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La descente du Gange: Gangavataran
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La descente du Gange: Gangavataran
Livre électronique290 pages4 heures

La descente du Gange: Gangavataran

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À propos de ce livre électronique

Ascension des pentes menant aux sources du Gange et mystères...

Un groupe de pèlerins se livre à l'ascension des pentes qui mènent aux sources du Gange, lieu sacré entre tous. Ils font une découverte extraordinaire : les sommets du "toit du monde" n'ont plus de neige. Entre cet évènement surnaturel vécu comme une frustration et un viol étrange dont est victime une femme du groupe, se tisse tout un réseau d'hypothèses...

Découvrez l'intriguante aventure d'un groupe de pélerins qui, en route vers un lieu sacré, est confronté à un événement surnaturel sur les sommets du "toit du monde" et à un viol étrange.

EXTRAIT

DHROUBA — Attends, ne te mêle pas encore à notre conversation. Le moment viendra où je vous ouvrirai moi-même la porte. Non, le problème n’a sans doute pas été résolu, mais il y avait une question, un doute, et à présent nous avons la réponse, le doute a pris fin. Quelle question ? Quel doute ?
LOKENATH — Nous le savons, nous le savons ! Tu n’auras pas à le répéter. La question et le doute venaient du fait que tu étais le seul à avoir entendu pleurer ce jour-là à Gomukh et que tu étais le seul à en parler. Personne d’autre n’avait entendu. On a eu la preuve que tu avais raison.
DHROUBA — C’est tout ? Rien de plus ?
LOKENATH — Tu avais dit aussi que ce jour-là c’était Sounanda qui avait pleuré, faut-il le redire ? Cette deuxième affirmation vient d’être confirmée. Maintenant vous pouvez continuer tous les deux, nous n’interviendrons plus.
DHROUBA — Alors c’est vous qui avez éclaté en sanglots, ce jour-là aussi ? Et pourquoi donc ?
SOUNANDA — Pourquoi ? Pourquoi je me suis mise à pleurer ce jour-là ?
DHROUBA — Ou bien laissons de côté l’histoire de l’autre jour ; dites-moi d’abord pourquoi vous avez pleuré aujourd’hui ? Cette méthode vous facilitera peut-être les choses.
SOUNANDA — Victoire à notre père Kédarnath !
DHROUBA — Sounanda, allons, essayez avec moi. Tâchez qu’il sorte quelque chose de cette réunion : une vérité, un renseignement, un secret quelconque, n’importe quoi ! Allez, combien de sondes encore est-ce que je devrai lancer dans le noir ?
SOUNANDA — Victoire à notre père Badrinath !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Lokenath Bhattacharya (1927-2001) est un poète indien originaire du Bengale. Après des études à Vishva Bharati, l'université fondée par Rabindranath Tagore, puis à Calcutta, il a étudié à Paris. Auteur d'une trentaine de livres en Inde, il a également traduit des poètes français, comme Arthur Rimbaud, Henri Michaux, auquel il sera très lié, Michaux lui ouvrant les portes de plusieurs éditeurs français. Installé à Paris, il a épousé France Bhattacharya, qui, après un séjour de 22 ans en Inde, a enseigné la langue, la littérature et la culture du Bengale à l’Inalco.

France Bhattacharya, veuve du poète Lokenath Bhattacharya, a vécu 22 ans en Inde. Professeur émérite des universités, elle a enseigné la langue, ainsi que la littérature et la culture précoloniales du Bengale à l’Inalco jusqu’à sa retraite en 2001. Elle a publié plusieurs traductions d’auteurs bengalis anciens et modernes en français et des ouvrages pédagogiques. 

