Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Paradise beach: Un thriller médical haletant
Paradise beach: Un thriller médical haletant
Paradise beach: Un thriller médical haletant
Livre électronique643 pages8 heures

Paradise beach: Un thriller médical haletant

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Quand un voyage paradisiaque tourne au cauchemar...

La mystérieuse organisation de l’UCPT promet un voyage unique a des accidentés de la vie. 9 marginaux se voient offrir une chance de rompre la monotonie de leur quotidien sur une île de rêve. Au programme : soleil, cocktails et farniente. Pendant que les invités découvrent ce paradis inespéré, une série d’incidents étranges vient perturber ce havre de paix providentiel. Le sable fin recouvre l’enfer. Et ce qui devait être une semaine de pure béatitude plonge la communauté dans l’effroi.

Un thriller médical qui vous tient en haleine jusqu'à la dernière page !

EXTRAIT

Albanie.
Hameau de Kureshi au sud de Burrel.
1999.

La vallée avait l’aspect d’un village d’avant-guerre avec ses bicoques aux toitures déformées par le temps.
N’importe quel individu aurait cru traverser une bourgade fantôme s’il n’y avait eu ça et là, des gens affairés à leurs tâches familières. Un homme coupait les branches d’un arbre et les débitait en bûches comestibles pour poêle à bois. L’air bourru et renfrogné, il était vêtu d’une tenue de camouflage empruntée au cadavre d’un soldat tombé pour la patrie.
Une vieille dame arpentait courageusement l’irrégularité des pavés de sa cour, un panier à linge au bout des bras.
Le terrain graveleux foisonnait de détritus et d’herbes sauvages. D’aucuns se seraient empressés de le pulvériser à coup de désherbant. Cela démontrait à quel point la pauvreté renvoyait à l’essentiel, aux gestes simples : manger, boire, se vêtir, se loger, se chauffer. Survivre à l’insurmontable.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Ce roman écrit à la 3e personne est un concentré de talent, d'intelligence et de subtilité dans lequel complots et intrigues se mêlent pour mettre en avant les vicissitudes de l'homme. - P-maude, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

Henri G. Collignon est un écrivain belge de la région theutoise. Né à Rocourt en juin 1969, il se passionne très vite pour la technologie de pointe et signera son premier roman à l’âge de 15 ans ! Ce dernier ne sera toutefois jamais publié, car il s’agissait simplement pour l’auteur de satisfaire une envie d’adolescent. Néanmoins, l’avenir allait confirmer ses premiers pas...
En 2006, las de ne pas assouvir ses plus anciens désirs, il renoue avec l’écriture et démarre un projet de grande ampleur. Il planche alors sur un thriller orienté vers l’usage résolument détourné du futur GPS européen : “Galiléo”, qui à l’époque, n’était encore qu’une vague idée en gestation. Fruit d’une recherche et d’un travail acharné de quatre longues années, “Retournements” paraîtra finalement en novembre 2010.
Henri Collignon décrit les scènes comme on regarde un film d’action. Il n’est donc pas étonnant de savoir qu’avec ce premier roman, l’auteur ait été approché par des réalisateurs de cinéma !
LangueFrançais
Date de sortie9 févr. 2018
ISBN9782930848297
Paradise beach: Un thriller médical haletant

Lié à Paradise beach

Livres électroniques liés

Thrillers pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Paradise beach

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Paradise beach - Henri Collignon

    — Chapitre 1 —

    Une existence de merde. Le voilà le résumé de ces dix dernières années. La profondeur de son malaise rivalisait avec le gouffre béant prêt à l’aspirer. Elle avança d’un centimètre tout en reculant d’une décade dans l’intimité de sa mémoire.

    L’incendie lui avait tout enlevé : sœur et parents. La fatalité ? Peut-être. En tout cas un enchevêtrement d’actes malencontreux et irréversibles.

    Si seulement elle avait choisi le bon cadeau. Celui qui, au lieu de prendre feu, se serait contenté de produire un expresso digne de la prestance d’un Georges Clooney des grands soirs. Il eut fallu opter pour la version coque noire et non pour la rouge, il eût fallu retarder son choix d’un instant, le temps pour une autre personne de se jeter sur la bonne affaire et de brûler à la place de sa famille à elle.

    Le prix de cet appareil était si attractif et pour une fois, elle avait la possibilité d’offrir un joli présent. Tu parles d’un cadeau !

    Frédérique contempla ses cicatrices et notamment les vilaines boursouflures de son avant-bras. Si seulement cette satanée machine n’avait pas fuit et s’était contentée de remplir sa fonction d’électroménager… si le vendeur avait interverti les paquets… si la panne était survenue un autre jour… si, si, si…

    quoi qu’elle en dise, sa raison repassait toujours par la case culpabilité. Fred avait sacrifié son entourage en échange d’une réduction sur un article purement commercial. Un ustensile « made in très loin », probablement fabriqué par de pauvres bougres dans une cave éclairée par une ampoule à filament de vingt-cinq watts. Un gadget parfaitement inutile pour autant que l’on sache se servir d’un filtre à café par ailleurs beaucoup moins polluant en matière de déchets.

    Pourquoi n’avait-elle pas simplement offert la traditionnelle bûche de Noël ou mieux encore : une grosse dinde à se partager entre convives ? Pourquoi ne s’était-elle pas disputée avec sa mère et n’avait-elle pas quitté le domicile en claquant la porte comme des tas d’adolescents en proie à une envie d’espace, de liberté soudaine, de sexe, de cocaïne ou rock’n’roll ? Cela lui aurait évité de déposer en offrande cette « putain de machine à la con ».

    Sa mère, « maman chérie » comme elle avait coutume de l’appeler, lui manquait cruellement à l’instar de Lulu, sa petite sœur. Elles étaient proches, sans cesse collées l’une à l’autre. Lulu aurait aujourd’hui l’âge de prendre ses responsabilités, de se fixer, de présenter son futur mari, et si elle avait été précoce, peut-être même de donner naissance à un premier bambin.

    Son père quant à lui avait fait le choix de l’itinérance. Il travaillait à l’étranger en tant qu’architecte et se voyait régulièrement proposer des contrats intéressants, mais toujours à mille lieues de sa Belgique natale et toujours pour de longues périodes. Le foyer ne manquait jamais de rien, exception faite d’une présence masculine.

