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Contes indiscrets
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Livre électronique144 pages1 heure

Contes indiscrets

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À propos de ce livre électronique

Extrait : "Il s'appelait Désiré-Félix Richard, mais ces trois noms mentaient, car il ne s'estimait ni enviable, ni heureux, ni riche, bien qu'il eût de quoi vivre. C'était un pessimiste. On ne s'en doutait pas en lisant ses livres : il n'avait rien écrit. On ne l'eût pas non plus deviné en le voyant : il avait l'air robuste ; sa mise était sobre sans être sévère ; sa figure était calme, insignifiante et rose dans une barbe blonde. Et cependant, tout lui semblait triste."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.
LangueFrançais
ÉditeurLigaran
Date de sortie22 janv. 2016
ISBN9782335150957
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    Contes indiscrets - Ligaran

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    Mon ami Désiré

    I

    Il s’appelait Désiré-Félix Richard, mais ces, trois noms mentaient, car il ne s’estimait ni enviable, ni heureux, ni riche, bien qu’il eût de quoi vivre.

    C’était un pessimiste. On ne s’en doutait pas en lisant ses livres : il n’avait rien écrit. On ne l’eût pas non plus deviné en le voyant : il avait l’air robuste ; sa mise était sobre sans être sévère ; sa figure était calme, insignifiante et rose dans une barbe blonde. Et cependant, tout lui semblait triste. Pourquoi ?… Était-il un sage, un ingrat, ou cachait-il une blessure ?… Problème ! Autrefois il avait pleuré c’est vrai. À vingt ans, il s’était trouvé sans famille, son père et sa mère étant morts dans l’espace de quelques mois. Mais huit années avaient passé, et, comme les anciennes douleurs ne suffisent pas toujours à engendrer les longues mélancolies, comme Désiré n’avait pas connu les vraies déceptions d’ici-bas, n’ayant jamais aimé, jamais écrit, jamais joué, il fallait bien qu’il eût porté en lui, dès sa naissance, un germe de tristesse ; et le germe avait grandi, enveloppant cette jeune âme, l’étreignant, l’étouffant, sans qu’un effort vînt arrêter le mal.

    Désiré, après la mort de ses parents, avait terminé son droit et s’était fixé définitivement à Paris où il s’isolait, chaque jour plus taciturne, évitant ses amis, ne leur ouvrant plus sa porte qu’à regret. Il vivait simplement et employait la meilleure partie de ses rentes à satisfaire une passion bizarre. N’aimant ni les chevaux, ni les fleurs, ni le jeu ni les femmes, il s’était mis à collectionner des serrures !…

    Oui, des serrures. Il y avait chez lui plusieurs chambres garnies de vitrines où il enfermait ses trésors. On voyait là des serrures de toutes les époques, de tous les pays, de toutes les grandeurs, depuis les serrures puissantes, rugueuses, brutales, jusqu’aux serrures damasquinées, ciselées, avec des bas-reliefs en fer repoussé et rehaussé d’or.

    Elles étaient classées par ordre chronologique. C’étaient d’abord les antiques serrures de Lacédémone, et les serrures des Romains et des Gaulois, simples, austères. Puis, toute la lignée des serrures à bosses et à vertevelles qu’ont produites les XIIe, XIIIe, XIVe et XVe siècles. Plus loin, le XVIe siècle était représenté par des pièces d’art aux façades ornées, et dont l’entrée était gravée au burin ; enfin venaient des imitations de serrures gothiques, telles qu’on les faisait sous le Grand Roi et sous Louis XV.

    Il y avait aussi des clefs de tous les âges : des clefs romaines à panneton, à crochet ou à platine ; des clefs Moyen Âge ; d’autres dont la poignée était faite de deux chimères adossées, – c’étaient des clefs renaissance – ou de deux dauphins affrontés, tels que les imagina le XVIIe siècle.

    Et naturellement, il y avait aussi, dans cette collection, des racloirs François Ier et des heurtoirs de toutes formes : des anneaux suspendus à des têtes de bronze, des dragons fantastiques, des heurtoirs en S, de la Renaissance, et des boucles massives du XVIIe et du XVIIIe siècle.

    Mais ce n’était pas tout. Cet art étrange, luxueux et utile qui eut des confréries, des maîtrises, et dont on achète au poids de l’or les échantillons célèbres, qu’ils soient anciens ou modernes, qu’ils soient signés Biscornette ou Fichet, cet art a des historiens ; et Désiré-Félix avait su réunir presque tous les auteurs qui en ont parlé peu ou beaucoup, depuis Androuet du Cerceau jusqu’à Viollet-le-Duc.

