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Cent mètres avant la nuit: Polar
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Cent mètres avant la nuit: Polar
Livre électronique224 pages3 heures

Cent mètres avant la nuit: Polar

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À propos de ce livre électronique

La demeure de la vieille Hortensia semble la proie de forces occultes...

Isolée au fin fond de la vallée de Munster, la demeure de la vieille Hortensia semble la proie de forces occultes. Une défunte se redresse sur son lit mortuaire, des objets s’autodétruisent, un insaisissable fantôme livre des bouquets en pleine nuit et, le jour, se téléporte d’un coin à l’autre du cimetière… Pire : à peine son forfait commis, un assassin se volatilise d’une chambre hermétiquement close. Si le petit-neveu d’Hortensia élucidera chacun de ces mystères, sa confrontation avec la maison ravivera des souvenirs refoulés. On peut expliquer l’impossible ; peut-on vaincre ses plus sombres démons ?

Découvrez un polar haletant où se mêlent mystère, effroi et investigations.

EXTRAIT

Quand j’ai reçu l’info, j’ai d’abord pensé que l’interpellation était en lien avec le meurtre de Victor. Apparemment non. L’homicide n’a, d’après Dylan, même pas été évoqué. Je l’observe pour la première fois dans des circonstances normales, sans relever de grande différence avec la nuit du 13 juin. Ses dehors un peu sauvages peinent à compenser une personnalité somme toute faible, redoutant les aspérités de la vie. Lorsqu’il parle, ses yeux envoient du vague, sa voix rend un son étouffé, comme si un rideau de gaze en effaçait le timbre. L’affaire ne le préoccupe pas ; elle est déjà trop lointaine pour qu’il se sente encore concerné. Ce qui le travaille, c’est sa récente rupture avec Juliette. Il me dépeint rapidement son parcours. Un CAP serrurier métallier raté pour un dixième, un apprentissage en boulangerie vite abandonné, enfin un emploi de plongeur à temps partiel et, je le devine, quelques petits trafics pour hydrater le portefeuille. Pourtant cette morosité reculait, craintive, éblouie par le rayonnement de sa belle. Mais il ne faut pas se fier à ce visage d’ange, me prévient-il ; on falsifie aisément les certificats de bonne conduite. À l’entendre, Juliette entrepose plusieurs chevaliers servants dans sa penderie, parmi lesquels des hommes mariés.

A PROPOS DE L'AUTEUR

Après des études de philosophie, Pierre-Yves Wurth a travaillé dans la formation et l’insertion. Vivant près de Mulhouse, il enseigne aujourd’hui le français et l’histoire-géographie à Colmar. Cent mètres avant la nuit est son deuxième roman.
LangueFrançais
ÉditeurEx Aequo
Date de sortie22 juin 2018
ISBN9782378730758
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    Aperçu du livre

    Cent mètres avant la nuit - Pierre-Yves Wurth

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    Table des matières

    Résumé

    Cent mètres avant la nuit

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    Résumé

    Isolée au fin fond de la vallée de Munster, la demeure de la vieille Hortensia semble la proie de forces occultes. Une défunte se redresse sur son lit mortuaire, des objets s’autodétruisent, un insaisissable fantôme livre des bouquets en pleine nuit et, le jour, se téléporte d’un coin à l’autre du cimetière… Pire : à peine son forfait commis, un assassin se volatilise d’une chambre hermétiquement close. Si le petit-neveu d’Hortensia élucidera chacun de ces mystères, sa confrontation avec la maison ravivera des souvenirs refoulés. On peut expliquer l’impossible ; peut-on vaincre ses plus sombres démons ?

    Après des études de philosophie, Pierre-Yves Wurth a travaillé dans la formation et l’insertion. Vivant près de Mulhouse, il enseigne aujourd’hui le français et l’histoire-géographie à Colmar. Cent mètres avant la nuit est son deuxième roman.

    Pierre-Yves Wurth

    Cent mètres avant la nuit

    Policier

    ISBN : 978-2-37873-075-8

    Collection Rouge : 2108-6273

    Dépôt légal : mai 2018

    © couverture Ex Aequo

    © 2018 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays.

    Toute modification interdite.