    De son côté, Fred avait eu quelques amants. Des bons coups, des coups foireux aussi… elle boycottait les relations amoureuses depuis l’apocalypse familiale. Pourtant, elle admettait volontiers que tirer sa crampe lui aurait fait beaucoup de bien.

    Elle se pencha vers l’avant, réduisant encore un peu plus la frontière entre la vie et la mort. La lumière ne l’intéressait plus.

    Le fond du puits était noir. Noir comme son âme, noir comme le marc de café.

    Une dernière impulsion et Fred rejoindrait les disparus. Les pleurs cesseraient. Les larmes sécheraient et c’en serait fini de ce chagrin perpétuel et insurmontable.

    Tel un aimant, le vide l’attirait à lui. L’apaisement n’allait pas tarder. Frédérique prit une profonde inspiration et se laissa tomber. Elle sombra, enfin délivrée.

    Sa bouche picotait encore d’amertume lorsqu’elle rouvrit les yeux. Le goût particulier des barbituriques irritait son palais. Cette constatation la poussa à ne pas croire en une descente aux enfers et moins encore en une ascension au paradis. Le Seigneur n’a pas besoin de pharmacopées pour guérir les gens. Quant au diable, il n’aurait que faire de soulager ses suppôts.

    Elle était donc en vie.

    Rassemblant ses esprits, elle étira les paupières et s’assura d’analyser convenablement la situation malgré un état dépressif et une fatigue chronique. L’éclat du petit matin apporta les prémices d’une plausible explication.

    Aucune trace d’eau, pas le moindre puits perdu. Juste une chambre au papier peint fatigué, maintes fois recouvert d’un latex à la tonalité bien plus courageuse que la propriétaire des lieux.

    L’existence de Fred avait cela d’exceptionnel : une succession de ratages et d’erreurs monumentales allant jusqu’à manquer ses projets suicidaires.

    Elle s’extirpa du lit avec un mal de gorge et une mauvaise humeur sous-jacente.

    D’une maigreur anorexique, Fred se refusait systématiquement toute forme de plaisirs. Elle mangeait peu, buvait rarement, ne fréquentait personne hormis les clients de ses employeurs et vivait en ermite depuis son accession au royaume des flammes.

    Son seul vice se réduisait à fumer comme la cheminée d’un crématorium. Plus vite elle passerait de l’autre côté, et mieux ce serait, car entretenir un cancer n’était pas une mince affaire. Il fallait y mettre du sien, faire des stocks de cartouches, toujours avoir un briquet sous la main et truffer la maison d’une collection invraisemblable de cendriers. Elle renifla puis toussa comme une vieille rachitique.

    Sept heures trente. L’heure convenait parfaitement pour aspirer la première bouffée de la journée. Le paquet trônait sur la table de nuit à côté d’un mégot allumé la veille et s’étant naturellement éteint en noircissant le vernis du mobilier. Le feu ne daignait décidément pas reprendre.

    — Inconcevable ! pensa la jeune femme, comment un percolateur rempli d’eau peut-il s’enflammer et pas ce foutu bout de bois ?

    Nue comme un ver, elle enfila un T-shirt trois fois trop large pour sa taille. Ses frêles épaules n’avaient pas pour habitude de porter de sous-vêtements et surtout pas de soutien-gorge. De toute façon, il n’y avait rien à soutenir. Sa poitrine avait hérité de la séquence génétique de l’huître plate.

    Elle était ainsi faite : inutile de s’encombrer de dessous susceptibles d’entraver libre circulation de l’air et liberté de mouvement. Une exclusion à la règle était cependant d’application les jours marqués d’une pierre rouge…

    Devant le miroir, Fred secoua sa chevelure anarchique aux couleurs bigarrées et prit ensuite le chemin de l’escalier. Une bonne colo lui ferait le plus grand bien. Sa blondeur perdait en intensité et ses épis poivre et sel avaient besoin d’assaisonnement.

    À l’étage inférieur, un capharnaüm innommable termina de lui saper le moral. Sans surprise, elle vivait seule et n’avait donc aucun compte à rendre quant à la quote-part de tâches ménagères à accomplir. Pour autant, Fred n’avait rien d’une mal propre, elle souffrait juste d’une réelle dépression. Volontairement isolée, n’ayant personne à qui adresser la parole, la solitude pesait telle une chape punitive.

    Quatre jours de vaisselle usagée remplissaient l’évier. Quelque part en dessous de tout ce fouillis devait se cacher une brosse à dents. Elle remit la main sur l’objet, mais se rappela être tombée à court de dentifrice. Tant pis pour les emplettes : un vieux bout de savon ferait l’affaire. Frédérique se badigeonna les canines de cette ignoble mélasse histoire de masquer son haleine de pied-de-fumeur.

    Elle remarqua du coin de l’œil l’arrivée du facteur escorté de son lot de mauvaises nouvelles. Parallèlement à l’évier, le courrier débordait lui aussi.

    Les gencives parfumées de menthe chimique et le tronc vêtu d’un sac à patates au triste gris de circonstances, la bientôt trentenaire se dirigea vers la porte d’entrée de sa modeste habitation. Elle traîna ses pieds de plombs, occasionnant un bruit de frottement entre ses socquettes et le linoléum.

    La maison était mitoyenne. Ses relations avec le voisinage se montraient inexistantes sauf les jours fériés où elle avait besoin d’un approvisionnement en cigarettes quand la paresse l’empêchait de se déplacer non loin, jusqu’à la station-service de l’autoroute.

    Cet achat immobilier datait des lendemains du remboursement du sinistre par l’assurance. Il fallait bien se reloger quelque part, mais là encore, Fred s’était refusée à acquérir un toit trop confortable. Quatre murs, un plafond, une chambre, une petite cuisine, un salon, une salle de bain et une buanderie. Vivable, tel était le qualificatif qui convenait le mieux à l’habitation. Quant au luxe et au côté pratique, ces termes faisaient dorénavant partie d’un lointain passé. Frédérique ne possédait même pas d’écran plat !

    Dehors il pleuvait — rien d’étonnant, Fred habitant en Belgique — la température frisait un petit huit degrés selon les normales saisonnières. Un coup d’œil à droite, un coup d’œil à gauche, le représentant de la poste courait déjà d’autres lièvres.

    Elle balança sa menue charpente osseuse sur trois ou quatre mètres de distance, jusqu’à la boîte où venait d’être déposé le courrier.

    Le compartiment renfermait un tas de journaux et des missives provenant de tous azimuts. Le fatras de papiers dévala sur le sol.