Charles Malamoud (né en 1929 en Moldavie) est un historien des religions, orientaliste et indianiste français. Arrivé en France en 1937, il a étudié les lettres classiques et le russe à la Sorbonne de 1951 à 1954. Il s’est formé au sanskrit et aux études indiennes à la Sorbonne et à l’École pratique des hautes études (EPHE). Membre de la Société de linguistique de Paris et de la Société asiatique depuis 1956 ainsi que du Centre d’études indiennes presque depuis sa fondation, il soutient sa thèse en 1979, à l'université de la Sorbonne Nouvelle-Paris 3. Il est directeur d’études honoraire des religions de l’Inde à l’EPHE.
LangueFrançais
Date de sortie13 sept. 2018
ISBN9782360571161
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    Aperçu du livre

    La descente du Gange - Lokenath Bhattacharya

    Title

    Une première édition de cet ouvrage a paru en 1993 chez Christian Bourgois. Il a ensuite été publié en bengali à Calcutta en 1998 (cf. p. 10).

    Couverture, carte, composition

    et mise en pages : Jean-Marc Eldin

    Photos de la couverture et de la page 326 :

    © Archives photographiques du musée Guimet

    En frontispice : photo Louis Monier

    © Langues & Mondes – L’Asiathèque,

    11 cité Véron, 75018 Paris, 2006

    www.asiatheque.com

    info@asiatheque.com

    ISBN : 9782360571161

    Avec le soutien du

    Ce que dit la bouche de la vache

    « Mon outil préféré est devenu le mot dénudé à l’extrême, gonflé de sens et d’une évidente clarté : une prose décapée, sans aucune rhétorique, un paysage taillé dans la caillasse, dur et accidenté. Depuis, j’y tiens comme à la prunelle de mes yeux. L’autre prunelle, c’est la forêt nocturne, mais pas l’horizon du matin. »

    C’est ainsi que le poète Lokenath Bhattacharya, virtuose de la forme brève, définit le style qu’il a conquis et dont il ne veut pas s’écarter, malgré toutes les sollicitations de sa culture indienne (Où vont les fleuves, Le Bois d’Orion, 1998, p. 17). Et c’est bien cette décision, pour autant qu’on puisse en juger par les traductions, qui explique la force de son lyrisme contenu et brusque.

    Dans la Descente du Gange se révèle une autre forme de son énergie créatrice : un prodigieux talent de conteur. La prose, ici, ample et animée de tempi contrastés, est au service d’un long récit tendu par un double suspens.

    Des voyageurs venus de Calcutta, à la fois touristes et pèlerins, entreprennent de remonter le Gange, la Gangâ, jusqu’à sa source. Arrivés au terme de leur ascension, à Gomukh, ils sont les témoins d’événements terrifiants qu’ils interprètent comme les symptômes d’une immense catastrophe. Ils se hâtent de redescendre vers le village du piémont himalayen d’où ils sont partis pour aller à Gangotrî et s’engager dans la haute vallée de la Gangâ. Il leur faut de toute urgence partager leur expérience avec les habitants de la plaine et les avertir du désastre inouï qui s’annonce. Quand ce malheur s’accomplira-t-il, et sous quelle forme ? Comment les événements vont-ils se succéder ? À ce suspens qui porte sur le contenu du récit qu’ils se préparent à faire, s’ajoute cette autre anxiété : les voyageurs auront-ils le temps de faire leur récit, et trouveront-ils les mots qui leur permettront de se faire comprendre ? Et tout d’abord arriveront-ils à se mettre d’accord entre eux pour un récit cohérent ? les souvenirs de chacun concordent-ils avec ceux des autres membres du groupe ?

