Les Femmes nous parlent: Écoutons-les…
Par Collectif
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À propos de ce livre électronique
Une cinquantaine de femmes de tous horizons et de dix pays nous parlent de cette différence.
Les textes reçus sont explicites du décalage de plus en plus grand au sein de notre société. L’actualité confirme chaque semaine le recul insupportable en la matière.
Ce recueil de nouvelles est donc très réussi. Il est fort, plein de courage, de cris, de beauté, et surtout toujours très touchant.
Tous ces textes représentent la vision d’un monde au féminin pluriel : des petits bouts de vies, des chuchotements, des cris, quand notre simple silence fait mal…
EXTRAIT
Chère Olympe,
Je suis navrée de t'apprendre que malheureusement, aujourd'hui encore, les femmes doivent se battre chaque jour pour leur liberté.
Certes, des avancées certaines ont vu le jour, comme le droit de vote par exemple. Mais il aura fallu attendre cent cinquante-trois ans après toi, pour l'obtenir ! Ma pauvre Olympe, tu dois te retourner dans ta tombe, toi féministe notoire, en voyant le temps nécessaire à l'acceptation de notre individualité !
Il est vrai que dans cette société patriarcale, tout tourne autour du Dieu « Phallus ». Même la grammaire, lui donne la priorité : le masculin l'emporte toujours sur le féminin ! Nous travaillons souvent pour un salaire inférieur à celui de ces messieurs. Rien n'est juste... Il faut dire que la politique a longtemps été faite par l'homme, pour l'homme. C'est seulement depuis quelques années que nous pénétrons dans ce péricycle très fermé et pouvons faire entendre notre voix. Aussi, de grands noms émergèrent. Je vais te présenter plusieurs de ces dames exceptionnelles qui resteront à jamais dans l'histoire. Simone a révolutionné nos vies sexuelles et nous a offert l'avortement. Mais je serai injuste de ne pas citer Françoise, secrétaire d'État à la condition féminine, ou encore Yvette, ministre déléguée de nos droits. Sans oublier Marguerite, qui foula en pionnière le sol de l'Académie Française, et Édith Première ministre de sexe féminin.
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Aperçu du livre
Les Femmes nous parlent - Collectif
Préface :
Oui, les femmes nous parlent.
Et ce recueil ouvre grand la porte aux chuchotements, aux cris, aux paroles des femmes. Il recèle des rêves, des souvenirs, des quêtes, des luttes, des envolées et parfois des cauchemars. Ces instantanés de vie nous font voyager au travers des milieux sociaux, des pays, des époques, des ambiances, au détour des couloirs feutrés d'une entreprise ou dans l’intimité d'une famille. Sans fard ni complaisance.
Les femmes nous parlent. Leurs mots sont forts. Le ton qu'elles empruntent, dans ces nouvelles que vous vous apprêtez à découvrir, est tour à tour serein, virulent, apaisé, enfiévré ... parfois cru, et toujours criant de vérité.
Le premier sentiment d'injustice se manifeste parfois dès la naissance. « Elle n'est pas l'héritier mâle tant attendu » (dans Tu seras un homme, ma fille) et se consolide pendant l'enfance. Un « duel idéologique » oppose la petite Feza, revendiquant son droit à l'éducation, à son oncle, qui le lui conteste, dans Une leçon à l'oncle Banza. Comme un triste écho, un personnage se questionne dans Désillusion : « Est-il bien utile que les filles aillent à l’école ? »
Certains des témoignages qui suivent abordent la vie professionnelle : la narratrice est « frustrée de constater certaines inégalités » selon le doux euphémisme utilisé dans Un tableau très rouge. Les « pensées discriminantes » sont dénoncées par l’auteure de Quelques culottes et strings au milieu des caleçons, qui les détaille et attire notre attention sur nos propres idées préconçues.
« D’autres combats que celui de la séduction sont à mener » estime l’auteure du Ruban bleu.
Quant à la Barbie vendeuse bafouée par son patron, elle « semble bien démunie » ; elle croise heureusement une vieille dame malicieuse qui l’aide à réagir, mais combien de femmes n’ont d’autre choix que de subir ? « Les mots se bousculaient dans mon esprit : indemnités, préavis, négocier, ne pas pleurer, ne surtout pas pleurer, tête haute, tête haute. » s’enjoint la narratrice de L’Équilibre. Dans Loyaux sévices, la narratrice évoque « la longue liste de servitudes » auxquels elle s’est prêtée durant quinze ans au sein de son entreprise, et avoue s’être « souvent sentie oppressée par la culpabilité ».