    Ce n’était pas le hasard, ou simplement un caprice qui avait fait de mon ami un collectionneur de serrures. Non, il n’y avait là, – et chacun l’aura déjà compris – il n’y avait là qu’une manifestation de son caractère. Étant égoïste, il était destiné à devenir collectionneur ; aimant la solitude, il ne devait pas tarder à aimer la science ; enfin quand je lui demandais pourquoi il ne recherchait pas de préférence les tableaux, les miniatures, les tabatières ou tel autre bibelot ; quand je lui disais : Pourquoi ces trois mille serrures, conquises au prix de tant de sacrifices ? Il me répondait :

    « Pourquoi ? Parce que chaque serrure que je découvre est pour moi un enseignement. Parce que là, – et d’un geste circulaire, il me montrait les vitrines où étincelaient ses trésors d’acier – là je puis lire, taillée en plein métal, l’histoire de la défiance universelle ! Ah ! il y aurait un beau livre à faire ! Il coûterait une fortune et la vie d’un homme n’y suffirait pas ! Aussi ai-je renoncé ! Mais quel livre ! Montrer, à travers les siècles, la lutte de l’ingéniosité humaine contre le meurtre et le vol ! L’homme primitif, qui, pour défendre sa vie et son bien, avant de se livrer au sommeil, appuie son épaule velue à une roche énorme qu’il roule à l’entrée de sa caverne !… Puis, avec les progrès de l’humanité, les progrès du vice. En même temps que l’homme se civilise, que l’idée de propriété s’établit, le voleur devient plus adroit ; et, parallèlement, la pensée humaine, inventrice et prévoyante, se complique et s’affine ! Dans ce livre, dont chaque page aurait sa gravure, on assisterait au développement de cet art merveilleux de la serrurerie, art dont le style a varié suivant les exigences des siècles, suivant le tempérament des nations ; qui s’est fait tour à tour massif ou minuscule, grandiose ou coquet, d’une simplicité héroïque ou d’une subtilité dédaléenne ! !… Tout cela est triste, triste !…

    Ah oui, reprenait-il, quand j’entends parler de philanthropie, de progrès, je ris ! Quand je vois les historiens affirmer, les uns que l’humanité se fait meilleure, les autres qu’elle se fait pire, je ris encore, et d’un mauvais rire, parce que jamais l’humanité ne changera, parce que partout où il y aura deux hommes il y aura toujours deux ennemis ; et, pour me le prouver à moi-même, je n’ai qu’à ouvrir un de ces panneaux vitrés. Tiens, voici une clef. Est-elle un produit de l’industrie moderne, du Moyen Âge ou de l’art grec ? Peu importe ! Cette clef me dit : Tu es homme, défie-toi des hommes ! Ces vitrines, où dorment des serrures arrachées à tous les âges, sont un monument plus sincère, mais plus triste par cela, qu’un trophée d’armes ! L’arme c’est l’art luttant contre la force ; l’arme c’est le meurtre, mais c’est aussi les colères vigoureuses, les haines à ciel ouvert, les batailles, le courage. La serrure c’est l’art luttant contre le vol, c’est-à-dire contre la ruse, la cupidité, la trahison ! On s’arme contre un ennemi ; on s’enferme à clef tous les soirs parce qu’on doit se défier de son prochain, de son serviteur, de son ami, de son frère ! ! Oui, c’est la vie !

    – Ainsi, mon brave Désiré, hasardais-je parfois, la poésie, l’amour, tout cela est triste, triste ? Partout où il y aura deux hommes il y aura deux ennemis ? Et partout où il y aura un homme et une femme, que se passera-t-il ? Hein ?

    – Laisse donc, laisse donc ! L’homme a donné à ses faiblesses des noms sonores. La poésie est une folie qu’on ose avouer ; bien plus, dont on se fait gloire, et dont le symptôme est cet aveu même, plus ou moins bien rythmé. L’amour est une autre folie qui a pour prétexte une loi de la nature ; douce loi, dit-on ; mais qu’il vaudrait mieux oublier, – comme tant de lois ; – la vie serait plus calme.

    – Et pour ne pas s’abandonner à ces faiblesses vulgaires, à ces folies, que faut-il ? dis-le-moi.

    – Éviter les occasions d’être faible. L’âme ainsi, peu à peu, se fortifiera par la solitude et le travail, et si elle est un jour aux prises avec la tentation, elle en triomphera.

    – Très bien ! De même que l’homme qui n’a jamais osé se mettre à l’eau, nagera comme un poisson le jour où il tombera dans la Seine. Absurde, mon pauvre ami ! »

    À ces mots, Désiré secouait la tête.

    « En tout cas, concluait-il, si la manière dont je vis ne peut me donner le bonheur – encore un mot vague et même inutile, selon moi, comme poésie, amour, etc., – du moins j’ai la paix et la sécurité qu’apportent l’isolement et la prudence : »

    Ainsi parlait Désiré ; et moi, patiemment, j’attendais l’heure où la vie se chargerait d’apprendre à ce fort garçon de vingt-huit ans, qu’il y a mieux à faire ici-bas que de contempler d’un œil sombre les pièces d’une serrure, emblème de la défiance humaine.

    Or, une après-midi, comme je sortais de chez Désiré, – il habitait rue Saint-Placide, – j’eus la bonne surprise de voir que, durant ma visite, le soleil avait percé les nuages. Et quand on vient de passer une heure dans une chambre close, face à

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