    Éditions Ex Aequo

    6 rue des Sybilles

    88370 Plombières les bains

    www.editions-exaequo.fr

    « Le sphinx est un de ces animaux créateurs d’angoisse où l’on peut aisément découvrir des traits manifestes de leur dérivation maternelle. Dans la légende d’Œdipe, le sphinx était envoyé par Héra qui haïssait Thèbes à cause de la naissance de Bacchus. Œdipe croyait avoir vaincu le sphinx descendant de la déesse maternelle en trouvant la solution d’une énigme d’une facilité enfantine : or, c’est précisément à partir de là qu’il fut en proie à l’inceste matriarcal, qu’il dut épouser sa mère Jocaste, puisque le trône et la main de la reine veuve appartenaient à celui qui aurait libéré le pays de la calamité du sphinx. Ainsi se produisirent les conséquences tragiques qui auraient été évitées si Œdipe ne s’était pas laissé terroriser par la dangereuse apparition du sphinx. Celui-ci est la personnification formelle de la mère terrible ou dévorante. Œdipe ignorait encore l’étonnement philosophique de Faust : Les mères ! Les mères, comme cela sonne étrangement ! Il ne savait pas que l’esprit de l’homme n’est jamais à la hauteur de l’énigme du sphinx. »

    C.G. Jung, Métamorphoses de l’âme et ses symboles

    1

    L’après-midi du 12 juin.

    — Je n’ai encore jamais vu de morte, lâche rêveusement Mélisande.

    Moi si, il y a longtemps. Il m’arrive même, le soir, de la retrouver vivante dans le livide éclat des reflets aquatiques.

    — Peut-être qu’elle va s’en sortir, reprend-elle. Comme dit mon père, on a parfois un pied coincé dans la tombe, et l’heure suivante on court les filles autour du cimetière.

    — J’en doute. Si ma grand-tante, après vingt-quatre années de mutisme, me réclame tout à coup à son chevet, c’est que les embruns des Enfers lui balaient déjà la frimousse.

    Mélisande me jette un de ses regards qui font si joliment écran à ses pensées, avant de remettre ses écouteurs et de poser les yeux sur des vallons souriants et ventrus.

    Les jours de tante Hortensia sont comptés, je n’en roule pas plus vite. Le cadre ne se prête d’ailleurs guère à l’urgence. De part et d’autre de la route se lèvent, paisibles et lents, les premiers massifs vosgiens, vêtus de pâturages et de forêts où se déclinent des verts somptueux que la lumière, à certaines heures, approfondit. Herbes et feuillages ondoient alors sous un frisson permanent de plaisir, qui fait se contorsionner en gloussant les sources chatouilleuses. Des rochers hasardent quelquefois leur tête grise et hiératique et, lorsque le soleil leur verse une teinte plus claire, on se demande si une dame blanche ne s’y est pas assise, dans l’attente inutile d’un soupirant dont elle rêve le visage à défaut de s’en souvenir. Les versants veillent ainsi sur la vallée réelle comme imaginaire, et puisque — les légendes l’attestent — ils sont des dragons endormis, leur sommeil n’est peuplé que de pensées heureuses.

    — Qui sera là ? questionne soudain Mélisande.

    — Ma cousine Olga, qui a dû insister pour que je vienne.

    — Parce que tu ne voulais pas ?

    — J’esquive l’invitation depuis quatre jours. J’ai prétexté notre week-end à Heidelberg pour ne pas venir aujourd’hui. Tu connais la suite : la pressante Olga me téléphone en plein déjeuner car l’aïeule semble aux portes du coma, si bien que j’écourte notre virée culturelle.

    Elle sourit :

    — L’Alsace, c’est presque l’Allemagne, non ?

    — Évite de claironner ça dans la région…

    Elle pose la main sur la mienne et la serre.

    — Et à part Olga ?

    — Il y aura son mari, Ambroise, et mon cousin Victor.

    — Vous êtes proches ?

    — Plus tellement. On se contente surtout de Facebook pour garder un semblant de contact.

    — Ils sont restés en relation avec votre grand-tante ?

    — Plus que moi, en tout cas.

    — Pourquoi tu ne la vois plus ?