    Tout au long du livre se déroule cette séance d’information et d’explication : les voyageurs ont convié les villageois à se réunir pour les entendre. Le public est plongé dans l’ombre. Les pèlerins, les orateurs, quant à eux, sont sur une estrade bien éclairée. Ils parlent : ils se parlent entre eux, se coupent la parole, s’invectivent. De temps en temps ils interpellent directement le public, qui ne réagit pas. Si bien que le récit a la structure d’une pièce de théâtre. Chaque mot est en fait proféré par l’un ou l’autre des personnages. L’intrigue, c’est la façon dont se modifient les relations entre les personnages engagés dans ce travail commun de remémoration : que s’est-il passé au juste, qu’avons-nous perçu, comment avons-nous élaboré nos souvenirs, nos émotions, dans un après-coup immédiat ? Sans doute, les personnages ne sont pas des acteurs, ils ne jouent pas de rôle et ce qu’ils disent, ce qu’ils tentent de dire n’est pas un texte rédigé à l’avance par un auteur qui serait différent d’eux-mêmes. La théâtralité de cette Descente du Gange est renforcée par les « coups de théâtre », les happenings, pourrait-on dire, qui impriment de brusques infléchissements au dialogue, et aussi par la fonction de « meneur de jeu » que prétend assurer un des voyageurs, qui n’est autre que Lokenath lui-même. À la différence du sûtradhâra du théâtre sanskrit, Lokenath ne se contente pas d’introduire la représentation avant de disparaître, il est constamment présent, à la fois comme partenaire, organisateur et commentateur de la discussion.

    Les voyageurs forment donc une troupe qui donne à cette autre troupe que sont les villageois réunis pour les entendre le spectacle de leurs efforts pour transformer en récit leurs expériences et pour en saisir la signification. Cette présence du « collectif » est une donnée essentielle ici mais inhabituelle dans l’œuvre de Lokenath : il écrit, on le sait, le plus souvent, à la première personne du singulier, à moins qu’il n’use d’un « il » qui n’est qu’une autre manière de se désigner soi-même, et le lieu qu’il se donne, c’est toujours la chambre, non la maison ni le village, mais une chambre posée dans un paysage vide, « sous le ciel » : il y attend la bien-aimée. Dans la Descente du Gange, au contraire, les individus sont avant tout des interlocuteurs les uns pour les autres, et leur effort commun vise à encourager, voire à contraindre chacun à produire au grand jour ce qui occupe sa pensée. Quant au public muet et invisible auquel il s’agit de communiquer la mauvaise nouvelle si diffcile à formuler et même à comprendre, il est la raison d’être, le destinataire ultime de cette mise en scène : son refus d’entrer dans le dialogue, de poser des questions et même de montrer qu’il perçoit en quelque manière les paroles qui lui sont adressées est un symptôme du malheur qui se prépare, qui est en fait déjà là.

    De quoi s’agit-il donc ? Quel est ce terrible message issu de la « bouche de la vache », de ce Gomukh d’où jaillit la Gangâ ? Rien de moins que l’annonce de la fin du monde. Quand ils sont parvenus à la source du fleuve, là où ils étaient certains, sur la foi de tant de récits, de tant d’images, de trouver des amoncellements de neige et de glace, conformément à ce que promet le nom même d’Himâlaya, ce qui se découvre à eux, ce sont des montagnes entièrement dénudées, noires, jaunes, calcinées, empoisonnées. Laideur terrifiante : la Gangâ elle-même est défigurée, et menace, n’étant plus retenue par son armure et sa parure de glace, de ravager de ses flots tout le pays qu’elle traverse et par là de bouleverser tout le système vital du monde. Les destructions déjà en cours ne tarderont pas, cela est sûr, à rendre toute vie impossible sur cette terre. Cette interprétation de ce qui leur a été donné à voir est renforcée par les rêves advenus à une femme qui fait partie du groupe des pèlerins : ils lui montrent que la fin du monde est annoncée et préfigurée par l’apparition de maladies répugnantes, des naissances monstrueuses, la venue d’une humanité incapable de parler. Aussitôt connus, ces rêves font naître les questions inévitables : quelle sorte de réalité les rêves révèlent-ils ? Et, puisqu’en même temps qu’elle raconte ses rêves cette femme confesse une impureté dont elle s’est rendue coupable dès la première halte dans la montagne, faut-il se contenter de l’idée que le cataclysme n’est qu’un dérèglement naturel de la nature, ou faut-il y voir les conséquences d’un dérèglement de la conduite des hommes ? C’est bien sûr cette seconde hypothèse qui est retenue, c’est elle qui semble faire sens. Mais, en ce cas, s’agit-il d’une culpabilité générale et diffuse, ou faut-il attribuer une effcacité décisive au manquement qu’on vient de découvrir ? C’est en tout cas ce dont cette femme est persuadée : elle est coupable, elle est donc la coupable. Tandis que ses compagnons, Lokenath le premier, s’efforcent de l’apaiser, puis se laissent peu à peu gagner par son délire, la nature multiplie ses menaces incompréhensibles, insaisissables. La mort s’approche et va s’emparer de ces parleurs : fin du monde, fin de la parole qui parlait de la fin du monde. Les questions dont débattent les pèlerins entre eux s’adressent aux villageois évanescents devant lesquels cette scène se joue ; elles mettent aussi en cause cet autre public que sont les lecteurs. La Gangâ offensée et saisie de fureur vengeresse est certes une métaphore, mais elle donne en même temps à connaître une réalité concrète qui implique, coupables ou victimes, tous les contemporains : exemple, parmi tant d’autres, des catastrophes que provoque l’exploitation forcenée des êtres et des choses par une humanité incapable de se figurer, de penser les conséquences de ses actes.

