Code des gens honnêtes
Par Ligaran et Honoré de Balzac
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Aperçu du livre
Code des gens honnêtes - Ligaran
EAN : 9782335091700
©Ligaran 2015
Préface
L’argent, par le temps qui court, donne la considération, les amis, le succès, les talents, l’esprit même : ce doux métal doit donc être l’objet constant de l’amour et de la sollicitude des mortels de tout âge, de toute condition.
Mais cet argent, source de tous les plaisirs, est aussi le but de toutes les tentatives.
Le Code, en désignant les peines encourues par les voleurs, a fait une nomenclature des diverses espèces de vols auxquels est exposé un honnête homme : mais le législateur pouvait-il prévoir et décrire les ruses, les subtilités des Industriels ?
Le Code apprend bien au lecteur qu’il sera victime d’un vol domestique, d’une escroquerie, d’une soustraction, accompagnés de plus ou moins de circonstances aggravantes ; et ses pages inquiétantes lui font serrer son argent avec la terreur d’un homme qui, lisant un livre de médecine, croit ressentir toutes les maladies dont on lui démontre les dangers. Le Code et les juges sont les chirurgiens qui tranchent, coupent, rognent et cautérisent les plaies sociales. Mais où trouver le médecin prudent qui tracera les lois de l’hygiène monétaire, et fournira les moyens d’éviter les accidents ? La police, peut-être : mais elle ne s’inquiète guère du volé ; c’est le voleur qu’elle poursuit ; et les polices de l’Europe ne rendent pas plus l’argent qu’elles ne préviennent les vols : elles sont d’ailleurs occupées, par le temps qui court, à toute autre chose.
Le petit livre que nous publions pourra-t-il remplir cette lacune ? nous osons à peine l’espérer. Dans l’impossibilité toutefois de deviner toutes les subtiles combinaisons des voleurs, nous avons tenté de réunir dans ce livre les aphorismes, les exemples, les maximes, les anecdotes qui peuvent servir à éclairer la probité innocente sur les ruses de la probité chancelante ou déchue.
La vie peut être considérée comme un combat perpétuel entre les riches et les pauvres. Les uns sont retranchés dans une place forte à murs d’airain, pleine de munitions ; les autres tournent, virent, sautent, attaquent, rongent les murailles, et, malgré les ouvrages à cornes que l’on bâtit, en dépit des portes, des fossés, des batteries, il est rare que les assiégeants, ces Cosaques de l’état social, n’emportent pas quelque avantage.
L’argent prélevé par ces forbans polices est perdu sans retour ; et ce serait un art précieux que celui qui mettrait en garde contre leurs vives et adroites attaques. C’est vers ce but que nous avons dirigé tous nos efforts ; et nous avons tenté, dans l’intérêt des honnêtes gens, d’éclairer les manœuvres de ces Protées insaisissables.
L’honnête homme à qui nous dédions notre livre est celui-ci :
Un homme jeune encore, aimant les plaisirs, riche ou gagnant de l’argent avec facilité par une industrie légitime, d’une probité sévère, soit qu’elle agisse politiquement, en famille ou au dehors, gai, spirituel, franc, simple, noble, généreux.
C’est à lui que nous nous adressons, voulant lui épargner tout l’argent qu’il pourrait abandonner chaque jour à la subtilité et à l’adresse, sans se croire victime d’un vol.
Notre ouvrage aura peut-être le défaut de faire voir la nature humaine sous un aspect triste. Eh quoi ! dira-t-on, faut-il se défier de tout le monde ? N’y a-t-il plus de probité dans ce bas monde ? Craindrons-nous nos amis, nos parents ? – Oui ! craignez tout, mais ne laissez jamais paraître votre méfiance. Imitez le chat : soyez doux, caressant, mais voyez avec soin s’il y a quelque issue, et souvenez-vous qu’il n’est pas donné aux Honnêtes gens de tomber toujours sur leurs pieds. Ayez l’œil au guet ; sachez rendre tour à tour votre esprit doux comme le velours, inflexible comme l’acier.
Ces précautions sont inutiles, pensez-vous peut-être.
Nous savons fort bien que de nos jours on n’assassine plus le soir dans les rues, qu’on ne vole pas aussi fréquemment qu’autrefois, qu’on respecte les montres, qu’on a des égards pour les bourses, des procédés pour les mouchoirs. Nous savons aussi, grâce au budget, ce que coûtent les gendarmes, la police, etc.
Les Pourceaugnac, les Danières, sont des êtres de pure invention, ils n’ont plus leurs modèles. Sbrigani, Crispin, sont des idéalités. Il n’y a plus de provinciaux à berner, de tuteurs à tromper : notre siècle a une tout autre allure, une bien plus gracieuse physionomie.
Le moindre jeune homme est à vingt ans rusé comme un vieux juge d’instruction. On sait ce que vaut l’or. Paris est aéré, ses rues sont larges ; on n’emporte plus d’argent dans les foules. Ce n’est plus le vieux Paris sans mœurs, sans lumières : il n’y a guère de becs de gaz, il est vrai, mais la lune et les gendarmes suppléent à cette économie municipale.
Rendons pleine justice aux lois nouvelles : en ne prodiguant pas la peine capitale, elles ont forcé le criminel à attacher de l’importance à la vie. Les voleurs, depuis qu’ils ont à leur disposition les moyens de s’enrichir par des tours d’adresse sans risquer leur tête, ont préféré l’escroquerie au meurtre : certes, tout s’est perfectionné.