    Accroupie, les genoux serrés l’un contre l’autre afin de ne pas dévoiler sa silhouette dénudée, elle évita le regard perturbé de la voisine puis s’empara de la paperasse publicitaire et administrative.

    Soixante et onze ans de parcours et à peine plus de deux minutes de mémoire résiduelle… Frédérique aurait pu déambuler une plume d’autruche raisonnablement enfoncée dans « l’arrière-train », la vieille dame ne s’en serait pas émue davantage. Il était de notoriété publique qu’Alzheimer avait accompli chez elle une bien triste besogne.

    Fred réintégra le domicile au pas de course se refusant le titre de miss T-shirt mouillé. Le vent renforçait la sensation de fraîcheur.

    Les feuillets commerciaux rejoignirent la poubelle. Les factures gagnèrent leur tiroir respectif, car pour éviter les mauvaises surprises elle recourait aux ordres permanents et aux prélèvements automatiques. Un compte bancaire bien garni était la seule chose un tant soit peu agréable dans sa vie de recluse. Mais comme pour le reste, elle n’y prêtait guère attention.

    Seules deux enveloppes demeurèrent entre ses doigts. La première traitait d’un rendez-vous manqué avec un employé du gaz et la seconde portait un petit logo représentant une île flanquée d’un petit palmier en son centre. Vérification faite au verso de la lettre, aucune signalétique n’en indiquait la source. Nonobstant cette imperfection, l’adresse du destinataire ne souffrait d’aucune méprise.

    Frédérique Marchal

    Chaussée Charlemagne, Lontzen — Belgique

    Piquée par quelques réminiscences de curiosité, elle déchira la languette de l’enveloppe et fouilla son contenu non sans allumer au préalable un reste de mégot écrasé la veille. La fumée pénétra ses narines, provoquant l’apaisement momentané.

    Dans la précipitation, un morceau de carton glacé d’une vingtaine de centimètres de long glissa jusqu’à ses orteils.

    Intriguée, elle l’observa et reconnut finalement un billet d’avion. Premier étonnement. Une lecture attentive du texte joint parut indispensable.

    À l’attention de Frédérique Marchal.

    1642, Chaussée Charlemagne.

    Lontzen B-4710

    Madame,

    Nous sommes heureux de vous apprendre que vous avez été sélectionnée dans le cadre de notre action « Une Chance Pour Tous ». Une personne de votre entourage nous a transmis vos coordonnées tout en souhaitant conserver l’anonymat. Notre association existe par le truchement de généreux donateurs soucieux d’offrir une lueur d’espoir à des gens tels que vous.

    Vous trouverez ci-joint un billet libellé à votre nom, destiné à vous offrir un séjour sur une île privilégiée, logée dans un parc naturel équatorial et ce, tous frais à nos charges.

    Conscients de la surprise que pourra engendrer cette annonce, nous tenons à vous rassurer sur un point : ceci n’est pas une plaisanterie de mauvais goût, mais bien l’aboutissement d’un travail de longue haleine permettant aux plus malchanceux d’entre nous de bénéficier d’un soupçon de mieux-être.

    Votre départ est prévu dans une semaine et toutes les dispositions ont été prises en ce sens. Vous n’aurez besoin ni d’argent, ni de valise, ni de vêtements. Tout a été minutieusement prévu pour vous offrir une semaine entière de plénitude. Une voiture passera vous prendre vendredi à dix-huit heures. Un simple sac destiné à rassembler vos effets personnels et autres médications sera amplement suffisant.

    Nous devons toutefois vous informer de la présence sur place de caméras de télévision. Avec votre accord, ce séjour sera en effet retransmis ultérieurement sur le continent sous la forme d’une émission de téléréalité. Elle aura pour but, outre la faculté de suivre vos pérégrinations, de donner la possibilité au public d’émettre des avis et de voter pour l’un ou l’autre des candidats. À l’issue de ce concours, celui qui aura remporté le plus de voix se verra offrir un emploi stable et une carrière vouée au bien-être d’autrui, au sein même de notre organisation.

    Pour des raisons évidentes de discrétion vis-à-vis de la production télévisée, le lieu exact de destination est tenu secret. Il vous sera révélé pendant l’émission.

    L’endroit n’étant couvert par aucun réseau de communication hertzien — l’usage de téléphones portables s’avérera impossible, mais rassurez-vous, une ligne téléphonique terrestre vous permettra, en cas de nécessité absolue, de communiquer avec l’extérieur.

    Espérant vous compter parmi nous, nous vous adressons Madame, notre plus grande marque de sympathie.

    Kingston,

    F. Krueger,

    Manager UCPT.

    Sous le coup de l’émotion, Frédérique se frotta les yeux. Avait-elle bien lu ou était-ce encore un de ces rêves idiots qui allait tourner au cauchemar ?

    Elle approcha le feu de la cigarette vers la paume de sa main gauche dans le but de s’assurer d’être bien réveillée.

    — Aïe ! émit-elle bêtement.

    Elle lut le texte encore et encore, de plus en plus convaincue d’être la cible d’un étrange et grotesque canular.

    Toutes les dispositions ont été prises…

    Fred avait obtenu un travail temporaire dans un magasin d’accessoires de mode. Sa minceur lui permettait de tout porter et selon la direction, c’était un atout compensant un sourire trop souvent absent. Les mannequins se donnent un genre, c’est une certitude. Lors de défilés, ces créatures filiformes déploient souvent une énergie colossale pour « tirer la tête ». Elle se fit conséquemment une joie de suivre le mouvement, proscrivant la banane et les kilos superflus.

    Elle bannit momentanément sa tristesse et inventoria le séjour à la recherche d’un téléphone perdu sous une tonne de magazines. L’endroit fourmillait de mille et un objets posés de-ci, de-là, sans une once de bonne volonté.

    La cuisine introduisait une salle à manger offrant elle-même une vue sur le salon. Dirigée vers le Sud, la maison baignait dans un éclairage naturel. Pour pallier la tristesse récurrente, les parois miroitaient de couleurs vives ; un conseil du psychologue. L’orange s’associait au grège, le fuchsia au gris taupé, le vert pomme à tout le reste. Le choix des meubles résultait de trouvailles et récupérations chopées chez de rares amis ou lors des brocantes. Le tout formait un patchwork hétéroclite plus ou moins assorti dans la couleur et dans le style. En dehors de la dépression, chiner était son seul passe-temps, l’unique divertissement de ces dix ans ressassés maintes et maintes fois.