Un simple mot ! nous propose de résister : « Juste un mot. Un tout petit mot. Un simple petit mot. […] Un minuscule palindrome. NON ! »
« Apprendre à dire non » nous confirme Question d’éducation, encourageant les femmes à « tenir debout sans haine et sans crainte ».
« Il y a une recrudescence des idées obscurantistes et réactionnaires [dans nos sociétés arabo-musulmanes] : les Tunisiennes luttent aujourd’hui pour préserver des acquis et non plus pour obtenir d’autres droits. Et malheureusement, parmi leurs adversaires les plus virulents, il y a beaucoup de femmes qui luttent pour leur propre aliénation » analyse l’auteure de Vive la liberté, estimant que « la lutte n’est pas terminée » et entrant ainsi en résonance avec Une journée de rêves qui proclame : « Longue sera la lutte ».
Ainsi que nous le rappelle la nouvelle intitulée Monsieur, Madame, Mademoiselle, le texte fondateur du féminisme est la Déclaration des droits de la Femme et de la Citoyenne, publiée en 1791 par Olympe de Gouges, s’estimant « oubliée de la Révolution ». L’auteure de Lettre à Olympe imagine ce que Marianne dirait aujourd’hui, plus de deux siècles après ce texte, à cette pionnière du féminisme.
Et depuis ?
« Le présent est moins rose qu’elles l’avaient imaginé, et le futur se teinte de rouge parfois ; du rouge de la colère […] » remarque Lettre ouverte à mes hommes et tous les autres.
« Toutes ces questions tournoyaient dans ma tête comme des vautours autour de leur proie » indique Warda.
« L’éducation étriquée, les préjugés, ont excusé l’homme et toutes ses dérives » explique Ludivine, la dernière sorcière.
« L'égalité sociale des femmes reste encore un lointain objectif. » observe sobrement l'auteure d’Aimer sans mesure, tout en souhaitant « trouver la force de briser l'obéissance à un code millénaire. »
Deux nouvelles nous offrent une énumération apparemment paisible des tâches qui incombent à une femme un jour (Cauchemar féminin) ou un soir habituel (Une soirée en famille) et illustrent parfaitement les renoncements auxquels sont confrontées les femmes. Le titre de Femme, femmes, femme, une histoire tellement ordinaire est à cet égard lui aussi très explicite. Dans Femme et marrie à la fois, Marine semble s’effacer pour laisser davantage de place à Pierre, et « prend soin de ne pas interrompre » son mari volubile.
La narratrice de Chrysalide, dont « les ambitions [ont été] mises entre parenthèses » ressent un « incommensurable vide intérieur » et va activer un « mode de survie », pour gagner le « droit de s’affranchir » et ne pas « passer à côté de sa destinée ». De même, dans La Chance d’être « nous », l’auteure revendique fort légitimement « le droit d’être moi ».
Dans Droit péjoratif, la narratrice s’exclame : « Joli, ce mot, DROIT ! Il est très utilisé par l’homme violent ». Elle a réalisé s’être trouvée, face à cet « homme violent », comme « un miroir où il voyait sa conscience ».
Dans Question de chance, l’auteure se sent « assignée à résidence dans un rôle imposé » et se perçoit, un temps, comme « enlisée […] à rêver au lieu de hurler », tandis que la narratrice de Coup de sang se sent « ballottée d’espoirs géants en désillusions ».
Les femmes nous parlent, et le cheminement vers l’égalité est difficile : « Il y a des réussites qui sont au-dessus de nos forces » note-t-on encore dans L’Équilibre.
