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Traverses: Nouvelles
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Livre électronique290 pages3 heures

Traverses: Nouvelles

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À propos de ce livre électronique

Découvrez ce recueil de nouvelles originales traitant des malheurs du quotidien.

Pas de nouvelles, bonnes nouvelles. C’est terminé ! Nous ne pouvons plus vivre en paix. Un minimum de conscience nous amène à déplorer cet état de fait sans que nous réagissions autrement que par de sempiternelles lamentations sur la démence des hommes.
Les nouvelles qui suivent ne sont donc pas très réconfortantes. Je les ai néanmoins écrites avec suffisamment de concision et, pour la plupart d’entre elles, un minimum d’humour afin qu’elles ne provoquent point de malaise et qu’au contraire, tout en suscitant une réflexion, elles ne soient pas trop dérangeantes à la lecture.

L'écriture envoûtante de Georges Elliautou et les désillusions des personnages vous plongeront dans ce recueil et vous feront savourer chacune de ces nouvelles.

EXTRAIT

Il ne craignait pas son fils. Il n’avait pas peur de sa femme. Il était sûr de lui. Il leur ferait savoir qu’il n’était pas homme à se laisser impressionner par quiconque, et encore moins par sa moitié et son rejeton. Ah ça, mais !
N’était-ce pas lui qui faisait bouillir la marmite ? Bien évidemment. Il devait se lever à des heures impossibles, se coltiner des transports en commun interminables, supporter un chef stupide et mesquin, faire des heures supplémentaires, et même travailler au noir, pour que madame aille chez le coiffeur et dans les boutiques, que monsieur son fils parade sur sa puissante motocyclette aux chromes rutilants. Il en avait assez ! Il le leur ferait savoir.
Il leur signifierait son ras-le-bol. Et ce d’une manière suffisamment claire afin qu’ils comprennent que son rôle de vache à lait n’était plus de saison. Il avait d’autres visées que celle de les servir en tant qu’esclave. Il ne les couvrirait plus de cadeaux à la moindre occasion. Il ne leur offrirait plus le restaurant à tout va sous prétexte que madame est éreintée, que monsieur n’apprécie plus les plats congelés. Il imposerait sa discipline. Il les obligerait à s’activer un peu, l’une à la maison, l’autre au lycée. Déplorable ! Le ménage jamais fait, la cuisine inutilisée, les notes proches du zéro pointé, la moto le plus souvent en réparation, la voiture à l’usage pour ainsi dire exclusif de la garce et du vaurien, les copains et les copines vidant le bar et le réfrigérateur, les factures faramineuses d’eau, d’électricité, de téléphone, de chauffage, la jouissance effrénée de la carte bancaire phagocytant le compte en banque… la gabegie égoïste tournant au désastre. Il avait était trop bon. Mais c’était fini !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Georges Elliautou est né à Bergerac et voyage au gré des circonstances et de sa fantaisie. Il réside un temps au Canada puis de retour en France, il reprend des études, obtient une maîtrise de Lettres modernes et une licence de philosophie à Paris VIII.
Il enseigne dans un lycée de l’Est algérien, dans le cadre de la Coopération, et en France. Il démissionne de l’Éducation nationale, retourne en Périgord où il écrit poèmes, aphorismes, nouvelles, romans publiés chez divers éditeurs, sites et revues littéraires.
LangueFrançais
Date de sortie4 nov. 2019
ISBN9782851138804
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    Aperçu du livre

    Traverses - Georges Elliautou

    Du même auteur

    Mauvaises nouvelles, volume I-II, Tirtonplan, 1997

    Aphorismes 1 et 2, éditions Les Amis de la Poésie, 1998

    Aphorismes & vignettes, éditions Gros Textes, 2009

    Reflets, haïkus, éditions Les Amis de la Poésie, 2012

    Sans me soucier de descendre du singe, vétilles, Cactus inébranlable éditions, 2014

    Théophraste, roman, éditions Jean-Jacques Wuillaume, 2019

    Aux éditions Jack Harris

    Un regard, micronouvelles, 2009

    Quand quatre pattes ne suffisent pas à un canard, vétilles, 2010

    L’Avant-dernier des Mohicans, vétilles, 2010

    Celui par qui la sandale arrive, vétilles, 2010

    Je sais, vétilles, 2011

    Chez Edilivre

    Amuse-gueule, vétilles, 2014

    Gustave, roman, 2016

    Spirale, roman, 2017

    Passion, roman, 2018

    Des nouvelles, des aphorismes, des poèmes et autres écrits de l’auteur paraissent dans des revues et sur des sites littéraires.

