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Les chiens de Pavlov: Une vision déjantée de la société
Les chiens de Pavlov: Une vision déjantée de la société
Les chiens de Pavlov: Une vision déjantée de la société
Livre électronique331 pages5 heures

Les chiens de Pavlov: Une vision déjantée de la société

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À propos de ce livre électronique

Bébert, Rouletabille, Totor, Galurin et Mounir sont les héros loufoques et sympathiques de ce roman déjanté et totalement hilarant !

La société de consommation y est poussée à l'extrême, conditionnant l'être humain, comme les chiens dans l'expérience de Pavlov, qui variait les stimuli avant la présentation des aliments et découvrit ainsi les lois fondamentales des réflexes conditionnels.

De plus, des outils de mesure et de contrôle les plus farfelus et les plus grotesques ont été mis en place par l'État pour surveiller la bonne conduite des citoyens dociles et obéissants.

Des situations délirantes, basées sur des faits divers réels, donnent à l'auteur toute l'amplitude nécessaire pour exercer une plume acide, cynique, désopilante, et ce, pour notre plus grande joie !

EXTRAIT

Adoncques promenons-nous, non pas dans les bois, pendant que le loup n’ y est pas, ou plus exactement n’ y est plus, la pauvre bête ayant presque totalement disparu de la circulation, mais plutôt dans les nimbes brumeux du siècle dernier, à l’époque où les cours de ferme étaient de véritables cloaques, alimentés par le jus brun des fumiers et des grasses verminières, mêmement par les déchets sordides de la maisonnée, dans lesquels pataugeaient les chiens, les volailles et les petiots aux joues sales et au regard futé.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Les chiens de Pavlov est le quatrième roman de José Herbert, instituteur, passionné d'histoire, et amoureux de la langue française, celle de Rabelais ! L'auteur nous invite à regarder une société qui n'offre qu'une illusion de liberté, tant sont puissants les conditionnements de toutes sortes, et insidieux, sournois, hypocrites les efforts des pouvoirs publics pour faire de nous des moutons bêlant la même chanson.
LangueFrançais
Date de sortie24 févr. 2016
ISBN9782511040614
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    Aperçu du livre

    Les chiens de Pavlov - José Herbert

    intentions ? »

    1

    Où l’on découvre une maman qui fait ce qu’elle a dit

    Adoncques promenons-nous, non pas dans les bois, pendant que le loup n’ y est pas, ou plus exactement n’ y est plus, la pauvre bête ayant presque totalement disparu de la circulation, mais plutôt dans les nimbes brumeux du siècle dernier, à l’époque où les cours de ferme étaient de véritables cloaques, alimentés par le jus brun des fumiers et des grasses verminières, mêmement par les déchets sordides de la maisonnée, dans lesquels pataugeaient les chiens, les volailles et les petiots aux joues sales et au regard futé.

    Ledit chien, compagnon fidèle du genre humain, souventes fois toutou à sa mémére, fut jadis et parfois, dans ces exploitations dites agricoles, un animal de trait, plus que de compagnie, avec son compagnon de domesticité, le cheval. On attelait le canidé à une petite charrette, dénommée en pays ch’ti « Karette à kiens »¹, et la brave bête, avec ses petits muscles et sa langue pendante, tirait la Karette qui le harnachait et qui transportait, à la ferme, les buires vides ou pleines du lait fumant et odorant que la maîtresse de maison venait de prélever au pis des Marguerite, Noiraude ou autres pacifiques Blanchette. La maîtresse ne dédaignait pas, à l’occasion, emprunter elle-même le véhicule improvisé, faisant ainsi peiner le docile canidé, afin de rendre plus facile le retour de l’étable ou des pâtures bouseuses et parfumées.

    La karette était généralement de taille modeste. Elle possédait deux grandes roues métalliques qui permettaient le transport de quelques buires débordantes de lait fumant. De nos jours, les paysans se sont débarrassés depuis longtemps de l’engin devenu inutile, ou l’ont abandonné, laissé à pourrir dans le fond d’une étable, vite souillé par les fientes des poulettes et autres stupides volatiles.

