Le peintre et son modèle: Roman
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À propos de ce livre électronique
Un Minotaure erre dans le dédale de sa toile et tente de dire la difficulté d’être, le mal que l’on éprouve pour accéder à l’existence.
À pas furtifs et sur un autre mode, le modèle qui gravit les marches conduisant à l’appartement du peintre exprime le même trouble, mais sur un simple palier d’immeuble, palier improbable, chaque jour réinventé.
La trame paraît simple, mais les variations sont infinies, lancinantes et vertigineuses.
Sous l’eau étale des personnages éponymes rugit la déferlante de la création littéraire. Elle emporte dans ses rouleaux une intrigue qui tente en permanence de reprendre son souffle, qui cherche l’air et la dilatation des bronches.
Le style est symphonique et procède par mouvements sonores, la phrase se crispe, se dilate puis semble s’étendre à n’en plus finir, sinon au bord du vide, puis elle se contracte de nouveau.
À ce style fait de trilles et de volutes répond une construction polyphonique, ainsi conçue jusqu’aux limites du vertige.
Car le texte se creuse et, d’étage en étage, nous conduit vers le coeur nucléaire de l’acte fondateur. Un acte qui ne serait pas “inspiration”, mais travail, donc respiration.
Pierre Boudot (1981, Préface de “Le Peintre et son Modèle ” Extrait)
Tel est ce roman, immense par son sujet, écrit par Richardot dans un style halluciné d’où surgit, subtile et conquérante, évanescente et séductrice, l’androgyne silhouette botticellienne.
EXTRAIT
Se penchant par la fenêtre ; scrutant les cercles rouges apposés sur la toile, les habitant d’un vide intense ; soit encore, comme à l’instant, tombé au creux du fauteuil, caressant en esprit la foucade d’un jour allumer la pipe, déplacer les pièces sur l’échiquier, le Peintre attend le Modèle. Tournant le dos à la porte, il ne verra pas son entrée. Ayant sacrifié aux minces préliminaires édictés par leur tacite protocole, elle gagne sa place, s’y niche sobrement, d’emblée reprise par l’impératif de redonner à leur tête-à-tête son austère neutralité. Se réinstallent le mutisme, la prudence de l’air clos, docilement confondu au volume de la pièce.
Le Peintre se pénètre de la richesse de qui, déclinant ce beau processus de jeunesse, alternativement, avec une égale constance, angélise, érotise, dépersonnalise l’immobilité hiératique, statut d’élection que la jeune fille se sera prêtée à rencogner jusqu’à ce mimétisme microcosmique, cette présence apparemment passive, moins élémentaire qu’il y paraît, arrière-goût remâché du désir, de l’inspiration suprême, ou, à l’opposé, tubercule du renoncement, vignette collée sur la façade du néant comme sur une vitre à signaler.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Georges Richardot - Né à Epinal (Vosges), en l’an… (là, tout en bas du menu déroulant). De longue date a élu résidence à Vence (Alpes-Maritimes). Parrainé dans ses débuts
(roman, poésie) par Raymond Queneau.
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Aperçu du livre
Le peintre et son modèle - Georges Richardot
GEORGES RICHARDOT
LE PEINTRE ET SON MODELE 2
Livre finaliste du Prix Littéraire Indépendant 2016
PREFACE
Variations pour un Minotaure vaguant, dans l’attente crispée.
Dépenaillé, comme un vêtement, c’est-à-dire déchiré en plusieurs endroits, parfois mis en lambeaux, un Minotaure erre dans le dédale de sa toile et tente de dire la difficulté d’être, le mal que l’on éprouve pour accéder à l’existence. À pas furtifs et sur un autre mode, le modèle qui gravit les marches conduisant à l’appartement du peintre exprime le même trouble, mais sur un simple palier d’immeuble, palier improbable, chaque jour réinventé. « Il faut tant de conditions pour que se fasse la moindre chose, si peu pour que soit rompu tout équilibre. » Le pinceau est suspendu sur cette frontière ténue. Toute coupure avec autrui semble condamner à l’impuissance, qui revêt en la circonstance les oripeaux du doute, sous le costume défraîchi de l’abandon. Dans l’axe du ventre veule, le Peintre est immobile.