    La faim

    La Terre était trop cruelle pour lui. Il rêvait de côtoyer les étoiles comme on fréquente les humains. Il les saluerait, les caresserait parfois, foulerait le sol poudreux des planètes, se baignerait dans les flammes des soleils. Il serait indestructible, immortel, plus grand que tous les dieux pourvus par les hommes de perfection. Il serait le commencement. Et non la fin !

    La FAIM ! Il avait faim. Terriblement. Il en était décharné au point de sentir son esprit le quitter doucement, s’évader de ce squelette encore recouvert d’une peau sèche, ridée, tannée par un soleil implacable et une poussière que soulevaient ses pas durant sa marche de supplicié vers un lieu qu’il espérait miraculeux. Vers un havre où il pourrait oublier un instant son pays ravagé par la guerre, ignoré des pluies, abandonné du ciel, et où l’attendraient une poignée de riz, une bouteille d’eau.

    Son épouse et ses enfants le suivaient comme son ombre, s’accrochant parfois à ses loques quand le sol devenait trop dur pour leurs pieds ensanglantés. Ils devaient s’arrêter de plus en plus fréquemment, cherchant l’ombre d’un rocher, la paille d’une herbe comestible, une humidité au fond d’un trou creusé dans l’espoir d’une racine gorgée de suc.

    Ils avaient eu de la chance. Aucun d’eux ne portait de trace de blessures pratiquées trop souvent à coups de machette ou de gros bâton armé de clous. Ils avaient pu fuir à temps la sauvagerie d’une soldatesque bourrée de mauvais alcool et de slogans primitifs distribués par un pouvoir d’autant plus sanguinaire qu’il était illégitime.

    Ils se dirigeaient vers un centre d’accueil diligenté par la mauvaise conscience de ces lointains et fortunés semblables ― et pourtant si différents dans leurs façons d’être et de vivre en leur inaccessible paradis. Ils n’y arriveraient peut-être jamais. Ils n’en pouvaient plus. Ils devaient puiser au plus profond d’eux-mêmes l’énergie mourante de la survie. Il ne leur resterait bientôt plus que l’instinct des bêtes pour refuser de crever là, sur la piste, sous le ciel, au soleil et dans la poussière. Il leur fallait encore tenir jusqu’au prochain pas, rattraper sans cesse leurs trébuchements, ne pas entendre la mort leur suggérant de tout laisser là.

    Ils arrivèrent enfin. De loin, ils avaient vu les belles tentes et les véhicules neufs disposés ainsi que des jouets sur la plaine jaune et ocre en contrebas.

    Le calvaire s’achevait. Ils allaient boire, manger, dormir sous la protection des dieux blancs. Ils les béniraient comme on se prosterne devant l’idole, comme on tremble de désir devant la corne d’abondance.

    Las, les dieux avaient fichu le camp, sous prétexte que l’un des leurs avait été sérieusement bousculé par un ministre ayant considéré comme nettement insuffisante sa part de l’aide alimentaire et financière attribuée avec bien des grimaces et trop chichement à son goût aux puissants d’une contrée en perdition qu’ils estimaient comme leur chasse gardée.

    Il ne restait plus du camp que les carcasses d’une générosité hasardeuse. Carcasses qui grouillaient de charognards chassant à coups de crosse les rescapés de famines et de tueries perpétrées sous un ciel sans nuages.

    L’homme, la femme et les enfants, insensibles aux brutalités, s’assirent dans la poussière, sous le soleil de plomb.