Autrefois on vous demandait brutalement la bourse ou la vie ; aujourd’hui on ne songe ni à l’une ni à l’autre. Les honnêtes gens avaient des assassins à craindre ; aujourd’hui ils n’ont pour ennemis que des prestidigitateurs. C’est l’esprit que l’on aiguise et non plus les poignards. Le seul soin raisonnable aujourd’hui doit donc être de défendre ses écus contre les pièges dont on les environne. L’attaque et la défense se trouvent également stimulées par le besoin. C’est une question budgétaire, un combat entre l’honnête homme qui dîne et l’homme industrieux qui jeune.
L’élégance de nos manières, le fini de nos usages, le vernis de notre politesse, se reflètent sur tout ce qui nous environne. Le jour où l’on a fabriqué de beaux tapis, de riches porcelaines, des meubles de prix, des cachemires indigènes, les voleurs, la classe la plus intelligente de la société, ont senti qu’il fallait se placer à la hauteur des circonstances : vite ils ont pris l’américaine comme l’agent de change, le coupé comme le notaire, la dormeuse comme le banquier.
Alors les moyens d’acquérir le bien d’autrui sont devenus si multipliés, ils se sont enveloppés sous des formes si gracieuses, tant de gens les ont pratiqués, qu’il a été impossible de les prévoir, de les classer dans nos codes ; et le Parisien, le Parisien lui-même, a été un des premiers trompés.
Si le Parisien, cet être d’un goût si exquis, d’une prévoyance si rare, d’un égoïsme si délicat, d’un esprit si fin, d’une perception si déliée, se laisse journellement prendre dans ces lacets trop bien tendus, l’on conviendra que les étrangers, les insouciants et les honnêtes gens, doivent s’empresser de consulter un manuel où l’on espère avoir signalé tous les pièges.
Pour beaucoup de gens, le cœur humain est un pays perdu ; ils ne connaissent pas les hommes, leurs sentiments, leurs manières ; ils n’ont pas étudié cette diversité de langage que parlent les yeux, la démarche, le geste. Que ce livre leur serve de carte ; et, comme les Anglais, qui ne se hasardent pas dans Paris sans leur Pocket Book, que les honnêtes gens consultent ce guide, assurés d’y trouver les avis bienveillants d’un ami expérimenté.
Prolégomènes
Considérations politiques, littéraires, philosophiques, législatives, religieuses et budgétaires, sur la classe des voleurs.
Les voleurs forment une classe spéciale de la société : ils contribuent au mouvement de l’ordre social ; ils sont l’huile de ses rouages.
Semblables à l’air, les voleurs se glissent partout : ils forment une nation à part au milieu de la nation.
On ne les a pas encore considérés avec assez de sang-froid, d’impartialité. Et, en effet, qui s’occupe d’eux ? Les juges, les procureurs du mi, les espions, la maréchaussée, les victimes de leurs vols.
Le juge voit dans un voleur le criminel par excellence, qui érige en science l’état d’hostilité envers les lois ; il le punit. Le magistrat le traduit et l’accuse : tous deux l’ont en horreur ; cela est juste.
Les gens de police et la maréchaussée sont aussi les ennemis directs des voleurs, et ne peuvent les voir qu’avec passion.
Les honnêtes gens enfin, ceux qui sont volés, n’ont guère l’envie de prendre le parti des voleurs.
Nous avons donc cru, avant de tenter de dévoiler les ruses des voleurs, privilégiés comme non privilégiés, de toutes les classes, devoir nous livrer à des considérations impartiales sur les voleurs. Nous tentons de les examiner sous toutes leurs faces avec sang-froid ; et certes, on ne nous accusera pas de vouloir les défendre, nous qui leur coupons les vivres et dévoilons toutes leurs opérations, en élevant dans ce livre un phare qui les signale.
Un voleur est un homme rare ; la nature l’a conçu en enfant gâté ; elle a rassemblé sur lui toutes sortes de perfections : un sang-froid imperturbable, une audace à toute épreuve, l’art de saisir l’occasion, si rapide et si lente, la prestesse, le courage, une bonne constitution, des yeux perçants, des mains agiles, une physionomie heureuse et mobile. Tous ces avantages ne sont rien pour le voleur ; ils forment cependant déjà la somme de talents d’un Annibal, d’un Catilina, d’un Marius, d’un César.
Ne faut-il pas, de plus, que le voleur connaisse les hommes, leur caractère, leurs passions ; qu’il mente avec adresse, prévoie les évènements, juge l’avenir, possède un esprit fin, rapide ; qu’il ait ta conception vive, qu’il soit bon comédien, bon mime ; qu’il puisse saisir le ton et les manières des classes diverses de la société ; singer le commis, le banquier, le général, connaître leurs habitudes, et revêtir au besoin la toge du préfet de police ou la culotte jaune du gendarme ; enfin, chose difficile, inouïe, avantage qui donne la célébrité aux Homère, aux Arioste, à l’auteur tragique, au poète comique, ne lui faut-il pas l’imagination, la brillante, la divine imagination ? Ne doit-il pas inventer perpétuellement des ressorts nouveaux ? Pour lui, être sifflé, c’est aller aux galères.
Mais, si l’on vient à songer avec quelle tendre amitié, avec quelle paternelle sollicitude, chacun garde ce que cherche le voleur, l’argent, cet autre protée ; si l’on voit de sang-froid comme nous le couvons, serrons, garantissons, dissimulons, on conviendra au moins que, s’il employait au bien les exquises perfections dont il fait ses complices, le voleur serait un être extraordinaire, et qu’il n’a tenu qu’à un fil qu’il devint un grand homme.
Quel est donc cet obstacle ? ne serait-ce pas que ces gens-là, sentant en eux une grande supériorité, mais avec un penchant extrême à l’indolence, caractère ordinaire des talents, pataugeant dans la misère et y nourrissant des haines fortes contre la société