    J’élude la question en lui racontant les visites que nous lui faisions, les œufs de Pâques que je cherchais dans son jardin, et, en été, cette semaine de vacances qu’invariablement je passais chez elle.

    — Tu l’aimais bien ?

    — Oui. Sous ses dehors de campagnarde un peu rude, elle était bienveillante et savait beaucoup de choses. Et puis, dans le coin, on prétendait que c’était une sorcière…

    — Pourquoi ça ?

    Je me dérobe à nouveau pour évoquer ce matin du mois d’août. Le vent avait soufflé très fort durant la nuit. Mon père est arrivé en voiture et s’est aussitôt entretenu avec Hortensia. Nous les entendions crier malgré la porte close. Je me souviens avoir demandé ce que « dégénérés » voulait dire. Puis mon père est sorti du salon et nous sommes partis. Nous n’avons jamais revu ma grand-tante.

    — Pour quelle raison ?

    — Encore aujourd’hui je l’ignore.

    Hortensia a depuis longtemps basculé hors de mon existence. Elle baigne, presque incertaine, dans la brume des figures qui n’appartiennent qu’à l’enfance. Alors pourquoi resurgit-elle au cœur de ma vie d’adulte ? Que brûle-t-elle de révéler, au moment de s’éteindre, à un garçon dont elle est sans nouvelles depuis vingt-quatre ans ?

    Nous traversons le dernier village. La route prend fin parmi des maisons moins typiques, plus ternes, barrée par une colline boisée. Des vestiges de machines agricoles rouillent parmi les fougères et les ronces. Un étranger remarquerait à peine le vilain chemin de terre qui s’efface entre les arbres. Je m’y engage et réponds en même temps à la mine incrédule de ma compagne :

    — Eh oui ! Tante Hortensia a dégoté le seul endroit laid de la vallée de Munster !

    Je progresse au milieu des troncs maigres et des buissons hirsutes, pendant qu’une brèche s’ouvre vers un passé enfoui. La maison — une solide bâtisse en torchis garnie de colombages — domine un jardin pentu inondé d’herbes hautes. Dire qu’à l’époque y régnaient un potager et des parterres de fleurs… En revanche, je reconnais aisément la moue dubitative de la façade, résultat d’une conjugaison biscornue entre l’alignement approximatif des fenêtres, celles plus hautes de l’étage, et les volets en bois sombre.

    Olga apparaît sur le seuil à l’instant où je coupe le moteur. Elle m’embrasse, salue cordialement Mélisande, puis m’annonce le décès d’Hortensia, survenu à l’instant.

    — À 17 h 10, précise brutalement Ambroise, comme si j’étais là pour rédiger un rapport. Olga et moi avons suivi tes exploits dans l’affaire de la petite Tiphaine. Très impressionnant ! conclut-il en me tendant la main.

    Ambroise n’est pas méchant, mais il devient vite insupportable. Il aime essentiellement deux choses : l’argent et lui-même. Il n’a d’ailleurs consenti à épouser ma cousine qu’après qu’elle lui eut démontré les avantages fiscaux du mariage. Qu’est-ce qu’une chic fille comme elle fabrique avec lui ? À croire que certaines femmes ont pour projet de se gâcher… Sans doute peut-on en dire autant de quelques hommes.

    — Je suis navrée d’avoir fait le forcing, s’excuse-t-elle, mais tante Hortensia tenait tellement à te revoir.

    Mon silence ne valant pas approbation, la cousine change rapidement de sujet.

    — Vous dormirez ici cette nuit, comme convenu tout à l’heure ? Au moins nous passerons un peu de temps ensemble.

    Je cède et confirme d’un hochement de tête.

    — Tu devrais néanmoins ramener Mélisande chez elle : Colmar n’est qu’à une grosse demi-heure, me conseille Ambroise sur un ton où perce un accent de moralité.

    Je lui explique diplomatiquement la situation. Olga vole à son secours, gênée :

    — Il te suggère cette solution, car aucune pièce n’est disponible, hormis la bibliothèque. Du coup, on l’a divisée en deux grâce à une cloison de fortune, et on y a installé vos lits. Si cela vous convient. J’avais d’abord proposé à Juliette de partager sa chambre avec ton amie, mais je la sentais réticente.