    Underground

    C’était jadis. Alors, le ciel demeurait bleu des jours entiers. Le soleil dispensait une douce chaleur et la lune, la nuit tombée, traversait lentement le firmament piqueté d’étoiles. Les hommes de ce temps-là regardaient parfois la voûte céleste, enchantés ou sidérés par l’immensité de l’espace. Le poète prenait sa lyre et le savant ou le philosophe s’interrogeait sur la relativité de la condition humaine. Et si les hommes n’étaient point tous heureux, du moins espéraient-ils encore. Ils croyaient à une existence parfois difficile mais dont l’exercice ne sombrait point à jamais en un trou dans la terre recouvert d’une pierre. Ils croyaient en un dieu, à une idée, à la nature, en leurs semblables, à l’amour, à la famille, au passé et au futur ; en un monde meilleur que leur labeur et leur intelligence préparaient. L’homme avait foi en Dieu ou en l’Homme.

    C’était Avant. Mais depuis tout a changé. L’homme ne vit plus sur la terre, mais enfoui dans d’immenses cavernes de béton. L’air filtré y est petitement attribué et la lumière n’y est qu’artificielle, dispensant la pénombre à des êtres blafards, difformes et malades ne s’interrogeant plus sur la mort.

    Ils ne se lamentent point. Ils acceptent cette existence de cloportes, fourmillant sous des dalles de béton et de plomb, protégés des radiations et du froid, seuls éléments de la surface d’une planète maudite tournant dans le silence indifférent de l’immensité.

    Ils ne gémissent pas. Ils n’ont plus d’âme ni de cœur pour cela. Ils acceptent cette inhumanité, cherchant malgré tout à oublier la Faute pour ne point sombrer dans l’hébétude ou la démence. Car il leur reste leur intelligence. Une intelligence inutile, encombrante, superflue. Une intelligence dont ils voudraient se défaire, mais qui les imprègne depuis tant de millénaires qu’elle fait corps avec leurs gestes et leur instinct.

    Ils ne croient plus en rien. Ils se perpétuent néanmoins, procréant et élevant des petits, respirant doucement, ingérant des algues et des champignons distribués chichement par une autorité mécanique. Ils grouillent dans de sombres espaces humides dont ils recueillent sur les parois et tirent des puits l’eau indispensable à la survie. Ils persistent, mais ils persistent comme persévèrent les termites, membres aveugles d’une communauté copiée sur l’organisation sociale de ces insectes.

    La reine, celle qui est source de vie, c’est la centrale nucléaire sauvée du désastre.

    Pluie

    Il pleuvait. Il pleuvait encore. Il pleuvait toujours dans ce bled où il était né, où il vivait, où il mourrait un jour. Ce bled ! Ils avaient le soleil, eux. Ils avaient le ciel à l’infini, ou presque. Ils habitaient des maisons de terre à l’ombre desquelles ils s’asseyaient, regardant le lointain aride et silencieux, ondulé de quelques collines rocailleuses. Ils avaient parfois le ventre vide mais l’esprit en repos. Ils ne désiraient qu’une femme, des enfants, du froment et du thé, et un âne, quelques moutons et quelques chèvres qui mangeaient des épines et leur donnaient un lait maigre et de la viande pour les fêtes ou pour honorer un dieu qui leur dictait leur conduite, loin de ce monde corrompu. Ils avaient un cœur et une âme. Et ils avaient un corps sec, noueux, qu’ils enfermaient dans de la laine fleurant le suint pour se protéger du soleil. Du soleil !...

    Du soleil… Il abhorrait la pluie. Il détestait le ciel lourd et bas. Il exécrait le froid. Il haïssait cette cité coincée entre un aéroport, des autoroutes, une voie de chemin de fer. Il ne supportait pas sa minuscule chambre dans cet appartement aux murs de béton et aux minces cloisons dans laquelle il ne pouvait s’isoler de sa famille et des voisins. Le bruit, le vacarme parfois lui tenaient lieu de pensée. Il traînait ses jours, écouteur bouchant ses oreilles, musique débile et tonitruante emplissant sa cervelle. Il en avait marre !