    La karette à kiens prenait des allures de petite diligence quand, tirée par deux ou trois chiens soumis, elle conduisait son propriétaire jusqu’à la ville où ledit proprio l’emplissait, pour le retour, des denrées indispensables à la vie quotidienne et rurale. Le facteur, l’artisan, le marchand ambulant pouvaient aussi connaître le confort délicat de la karette à kiens. Attelage économique, écologique et… non autorisé par les règlements en vigueur, disons simplement… toléré, eu égard au respect que l’on doit normalement à la gent animale, même en ces temps lointains, durant lesquels aucune Brigitte Bardot n’était là pour rappeler à nos mémoires le respect ci-dessus évoqué.

    La pratique perdura jusque dans les années 1960 et fut normalisée. L’agriculteur désirant atteler un chien devait en faire la demande auprès du maire de sa commune de résidence, qui la transmettait au sous-préfet. L’autorisation revenait quelques jours plus tard sous forme d’arrêté. Le représentant de l’Etat, souventes fois par ailleurs Baron de quelque chose, et Chevalier de la légion d’Honneur, autorisait, de par sa grande mansuétude, le pétitionnaire à utiliser le chien comme animal de trait, pour une durée de trois ans.

    En conséquence, l’attelage évoqué présentement appartient au passé. C’est une « vieuserie », de surcroit en mauvais état, qui deviendra pourtant, comme on va le voir, dans notre récit, monument historique. Il est au centre de l’histoire étrange, dramatique, un brin farfelue, qui va être contée pour l’heure. Le chien attelé, que l’on découvrira aussi, se nomme Cactus, non pas parce que son pelage est dressé comme les épines de l’acanthocalycium, mais parce qu’un jour ou l’autre il est nécessaire de nommer l’animal, pour l’appeler, lui apprendre les bonnes manières, le gronder quand il fait sa crocrotte au milieu du salon. Et ce nom n’est guère plus ridicule, convenonsen, que Coucouilles, Œdipe, Virgule, ou Pépite.

    Que le lecteur me pardonne !

    — Les bras m’en tombent, dit Samantha, la grande faucheuse, la Mort, appelée aussi « la camarde » par certains physionomistes, à cause de l’absence avérée d’appendice nasal qui caractérise son visage squelettique.

    — Les bras m’en tombent, dit-elle à nouveau.

    Langage certes inadapté, car Samantha, comme chacun sait, n’a pas de bras mais des os, radius, cubitus et autre humérus, en guise de membres supérieurs.

    Puis elle ajouta :

    — Me voilà tenue d’aller faucher la vie d’un petiot. Quelle vie ! S’il fallait faire ça toute ma vie, je démissionnerais !

    Elle replia alors son téléphone portable qu’elle abandonna ensuite dans la profondeur de l’une des deux poches ouvertes sur son grand manteau noir. Comme si c’était la dernière fois, elle aspira, avec un sifflement prolongé, une longue goulée de l’air iodé qui faisait la réputation de cette baie de l’Authie, puis elle jeta un coup d’œil vers l’immensité liquide, aux vagues argentées, au sable pâle et aux rochers énormes et fit un clin d’œil, pardon, un clin d’orbite à l’adresse du Christ au pagne bleu, dressé au mitan d’une immense croix de bois, icelle plantée dans les dunes qui vallonnaient face à la mer, devant l’hôpital maritime de la ville.

    — Quel endroit sinistre ! se dit-elle.

    Puis elle saisit sa faux, enfourcha sa mobylette et fila vers son devoir, en bonne et dévouée professionnelle qu’elle était.

    La maman s’était assoupie juste au moment où le prompteur LCD LED, 1.20 m sur 0.30 m, installé depuis peu et à demeure au mur de la salle à manger, affichait en lettres lumineuses : Après le repas, vous êtes autorisés à faire dix minutes de sieste. Demain journée mondiale du rire. Lavez les fruits avant de les manger.

    Soudain elle se réveilla, saisie d’un pressentiment, d’une brutale appréhension. Cactus, le toutou domestique, d’habitude calme comme une mer d’huile, faisait le leu. Elle se leva brusquement de la couchette, où elle reposait, exténuée dans la chambre à côté, appela le petit par son prénom, doucement d’abord puis avec force, en criant presque car elle craignait maintenant le pire. Le médecin avait dit pronostic vital réservé. Il faut mettre des gants de nos jours pour annoncer la triste fin des choses. On ne doit pas dire il est mourant, il n’en a plus pour longtemps, il est condamné, il a un pied dans la tombe, il faut se satisfaire de formules emphatiques et cependant pleines d’élégance : le pronostic vital est engagé, suivi plus tard de le pronostic vital est réservé. PVE puis PVR ! Qu’est-ce que cela change ? La poésie dissimulée dans ces triades ferait-elle oublier l’effrayante réalité ? Est-ce mieux de partir sous un déluge lyrique que dans la plus singulière des vulgarités ? Imagine-t-on le défunt se présenter devant l’Eternel, au paradis ou ailleurs et annoncer :