Au-delà de la dimension littéraire révélée par les textes de nos auteures (inconnues), ce qui frappe est la fâcheuse récurrence de termes témoignant de la souffrance, de l’isolement et des désillusions des femmes, et du triste pendant symbolisé par la domination patriarcale, l’injustice, les inégalités…
« Statistiquement je ne suis pas la seule » reconnaît d’emblée la jeune fille venue pour une IVG dans Juste une statistique. « Ça sent la maladie, ça sent l’obsession hygiéniste, ça sent la douleur. »
Le thème se resserre parfois autour de l'enfer vécu par des femmes confrontées au harcèlement, dans le métro (avec Une Robe d’été), au travail (avec Période d’essai, où « des gestes indécents » font que la narratrice se sent « sale, ou plutôt salie ») ou carrément à la violence masculine.
Ainsi dans Salope, l’auteure se retrouve face à un « petit homme impuissant qui veut posséder, dominer » et voit son propre « horizon soudain rétréci […] à cet homme, […], à son objectif ».
« Je me traîne avec le poids de mon silence qui me voûte les épaules. » écrit l'auteure de Question de chance. « L'égalité annoncée au frontispice des écoles, entre liberté et fraternité, piétinée, morte broyée. »
Il est question de « détresses additionnées » et de « solitudes cloisonnées », d'une « vie à demi » dans Le poids de la poussière accumulée. L'auteure, qui va néanmoins « fouler au pied les convenances », nous raconte comment, « en dépit de [sa] famille, [son] sexe et [son] milieu » elle est devenue avocat. Précisons qu'ici, cette femme aura bénéficié de l'indéfectible soutien d'un homme qui accompagna le combat des femmes.
« Le destin est fait pour être bousculé » nous encourage La Squaw.
« Que justice soit faite » renchérit La Gazelle aux abois.
Les femmes nous parlent, et l’espoir est là.
D’abord parce que nos auteures ne manquent pas d’humour. Avec Coup de torchon, vous trouverez par exemple un panorama de « phrases du passé » auxquelles l’auteure oppose des répliques savoureuses. Être une femme réincarne un homme en femme, pour qui, dès lors, s’esquisse une revanche. D’étonnants retournements de situation nous sont aussi offerts à travers Une journée de rêves et Dans dix jours, Monsieur accouche.
« Dans la plaine centrale de Mongolie […], par moi, ici et maintenant, commencera l’égalité des sexes » nous promet enfin La Surprise.
Et puis, tous les parcours de ces femmes illustrent leurs capacités à saisir, parfois audacieusement, les opportunités de survie, à rebondir, à surmonter, bref à faire preuve de résilience.
Les femmes nous parlent.
Et ne se tairont plus.
Un éditeur a initié ce projet. Un homme, donc, permettez-moi de le souligner ici et de saluer Jacques Barbieaux, le fondateur de Phénix d'Azur, qui prouve chaque jour son ouverture aux autres et m’a élégamment cédé sa place et l’honneur de rédiger cette préface.
Céline Farro-Quiles
Nous remercions vivement toutes les auteures des nouvelles qui composent ce recueil et nous prions celles dont le titre n’a pas été cité dans cette introduction de bien vouloir nous en excuser. Bonne découverte aux lecteurs !
Remarque : les textes sont dans l’ordre alphabétique par auteur
Lettre à Olympe
Chère Olympe,
Je suis navrée de t'apprendre que malheureusement, aujourd'hui encore, les femmes doivent se battre chaque jour pour leur liberté.
Certes, des avancées certaines ont vu le jour, comme le droit de vote par exemple. Mais il aura fallu attendre cent cinquante-trois ans après toi, pour l'obtenir ! Ma pauvre Olympe, tu dois te retourner dans ta tombe, toi féministe notoire, en voyant le temps nécessaire à l'acceptation de notre individualité !
Il est vrai que dans cette société patriarcale, tout tourne autour du Dieu « Phallus ». Même la grammaire, lui donne la priorité : le masculin l'emporte toujours sur le féminin ! Nous travaillons souvent pour un salaire inférieur à celui de ces messieurs. Rien n'est juste... Il faut dire que la politique a longtemps été faite par l'homme, pour l'homme. C'est seulement depuis quelques années que nous pénétrons dans ce péricycle très fermé et pouvons faire entendre notre voix. Aussi, de grands noms émergèrent. Je vais te présenter plusieurs de ces dames exceptionnelles qui resteront à jamais dans l'histoire. Simone a révolutionné nos vies sexuelles et nous a offert l'avortement. Mais je serai injuste de ne pas citer Françoise, secrétaire d'État à la condition féminine, ou encore Yvette, ministre déléguée de nos droits. Sans oublier Marguerite, qui foula en pionnière le sol de l'Académie Française, et Édith Première ministre de sexe féminin.