    Le meneur de jeu, Lokenath, a toutefois le temps et la sagesse de reconnaître dans la destruction qui se déchaîne le pralaya dont parle la mythologie des Purâna : les mondes, quand un cycle cosmique se termine, sont « résorbés ». Nul, parmi les vivants, ne survivra. Mais déjà, au-delà de ce moment d’anéantissement, se laisse percevoir ou deviner le moment de la re-création d’un autre monde, peuplé d’une autre humanité. Telle est la machinerie cyclique. Le tragique est déjoué, il se dilue dans le cosmique. Mais pour le savoir, ou plutôt pour adhérer à ce savoir et trouver consolante cette promesse, il faut avoir un regard sur « l’horizon du matin », suivre la pente des acquiescements communs, auxquels Lokenath le poète avait tenté de se refuser, et accepter de « descendre où vont les fleuves ».

    CHARLES MALAMOUD

    Biographie inspirée par la « Biobibliographie » établie par Marc Blanchet avec la collaboration de Lokenath Bhattacharya (in Lokenath Bhattacharya – l’autre rive, par Marc Blanchet, Paris, Jean-Michel Place / Poésie, 2001).

    Aux sources du Gange : l’auteur (à gauche, avec un béret) et ses compagnons.

    Lokenath Bhattacharya est, depuis Tagore, le poète bengali le plus traduit en français. Ses œuvres ont été publiées principalement par Fata Morgana, mais aussi par Le Rocher, Gallimard, Le Bois d’Orion, Christian Bourgois, Le Nyctalope, Les Éperonniers, La Part des anges. On trouvera une bibliographie exhaustive des titres parus en français dans Ragmala, les littératures en langues indiennes traduites en français, anthologie, ouvrage édité par Anne Castaing, Paris, Langues & Mondes – L’Asiathèque, 2005, p. 51-52.

    Quelques œuvres de Lokenath Bhattacharya autour du Gange

    Eaux troubles, du Gange à l’Aveyron, trad. France Bhattacharya, Fontfroide-le-Haut, Fata Morgana, 1995.

    Où vont les fleuves, trad. Luc Grand-Didier, Gérard Macé et l’auteur, suivi de Sur Lokenath Bhattacharya par Jean-Christophe Bailly, L’Isle-sur-la-Sorgue, le Bois d’Orion, 1998.

    Est-ce le chemin de Bhaironghât ? trad. Luc Grand-Didier, Gérard Macé et l’auteur, L’Isle-sur-la-Sorgue, Le Bois d’Orion, 2001.

    Quelques textes et documents sur Lokenath Bhattacharya

    « Gange – la déesse tombée du ciel », Courrier de l’Unesco, septembre 1983.

    « Lokenath Bhattacharya », par André Velter, Le Monde, 27 mars 2001.