    — Voilà, cher Bon Dieu, j’ai quitté la vie à la suite d’un pronostic vital qui fut d’abord engagé puis réservé, maladie grave dont on ne réchappe que très rarement. Autrement dit, après un AVC, j’ai fait un PVE et un PVR, puis-je entrer SVP ?

    Quelle importance ont les mots ?

    Il s’en fiche le petiot !

    AVC et PVR

    Mènent droit au cimetière.

    Aucune réponse ne parvint aux oreilles pourtant attentives de la maman. Le prompteur grésillait dans la salle à manger et débitait ses litanies : respectez les vitesses autorisées avec votre véhicule, ramassez les crottes du toutou que vous tenez en laisse, dites bonjour quand vous entrez dans un magasin.

    Adoncques, la maman comprit, jaillit hors de sa couche, se précipita et reçut le drame en pleine figure. Son petit avait passé, elle en était sûre, fauché par la Mort, la grande faucheuse, celle que tout le monde appelait Samantha.

    En effet ! Elle ne s’était point trompée, le petiot reposait paisiblement sur le dos, les couvertures correctement tirées jusqu’aux abords du menton. L’horreur était là, simplement, naturellement. Une divine paix avait empreint son visage et soulagé ses traits, tandis que ses mains reposaient à plat sur des draps immaculés. Cependant son crâne, lisse comme une coquille d’œuf et sa peau laiteuse et transparente affichaient les vilaines traces de la maladie, tandis qu’un faible sourire agrémentait ses lèvres bleuies. Il dormait tranquillement, semblaitil. La maman savait que cela devait finir comme ça, que l’enfant n’avait plus que quelques jours à pouvoir jouir de la lumière, de l’air, du temps, des caresses, des bisous, des douces paroles, du soleil. Pronostic vital réservé ! Elle avait ramené son petit de l’hôpital, sur les conseils des savants médecins, afin qu’il puisse une dernière fois s’immerger dans son environnement, sa chambre, ses peluches, son chien. Une dernière fois. Cactus avait compris – pas bête l’animal – et gémissait au pied du lit.

    Ah ! Si seulement elle avait cru en l’existence du Divin, ce personnage barbu, baroque et loufoque sorti de l’imagination des religieux. Las ! Elle ne pouvait guère penser que son petiot avait été rappelé au ciel par ce Seigneur, qu’il était maintenant assis à sa droite, ou sur ses genoux, en train de faire des niques à sa peluche préférée. Comment concilier la bonté supposée de l’Éternel avec ce qu’il venait de se passer, ici, dans la chambre du petiot ?

    Il n’y eut évidemment aucun geste salvateur et depuis que s’était déclarée la maladie de son gamin, la maman avait compris. Maintenant, confrontée à l’horrible drame, elle hurlait sa malefortune. Un long cri de douleur jaillit de sa gorge, un cri terrible, perçant, lugubre, qui se propagea comme un tremblement de terre et réveilla les habitants de la communauté villageoise. Iceux, dans leur chaumière, à l’abri sous la moiteur de la couette, entendirent le cri de détresse et surent, à cet instant précis, que la grande faucheuse avait fait son travail dans la chaumine où souffraient depuis longtemps une mère et son enfant. Certains frissonnèrent, d’autres se signèrent, la plupart s’en accommodèrent et se rendormirent, se disant qu’il serait temps demain d’y penser. Le hurlement sinistre se prolongea sans perdre un bémol, se mêla aux vents coulis, s’infiltra par les cheminées noircies, les persiennes des volets, les trous des serrures et les dessous des portes. Il résonna dans les couloirs sombres, les chambres à coucher, s’unit aux remugles des corps alités, au-dessus des vaisselles poisseuses, au détour des toilettes encombrées et des gogues pisseuses. Il atteignit le presbytère et fit cogner le cœur du curé. À l’église, il traversa le narthex et courut dans l’immense nef glacée, se frotta aux membres du Christ sacrifié, contourna l’autel abandonné. Au cimetière, il siffla entre les tombes, visita les profondeurs insoupçonnées, effraya les spectres égarés.