Cela te fait plaisir, Olympe, de découvrir leurs doux noms ? J'en oublie, qu'elles me pardonnent !
Toutefois, beaucoup de travail reste à venir. Il va falloir poursuivre la lutte afin de conserver nos acquis. Comme tu peux le constater, rien n'est terminé. Mais parfois, je me surprends à rêver. Et si le changement des mentalités masculines découlait des progrès de la science ?
Oui, je nage en pleine fiction. Mais pourquoi pas ! Imagine l'homme portant un jour un enfant ! Sentant la vie naître en lui ! Accouchant d'un nouvel être et se découvrant un instinct maternel ? Peut-être alors découvrirait-il toute la part de féminité qui existe en lui et mettrait-il au repos son esprit guerrier ?
En attendant ce jour, je salue ton audace, ma chère Olympe, toi qui as osé écrire ces mots si actuels :
« La femme naît libre et demeure égale à l'homme en droits. »
Je souhaite que cette phrase prenne enfin tout son sens.
Reçois mes meilleures pensées féminines.
Marianne
Agnès Ancel
Orléans - France
Aimer sans mesure
Il y a longtemps, j’ai enseigné à Alger, à la Faculté d’architecture.
J’ai connu une jeune fille fraîchement diplômée, qui avait entamé une relation par correspondance avec un peintre espagnol. Entre les deux une sympathie était née, ils avaient écrit des lettres, puis échangé leur photo, ils s’étaient rencontrés pendant des vacances, ils étaient enfin arrivés à s’aimer. Le peintre venait voir sa jeune amoureuse dès qu’il pouvait. Elle appartenait à une des familles les plus en vue d’Alger et nourrissait une grande crainte de ses parents, parce qu’elle savait très bien qu’ils n’auraient jamais accepté sa relation ou son mariage avec un étranger. L’égalité sociale des femmes reste encore un objectif lointain. Le mariage d’une Algérienne avec un homme étranger n’a aucune validité juridique et - pour obtenir un passeport - une femme doit se soumettre à la garantie de la signature d’un homme de la famille, son responsable
.
Une histoire courait en ce moment sur les lèvres de tout le monde et avait également été publiée dans la presse internationale. Une jeune Algérienne avait épousé un copain européen, malgré l’opposition de sa famille. Ses frères l’avaient longtemps persécutée et l’avaient enlevée à plusieurs reprises, en France, en Belgique et enfin au Canada, où le couple s’était réfugié sous un faux nom. Rapatriée sur un avion privé, avec l’aide des services secrets, la jeune fille avait été forcée d’épouser un autre homme, à qui la famille l’avait promise, depuis son enfance.
Revenons à mes souvenirs. La jeune architecte s’inscrit à un cours de spécialisation. Ainsi, chaque jour, le chauffeur de la famille l’accompagnait à la faculté, qui se trouve à la périphérie est de la ville. Là, le peintre amoureux l’attendait, quand il venait en Algérie pour elle. En taxi, ou par d’autres moyens, ils s’en allaient vivre les moments de leur romance. Puis elle rentrait à l’université, où le chauffeur était venu la chercher pour la ramener à la maison. Le peintre avait loué une chambre dans une pension au centre-ville, en face de la maison de sa bien-aimée, pour pouvoir lui adresser ses adieux de la bonne nuit. Elle le regardait derrière les volets mi-clos de la fenêtre, et une lampe allumée lui permettait de l’entrevoir dans la lumière. La meilleure amie de la jeune fille était une étudiante qui assistait à mes cours. Je ne veux pas nier qu’il y ait eu un vif attrait, entre elle et moi. Sa famille aussi, cependant, était ancrée dans les traditions. Dans un tel enchevêtrement de situations amoureuses difficiles, il est arrivé plusieurs fois que nous profitions de quelques heures libres pour nous consacrer à des fuites à quatre
. Nous partions alors avec ma voiture sur les plages les plus belles à l’autre bout de la ville, près des ruines de Tipasa, parmi les souvenirs de marins phéniciens, les monuments de la colonisation romaine, et les traces du christianisme primitif.