    Il ne sortait plus. Il n’avait plus d’espoir. Ses parents travaillaient comme des bêtes, piégés par les traites dues pour des objets de pacotille qu’une publicité mensongère rendait désirables pour leur esprit simple. Il avait vingt ans.

    Il y avait cru. Il aurait voulu être un bon élève dans des classes studieuses et non surchargées et chahuteuses. Il avait tenté de suivre dans le désordre. Il avait évité les bandes de jeunes désœuvrés cherchant la bagarre et les coups foireux. Il avait échappé à la drogue et à la délinquance. Il s’était réfugié dans la lecture autre que celle des bandes dessinées. Il avait tenu le coup longtemps. Il s’était même cultivé en lisant des livres d’histoire et des œuvres littéraires. Balzac, Stendhal, Flaubert, Baudelaire, Rimbaud et combien d’autres avaient été ses amis. Stendhal, Rimbaud… combien il eut voulu être Fabrice, combien il eut aimé chausser des semelles de vent…

    Et puis, il avait laissé tomber.

    À présent, il lui arrivait de hurler de rage pour couvrir le BRUIT. Il lui arrivait de s’enterrer sous ses couvertures pour ne plus voir le CIEL. Il lui arrivait aussi de mourir d’ennui et de désespoir.

    L’ennui

    Il se demandait ce qui pourrait le sauver. Il en était à s’interroger sur son goût pour l’existence, voyant l’âge imposer à son corps la pénible réalité d’un présent distendu et d’un futur raccourci chaque matin à son réveil ; et tous les soirs, lorsque son passé l’ennuyait quand le sommeil tardait à le faire sombrer dans l’oubli.

    Ses journées étaient si grises qu’il s’étonnait de leur accorder une quelconque attention. En quoi méritaient-elles sa présence ? Pour quelle obscure raison décidait-il de les accomplir lorsque, sorti de sa couche, il traînait ses savates vers la cuisine pour répéter une cent millième fois le même geste consistant à préparer un petit déjeuner et à l’ingurgiter d’une bouche amère. À quoi bon utiliser la salle de bains, si ce n’était pour un besoin pressant ? Pourquoi s’habiller ? ouvrir les volets ? la télé ?... Il serait si simple de rester couché, d’attendre une fin qui serait douce s’il décidait de ne plus s’occuper de son corps et d’oublier ce maudit cerveau qui y fonctionnait encore.

    Mais voilà, il ne pouvait pas. Il ne se résolvait point à se simplifier la vie en laissant celle-ci s’éclipser de son être charnel. Il lui restait l’instinct. Et contre cela, que pouvait-il faire ? Aucun raisonnement, aucune intelligence ne parvient à effacer cette animalité inscrite en chacun. Il est impossible de passer outre. Et il n’est que la passion ou la démence qui permettent de supprimer une existence considérée aveuglément comme intolérable.

    Qu’avait-il accompli ? Qu’avait-il même entrepris ? RIEN. Il était d’une espèce contemplative, dotée de suffisamment d’esprit pour réaliser l’inanité de tout ouvrage et la vanité des êtres et des choses. Il n’avait jamais été qu’un spectateur, se satisfaisant de voir les humains se démener comme de beaux diables pour des idées ou des objets sans intérêt. Il n’avait pu se résoudre à fonder une famille, sachant qu’un devenir lamentable attendait les humains égoïstes et pervers. Il avait simplement accepté de vivre, jouant la comédie sociale dans ses moments optimistes, s’isolant du monde lorsque le dégoût de lui-même devenait trop fort. Et il avait traversé les décennies vaille que vaille, jamais satisfait, indifférent parfois, malheureux trop souvent.

    À présent, il lui fallait se décider. Il était fatigué. Il ne pouvait plus supporter son ennui tournant au désespoir. Mais comment contrer la nature ? La vie ? Comment accepter la mort quand l’instinct s’y refuse ?

