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La faim
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Livre électronique388 pages6 heures

La faim

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À propos de ce livre électronique

Rien ne va plus. Cette saloperie de fin du monde n’en finit plus de finir, et l’enfer est bien loin de ressembler au pays des merveilles. Mimi, Sandy, Mathieu et moi, aidés de Rachel et Lulu, sommes prêts à en fouiller les moindres recoins pour retrouver Félix. Des promesses ne pourront pas être tenues ; des innocents vont être abandonnés ; des vies vont être sacrifiées. Moi, Dany, guidé par une voix surgie du passé, je jure pourtant au nom de tous ceux que j’aime qu’Hogan, ce diable d’homme qui a pris la fuite avec notre petit bonhomme adoré, va bientôt payer de sa vie et de son âme. En attendant, les individus contaminés nous traquent sans relâche: ils nous observent, nous attaquent, nous brutalisent et nous mordent. Notre survie ne tient plus qu’à un fil, et un insidieux désespoir risque bientôt de rompre celui-ci.

Verrons-nous un jour la lumière au bout du tunnel?
LangueFrançais
Date de sortie8 avr. 2020
ISBN9782898085215
La faim
Auteur

Yvan Godbout

Yvan Godbout, auteur d’Hansel & Gretel, de Boucle d’or, de Le Petit Poucet, de la trilogie Les yeux jaunes, ainsi que d’Auteur maudit, maudit auteur.

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    Aperçu du livre

    La faim - Yvan Godbout

    Stephen.

    PROLOGUE

    Fuir. Combattre. Tuer. Survivre. Cela résume ma vie, celle de mes amis et probablement la vôtre. Que reste-t-il de notre monde, mis à part le chaos ? Mes mots noircissant ces pages, peut-être bien… Le mal se répand sur notre planète, alors que le bien s’en efface un peu plus chaque jour. Dieu n’en a plus rien à foutre des humains, cette race si décevante qui est pourtant la mienne. Il nous a abandonnés entre les mains de son supposé ennemi juré, et Il en a probablement profité pour aller faire joujou avec les habitants d’une autre bille de l’univers.

    Comment pourrait-on Lui en vouloir ? J’en aurais eu marre bien avant Lui de tous ces crétins qui sèment la destruction sur Terre depuis des millénaires ! Parce qu’il faut bien se le dire : les monstres étaient là bien avant l’apparition des grogneurs aux yeux jaunes. Des individus sains de corps, mais torturés dans l’âme. Des types violents et vicieux, des hommes vils et immoraux. Il n’aura d’ailleurs fallu que l’un de ces personnages immondes pour détruire la cellule familiale que nous avions si amoureusement bâtie, Mimi, Sandy, Rachel, Lulu, Mathieu, Félix et moi. Qu’un Hogan pour tout anéantir.

    Nous subissons tant de pertes depuis le début de la fin du monde ; nous ne méritions certainement pas celle de notre benjamin. Ça a été la goutte d’eau soufrée de trop dans notre vase déjà bien rempli de merde. Cette vicieuse vipère de Hogan a pris la fuite avec Félix en utilisant notre Cadillac, et ça m’est insupportable.

    En voyant le visage pâle du petit derrière la lunette arrière du corbillard, sa main tendue vers moi, mon cœur a ressenti une vive brûlure, marqué à jamais par le tisonnier du diable. Celui-ci accordait d’ailleurs son rire démentiel aux grondements du ciel — ainsi qu’aux grognements des individus contaminés qui surgissaient de toutes parts —, bien calé derrière le volant de la voiture funéraire. Hogan se couvrant la tête de la casquette rouge de Mathieu oubliée sur le siège de la Cadillac le jour de son arrivée est la dernière image que je garde de cette brute infâme. Le monstre qu’il est nous a abandonnés sans vergogne au beau milieu du terrain de jeu de la Faucheuse.

    Je suis à bout. La fin du monde ne finira-t-elle donc jamais ?

    LA FAIM

    La pluie tambourinait rageusement sur le sol, la terre gorgée d’eau se transformant presque en sable mouvant. Au-dessus de nous, le ciel en colère semblait éclater en milliers de morceaux, laissant s’échapper des éclairs aveuglants et des coups de tonnerre assourdissants qui ne parvenaient toutefois pas à masquer les grognements significatifs des individus contaminés. La forêt était prise d’assaut par une meute d’yeux jaunes, et Mathieu et moi devions foutre le camp de là au plus vite.