    Le téléphone portable devait se trouver à mi-chemin entre le glissant carrelage du hall et la moquette double épaisseur du salon. Il eût suffi d’une pelle pour entamer des fouilles.

    Cinq minutes plus tard, Fred mettait enfin la main sur ce maudit appareil et formulait le numéro de son lieu de travail.

    — Chapitre 2 —

    Le contenu de l’assiette venait de disparaître par enchantement. Henri contempla l’étincelante céramique, la culpabilité bien ancrée dans le fond de l’iris. Il ne résistait pas à un bon petit déjeuner. À dire vrai, il ne résistait à rien et surtout pas à la tentation.

    Les molaires imbibées de chocolat, il avala d’un trait le bol le lait demi-écrémé délicieusement préparé à son intention. Après tout, l’effort était déjà de taille ; il y a tellement moins de mauvaises graisses dans les produits allégés. Henri en était persuadé et puis cela lui donnait bonne conscience.

    La chasse aux calories datait des toutes premières années de sa jeunesse, si pas depuis sa conception. Son rapport à la nourriture dépassait largement le ton sec et cassant des relations entre les deux Corées.

    Henri détestait son corps et se cachait derrière un humour maladroit et un caractère jovial pour montrer à la face du monde combien il était fort sur le plan physique et mental. Un esprit sain dans un corps qui l’était beaucoup moins.

    Dans le clan familial, le surpoids était la seule donnée dont l’invariabilité avait valu d’essayer tous les régimes. Un yoyo perpétuel.

    La souffrance intérieure débuta dans l’enseignement primaire où les autres enfants s’étaient montrés d’une extrême cruauté. Une raison suffisante pour jeter l’école avec l’eau du bain. Henri avait une sainte horreur des lieux fréquentés par les gens normaux. Il entendait par « normal », tous ces êtres pesant moins de cent kilos, ceux qui entraient dans le moule de la société. Des personnes pour qui prendre un siège sur une terrasse ne signifiait pas s’encastrer le popotin à ne plus pouvoir s’en extirper. Les exemples se montraient variés : prendre l’avion et se retrouver avec un accoudoir à mi-chemin entre les côtes et « la raie du cul », faire systématiquement appel à une hôtesse au physique parfait afin de quémander une allonge pour attacher sa ceinture de sécurité sous les railleries de deux cents touristes normaux, louer une combinaison de plongée et se voir refuser l’entrée du plan d’eau pour non-respect des consignes de sécurité : il manquait toujours un ou deux centimètres de tissu pour venir à bout des fermetures éclair. Et que dire de la honte ressentie en face d’une jolie fille ? La jeunesse féminine côtoie mal la beauté intérieure au même titre que le beurre salé ne s’associe pas aux sodas allégés ou au vin sans alcool.

    Mille fois, la promesse d’une diète prolongée avait été prononcée. Deux mille fois, elle avait été bafouée. Ce n’était pourtant pas faute d’avoir tout essayé. Depuis la première alerte au diabète, plus aucune substance sucrée ne franchissait la porte d’entrée. La molécule du malheur faisait place à la chimie et aux substituts édulcorés. Grand bien lui fasse, la stratégie avait fonctionné. Dix kilos perdus en une révolution autour de l’astre solaire… et onze repris l’année suivante !

    Le médecin s’était contenté de la plus ignoble des explications : votre organisme fait des réserves excédentaires pour compenser le déficit en sucres.

    Ça lui faisait une belle jambe !

    De rage, il poussa violemment l’assiette vide et agrippa le bien étrange courrier. Une personne mal intentionnée lui réservait assurément un mauvais coup.

    Henri en voulait à la terre entière.

    Un voyage gratuit sur une île ! Non, mais… et pourquoi pas une nuit dans le lit de Charlize Theron tant qu’on y est ? Qu’avait-il fait pour mériter telle providence ?

    Henri Welles photocopia mentalement le logo de l’agence « Une Chance Pour Tous ».

    — Tu crois ça, toi ? demanda-t-il à son ami.

    L’ami prêta peu d’intérêt à la question. D’ailleurs, la seule chose sollicitant un minimum d’attention chez Paprika reposait dans la mangeoire : une nourriture spécialement adaptée à l’épanouissement d’un volatile assez intelligent pour être doté de la parole. Il avait hérité de ce sobriquet à cause de l’adoration portée par son maître pour les amuse-gueules grillés du même acabit. Hélas, trois fois hélas, les chips appartenaient à une denrée prohibée comme d’ailleurs tout ce qu’il trouvait appréciable en ce bas monde.

    L’homme aux multiples rondeurs ne calculait plus ses repas en calories, mais en kilos superflus. Une bière ? Deux cent cinquante grammes. Un Big Mac ? Un kilo et demi. Simpliste, mais inébranlable et mathématiquement prouvé.

    Ainsi donc, Henri vivait seul avec un cacatoès comme compagnon de chambre bien moins sexy que la plupart des filles du quartier, mais tout aussi bavard.

    Avoir une vraie copine gravitait également dans la catégorie des interdits. Ces créatures fantasmatiques appréciaient généralement peu la prévenance et la gentillesse d’Henri. Était-ce uniquement dû à son look apparenté au bonhomme Michelin ? Peu importe, il n’avait rien d’autre à offrir sinon un don inné pour la cuisine de haut rang : Magret de canard sur confit d’ananas et cardamome, Saint-Jacques pannés à la citronnelle et caramel balsamique, escargots nappés de roquefort et dilution de macis… cet épicurien avait l’étoffe d’un chef trois étoiles sans le moindre diplôme hormis celui de meilleur preneur de poids toute catégorie.

    Frustré par tant d’injustice, il dissimula son bedon sous un jogging assez large pour abriter un banc de cétacés.

    Un proche désireux de conserver l’anonymat, relut-il interloqué.

    En l’absence de cercle amical autour de sa personne, l’adjectif « ami » prenait chez lui une définition toute particulière. Qui cela pouvait-il donc être ? Le gérant du supermarché où il allait habituellement faire ses courses ? Non, évidemment. Un pote connecté à Face de bouc ? Peu envisageable. La voisine alors ? Difficile à croire.

    D’un autre point de vue, prendre le large ne lui ferait pas de tort. Une cure de soleil, de fruits exotiques et de poissons maigres pouvait apporter un sacré lot d’avantages.