    « Lokenath Bhattacharya / Fleuve, Autre rive / Orphée », Sorgue, n° 3, juin 2001.

    À quoi s’ajoute le livre de Marc Blanchet cité en début de biographie, p. 13.

    Voilà comment ça s’est passé…

    [Ces quelques notes de l’auteur ont été récemment retrouvées par France Bhattacharya. Nous les livrons ici telles quelles.]

    Voilà comment ça s’est passé, ce que j’ai vu, vision ou illusion, tout ce que vous voulez. Ici, vision est illusion, et illusion vision. Et trouver des mots pour exprimer cette expérience est un exercice aussi douloureux que la vie elle-même, la vraie vie de nous tous. Ce livre, du commencement à la fin, a été pour moi cet exercice étouffant, bouleversant, pour arriver à la parole, où toute réussite est une idée scandaleuse, presque obscène. Ce qui a compté uniquement, c’est l’essai, l’effort.

    La source du Gange, oui, haut lieu de pèlerinage pour un Indien à tel point que ce pèlerinage peut prendre la forme d’un autre pèlerinage qui est beaucoup plus profond et intérieur et qui s’identifie même à un voyage vers la source de soi, tant ce fleuve est important pour tout ce que l’esprit indien a toujours tenu pour vrai, essentiel et glorieux, dans un monde qui ne cesse de changer, qui est souvent laid, cruel, inacceptable, incompréhensible et sans gloire.

    Il y a quelques drames dans cette histoire. D’abord, pour commencer, il y a un drame terrible, cette catastrophe que découvrent les pèlerins en arrivant à Gomukh. Et aussi tout bascule pour eux, tous des gens ordinaires, issus d’un milieu strictement indien, dont l’esprit est éternellement empli de tous ces rêves, toutes ces croyances et tous ces mythes et mythologies, tout ce qu’ils ont entendu depuis leur enfance concernant l’Himalaya, et face à ce qu’ils regardent alors, ce spectacle, ce désastre, il est normal qu’ils [ne puissent] pas en croire leurs yeux, qu’ils se demandent si vraiment ils voient ce qu’ils sont en train de regarder. Cette vision qui leur coupe le souffle, est-ce la vérité, ou simplement une illusion ?

    Voilà la première question qui se pose. Et cette question entraîne plusieurs autres questions, toutes aussi terribles les unes que les autres, qu’ils ne peuvent pas s’empêcher de soulever. Qui en est responsable, quel homme, quelle femme, et cet homme ou cette femme a pu faire quoi, quel acte monstrueux, qui aurait pu engendrer un désastre aussi gigantesque ? Une question idiote, peut-être, mais étant des gens ordinaires, chassés, fouettés par leurs propres croyances, leur imagination, et surtout leur ignorance, ils se trouvent incapables de s’en libérer. Et c’est ainsi que cet événement extraordinaire, à la fois naturel et surnaturel, prend pour eux la signification d’un jugement et que la question d’une responsabilité humaine commence à y jouer un rôle prépondérant. C’est une logique absurde, mais une logique quand même, logique illogique, qui, suivant les règles qui ont guidé et gouverné l’évolution de l’esprit de l’homme depuis la nuit des temps, essaie d’établir un lien entre la cause et le fait. La logique qui est absolument logique, une raison suprême et infaillible, n’est pas tout dans la vie. Souvent, il y a une autre logique qui va contre le courant et prend dans la vie d’un homme un espace démesuré. Les illusions, les rêves, les cauchemars sont aussi réels, et parfois même plus réels que la réalité elle-même.