    — Juliette ?

    — L’aide à domicile de tante Hortensia depuis deux ans. Étant donné les circonstances, elle est restée aujourd’hui, bien qu’on soit dimanche. Elle s’est aménagé une chambre à l’étage ; elle l’a souvent occupée ces dernières semaines pour assister sa cliente. Elles s’entendaient très bien, malgré la grande différence d’âge. Elle a même converti notre brave tatie au téléphone portable !

    J’adopte une mine admirative même si la prouesse me laisse indifférent, puis je pénètre dans la maison et tourne aussitôt à droite. Hortensia repose dans son lit ; une sorte de bandage maintient sa bouche fermée. Je peine à reconnaître mon souvenir dans cette vieille dame de quatre-vingt-trois ans. Victor, le petit frère d’Olga, s’absorbe dans un dessin accroché au mur : un personnage assis à une table fixe le spectateur, le trait noir et puissant accentuant l’impression qu’on a d’être scruté. Une jeune femme — à peine au-delà de la vingtaine — entre dans la chambre et se présente :

    — Juliette Frichtig, j’accompagnais madame Muttermal.

    Elle est petite et mignonne ; pourtant on devine à son regard et sa voix fermes, comme à ses gestes nets, qu’elle a pour habitude de parvenir à ses fins.

    — Grégoire Helsinki, je réponds en lui serrant la main. Son petit-neveu.

    — Le journaliste. Elle m’a parlé de vous en début d’année, quand vous êtes passé à la télévision.

    Victor se retourne au son de ma voix et vient me saluer, avant d’interroger Juliette sur l’œuvre qu’il examinait :

    — Que savez-vous de ce portrait ?

    — Rien, fait-elle, surprise, en regardant le cadre en plastique argenté. Il était déjà là lors de ma première venue, Hortensia ne m’en a jamais parlé.

    Je quitte la pièce et monte nos affaires à l’étage. Mélisande me suit, impressionnée par la solennité ambiante. Elle recouvre la parole une fois dans notre dortoir, qu’une muraille de paravents défraîchis scinde en deux. Leur ajustement maladroit apporte une touche comique qui sied mal à l’événement. Son inspection achevée, elle désigne nos couchages presque à l’opposé l’un de l’autre.

    — Elle est sérieuse, ta cousine ? se plaint-elle. Pour un peu, elle m’aurait casée dans le couloir. Aide-moi à les rapprocher, on va lui montrer !

    Je coupe court à son initiative, même si elle me touche :

    — Laisse. On ne reste qu’une nuit ou deux, de toute façon.

    Je ne veux rien précipiter : j’ai encore besoin d’interroger et de recouper mes désirs avant de les mettre à la une. Or la maison d’une morte ne s’y prête guère. D’autant que je retrouve, après un quart de siècle, l’essence singulière de cette bibliothèque que j’aimais tant, jadis — une odeur de livres anciens, de poussière et d’étude, dont le mystère s’est toutefois affadi.

    Laurie-Lynn… Ces trois syllabes remontent à la surface, engourdies après une léthargie excessive. Il discerne une silhouette incapable de se matérialiser, s’épuisant à vouloir lui parler, alors même qu’elle n’a plus de voix. Cependant tous les personnages de son enfance se volatilisent telles des bulles qui éclatent, à l’approche de ce prénom — Laurie-Lynn — auquel il interdit pour le moment d’exister.

    L’installation bouclée, je redescends, seul. À la demande d’Olga, nous improvisons une veillée funèbre. Moins d’une heure que la défunte s’est envolée. Nous nous tenons debout, tous les quatre, alignés devant le lit. Ambroise affecte le recueillement, tandis que les yeux de Victor vagabondent à travers la pièce sans trouver à se poser. Deux bâtonnets d’encens parfument la chambre, qui bizarrement m’évoquent des rituels de l’ancienne Égypte. Les volets sont clos, la faible lumière se prolonge en une ombre placide. On se croirait entre les parois du sommeil.

    Soudain, sans aucun signe avant-coureur, tante Hortensia se redresse.