    Cactus se tut pendant le cri interminable de la maman et ses grands yeux mouillés furent encore plus affligés.

    Enfin, le silence s’installa de nouveau. « Enfin ! » dit Samantha, la Mort, qui traînait par là, ou plutôt qui n’avait pas encore quitté les lieux, sa faux sur l’épaule, un sourire éternel sur sa face camarde.

    Samantha connaissait bien l’enfant qui venait de passer. Normal ! C’était son boulot ! Elle avait pénétré dans la petite maison vers sexte, heure bénie de l’avant repas. Elle avait coupé son téléphone portable, pour ne pas être dérangée par le requiem de Mozart, puis craché au loin un centimètre carré de laitue gotte jaune d’or de chez Vilmorin, coincé entre les dents 11 et 12 de la mâchoire supérieure. La maman se reposait dans la chambre à côté, exténuée par des veilles répétées ainsi qu’une tension nerveuse exacerbée.

    Dès qu’il avait aperçu et reconnu la Mort, l’enfant avait engagé une aimable conversation :

    — Je t’attendais ! Maman m’a dit que tu allais venir.

    — En effet, je viens pour te voir, mais je ne suis pas pressée, nous avons tout le temps pour discuter.

    — Ne parle pas trop fort, tu pourrais réveiller maman.

    — N’aie crainte, elle ne peut guère m’entendre.

    — Je suis content car je vais bientôt rejoindre papa, maman me l’a dit.

    — Elle ne s’est pas trompée, ta gentille maman, je suis venue pour t’emmener. C’est mon métier, si on peut dire !

    — Je sais, je t’ai vue à la télé l’autre jour. Dans un feuilleton. Je suis content de faire ta connaissance. J’observe que tu n’es pas si laide qu’on le dit souvent. En tout cas, tu as un beau sourire.

    — Merci ! De toute façon, je n’ai personne à qui plaire. Tout le monde me fuit. Ce sont les gens qui m’ont fait de cette manière, les imbéciles, pardon !

    — J’ai une faveur à te demander.

    — Dis ! Je t’écoute bel ange !

    — Je voudrais prendre mon vieil ours pour t’accompagner.

    L’enfant sortit de l’intérieur de ses couvertures un vieil ours en peluche décrépie, mal fagoté, aux oreilles à moitié en lambeaux, à la tête pantelante, au corps complètement disloqué. La bête était vêtue d’un drôle de pull-over multicolore, tricoté par une main malhabile, qui laissait apparaître à certains endroits des défauts de fabrication, trous ou nœuds grossiers. Curieusement, une étiquette démesurée par rapport au reste du corps ornait l’une des papattes de l’animal. L’enfant avait pris cette étrange étiquette entre l’index et le majeur de la main droite et lui donnait un mouvement d’aller-retour rapide et habile.

    — C’est mon vieil ours, poursuivit l’enfant. Je l’aime. Maman a recousu une tiquette hier. C’est moi qui lui ai tricoté son gilet. Je ne veux m’en séparer.

    — Faveur accordée, dit la Mort, c’est bien parce que c’est toi ! Je ne pourrais pas faire ça tout le temps ! Auras-tu le loisir de mignonner ta peluche là où tu vas ?

    — Peut-être ! Qu’en sais-tu ?

    Puis l’enfant suça résolument son pouce gauche, tout en manipulant tendrement la tiquette de son vieil ours et se tut, les yeux tournés vers le plafond. Samantha sut qu’il ne parlerait plus. Il était parti ailleurs et savourait, avec de sonores bruits de succion, la tendresse de l’être sans vie qu’il tenait fermement contre sa maigre poitrine.

    Croyez-vous qu’il soit sans vie,

    Le vieux doudou du petit ?

    Objets inanimés, avez-vous donc une âme,

    Ces mots de Lamartin’ seyent au présent drame.

    Samantha laissa filer le temps, durant un couple d’heures, puis elle fit ce qu’elle avait à faire, après s’être curé le nez, pardon, les fosses nasales, avec son index droit, pardon, avec la phalange distale de son index droit, ôtant d’icelles une gentille coccinelle, explora mêmement, avec son auriculaire, pardon, avec la phalange distale de son auriculaire gauche, l’orbite oculaire du côté droit, gênée par un banal faucheux qu’elle envoya, d’un geste vif, sous son calcanéum, où il s’éclata les chairs chitineuses.