    En outre, personne ne réclamerait la présence d’un orphelin au chômage : son père était pour lui un illustre inconnu et sa mère ne se souvenait pour ainsi dire plus d’avoir eu un fils. Décidément, Henri n’était pas gâté. C’est pourquoi il venait de prendre la décision de préparer ses effets personnels dans l’hypothétique cas où la curieuse voiture passerait le prendre ce fameux vendredi. Qui sait, peut-être trouverait-il là-bas une égérie désireuse de poser ses ailes sous sa rassurante charpente. Le rêve était permis, aussi improbable fût-il.

    Il haleta comme un athlète en finale, se raclant la gorge à plusieurs reprises pendant qu’il enfilait ses chaussures.

    Changer d’air ne pouvait pas être pire que de rester prostré dans son cloaque poussiéreux. Vu de l’extérieur comme de l’intérieur, son appartement manquait cruellement d’une présence féminine. C’était un endroit mal décoré faute de moyens suffisants, sentant le renfermé et le célibataire endurci. Par ailleurs, il n’avait plus rien à y faire ; la console de jeu étant définitivement hors d’usage et le congélateur en passe de ne plus refroidir que l’humeur de son propriétaire.

    Henri Welles avait besoin d’argent. La perspective de trouver un emploi en sus des vacances le surchargea d’espoir. C’était peut-être la chance de sa vie, celle qu’il attendait depuis toujours.

    Il posa les yeux sur le blanc-bec gesticulant dans sa cage. Un épi de plumes éparses jaillissait de son crâne sympathique et rendait ses yeux ronds et noirs attendrissants. Il porta une patte garnie de serres délicates en direction des minces barreaux de son domicile étroitement délimité, signe avant-coureur d’une volonté de prendre le large, lui aussi.

    Josy-la-voisine, jouerait très bien le rôle de perroquet-sitter.

    — Chapitre 3 —

    La sortie de prison s’annonçait mal. Non qu’il préférait y rester, mais comprenez : recouvrer la liberté pour ce faire égorger huit jours plus tard par un gang de gros durs n’avait rien d’alléchant sauf peut-être pour le fossoyeur.

    Ajoutez à cela la raison du dilemme et vous vous retrouvez avec une situation dépassant la somme de toute la bêtise humaine : sa vie contre une photo pornographique volée à la sauvette !

    Qu’est-ce que vous voulez ? L’appel de la nature était le plus fort, il fallait bien y répondre. Et puis, elle était si belle… si appétissante. Une Asiatique avec de gros lolos.

    Bugsy ne la méritait pas.

    Bugsy était un grand Noir baraqué comme un porte-avions et équipé de la toute dernière technologie en matière d’armement : deux énormes poings nourris à la testostérone pure. Et Bugsy bénéficiait aussi d’une double carte secrète répondant aux doux prénoms de Puff et Daddy qui eux, vivaient en dehors des barreaux. Lorsque Bugsy l’exigeait, ces deux brutes épaisses prenaient le relais et obéissaient au doigt et à l’œil.

    Évidemment, avec le recul, tout cela prenait un air de profonde débilité, de dispute de bac à sable. Pourtant, dans l’univers carcéral, le plus petit des détails prenait des proportions bien plus gigantesques que le plus gigantesque des brontosaures ayant vécu sur terre.

    — Vie de con !

    En résumé, David Wolf avait le choix : rester au pays au risque de passer l’arme à gauche ou se casser à l’autre bout de la planète et ne plus en bouger. Sans hésiter une minute, il avait opté pour la seconde solution. Elle offrait la joie supplémentaire de ne pas nécessiter de bagage conséquent, un second slip étant superflu. De toute façon, il l’ôterait à la vue de la première naïade venue.

    David observa son reflet dans le miroir. Un mec commun, pas vraiment moche et pas vraiment beau non plus, plutôt bien bâti, mais pas assez pour combattre des tueurs nés comme Puff et consorts. La quarantaine, les yeux marron, une barbe naissante, des tatouages dédiés à toutes ses ex-conquêtes ou victimes selon le côté de la barrière où elles se trouvaient, lui couraient le long des bras. Son teint manquait de bronzage, une raison additionnelle pour prendre des vacances au soleil, restaurer son capital de vitamines D à la suite du temps considérable passé à l’ombre depuis la date fatidique de son incarcération.

    L’idée de boire un grand verre de piña colada lui traversa l’esprit, mais clandestinement, il espérait surtout faire la connaissance d’une vahiné à la poitrine opulente et au galbe délicieusement sculpté, histoire de dégripper sa mécanique trop longtemps abandonnée au mode automanette.

    UCPT… Il remercia ces quatre lettres magiques. Sans cette association caritative, personne ne se serait soucié de son bien-être.

    Le jugement prononcé deux ans auparavant avait catapulté David Wolf dans la catégorie persona non grata. Subséquemment, il n’avait plus ni famille ni ami. Un riche inconnu avait donc fait vœu de charité aux prisonniers nécessiteux. C’était tombé sur lui, le bonheur frappait donc bien un jour ou l’autre à toutes les portes.

    Encore deux jours. Une pénitence.

    Jetant un œil mauvais sur le contenu de son portefeuille, il se souvint ne plus être en mesure de payer le montant du loyer. Un logis réglé en espèces et au jour le jour. Un taudis. À tout prendre, il préférait devenir un SDF en vacances. La lettre insistait sur ce point, inutile d’emporter le moindre denier, le séjour incluait tous les frais inhérents au déplacement : le gîte comme le couvert. Un sourire satisfait barra son visage de bagnard repenti. Un véhicule allait venir le prendre. Cela supposait de devoir rester sur place jusqu’à son arrivée.

    Mais comment pouvaient-ils avoir connaissance de l’endroit où il se trouvait ?

    L’enveloppe avait atterri dans le casier réservé à ses effets personnels. Une énigme à laquelle aucun maton ne put fournir d’explication. Comment avaient-ils été informés de sa libération ? Comment allaient-ils savoir où le trouver ? Comment survivre sans moyens financiers ?

    On en revenait donc toujours au même souci : il fallait tenir deux jours sans un rond et trouver une astuce pour absorber l’épineux problème du loyer.

    Quatre possibilités : dépouiller une petite vielle, monter un bobard au proprio, lui faire avaler son bulletin de naissance ou trouver un emploi payable à la journée. Autrement dit, jouer dans l’illégalité encore une fois.