    2

    Le 12 juin, en lisière de soirée.

    Olga porte ses mains à sa bouche en poussant un petit cri ; Victor tombe dans les pommes ; je me fige, éberlué ; Ambroise manque de perdre sa mâchoire inférieure. C’est pourtant lui qui se reprend le plus vite. Il s’approche prudemment du lit, agite le bras tout autour du cadavre avant de palper le matelas.

    — Rien, conclut-il. Aucune ficelle, pas de mécanisme. Absolument rien.

    Ce constat tombe comme une réplique du choc initial. Il volète, hilare et ivre, en se cognant aux cloisons de mon crâne, sans qu’aucune hypothèse puisse le raisonner. Hortensia s’est redressée d’un coup, comme propulsée par un ressort, et reste maintenant assise sur son lit mortuaire. Ses paupières scellées nous fixent, et l’on dirait qu’elle va révéler d’une voix sépulcrale les turpitudes enterrées en chacun de nous. Le masque cireux sous lequel son visage a désormais sombré s’enfle d’une présence lointaine et puissante, accentuée par la raideur surnaturelle du corps.

    — Mais à quoi vous jouez ? s’indigne Juliette en entrant dans la chambre et en butant sur Victor, toujours évanoui.

    — Vous trouvez qu’on s’amuse ? rétorque Ambroise, pâle et un peu tremblant. Elle s’est relevée d’elle-même, sans l’intervention de personne.

    Depuis le couloir, Mélisande et son smartphone ne perdent rien de la scène. Je la rejoins discrètement et lui interdis avec fermeté de diffuser sur snapchat les péripéties post-mortem d’Hortensia. Je reviens dans la pièce en heurtant Victor à mon tour et me place à côté du lit. J’avance les mains jusqu’à dix centimètres de la défunte sans oser la toucher, comme si je redoutais une réaction violente. Tout le monde s’est tu et m’observe. Des mises au tombeau flottent derrière mes yeux. L’espace et le temps pendent à mes doigts — peut-être est-ce cela, la mort, cette confortable sensation de vide. J’y demeurerais volontiers, seulement ces regards m’obligent à l’action. J’agrippe une épaule, puis l’autre, et délicatement je recouche la vieille au bois dormant. Aussitôt Juliette et Olga raniment Victor, qui se relève — certes moins promptement que sa grand-tante —, puis l’accompagnent jusqu’à sa chambre, à l’étage. J’avais oublié à quel point il est émotif. Déjà enfant, il perdait facilement connaissance. Olga et moi en avions même fait un jeu, dont le but consistait à provoquer le plus d’évanouissements possible. Mené quatre défaillances à une, j’ai entamé une remontada spectaculaire en effrayant Victor deux fois en une demi-heure. Hélas, notre victime ayant porté réclamation auprès du juge arbitre, la grand-tante a sévèrement sifflé la fin du match. J’ignorais qu’il souffrait toujours de ce syndrome. Après la dispute entre mon père et Hortensia, je ne les voyais plus régulièrement. Aussi avais-je pensé que les fragilités de mon cousin s’en étaient allées avec son enfance craintive.

    — Victor se porte bien, déclare sa sœur en redescendant. Il récupère, mais j’ai tout de même prévenu le docteur Le Mézec, le généraliste de tante Hortensia — quelqu’un de très bien. C’est lui qui l’avait persuadée d’engager Juliette. Il m’a promis de passer.

    Elle s’approche de moi et me demande, les yeux emplis de gravité, en indiquant la chambre funèbre :

    — Tu avais déjà vu ça ?

    — Un mort qui se relève avant le Jugement dernier ? Jamais.

    — Il existe nécessairement une explication, lâche Ambroise sur le ton d’un consommateur insatisfait qui exigerait une réduction.

    J’en aurais peut-être une, en fin de compte, mais je veux d’abord la soumettre au médecin.

    — Qui sait, sourit ma cousine, si notre aïeule n’était pas réellement une sorcière ?

    Dans la minute, Mélisande me tire par la manche et m’emmène au salon.

    — Maintenant, m’intime-t-elle, tu m’éclaires sur cette histoire de sorcière.

    Elle se poste devant moi,

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