    La maman cessa son cri. Cela avait été sa manière d’exprimer sa douleur, l’immense douleur d’une mère qui vient de perdre une partie d’elle-même, la chair de sa chair. Il y a quelques années, elle avait organisé, avec son corps, merveilleuse machine, une extension, son enfant, dont elle se trouvait maintenant brutalement amputée.

    Elle contempla son petiot inanimé et doucement fit pour se saisir du vieil ours. Elle voulait en faire un souvenir, une relique en quelque sorte. Mais la peluche résista, tant elle était emmêlée avec les doigts de l’enfant. La maman n’insista pas et laissa ce misérable jouet suivre sa destinée. Puis, après quelques minutes de recueillement devant la pauvre dépouille, elle se redressa et dit à voix haute :

    — Je vais m’occuper de tout, personne ne les touchera.

    La maman fit comme elle avait dit².

    Elle effectua minutieusement la toilette de son fils puis elle se rendit chez Joseph, le menuisier du village qui faisait aussi Pompes Funèbres. Au passage, elle jeta un coup d’œil, comment faire autrement, au prompteur mural qui affichait en grand les conseils habituels : Ne jetez pas vos épluchures au compost. Brossez-vous les dents après chaque repas. Bougez trente minutes par jour.

    Joseph avait le physique de sa fonction. Grand et maigre, il promenait sa silhouette en forme de lame d’opinel dans un atelier puant de colle et de sciure de bois. Éternellement sur son crâne reposait un vieux chapeau melon meublé de sueur, de poussière et de vermine. Ses petits yeux noirs avaient la profondeur des sépultures et sa dentition mal soignée ornait un gouffre buccal malodorant. Sa silhouette filiforme et dégingandée projetait des ombres fantomatiques sur les murs de son atelier.

    La dame lui livra d’emblée son désir :

    — Joseph, mon fils est mort, je viens t’acheter un cercueil. Montre-moi ce que tu as.

    Joseph fut surpris. Il connaissait la maman et affectionnait le petiot. Il ne sut que dire car la démarche était inhabituelle. Cependant, il amena la dame éplorée dans son atelier, là où, à toute heure du jour et quelquefois de la nuit, on pouvait le trouver à fabriquer des bières, car Joseph était un habile menuisier. Les boîtes qu’il fabriquait, avec ses doigts de compagnon, faisaient sa renommée dans le pays et même au-delà. Partout à dix lieues à la ronde on disait :

    — Quand je mourrai, je veux partir au ciel dans une bière de chez Joseph.

    Les gens n’allaient pas jusqu’à mourir par plaisement, on ne peut le prétendre, mais presque, tant les cercueils que Joseph fabriquait, ressemblaient, jusque dans les moindres détails, à des œuvres d’art, dont ils avaient l’excellence dans les proportions, réglées par le célèbre nombre d’or, et l’originalité, fruit d’une imagination féconde. Le menuisier n’était pas insensible au charme de la maman qui, malgré des yeux cernés par le chagrin, possédait une silhouette séduisante, digne de capter l’attention d’un directeur des Pompes Funèbres. Adoncques il lui montra, dans un geste large et circulaire, les bières ouvertes, bellement capitonnées, dressées contre le mur de son antre et s’apprêta à vanter les qualités de chacune d’entre elles, la solidité de son bois, la douceur du capiton moelleux, la délicatesse des teintes, la dorure discrète des poignées. Mais la maman lui fit signe de se taire.

    — Non Joseph, tes cercueils sont très bien faits, mais c’est celui-ci que je veux !

    Elle se dirigea vers le fond de l’atelier, là où Joseph avait son frigo avec ses cannettes de bière de luxe car à force de râper, de scier, de vernir, il avait souventes fois grande pépie et s’accordait alors quelques minutes de repos autour d’une bière en cours de fabrication en sirotant une bière de luxe glacée.

    La maman plaça sa main droite sur un cercueil qui reposait sur des tréteaux, en bois brut car inachevé, dont les dimensions correspondaient à celles de son défunt petiot. Puis elle redit son souhait :

    — Je veux ce cercueil !