    À juste titre, David ne se considérait pas comme un bellâtre ; pour la prostitution, c’était mal barré. Dommage, il aurait pu se « vider les couilles ». Après deux années passées derrière les barreaux, on devient moins exigeant. Une laide, une vieille, une chèvre, un trou, tout était bon pourvu qu’il y ait capote au bout du chemin.

    Il observa sa tête de repris de justice dans la glace et fit table rase de ses projets libertins avant de piocher dans la rubrique gros mensonge. Il finirait bien par amadouer le propriétaire, quitte à enfiler un coup de poing américain et à lui tatouer une barrette de hiéroglyphes sur le front.

    — Chapitre 4 —

    Le choix se porta tout naturellement sur une limousine. Lourde comme un char d’assaut, elle consommait l’équivalent du kérosène d’un Boeing 747 ralliant Paris à Honolulu. Le fric ne manquait pas, il fallait le montrer. Rien n’est trop faste pour impressionner les foules.

    Elle était recouverte d’une peinture claire, blanche comme la pureté d’une colombe. La plaque minéralogique laissait pantois : UCPT 002. « Une Chance Pour Tous ». Un nombre à un ou deux chiffres ne suffisait pas. L’ajout de deux zéros renvoyait à la possibilité d’un parc automobile allant de 001 à 999 même si dans les faits cela paraissait peu probable.

    Des vitres opaques finissaient d’épater la galerie. Aux commandes de ce mastodonte sans fin, supposait-on un chauffeur irréprochablement tiré à quatre épingles, poli comme du marbre de Carrare.

    Le pachyderme se déplaçait en silence. À croire qu’il était pourvu d’un bloc moteur hybride en mode électrique. Il entra dans une allée menant à un vétuste bâtiment. Une usine désaffectée. Sans aucun doute un endroit squatté par des zonards ou par une bande de criminels organisés. Il fut étonnant de constater l’absence de réaction de la part desdits malfaiteurs.

    Rebecca se cramponna à la poignée. Le voyage commençait mal. Cet endroit ne lui convenait pas. C’était glauque, froid, rien à voir avec la promesse d’une île paradisiaque.

    Face à elle, un type bizarre, tatoué de toute une flopée de prénoms féminins n’arrêtait pas de la fixer. Son visage exprimait le pas net, le pas frais, le pas fréquentable. Pour être exacts, peu de participants recevaient l’allégeance de Rebecca. C’était plus simple. Inutile de perdre du temps en verbiage sans intérêt.

    Une seule personne avait pris la peine de faire les présentations. Un « gros plein de soupe » monopolisant la place d’au moins trois individus. Il souriait bêtement.

    — J’me présente, je m’appelle Henri, s’était-il écrié, j’voudrais bien réussir ma vie…

    L’allusion à la chanson d’un artiste trop promptement disparu tomba à plat et personne n’adhéra au trait humoristique.

    — Qui de vous dois-je remercier ?

    Personne ne comprit. Les visages se montraient peu réceptifs.

    — Quoi, ne me dites pas que vous êtes tous invités par l’oncle Sam ?

    Le gros avait tapé dans le mille. L’énorme voiture comptait suffisamment de places assises pour transporter neuf personnes, le conducteur et son acolyte non compris. Ce dernier ressemblait à une espèce de pantin désarticulé, promu au rôle de GO.

    Cela semblait clair : ils étaient tous de la partie et allaient devoir vivre ensemble cette extraordinaire épopée, partager leurs repas et peut-être aussi les chambrées. Une option peu enviable pour celle qui hériterait d’Henri-le-Bibendum.

    Rebecca n’aimait pas grand monde et cela se voyait. Trop souvent, on l’avait jugée sans jamais se mettre à sa place. Tous empruntaient un cheminement identique : les soi-disant amis, la famille, les étrangers. Le regard des autres faisait fi de sa personne et se figeait uniquement sur son homosexualité.

    Non, les lesbiennes n’affichaient pas toutes le faciès et le comportement de camionneur vêtu d’un marcel défraîchi. Elles ne rotaient pas, ne pétaient pas plus que la moyenne, ou alors en parfaite intimité. Beaucoup se montraient féminines, aguichantes et mignonnes. Rebecca ne reniait pas sa féminité, elle la revendiquait au contraire. Son ventre rond de sept mois et des poussières en était la preuve la plus évidente.

    Frustrés, la plupart des hommes ne comprenaient dès lors pas pourquoi une superbe fille se refusait à eux. Ils passaient alors immédiatement par la case agressivité ou plus généralement à la vulgarité. Un peu comme ce tatoué qui la déshabillait du regard, la confondant avec un dessert à consommer sur place et sans modération. De là où elle se trouvait, Rebecca pouvait entendre ses pensées lubriques suinter comme une transpiration malodorante :

    « Hé, poupée, si tu veux un autre mouflet j’ai du foutre en réserve… »

    Encore un immonde macho avec une « tête de bite » pensa la jeune femme. Comment s’appelait-il déjà ? Ah, oui : Wolf. Comme son premier chien ; un bâtard puant à l’haleine de phoque.

    Dieu qu’elle pouvait être belle. Il respirait son parfum par grandes lampées enivrantes. Une senteur florale. Sa peau devait irradier le goût du sucre et David se sentait tel un ours à l’affût d’un pot de miel, imaginant s’en badigeonner le corps tout entier. Du sucre comme celui-là, il en aurait mangé jusqu’à devenir diabétique. Une indigestion de glucose après tant d’abstinence. Et dire qu’il n’avait pas économisé suffisamment d’argent pour se « taper une pute » au rabais dès sa sortie de prison ! Les bourses pleines à craquer, il n’en fallait vraiment pas plus pour transformer chaque seconde en supplice.

    Rousse et d’apparence mince malgré une grossesse avancée, il lui devinait des seins lourds et laiteux. Impossible de soutenir ce regard sauvage, un brin défensif, un tantinet provocateur.

    Incarcéré pour viol, il sentit poindre la récidive et le besoin physique s’emparer de lui.

    David aurait donné sa vie pour revenir une heure au temps des hommes des cavernes et sauter la femelle contre le premier rocher venu. Cette époque — certes révolue — avait le mérite de donner satisfaction à la moindre montée de sève.

    — C’est quoi votre nom ?

    — Rebecca, souffla dédaigneusement la fée aux yeux de braise.

    — Rebecca comment ? s’intéressa David Wolf.

    — Rebecca tout court.