Comment l’artiste peut-il se dégager de cette gangue de silence figé et renouer avec le dynamisme de la création ? Car la vie tout à la fois fendille, craquelle et nous somme de colmater, de recoudre. Le néant est une tentation confortable, une soue moelleuse dans laquelle on s’enlise toujours plus longtemps, quotidiennement et à heures fixes qui vont se dilatant. Le temps dès lors se fait mortifère et un coup de talon s’impose : « Sois n’importe qui, n’importe quoi : soleil, arbre, un homme, le loup ! Deviens Satan, un couteau, l’épieu, onguent, bourreau, brasier, torrent ! Tout sauf me laisser avec ma vacuité, mon vertige ! »
L’énergie d’être se doit dès lors de trouver une voie. Pour Georges Richardot cela revient à réinventer les modes de narration. Le sujet semble annoncé de toute évidence dans le titre et il pourrait bien se limiter au sempiternel jeu qui se noue entre un homme et une femme, fût-ce avec un prétexte artistique. Il n’est d’ailleurs pas d’autres personnages en ce récit que les deux annoncés dans le titre. Mais, on le sait bien, rien n’est plus complexe que ce qui s’annonce aisément. La trame paraît simple, mais les variations sont infinies, lancinantes et vertigineuses. Sous l’eau étale des personnages éponymes rugit la déferlante de la création littéraire. Elle emporte dans ses rouleaux une intrigue qui tente en permanence de reprendre son souffle, qui cherche l’air et la dilatation des bronches. Un peintre attend son modèle, mais il ignore le traitement musical qui va s’emparer de son attente. Les phrases sont malaxées comme notes sur une portée, et la narration s’en trouve aussitôt modifiée : « Singulière outrance : elle ne subsiste que par la persévérance qu’il investit à la créer dans son regard, à partir d’un détail qui de jour en jour aura été l’inflexion d’un bras, la lisière de la nuque, ou d’autres, aussi banals ; simplement pour s’aider par de la matière à rêver une chair, une vie, échos contrastés de son immobilité et de son mutisme, miroir femelle, comme, à en croire les on-dit, tous les miroirs ! » La rencontre devient alors mystère. Que se produit-il quand l’un scrute l’autre, quand l’une épie l’autre ? Et que les échanges sont dits de la sorte ?
La quête de soi passe par la captation de l’autre, avec un double risque qui se met en place pour nous perdre, la déification et la réification. Puis-je exister sans l’autre, puis-je être sans réduire l’autre à mon regard prédateur ? Sans le (la) considérer comme venu(e) des cieux ? Le roman devient alors un jeu d’aller-retours, d’attentes crispées, d’attentes les doigts crispés sur le fauteuil, les yeux s’enlisant dans les formes creusées du canapé, formes en espérances tendues. Le style est symphonique et procède par mouvements sonores, la phrase se crispe, se dilate puis semble s’étendre à n’en plus finir, sinon au bord du vide, puis elle se contracte de nouveau. Non par jeu littéraire, mais pour tenter de saisir la complexité des grands-fonds, là où l’on jette des filets avec appréhension.
À ce style fait de trilles et de volutes répond une construction polyphonique, ainsi conçue jusqu’aux limites du vertige. Les points de vue alternent, notamment dans le Modèle
. La rotation multiplie les regards et relativise les approches. Les personnages n’accèdent jamais à un statut nominal, ils sont il
et elle
, et la caméra jouit de ses mouvements alternés. Internes/Externes/Peintre/Modèle : n’en doutons pas, elle nous livre la complexité de l’existence, de la (con)quête de soi par l’altérité. Et par la création. Car le texte se creuse et, d’étage en étage, nous conduit vers le coeur nucléaire de l’acte fondateur. Un acte qui ne serait pas inspiration
, mais travail, donc respiration. Haletante, certes, asthmatique parfois, entravée souvent, mais confrontation corporelle essentielle pour exister.