Un ciel lumineux, les vagues écumantes de la Méditerranée qui battaient sur le sable, évoquant des mythes antiques. Le rire des filles heureuses. Des plages fabuleuses, sur lesquelles on pouvait prendre le soleil à l’abri de regards indiscrets, parmi les squelettes fossiles de tortues géantes, pétrifiés, comme des navires frappés par la foudre vengeresse d’une ancienne divinité.
Dans l’après-midi, nous devions retourner à la Faculté, pour qu’elle puisse attendre le chauffeur de son père. Le peintre revenait à la ville avec moi et nous dînions ensemble. Ce fut alors qu’il me raconta un peu de sa vie d’homme de succès, qui fréquentait la haute société et connaissait bien le monde. Imprégné de rationalisme et d’une forte foi dans le progrès humain, il ne pouvait pas concevoir qu’une brillante famille de la société algérienne considère sa fille comme une propriété, plutôt que de la traiter comme un être humain, doué de sa propre volonté. Après le dîner, on faisait une promenade le long de la rue principale, parmi les demeures de l’époque coloniale. Le trafic qui montait, rugissant, les gens qui sortaient du restaurant pour aller au cinéma, la prostituée du coin, couverte par un voile blanc et son cache-nez sur la figure. À l’heure convenue, le peintre s’arrêtait sous la fenêtre de sa bien-aimée, pour lui donner le salut de la bonne nuit. On avait la sensation de revivre l’incroyable histoire de Roméo et Juliette des temps modernes.
Comme on dit parfois, « l’amour tout peut ». Ce fut ainsi que la jeune architecte, à la mine pâle et fragile, trouva la force de briser l’obéissance à un code millénaire. Un jour, à l’aide d’une sœur mariée et son mari, la jeune femme réussit à obtenir un passeport et s’envola vers l’Europe, où elle épousa le peintre. Un geste très romantique, avec la classique note laissée à ses parents, dans sa chambre. J’aurais bien aimé sentir le parfum de ce feuillet et voir son cadre doré, ou peut-être rose ou turquoise, comme ceux des messages d’antan.
À cette époque, j’étais en congé, donc je n’ai entendu la nouvelle qu’à mon retour. Les deux époux étaient quelque part, en France ou en Espagne, essayant de se cacher des parents algériens. Quelque temps plus tard, avec discrétion, un officier des Services est venu interviewer une grande partie de la Fac d’architecture. J’étais un des candidats à ces pourparlers, et je dois avouer que cela ne m’a suscité aucun plaisir. Je ne savais pas si le couple était parti pour la France, l’Espagne ou ailleurs. Je n’ai pas su d’ailleurs comment l’histoire s’est terminée, mais, quelques mois plus tard, j’ai vu la jeune fille de retour à Alger. Elle était revenue toute seule. Je n’ai pas trouvé le courage de lui demander ce qui s’était passé. Je n’ai jamais revu le peintre, ensuite. Je garde toujours, au fond d’un tiroir, quelques photos de ces escapades romantiques à la plage.
J’ai quitté l’Algérie depuis trente ans. Il a été difficile de retourner chez moi
après beaucoup d’années passées à l’étranger, et de me construire un nouvel emploi : des missions précaires, tout le temps. Ici, dans mon pays, je me suis senti comme si je n’existais plus pour mes vieux amis, comme si j’avais été absent pendant des siècles, comme un Ulysse des temps modernes. Les camarades de l’école avaient leurs familles et des enfants qui grandissaient, et j’étais exclu à jamais de leur vie, devenue monotone et régulière. J’ai essayé - moi aussi - de me créer une famille, mais je n’ai pas eu de la chance, ou peut-être que j’ai essayé avec peu d’enthousiasme et peu de conviction. Mon obsession de liberté s’est chaque fois confrontée à d’autres besoins de liberté, aussi grands et opposés.
L’été, comme chaque pause dans les activités normales, telle que les fêtes de Noël ou d’autres moments de vacances, c’est un temps de bilans. L’été ne signifie pas pour moi des vacances, mais plutôt la solitude et l’oisiveté, qui dominent le passage du temps. Des rêves de plages tropicales, vues seulement sur un écran de télévision. Des voyages avec mon cœur