    Il ne pouvait se résoudre à passer à l’acte. Tout son être se révoltait. Il n’avait jamais connu la passion qui aurait pu l’entraîner en un instant de folie hors du règne du vivant. Il lui aurait fallu pour cela être un adolescent blessé, délaissé, désespéré, voulant prouver à une belle dédaigneuse l’immensité de son amour. Il lui aurait fallu se battre pour une idée, se sacrifier pour elle. Il lui aurait fallu être généreux au point de se jeter à l’eau ou dans les flammes pour sauver une vie. Il lui aurait fallu vivre pour côtoyer la mort. Mais il ne savait pas vivre et craignait de mourir. Il ne voyait pas la solution.

    Elle se présenta à lui sous une forme inattendue. Un accident vint interrompre pour toujours ses sombres cogitations. Une voiture le renversa au milieu de la rue qu’il traversait pour aller chercher son pain.

    À présent, plongé dans un coma profond, il ne vit ni ne meurt, l’esprit inexistant, le corps branché et surveillé en permanence.

    Branchés

    Il y avait longtemps que l’on ne connaissait plus la table de multiplication et même pour beaucoup l’alphabet. On était tous nantis de calculatrices et de dictaphones, laissant œuvrer ces miniatures numériques qui commençaient à provoquer bien de dédoublements de la personnalité. On n’en avait cure. On estimait être suffisamment aguerris pour ne point risquer sombrer dans l’ignorance absolue. Au contraire. On était persuadés de participer à l’avènement d’une ère numérique qui nous offrirait bientôt l’existence et le savoir sur un plateau. Et l’on n’était pas peu fiers d’être branchés, ainsi qu’on disait alors de tout individu équipé de ces merveilles emplissant les poches et meublant les intérieurs.

    Adeptes de ces bijoux, on ne faisait plus rien d’autre que de pianoter sur des écrans pour communiquer à tout va et à tu et à toi avec n’importe qui. Le monde était ainsi tissé de milliards de connexions entre des étrangers qui se traitaient comme des frères. On s’enthousiasmait pour des trouvailles ne valant pas tripette, pour des objets et des idées jetables, pour des illuminés, des escrocs, des criminels et tutu quanti sans s’occuper de quelques farfelus, des hommes de bonne volonté cherchant sans succès aucun à introduire un peu d’humanité dans cette fuite en avant d’une majorité d’humains à la recherche de l’absolu technologique.

    On n’était point heureux, mais on se persuadait de lendemains qui chantent, d’avenir radieux, et d’autres slogans bien mis à mal par des idéologies passées qui avait voulu faire le bonheur des hommes en déifiant des chefs sur la sueur et le sang de peuples martyrs.

    On guettait toute recherche concernant la santé et le confort, espérant égoïstement que bientôt l’on deviendrait non point immortels, mais jeunes et bien portants tout au long d’une agréable existence que la science rallongerait davantage à chaque découverte.

    On espérait donc, sans réaliser vraiment la perversité d’une telle conduite nous éloignant inexorablement de notre mère la Nature que l’on sacrifiait à notre consommation de masse sans se soucier de son épuisement, en enfants gâtés que nous étions devenus, égoïstes et gaspilleurs.

    Notre mère, la Terre ! On la pillait, on la blessait, on la violentait même ; indignes créatures qu’elle nourrissait au sein et qu’elle accueillerait pour leur dernier repos.

    On s’en fichait. On pensait qu’elle nous survivrait, qu’elle serait toujours là pour nous loger et nous nourrir, et que demain la recherche la plus avancée remédierait aux multiples et pernicieux problèmes du moment.

    Politiciens !

    Ils avaient reçu une claque à renverser un titan. Et il fallait les voir sur les écrans se congratuler de leur victoire, chaque parti considérant l’avoir emporté. Le référendum renforçait leur position, approuvait sans conteste leur juste politique ― en n’omettant pas le sourire de circonstance susceptible de rassurer l’électeur quant à la profonde humanité de ses élites dirigeantes. La langue de bois régnait sans partage.