    — Mais… il n’est pas fini, reviens dans deux heures, je vais m’y remettre et tu auras pour ton enfant le plus beau carrosse que l’on puisse espérer.

    — Non… Joseph, je veux celui-là, tel qu’il est, il me plaît. Joseph fut de nouveau abasourdi, puis il pensa que sur cette terre, il ne faut jamais être surpris car tout peut arriver. Il dit donc à la maman :

    — Je te l’amène de suite avec ma camionnette.

    — Non Joseph, je l’emporte, j’ai le droit.

    Puis elle paya avec sa carte de fidélité.

    Entièrement noire, la carte de fidélité, comme il se doit.

    Ouvrons une parenthèse après cette entrée en matière sombre et funéraire pour réfléchir sur une pratique commerciale grandement à l’honneur en ce pays. Joseph avait trouvé une astuce pour fidéliser sa clientèle. Comme les grandes, moyennes, petites et micro surfaces (cartes Malin, carte Waouh, carte Pass), comme les boutiques de bricolage (5% sur tout le magasin), comme les concessionnaires automobiles (réductions sur les fournitures), comme les restaurants (un repas gratuit après dix visites), comme les boulangers (cinq euros de pain quand la carte est entièrement tamponnée), il proposait à ses visiteurs une délicatesse, la carte de fidélité, naturellement noire en ce qui concerne le commerce de la mort. La possession d’icelle permettait d’obtenir un tas d’avantages à qui savait l’utiliser, par exemple une remise de 10% pour les achats du samedi, uniquement le samedi, disait la pub de Joseph. Une urne en bronze massif, affichée 350 euros un jour ordinaire, ne coûtait que 315 euros le samedi. La différence était habilement restituée au client sous forme d’euros-noirs, soit dans le cas présent, que l’on comprenne bien, 15 euros à placer dans une tirelire virtuelle utilisable avant la fin de l’année. La carte noire permettait également d’accumuler les points appelés points-noirs. Suivant le nombre de points-noirs acquis lors des achats dans la boutique ou l’atelier de Joseph, on se voyait proposer des cadeaux intéressants, par exemple pour 100 points-noirs, une rose en plastique, pour 1000 points, l’urne de base à 37 euros, pour 3000 points, une plaque mortuaire, inscriptions en sus évidemment, pour 350 000 points-noirs, un magnifique cercueil en chêne de la forêt du Tronçais, capitonnage grand siècle, poignées laiton fumé. Les clients appréciaient cette façon de faire et le bouche à oreille aidant, se pressaient en nombre dans l’atelier de notre croque-mort.

    La maman avait sa carte de fidélité depuis qu’elle avait perdu son époux, victime d’un suicide par pendaison. Elle avait placé le carton noir dans son sac à main à côté de la carte vitale verte comme chacun sait, de la carte bancaire visa bleue, de la carte rouge de donneuse de sang, de la carte de fidélité à la Redoute, de sa carte biologique d’identification, de la carte jaune des supermarchés Attaquons les prix, de la carte bleu clair de l’hypermarché Croisement, des prix à vous couper le souffle, de la carte Miaouuuu ! Meubles en kit du pays où la vie est moins chère ! Et enfin de la carte de fidélité au lunetier Opticon 5000. Cet aparté relatif à la fidélisation commerciale n’a aucune incidence sur la suite des événements, il est destiné à aider le lecteur dans sa réflexion vis à vis des multiples cartes qui alourdissent son portefeuille et allègent son compte en banque. Fermons la parenthèse.

    Aujourd’hui, tant pis pour les points-noirs et les euros-noirs car on n’était guère samedi, au diable donc les économies ! La maman ne pouvait attendre le jour précité et s’en fichait royalement des cadeaux de Joseph. Elle emporta elle-même le cercueil qu’elle avait exigé du croque-mort, avec la charrette à chien, genre de brouette à deux manches conçue pour permettre un attelage, qu’elle avait garée à la porte de l’échoppe du menuisier. Une vieille karette, poussiéreuse, rongée par les vers, rouillée sur ses parties métalliques, qu’elle avait remisée il y a longtemps dans le fond d’un appentis. Elle attela Cactus, chien fidèle de race indéterminée, docile, baveux, inoffensif. Toute seule, elle transporta l’objet jusqu’au véhicule improvisé, sa volonté décuplant ses possibilités musculaires. Elle installa comme il faut la boîte pour qu’elle soit stable pendant le trajet. Cactus parcourut ainsi, en tirant la brouette, les cinq-cents mètres qui le séparaient du logis de la maman. Exercice peu aisé car le chemin emprunté n’était guère en bon état et l’encombrant chargement faillit maintes fois verser dans la boue et les ornières des venelles étroites.

