Un projet ambitieux

Denis était un lettré qui s’ignorait. Il avait simplement voulu ouvrir, dans les années soixante-dix, une librairie pas comme les autres, située à quelques centaines de mètres de la cathédrale gothique Notre-Dame de Strasbourg. Son désir avait été de faire découvrir de jeunes talents et de plus anciens à des lecteurs venus des deux côtés du Rhin. Et de plus loin encore.

Il était revenu dans sa ville natale avec un projet un peu fou dans sa tête. À l’époque, l’idée du quadragénaire avait surpris. Même si la génération soixante-huitarde lui était acquise, celle des banquiers lui avait été fermement opposée. Le concept même de librairie indépendante en avait fait frémir plus d’un, réticent à lui octroyer des fonds pour un pas-de-porte ou un fonds de commerce. Car les idées que prônait ce libraire d’un genre nouveau avaient effrayé les investisseurs frileux.

L’audace qu’il affichait pouvait également déconcerter. Encore maintenant, alors qu’il téléphonait à Béatrice :

– Qu’est-ce que tu penses de mon idée de louer le dernier étage de l’immeuble ? lui demanda-t-il avec précaution.

Le silence de son épouse, distante de quelques centaines kilomètres de Strasbourg, n’étonna pas Denis. Depuis qu’ils étaient séparés et que chacun suivait le cours de sa vie librement, leurs conversations portaient souvent sur des décisions importantes. Comme celle-ci, qui évoquait l’agrandissement de la librairie. Au fil des années, l’extension de la boutique avait déjà permis d’annexer le premier et le deuxième étage de l’immeuble. Restait celui niché sous les combles où Denis aurait aimé vivre au plus près de ses livres.

– Il faut y réfléchir ! On en reparle plus tard. Maxime vient dîner à la maison, lui répondit-elle avec un sourire dans la voix.

Maintenant que le couple avait dépassé la soixantaine, leur fils Maxime était leur trait d’union. Le trentenaire faisait régulièrement l’aller et retour entre Paris et Strasbourg.

Son cœur leur était pareillement acquis. Béatrice