Le Journal du dimanche

Quand le prêchi-prêcha vire au gloubi-boulga

En plus de la traditionnelle revue d’effectifs, la rentrée littéraire permet cette année de mesurer les ravages de l’idéologie sur le roman français. Le mal court, le mal gagne. Depuis le réalisme socialiste imposé par Staline et Jdanov dans l’ancien bloc de l’Est, jamais autant d’écrivains n’avaient ensemble si bas courbé l’échine devant les mots d’ordre du jour, jamais un pouvoir n’avait pu compter sur pareille soumission des gens de plume. Nul Kremlin ici, mais une doxa progressiste rabâchée sur tous les tons à longueur de plateaux et de colonnes. Nul goulag non plus, mais la mort sans phrases, celle du manuscrit qui ne trouvera pas d’éditeur ou celle de l’ouvrage passé sous silence par la critique. Il est dangereux de cracher contre le vent, il est risqué d’écrire contre l’air du temps.

Chloé Delaume : un sans-faute avec l’air du temps

Chloé Delaume l’a bien compris. L’héroïne de son nouveau roman se nomme Clotilde Mélisse, elle est bipolaire), elle a été maltraitée par son père (on l’aurait parié), lequel a assassiné sa mère (apparition du mot-clé). L’ensemble des bonus ainsi accumulés lui vaut une place de choix sur les tables des libraires comme dans les suppléments littéraires. Le temps d’un voyage en train vers Heidelberg, Clotilde s’efforce de faire le point sur son histoire d’amour compliquée avec Guillaume (il est homosexuel, ceci expliquant peut-être cela). Le trajet est rythmé par les manifestations d’un syndrome de la Tourette où les insanités laisseraient place à de soudaines éructations féministes. À peine sa créature calée dans le siège du Thalys, Chloé Delaume lui prête ces pensées : Les crises se produisent à intervalles toujours plus rapprochés : Y a-t-il un médecin à bord du train ? Dans ce flot d’encre morte surnage parfois un alexandrin de Rimbaud que le lecteur assis au bord du fleuve regarde passer comme le cadavre d’un ami perdu de vue. La fiction se distingue malaisément du tract politique, il est question du lesbianisme politique, de. Internet vient nourrir les multiples dégagements théoriques : ou les noces du roman et de Wikipédia. La voyageuse finit par avouer sa misandrie, une haine des hommes dont le soupçon était peut-être venu aux plus attentifs des lecteurs : Et la langue en vient à s’effondrer sous pareille surcharge militante : ou. Prêchi-prêcha rime ici avec gloubi-boulga. D’ailleurs, Clotilde . Veinarde.

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