    Ce n’était pas avec nos armes de fortune, pour ne pas dire « de pacotille », que nous allions pouvoir y faire face. Rachel nous avait bien gentiment prêté la carabine de feu son mari, Liam, mais j’avais été assez stupide pour la laisser à la traîne dans la Cadillac ; elle se trouvait donc, par le fait même, entre les mains de mon pire ennemi. Une gaffe qui risquait de nous coûter la vie. Et rien qu’à entendre le raffut engendré par ces sales charognards de cannibales, nous savions qu’ils étaient nombreux. Trop nombreux. Moi qui croyais que ces foutues hyènes grogneuses n’aimaient pas chanter sous la pluie, j’étais bien baisé. Les trombes d’eau glacée qui nous trempaient jusqu’aux os semblaient au contraire les avoir bien réveillées, et un tango mortel avec l’une d’elles ne me tentait guère.

    Nous nous sommes donc enfoncés au cœur de la forêt, espérant que la densité du feuillage parviendrait à nous camoufler un tant soit peu. Mon cœur se serrait à chacun des pas qui m’éloignaient de Félix, et je ne pouvais m’imaginer ce que devait ressentir ce pauvre Mathieu. Son filleul se trouvait entre les mains du diable, et nous étions pour le moment totalement impuissants. Pour délivrer le petit des horribles griffes de Hogan, nous devions d’abord réussir à sauver notre peau. Sa survie, fatalement, dépendait de la nôtre.

    Mathieu et moi peinions à avancer, nos pieds s’enfonçant bien malgré nous dans le sol boueux. Seul réconfort, les monstres au regard jaune pisse devaient être aux prises avec le même embêtement, puisqu’aucun d’eux ne nous était encore tombé dessus. Cela, malheureusement, ne devait pas tarder.

    Le premier salopard contaminé est soudainement apparu sur ma gauche, au détour d’un sapin anorexique dont les branches dénudées ne parvenaient pas à nous dissimuler. Pour une fois, ce n’était pas une armoire à glace qui me faisait face, mais plutôt un jeune éphèbe qui devait avoir été plutôt mignon avant sa contamination. Il était mince, de taille moyenne, et manipulait gauchement une superbe hache rouge, de celles utilisées par les sapeurs-pompiers. Je l’imaginais très bien entre nos mains.

    Mathieu a réagi promptement en se jetant sur le bellâtre au teint blême sans la moindre hésitation, le tisonnier prêt à frapper. La pointe métallique de l’arme contondante s’est enfoncée dans l’orbite droite du beau gosse, faisant éclater son œil comme un jaune d’œuf pas assez cuit, pour ensuite pénétrer au cœur de sa matière grise. Le sosie d’Edward le vampire s’est effondré à mes pieds, le manche du tisonnier dirigé vers le ciel tel un paratonnerre. Je l’ai retiré vite fait d’un coup sec avant que la foudre ne s’abatte dessus et ne parvienne à le ressusciter. Une pensée tout à fait abracadabrante, j’en conviens, mais un certain Jason était revenu à la vie de cette manière dans sa sixième aventure cinématographique, alors valait mieux ne pas prendre de chance.

    Je n’ai même pas pris la peine d’enlever le fragment de cervelle accroché sur la pointe du tisonnier avant de le rendre à mon acolyte, plaquant également ma machette dans sa main libre, m’octroyant la permission d’utiliser plutôt la hache de feu Edward l’apprenti pompier. Un éclair aveuglant a déchiré le ciel, aussitôt suivi d’un coup de tonnerre fracassant. Quand je vous dis que j’avais retiré le tisonnier juste à temps…

    Avec tout ce boucan provoqué par dame Nature, j’avais la réelle impression de me retrouver sur un champ de bataille, avec ses coups de semonce et ses multiples explosions. Sauf qu’ici, le camp ennemi préférait utiliser ses dents plutôt que des engins explosifs. Les soldats de l’armée zombiesque étaient peut-être mal accoutrés et désorganisés, mais ils étaient malgré tout diablement efficaces. Nous n’avons pas eu le temps de nous mettre à l’abri ; quatre d’entre eux nous sont tombés dessus sans crier gare, éructant des feulements disgracieux à vous glacer le sang. Merde !

