeries que je connaissais. Maurice tendait la main pour avoir un bout de baguette, il regardait Gigi, elle lui souriait en lui essuyant la morve du nez et lui donnait le quignon. Il était petit Maurice, alors il attirait les sourires et les baisers. La boulangère me regardait et finissait par me dire : « Et toi alors, tu ne veux rien ? ». Moi, je ne disais pas un mot car j’avais peur de dire quelque chose. Alors, elle me tendait un petit panier où il y avait des bonbons qui s’appelaient « violettes ». Je prenais la sucrerie et disais merci poliment. Dès que nous étions dehors, je me débrouillais pour la jeter dans un coin, ni vu ni connu. Gigi était toujours étonnée par la rapidité avec laquelle j’avalais la violette cristallisée. Je n’ai jamais eu le courage de lui dire que les fleurs, ça ne se mange pas. Avec ou sans sucre, ça ne se mange pas ! Après l’arrêt baguette, nous passions saluer Miguel le boucher et Lucien le bonhomme qui sert des cafés toute la journée. La balade des bonjours finie, nous longions le Canal du Midi pour nous arrêter à la garderie de Maurice, située juste à côté de l’école Bayard Matabiau où je me rendais depuis quelque temps. Arrivé en classe, il ne me tardait qu’une chose, le chemin du retour. Le canal me fascinait. Je m’imaginais voyager avec Maurice sur une péniche sur laquelle nous aurions pu vivre tous les deux. J’aurais pris assez de couches pour le changer pendant toute sa vie, et aussi des tas de mouchoirs pour lui essuyer la morve au nez. J’aurais été capitaine et lui moussaillon. Nous aurions pêché des poissons géants pour nous nourrir et aurions regardé les nuages en forme de ce qu’on voudrait toute la journée, couchés sur le pont. Les heures dans cette école étaient longues, certainement plus interminables qu’ailleurs. Et moi, je n’avais aucun ami « de toujours ». Il y avait bien Gwendoline Laginge qui était différente, ce qui la rendait intéressante et sympathique à mes yeux. Elle avait constamment un souci. Quand ce n’était pas son cartable oublié dans la voiture de son père, c’était le cahier mangé par le chien ou les cheveux collés avec du chewing-gum. Il lui arrivait tellement de choses que les élèves avaient fini par l’appeler Gwendoline Laguigne. Le soir, quand Gigi venait me récupérer, Gwendoline me faisait un petit signe de la main pour me dire au revoir et regardait aussitôt ses souliers. Je crois qu’elle m’aimait bien elle aussi.

    — Merci Fréderic pour ton récit. Quelqu’un d’autre souhaite parler ? proposa le grand type en me reprenant la clé de la parole.

    Alors qu’un petit chauve lève la main pour parler, je m’éclipse sans bruit pour me rapprocher du buffet à gourmandises. Aujourd’hui, un des anciens détenus a apporté un gâteau décoré avec des paillettes en sucre. Il brille sous la lumière comme la lampe magique d’un génie. Alors, je ferme les yeux très fort et fais un vœu. Peut-être qu’en croquant dans la pâtisserie, le génie l’exaucera. « Qu’il y ait un cake à la carotte la prochaine fois ». Ensuite j’entends Pavlov, le petit chauve à l’accent russe raconter sa vie, mais je ne l’écoute pas. Je le regarde en me demandant comment il avait pu perdre sa jambe et si quelqu’un l’avait retrouvée un jour. Là, je repars quelques années en arrière, quand Maurice et moi vivions dans la famille d’accueil.

    *

    Les années passaient et nous grandissions. On se détestait souvent, mais on s’aimait beaucoup quand même. On partageait la même chambre, on collectionnait tous les deux des crânes d’animaux morts, les plumes de pigeons aux reflets bleus qu’on trouvait dans les parcs, les trèfles à cinq feuilles, les pétales de Kellogs corn flakes aux formes étranges, les capsules de bières trouées, les trombones fluo, les photos de rois et de reines dont on ignorait les noms et les vieilles pompes d’unijambistes… On avait commencé cet amoncellement de godasses lorsqu’on avait compris pourquoi parfois on pouvait trouver une chaussure égarée sur le bord de la route. Personne n’aurait l’idée de se balader avec une seule sandale ou basket… C’est ainsi que nous est venue la théorie de l’unijambiste. C’était l’histoire du type amputé d’une jambe qui aurait décidé d’abandonner sa grolle devenue inutile. On imaginait l’homme partir en voiture et dire à sa chaussure : « Viens, papa t’emmène en balade ». Elle aurait frétillé du lacet toute contente, mais arrivés sur une aire de service de l’autoroute, ils se seraient arrêtés pour boire un café et faire pipi. L’homme, profitant d’un moment d’inattention du soulier, s’échapperait par la porte arrière de la station laissant la pauvre basket ou sandale… C’est ainsi qu’elle se retrouvait seule, triste, rejetée de tous. Nous compatissions car nous comprenions ce sentiment d’abandon et de rejet. Nous avions décidé de recueillir toutes ces pauvres pompes, de leur offrir un foyer, une seconde vie. Nous les classions par catégorie. Les droites, les gauches, celles à lacets ou celles à scratch. Nous rangions les godasses

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