Le Journal du dimanche

Hubris, mesure et démesure

à un correspondant d’Avignon qui m’a envoyé une lettre manuscrite sans donner d’adresse. Il n’a pas aimé que, dans une chronique récente, je parle d’hubris (« . Je reviens donc sur ce terme grec – très utilisé depuis des décennies par les journalistes anglo-saxons – devenu à la mode chez nous dans la sphère du commentaire politique., de Nicolas Hulot (style pythie rendant des oracles : , d’Emmanuel Macron (style jupitérien mais encanaillé : . L’hubris est un bouquet vénéneux composé de satisfaction de soi, orgueil, emportement, mégalomanie, mauvaise appréciation des forces en jeu, tendance au mépris des petites gens et au franchissement des bornes. Tous les penseurs de l’Antiquité classique ont souligné les effets tragiques de l’hubris sur les hommes d’ambition : chaque victoire, chaque étape vers la réussite tend tout naturellement à renforcer un sentiment de supériorité ; il corrompt les qualités nécessaires à la conquête, il permet à la démesure de s’installer pendant que l’ivresse légère des débuts laisse la place à un narcissisme toxique. Ne s’en sortent que les personnalités douées d’un envers humble et circonspect. Inutile de souligner qu’elles sont rares. À Athènes, l’hubris était un crime puni par la loi : une action en justice pouvait être intentée par tout citoyen. L’homme qui en était atteint – en dépit parfois d’une intelligence aiguisée ou d’une combativité sans faille – devenait dangereux pour les autres et pour la cité. Sans compter qu’il bafouait l’idéal d’équilibre de la civilisation grecque. Hérodote a dit à ce sujet que et c’est le même Hérodote qui raconte l’histoire de Xerxès roi des Perses qui avait fait construire un pont de bateaux sur l’Hellespont (le détroit des Dardanelles) afin de permettre à ses armées de passer en Europe. Une tempête détruisit l’assemblage et fracassa les embarcations. Fou de rage, Xerxès demanda à ses soldats de fouetter la mer. Cette anecdote loufoque est vraisemblablement à l’origine de l’utilisation du terme pour désigner l’arrogance de l’homme contemporain vis-à-vis de la nature. Bolsonaro qui laisse détruire l’Amazonie n’est pas seulement stupide, il est atteint d’une forme vulgaire d’hubris. Tout comme les nouveaux riches aux trois piscines, les golden boys, les traders (tiens, où sont-ils passés ceux-là ?), les m’as-tu-vu en Ferrari pour aller au café. Dans l’Antiquité, toute cette prétention finissait par casser les pieds aux dieux de l’Olympe, qui trouvaient les gesticulations des humains déplacées : d’un revers de la main, ils s’empressaient de balayer ces écervelés. La défaite, l’exil, la mort mettaient brutalement fin à leur destin : le châtiment, la Némésis, tombait alors comme un couperet. L’Olympe est vide depuis longtemps. Les dieux – on comptait pas mal d’écervelés parmi eux aussi – ont définitivement déserté. Mais l’hubris, ce diable du désordre, est toujours là. Il fait partie des destinées humaines. C’est pour cela, cher lecteur d’Avignon, qu’il faut toujours prendre les récits et les métaphores mythologiques au sérieux : c’est ce que nos ancêtres ont inventé de mieux en s’efforçant de trouver un semblant de logique au foutoir de nos existences.

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