    J’ai fermé les yeux une seconde, laissant l’image de ma belle Mimi m’envahir et me transmettre une bonne dose d’énergie. Elle était si jolie, avec ses grands yeux vert émeraude pétillants de malice et ses cheveux flamboyants et vanillés dans lesquels j’aimais fourrer mon nez. Elle était mon amie, et bien plus que cela encore. Je l’aimais, c’était tout simple. Je tenais à la revoir pardessus tout. J’avais tant de choses encore à lui raconter.

    Cette pensée idyllique m’a redonné le courage et la force nécessaires. Je devais combattre pour défendre la vie de Mathieu ainsi que la mienne, pour que ma copine, ma fille et nos amis sachent ce qui était arrivé à notre pauvre Félix. J’aurais été prêt à ramper jusqu’à la maison sur mon dernier souffle pour revoir Mimi et Sandy, et pour leur dire combien je les aimais. J’ai rouvert les yeux. J’ai brandi ma hache. J’ai lancé un hurlement de guerre. Mathieu m’a imité.

    Deux des quatre individus contaminés paraissaient avoir été choisis pour aller sur la ligne de front ; ils étaient non armés, mais foutrement costauds et bien nourris. Apparemment, ces deux gaillards avaient eu droit à de nombreux petits déjeuners, ce qui, de toute évidence, ne les avait pas rassasiés. Il n’était pas question pour nous de combler leurs appétits gargantuesques. Lorsque le plus grand des deux a plongé vers moi, ses mains tendues vers mon cou, j’ai laissé la colère m’envahir pour gagner en puissance. Je me suis arc-bouté en prenant la position d’un quart arrière et j’ai absorbé le choc alors que le mastodonte planait au-dessus de ma tête. La sienne est allée s’écraser contre le tronc de l’arbre juste derrière. Un crac bien gras, comme je les aime.

    Je me relevais à peine pour voir son nez brisé que le deuxième me plaquait au sol. J’en ai eu le souffle coupé, ce qui m’évita sa puanteur, mais pas la bave épaisse et gluante qui dégoulinait de sa gueule béante. Je ne m’y habituais assurément pas. J’ai fermé la bouche, malgré le manque d’oxygène dans mes poumons. Je lui ai enfilé un bon coup de genou dans les testicules, et j’ai vu ses horribles yeux jaunes s’agrandir. J’en ai profité pour y enfoncer mes deux pouces. C’était un truc que je maîtrisais assez bien et qui m’avait déjà sorti d’embarras par le passé. La sensation était désagréable, mais c’était mieux que de le laisser me croquer le nez en me bavant dessus.

    J’ai pris le temps de jeter un œil à Mathieu. Le gosse s’en sortait, ma foi, plutôt bien. Son premier assaillant, un vieux barbu édenté vêtu d’un pyjama crasseux, était étendu sur le sol, fouettant l’air d’une barre à clous, le tisonnier de Mathieu planté en plein cœur et le transperçant de part en part, sa pointe coincée dans un amas de racines. Il gesticulait comme un crabe retourné sur le dos, et il crachait le sang comme un tuyau perforé. Ses quelques dents à moitié pourries s’entrechoquaient mollement ; pas de quoi s’inquiéter de ce côté.

    Le quatrième individu contaminé, une jeune femme assez bien roulée pour un zombie et qui me rappelait vaguement Vanessa, la copine un peu idiote de mon patron Claude — celle qui avait des seins gros comme des obus —, se tenait un peu en retrait. La garce nous observait de son regard mauvais, un bâton de baseball entre les mains, ses cheveux charbonneux miraculeusement retenus en queue de cheval. Elle tanguait d’un pied sur l’autre comme si elle évaluait ses chances de réussite, sa poitrine d’enfer pointant sous sa camisole poisseuse. Quelle salope ! Elle attendait le bon moment pour venir nous croquer, oui ! Finalement, elle en avait plus dans sa caboche décérébrée que la petite copine aux gros lolos de mon patron.