    Expert, il le remarqua sans tarder : aucune alliance ne venait obscurcir ses projets entreprenants et compte tenu de l’absence d’homme à ses côtés, il pouvait prétendre à une issue favorable, jouer au mec sincère venant au secours d’une belle larguée par un sale con après l’avoir mise en cloque. La persévérance semblait de mise et quand bien même postulant il y eut, Wolf n’aurait fait qu’une bouchée de cette concurrence.

    — Comment cet enfoiré a-t-il eu le cœur de vous abandonner dans cet état ? Une jolie femme comme vous… Vraiment, quelque chose m’échappe.

    Même sa voix était désagréable. Il y avait dans ses intonations quelque chose de poisseux. Impassible, la rouquine profita de l’occasion pour clore le débat et rompre l’échange avec ce lourdaud bardé de tatouages.

    — Vous avez entièrement raison : quelque chose vous échappe ! Qui vous dit que je suis seule ?

    Contre toute attente, un autre interlocuteur se mêla à la conversation. « Henri-le-cachalot » s’y mettait aussi. Rebecca n’avait surtout pas besoin de ça.

    — Nous sommes tous célibataires ou veufs dans cette voiture. Aucun d’entre nous n’a de femme ou de compagnon. Vous ne portez pas de bague au doigt et moi non plus. Personne ne partirait à l’aventure sans emmener son conjoint ou ses enfants. Et puis ça coûte moins cher d’offrir des vacances à des gens qui vivent seuls… c’est simple à deviner.

    La fée rousseur rumina sa mauvaise humeur.

    Encore un plouc à la pointe de l’observation.

    À son tour, Wolf jeta un regard noir sur le visage de Welles. Ce gars devait avoir le derrière suffisamment large pour occuper deux sièges à lui tout seul.

    — Va falloir deux fois plus de kérosène pour faire décoller l’avion. Tu parles d’économie !

    Henri ne releva pas le mot. Ce genre de réflexion, il avait déjà dû en encaisser des tonnes et depuis le plus jeune âge.

    Le premier voyage dura un peu plus de deux heures, le temps pour « Olaf-le-G.O. » et son chauffeur de traverser la partie sud de la Belgique pour rejoindre l’aéroport de Zaventem en périphérie bruxelloise.

    La limousine s’engouffra dans les embouteillages de la capitale non sans omettre au passage de charger les chanceux lauréats. Ce délai fut mis à profit pour faire plus ample connaissance avec la faune locale. Si certains s’avouaient plus bavards que d’autres, tous s’accordaient à dire que le champagne parfumé à la violette mettait en évidence des vertus gustatives insoupçonnées. Tous, sauf peut-être la rouquine qui se contenta de présenter un simulacre de gaieté.

    Heureusement pour elle et les adeptes de la procréation sans paternité, les progrès fulgurants du monde médical l’avaient aidée à concevoir la vie in vitro. Elle remercia secrètement le professeur Goessens de lui avoir donné cette chance.

    Les voyageurs tentèrent de s’informer auprès du conducteur et de son acolyte quant à la destination de cet occulte voyage. Pour éviter de devoir se répéter à chaque embarquement, il leur fut promis des éclaircissements sitôt l’ensemble des hôtes réunis à bord du véhicule.

    Henri Welles fut le premier à lever sa coupe en l’honneur de l’UCPT. Certes, il ne croyait pas un traître mot à cette histoire d’île paradisiaque, mais qu’importe, les mécènes avaient au moins eu le mérite de le sortir de son marasme quotidien. L’apéritif était offert, il en allait de même pour les zakouski et de toute évidence, il n’était pas le seul à profiter un tant soit peu de la situation. Il estima le moment approprié pour lancer un brin d’humour dans l’assemblée, escomptant cette fois faire mouche et remporter un minimum de succès.

    — On verra si votre intendance est aussi douée qu’elle le prétend. Le champagne c’est facile, ça court les rues par ici, émit-il faussement blasé, trouver un maillot à ma taille en revanche ça l’est beaucoup moins…

    Le gros Henri décrocha un demi-sourire de la part de l’assemblée. Il aurait souhaité déclencher la risée générale en pratiquant l’auto dérision. Loupé une fois plus. C’était pourtant connu, l’humour était un puissant palliatif à l’obésité. Et de cet ingrédient, Henri en avait à revendre.

    Sur Internet, il lui arrivait de « clavarder » pendant des heures. Il voyait cet instrument comme une aubaine. Derrière son écran, il se sentait différent, invisible, et subséquemment comme tout le monde. Sur le net, il n’y avait pas de premier regard, de jugement hâtif et accusateur. Le poids des mots se suffisait à lui-même. Un minimum d’intelligence, un peu de bagout associé à un poil d’ironie et la grosse baudruche devenait tout à coup le plus vantard des séducteurs. Cent cinquante kilos de séduction pour être précis.

    Le réseau avait cela d’extraordinaire : il demeurait anonyme et totalement opaque aux regards extérieurs. Mais la toile souffrait aussi d’un triste désavantage. Elle pouvait se muer en une entité malveillante. Henri en avait fait les frais. Après plus de deux mois passés à dialoguer avec une « internénette » à l’âge et à la mentalité compatible, après avoir développé par écrit les prémices d’une relation émotionnelle, il s’était enfin décidé à allumer sa webcam et à divulguer son apparence à l’ensemble de la communauté. Son amie virtuelle le lui avait demandé. En échange et en guise de bonne foi, sa dulcinée numérique devait à son tour poster une photographie de sa personne. Il la savait brune, les cheveux mi-longs et les yeux noisette. Il complétait mentalement les lacunes par les fantasmes de son idéal féminin. Jolie, sensuelle et totalement sous le charme.

    Mal lui en prit, après s’être donné en spectacle le contact fut rompu. Il s’était senti blessé, ridiculisé et investi d’un océan de culpabilité.

    Belles conneries, ressassa-t-il, ces femmes ne pensent décidément qu’à l’emballage et se fichent éperdument du contenu. Autant s’offrir une belle boîte de caviar périmé !

    Ces chéries s’imaginaient peut-être pouvoir conserver une attirante plastique toute leur vie durant ? Il y avait heureusement une certaine justice…

    Un jour ou l’autre, la fleur se flétri, l’été fait place à l’automne, les peaux se rident et se distendent. Ses jeunes filles pouvaient bien se moquer ; les grand-mères de demain se substitueraient toujours aux canons de beauté d’aujourd’hui. Elles pouvaient jouer les pin-up, mais viendrait toujours un temps où la date de péremption s’afficherait au compteur. Ainsi va la vie. Henri s’était donc réfugié dans une espèce de cocon étanche et imperméable aux plaisirs amoureux. Il se refusait désormais à faire le premier pas de peur d’essuyer le refus ou la raillerie de trop.