    La question posée avait été d’une telle inutilité ― le congrès aurait pu y répondre sans déranger le populaire dont l’approbation était déjà avérée ― que le brave homme de citoyen s’interrogeait encore sur cette dépense inconsidérée de ses deniers. Il commençait même à se poser des questions, non point sur l’honnêteté de ses représentants ― qu’il estimait sans objet vu les multiples affaires dignes des grandes escroqueries de l’Histoire que lui révélaient quotidiennement les médias ―, mais simplement sur leurs facultés mentales. Comment pouvaient-ils se moquer d’un peuple ― qualifié par eux d’une intelligence supérieure ― sans réaliser la grossièreté du procédé ? Fallait-il qu’ils fussent stupides pour ne point voir l’ironie amère des foules face à leurs pantalonnades ! Ils nous prenaient pour qui ? Pour des demeurés tout juste capables d’entendre quelques slogans démagogiques, des dégénérés en admiration devant une acrobatie verbale, des simples d’esprit gobant leurs mensonges et leurs sourires avec la foi du charbonnier ? Allons donc ! ce ne pouvait point être aussi lamentable. Il devait y avoir autre chose. Mais quoi ?

    On s’interrogeait sur la suffisance de ces politiciens, de ces chefs de parti, de ces ministres, de ces malhonnêtes gens qui s’évertuaient à passer pour des petits saints. On soupçonnait un dérèglement de leur entendement, un dysfonctionnement de leur cerveau, une apathie du sens commun. Qu’en était-il au juste ? Là résidait le mystère. C’étaient de grands comédiens. Ils étaient capables de vous promettre tout et n’importe quoi, de vous vendre leur âme contre votre voix, de se sacrifier pour le pays en s’accrochant à vous comme des berniques dont on ne pouvait se défaire que lors de la marée des élections. Et là, ils y avaient eu droit à un sérieux avertissement. Trente pour cent de votants ! Une abstention de soixante-dix pour cent. Un article de la constitution considéré par trente pour cent des électeurs inscrits. Et là-dessus, il fallait soustraire ceux qui avaient dit non et les bulletins nuls. Si bien que tout compte fait, il ne restait qu’un maigre vingt pour cent pour approuver la modification. Soit deux électeurs sur dix. Et ils se rengorgeaient.

    Fallait-il en rire ou en pleurer ? Fallait-il accepter d’être gouvernés par des voleurs, des menteurs et des vaniteux, ou espérer un guide, un chef qui pourrait nous effacer ou nous entraîner dans de funestes aventures ?

    Ne valait-il pas mieux changer de chaîne, choisir un canal où une histoire d’amour à la guimauve nous ferait verser quelques larmes sans conséquence aucune pour le devenir du pays ? NON !

    Que pouvions-nous faire alors ? Descendre dans la rue ? Les défenestrer de leurs palais ? Leur signifier qu’ils étaient des canailles en leur faisant rentrer dans la gorge leurs sourires et leurs mensonges ?... On savait que nul n’est parfait et que le pouvoir et l’argent corrompent les êtres les plus purs. On devait se satisfaire de ce régime. On devait accepter ces escrocs, ces marchands de rêves, ces profiteurs du bien public… ne serait-ce que pour vivre égoïstement sans s’occuper d’autre chose que de satisfaire nos désirs immédiats.

    C’était nous, in fine, les vrais coupables. C’était nous, notre individualisme, nos velléités, notre indolence qui leur permettaient de nous gruger de si facile manière. « On a le gouvernement qu’on mérite » se contentait-on de se répéter. Quant à dresser des barricades… on avait trop à perdre pour cela.

    En attendant, on défendait bec et ongles nos petits privilèges acquis, nos avantages corporatistes, nos subventions dont ces charlatans savaient si bien saupoudrer la populace.

    Statut

    On avait enfermé les femmes, non point dans des geôles fétides, mais dans des appartements minuscules, bruyants et surchauffés. Elles ne devaient plus en sortir. Elles devaient faire des enfants, puis les élever en tant que mères attentives à leur

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