De même l’écriture est une confrontation physique avec les mots. Pour exister. Le roman se nourrit ainsi de sa propre problématique pour effleurer ce qui pourrait être le bonheur d’écrire et, par-delà, la joie d’être. Et d’accepter. « Insoucieuse du matin replet jouant des coudes entre les nuages, le Modèle est prête à accueillir le bel imposteur venant la peindre. »
Yves Ughes
Poète-essayiste
LE MODÈLE
Du creux de son fauteuil, le Peintre scrute le Modèle. À coulées d’yeux mi-clos, la demoiselle se désennuie à semer aux quatre vents la chevelure emmêlée, le front plissé, les lèvres serrées, le regard évoquant un paysage d’hiver à la Breughel, interdit de silhouettes temporelles.
L’annonce, relevée dans un magasin, prêtait à interprétation. Il vint lui ouvrir, révélant l’atelier : des toiles retournées, une autre, vierge, au mur.
Cherchant ses mots, il lui indiqua que, bien qu’il fût peintre, il se pouvait qu’il ne donnât pas le sentiment de pratiquer. À certain stade de sa réflexion, il avait besoin d’une coopération étroitement circonscrite, la finalisation picturale ne constituant pas en elle-même un objectif, ni forcément le médium le plus approprié. Si elle le voulait, ils pouvaient commencer.
– Dois-je retirer des vêtements ?
– La veste.
***
Elle prit place ; il tira son fauteuil à quelque deux mètres, disposa à portée de main un attirail de fumeur de pipe, un jeu d’échecs. Ils n’useraient de paroles qu’à l’entrée et au départ du Modèle. Entretemps, en son for intérieur cette dernière s’était rangée à dévider un monologue discontinu, non sans la conscience que ses divagations ne manquaient pas d’entraîner sur son visage des reflets d’expressions qu’il arrivait à son vis-à-vis de déchiffrer ; il s’ingéniait à en briser le cours, se levant, disparaissant dans la cuisine où il se faisait entendre remuant à vide des ustensiles.
D’où venait son plaisir ambigu, confinant à l’envoûtement : le silence, l’opacité de son hôte ? Du matériel de peinture émanait une odeur entêtante. En arrière-plan, à coup sûr n’était pas absent, en version passablement alambiquée, le sempiternel jeu homme-femme.
Elle s’habitua à lui offrir son apparence corporelle sans qu’il parût convoiter davantage. Les après-midi s’écoulaient jusqu’à cette phase critique où la pénombre commençait à emplir la pièce, tout à la fois les éloignant et les réunissant, l’affirmant, lui, en l’épaississant, accentuant son mutisme taraudé par le grésillement, que l’on pourra présumer extrapolé, de la pipe. Dans une sorte d’apnée mentale le Modèle déviait la force de l’abstinence vers son tréfonds, comme en une caresse obsessionnellement attendue.
Elle méditait la coïncidence qu’il mît fin aux séances – Il se levait, donnait l’éclairage. Libérant sa souplesse captive elle s’étirait. – juste quand à ses propres yeux elles avaient atteint leur meilleure durée.
***
Rendu à la solitude, le Peintre enchaînera des gestes bientôt annexés par l’habitude : ouvrir la fenêtre, retendre le tissu du canapé. Puisant dans les provisions qu’elle a déposées, il improvise une dînette, dont il s’acquittera, un livre devant lui, prolongeant cette halte dans le flux des pensées.
Il ne peint pas, sauf par amples parenthèses, projetant sur une toile des cercles rouges, concentriques ou s’entrecroisant, l’acte n’ayant d’autre portée que de donner un support à la physiologie mentale jusqu’à ce que la froide abstraction encline à phagocyter le réel ait réimposé son nihilisme. La nuit, de surcroît, il se prend à crayonner des séquences d’un monde fantastique où humains, animaux, architectures, végétations se confondent en une mêlée sauvage dans le désert laissé par une rupture des cycles : domaine souterrain, impropre à la lumière du jour. S’il avait peint, dans l’acception coutumière du terme, ce n’eût pu être qu’un visage, au risque de le figer sans légitimité assurée.
Il éteignit. Le cernèrent les ténèbres, horde disciplinée débuchant des meubles, des livres, des vêtements en vrac sur une chaise ; apaisantes d’une conjonction, même ténue, d’odeurs, fussent-elles ordinaires. Sous