    Et la karette grinçait

    Pendant que le chien tirait

    Que sa langue pendouillait

    Et que sa queue ballottait.

    Parvenue chez elle, elle récompensa Cactus d’un sucre de betterave, récupéra les quelques pots de peinture qu’elle avait barbotés sur une étagère dans l’atelier de Joseph, cachés ensuite dans la bière vide, puis se mit à l’ouvrage. Elle avait bien réfléchi à son affaire, grâce à des bribes de souvenir du temps où elle se frottait le derrière sur les bancs de l’école primaire. Son institutrice lui faisait découper, comme à tous ses élèves, des feuilles de catalogue ou de prospectus publicitaires sur lesquelles les petiots avaient tracé au crayon les contours de leurs menottes, pour ensuite assembler un arbre avec toutes ces mains, sur une grande feuille de dessin. L’arbre d’automne devait être rouge orangé, celui de l’hiver blanc, ceux du printemps et de l’été, verts.

    Premièrement, la maman installa le cercueil sur des tréteaux dans le sous-sol de son habitation, se choisit le pinceau adéquat et enduisit rapidement la totalité de la boîte d’une peinture mono couche sans odeur glycéro blanche satinée, en prenant soin de ne pas négliger le moindre recoin et d’éviter la moindre coulée disgracieuse. De temps en temps, elle remontait au rez-de-chaussée pour s’abreuver d’un grand verre d’eau claire et glisser quelques phrases à l’oreille de son fils, comme s’il pouvait les comprendre.

    Ensuite, quelques heures plus tard, quand le bois blanc fut sec, elle passa à la seconde opération. Elle vida les pots qu’elle avait fauchés au menuisier, emplit quelques boîtes, se retroussa les manches et agit de la sorte : en écartant les doigts au maximum, elle trempa ses mains dans la peinture, en choisissant une couleur, non pas au hasard, mais en fonction des effets qu’elle désirait produire, puis elle appliqua ces mains ouvertes sur le cercueil de son fils, comme elle avait fait il y a longtemps avec des mains découpées dans le papier des publicités. Elle recommença l’opération jusqu’à ce que le bois de la bière fut entièrement recouvert de mains de différentes couleurs, les doigts s’entrecroisant parfois, de sorte que la presque totalité du fond blanc avait disparu, choisissant habilement ses teintes pour que l’ensemble ait fière allure, laissant au temps le temps de poser sa patine sur l’œuvre d’art, laissant à la lumière le temps d’imprégner et de sécher l’ensemble. Enfin elle observa, la tête penchée sur le côté droit, le travail qu’elle venait d’effectuer. Un pâle sourire naquit sur ses lèvres et s’effaça presque aussitôt. Une cellule psycho-logique dira plus tard, en analysant l’événement, que la dame avait voulu, en apposant des mains sur le cercueil, protéger son petiot et même le surprotéger, comme elle le faisait du temps de son vivant, le protéger des horreurs de la tombe, du froid, de la boue, des insectes nécrophages, sales bestioles ! Le protéger aussi des incubes et des succubes, des fantômes et des esprits malsains car on a beau dire que l’on n’y croit pas, il reste au tréfonds de chacun d’entre nous comme un soupçon d’incertitude. Sait-on jamais ?

    Mêmement quand le jour décidé pour l’inhumation se présenta, la maman ne toléra aucunement que l’on manipulât le cercueil de son fils. Elle redit avec force, tellement de force que personne ne s’avança pour l’aider, qu’elle s’occuperait ellemême de tout, qu’il n’était pas question que l’on touchât à un seul des cheveux du défunt. Elle plaça correctement son fils et ferma elle-même la bière à tout jamais, les édiles légalement présents patientant dans la pièce d’à côté. Elle porta, malgré la fragilité de sa constitution, le cercueil peint de multiples mains multicolores sur la charrette qui attendait au seuil de la chaumière. Pour l’heure elle se trouva des ressources insoupçonnées allant

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