    Cette question de la responsabilité humaine, face au désastre qui se manifeste, se pose dans un moment précis de l’histoire. Et c’est à ce moment-là que le deuxième drame fait son entrée éclatant sur la scène, sous forme de cette femme violée, — elle est plutôt adultère que violée, […]

    – 2e drame : femme adultère

    – 3e drame : vision des collines Sivalik à Hindwar regard en arrière du siège du car

    – en arrière-plan : l’état d’urgence

    – fin de siècle où des bestialités humaines dépassent de loin toutes les atrocités imaginables

    – fin du Mahabharata, les cinq Pandava et Draupadi gagnent l’Himalaya qui tombe après quoi

    – dessèchement de la terre, cataclysme avant un nouveau commencement […]

    Au cours d’une conversation [avec les Di Dio (Le Soleil noir) N.d.E.], le propos de l’histoire de ce livre qui sortira un jour sous le titre la Descente du Gange vient en discussion. Dès lors, ces amis ne cessent de nous demander, à moi, et surtout à mon épouse, d’en préparer une version française. Mais comme je demeure insatisfait, l’affaire n’avance pas.

    Finalement, en 1992, dans une soirée chez eux à Paris, et en la présence d’un éditeur parisien, ils nous en parlent de nouveau et la proposition d’une traduction française du livre se concrétise. Mais en relisant le manuscrit bengali déjà publié dans une revue, je me trouve toujours aussi insatisfait. Alors j’ai dû me mettre à récrire la même histoire d’une autre manière. Et c’est cette nouvelle version, en traduction française, qui sortit à Paris en 1993 sous le titre la Descente du Gange.

    Quant au bengali original de cette nouvelle version, cela ne sort, comme un livre, de Calcutta qu’en 1998.

    À Nicole et François Di Dio

    Extrait du manuscrit définitif en bengali de « Gangavataran ».

    LES SOURCES DU GANGE

    I

    Il faut que je fasse les présentations, je le sais. Je vais les faire aussitôt que possible. Le temps manque un peu. Le vôtre comme le nôtre. Oui, oui, pas seulement le nôtre, le vôtre aussi, croyez-le ; les hommes sont tous à la fin de leur temps. Il ne reste qu’un peu de souffle, tant qu’il y en a.

    Non, ne me regardez pas ainsi, d’un air inquiet. J’ai déjà les extrémités glacées, alors si, en plus, vous me regardez avec surprise, je ne pourrai pas dire un seul mot. Vous savez, ce que je tente d’exprimer maintenant, depuis deux jours nous nous efforcions de le faire, d’un village à l’autre. Mais nous avions alors une énorme pierre qui nous écrasait la poitrine, et pas un mot n’a pu sortir de nos lèvres. Ce n’est qu’aujourd’hui, aujourd’hui seulement, que pour la première fois nous pouvons prononcer quelques mots, que la porte s’ouvre et que nous entendons le clapotement de l’eau. Le Gange coule, en contrebas : Victoire à notre mère Gange ! Coule, ô rivière, toi, donneuse de vie, génitrice ! N’arrête pas ton cours.

    Nous nous prosternons, tout d’abord, dans votre village ombragé, en cette heure du soir. Celui qui est au commencement, qui est à la fin, celui qui demeure dans cet univers qu’il a étendu, qui demeure dans l’eau, dans les plantes, celui qui est la mort, celui qui est l’immortalité, nous nous prosternons devant lui. La nuit qui tombe, celle dont le souffle vient encore frapper le nôtre, qu’elle soit notre aimée, qu’elle nous protège dans son étreinte douce de toute déperdition de force.

    Enfin, nous offrons notre salutation à ces auditeurs qui se sont assemblés ici et nous honorent de leur présence, et nous leur présentons nos excuses dès à présent pour les vagues de trouble et d’inquiétude que nos paroles vont déchaîner en leurs esprits. Nous joignons les mains en un salut, maintes et maintes fois.

    En cet instant, messieurs et mesdames, vous qui êtes assis en rangs sur le sol, membres de l’assistance qui avez déjà pris place, parmi vous quelques adolescentes curieuses, donnez-nous la permission de commencer notre récit. Autorisez-nous à nous adresser à vous directement, vous qui regardez, l’un après l’autre, nos visages effrayés, illuminés par la violente lueur des lampes à acétylène, et qui,

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