    À titre de représailles envers cette gent féminine adepte du muscle saillant et des torses épilés, Henri Welles s’adonnait au jeu de la vision du futur. Le principe consistait à observer une jolie fille et se l’imaginer avec trente ou quarante ans de plus, leur ajoutant pattes d’oie et autres ridules saupoudrées d’une chevelure sel et poivre. Psychiquement, il en avait défiguré plus d’une et l’image ainsi véhiculée dans son esprit apaisait bien souvent ses ardeurs érotiques.

    Finalement, il détestait les femmes. Mais il ne pouvait pas pour autant se passer de les désirer. Trop timide pour s’offrir les services d’une péripatéticienne, il en était réduit à explorer les bienfaits de l’amour en solitaire. Béni soit l’Internet.

    Profitant de la pureté du son généré par les diffuseurs de la limousine, il dodelina de la tête, pour ainsi dire envoûté. Vêtu de sa tenue de jogging fétiche et d’un T-shirt quintuple XL, ce garçon était taillé comme un baobab. Il leva son verre et trinqua avec ses proches voisins.

    Fred observa ce type dégoulinant de graisse et le confronta mentalement à son corps de petite fille mal nourrie. Il y avait chez lui assez de matière pour en fabriquer trois comme elle. De lointains souvenirs évoquèrent la présence d’un Stan Laurel et d’un Oliver Hardy en gras et en os.

    La tombée de la nuit sonna le glas de la journée et l’obscurité naissante renforça le sentiment d’insécurité. Pourtant, la limousine demeura immobile, attendant sagement l’arrivée des derniers passagers.

    L’organisateur s’apprêta à biffer les noms des deux absents quand une ombre passa devant le pare-brise. Soulagé, il ouvrit la portière et se hissa au-dehors.

    — Madame Macpherson ? Lisabeth Macpherson ?

    Hochement de tête silencieux.

    — Je suis Olaf, déclara le pantin.

    Il devait souffrir d’une maladie dégénérative ou de la danse de Saint-Guy tant il tremblait de toutes parts.

    — Elle est de vous la lettre ?

    — Non, fit Olaf sans faire d’effort pour camoufler son accent émanant d’un pays de l’Est. Il étoffa sa réponse :

    — Mais je suis mandaté par la société qui vous l’a expédiée. Votre fille est-elle dans les parages ?

    Hésitations.

    Olaf avança d’une enjambée. Il faillit tomber ou fit semblant de le faire, nul ne put le dire avec certitude.

    En contrebas de maman Macpherson, une frimousse rose perça la pénombre.

    — Ah ! Te voilà enfin, petite princesse. Princesse Lucy pour être exact. Je le vois sur le manifeste : tu aimes les bonbons à l’ananas. Là où nous allons, il y a des tas d’ananas, tu sais ?

    La petite Lucy, une gosse de sept ou huit ans s’insurgea :

    — J’aime pas les ananas. J’aime seulement les bonbons à l’ananas !

    Olaf présenta ses excuses les plus plates pour avoir commis pareille bévue. Il fallait montrer patte blanche même si les tabarinades¹ d’enfant le mettaient d’ordinaire hors de lui. La correction étant effective, il leur proposa de prendre place à bord du luxuriant carrosse puis referma la porte dans un claquement sourd. Il réintégra son siège à l’avant non sans peine, côté passager. Le moteur démarra.

    — Bonjour, toussa Henri bardé d’un large sourire s’adressant principalement à la fillette.

    — 'Jour, rendit-elle avec respect.

    Sa mère était la seule à s’encombrer d’un grand sac d’où deux jambes de poupées dépassaient, les effets personnels d’une enfant ne pouvant en aucun cas être laissés à l’abandon. Le sacro-saint doudou faisait partie du patrimoine familial et entendait bien y rester.

    Olaf fit pivoter son fauteuil tandis que la limousine s’engageait sur la voie publique. Il faisait face aux invités regroupés en rang d’oignons le long d’une banquette capitonnée en cuir noir qui serpentait l’habitacle.

    — Nous sommes au complet. Neuf jeunes gens dans la fleur de l’âge, prêts à vivre une expérience hors du commun.

    Un milliard de questions planaient au-dessus du groupe. À commencer par les plus importantes : Qui ? Où ? Pourquoi ? Le comment étant amené par le billet d’avion.

    — En réalité, vous n’êtes pas les premiers à obtenir un visa pour l’éden, continua le guide tremblotant, cette opportunité est en fait le troisième opus d’une symphonie jouée en l’honneur des laissés-pour-compte. Vous vous demandez certainement ce que vous avez bien pu accomplir pour mériter cette chance…

    C’était effectivement l’énigme la plus populaire de la semaine. La vie n’octroyant de cadeau à personne, il semblait raisonnable de penser à un traquenard. Pourtant, personne n’avait décliné l’invitation. Ni Roy Lieberman, ni Mathilda, ni David Wolf, ni Rebecca Lorenz, ni Henri, ni Éric, ni Fred, ni Lisabeth et encore moins sa jeune fille Lucy.

    —… dites-vous que c’est le pur fruit du hasard, que pour une fois, vous avez gagné le gros lot, poursuivit-il.

    Le maître de cérémonie feuilleta son carnet avec un large sourire. Il fallait redonner espoir aux élus, faire cesser les incertitudes. Olaf commençait à ressentir une certaine accoutumance. Cette nouvelle cuvée n’était pas différente des deux autres : ils se demandaient tous pourquoi ils étaient là, mais n’avaient pas d’autres choix que d’accepter leur destinée. Rien de bon ne les attendait en ce bas monde et dans de telles conditions, autant vérifier si l’herbe n’était pas plus verte ailleurs.

    La musique crachotée des haut-parleurs dérivait d’une ballade exotique remixée à la sauce électropop. Un tube, assurément. Peut-être même la meilleure vente de l’année.

    Olaf avait l’air d’un ex-agent du KGB ayant pris deux balles dans le bulbe rachidien. Il se tordait maladivement dans tous les sens, froissant les feuilles de son porte-document à chaque soubresaut. La scène frisait le ridicule. Pourtant, personne ne se moqua. La peur de créer une ambiance pesante à

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1