    Je suis revenu à mon bonhomme aux muscles saillants et aux yeux crevés qui m’écrasait toujours l’abdomen, et j’ai réussi à le repousser sur le côté. Il est tombé face première dans la boue ; avec sa tronche affreuse, un masque d’argile ne lui ferait pas de tort. Ça m’a donné le temps de respirer un bon coup d’air frais sans me presser pour en finir avec lui, Mathieu ayant très efficacement pris le relais. Un coup de machette plus tard, la tête aux orbites creuses venait rouler à côté de celle du vieillard barbu en pyjama qui grognait toujours. Je me suis relevé prestement et je l’ai fait taire d’un coup de hache bien placé entre ses deux yeux jaunes et sans âme. La gerbe de sang a été saisissante, et je l’ai esquivée de justesse, prenant tout de même une seconde pour en apprécier la macabre beauté.

    Quand je me suis retourné vers la plantureuse meneuse de claques aux yeux jaunes qui attendait son tour au bâton, elle n’était plus là. Ses grognements s’éloignaient rapidement dans la forêt, et j’aurais juré qu’elle appelait du renfort. Nous n’avons pas attendu qu’elle rejoigne le reste de son équipe de petits copains grogneurs. Mathieu et moi avons pris nos jambes à notre cou et avons filé en vitesse en sens inverse. J’ai quand même pris une seconde pour tenter de marquer un but avec la tête de mon colosse, d’un bon coup de pied bien placé. Le ballon de chair garni de cheveux charbonneux est passé dans le V formé par deux bouleaux siamois. C’était un à zéro pour l’équipe des survivants.

    ***

    La pluie ne semblait pas vouloir diminuer, mais elle avait au moins le mérite de nous nettoyer du sang et de la bave de nos ennemis grogneurs. Il nous fallait coûte que coûte dénicher un abri pour y prendre le temps de respirer un peu. La roulotte abandonnée de Gilberte et Clément, qui avait été notre havre de paix durant un certain temps avant que nous dénichions la maison de Félix, semblait le seul endroit approprié dans le secteur. J’espérais seulement que Mathieu et moi courions dans la bonne direction, mon sens de l’orientation ne s’étant toujours pas amélioré, surtout sous ce rideau de pluie torrentielle.

    Mon compagnon, jeunesse aidant, me devançait de quelques mètres. Il zigzaguait avec adresse entre les arbres, et je faisais de mon mieux pour le suivre, ordonnant à mon cœur tourmenté de 38 ans d’endurer cet ultime effort. J’avais la désagréable impression de tourner le dos à la roulotte, mais Mathieu semblait savoir où il allait, et je m’en remettais totalement à lui, trop exténué que j’étais pour réfléchir.

    Notre course à obstacles n’en finissait plus, et mes vêtements ont bien vite été trempés, formant sur moi une deuxième et lourde peau. Les branches des arbres me griffaient au passage, et les racines jaillissant ici et là sous la terre ramollie par la pluie devenaient encombrantes et glissantes comme des couleuvres. Incapable de percevoir les grognements au milieu de l’orage qui se déchaînait furieusement tout autour de nous, je ne cessais de regarder par-dessus mon épaule, guettant l’arrivée impromptue d’un zombie. En plus de me ralentir considérablement, cela m’empêchait de regarder où je foutais les pieds. J’ai trébuché une bonne dizaine de fois en maugréant et en blasphémant. J’en avais tellement marre de cette fuite perpétuelle.

    À un certain moment, alors que je voyais la distance entre Mathieu et moi s’allonger, il y a eu un mouvement sur ma droite. J’ai sursauté comme une gamine, les mains en l’air, battant des paupières. Un truc bigrement gros fonçait droit sur moi en faisant tout un raffut. J’ai poussé un hurlement, qui s’est égaré parmi les grondements du ciel. Instinctivement, j’ai reculé, cherchant Mathieu du regard. Saloperie, je l’avais perdu de vue, et l’une de mes chaussures avait choisi précisément ce moment pour se foutre entre deux racines. J’ai perdu stupidement pied alors que la chose surgissait des fourrés.

    Ce n’était pas une perdrix idiote cette fois ni un lièvre paniqué ou encore un sanglier échappé d’un village gaulois de bande dessinée. Non, vous connaissez ma chance. Dieu m’envoyait carrément un petit cousin d’Obélix fou furieux : un colosse en tenue de boucher avoisinant le quart de tonne, avec des mains grosses comme des poêles de fonte et maniant une gigantesque planche à découper garnie de clous. Son visage reflétait celui d’un tueur en série, et il ne semblait pas avoir besoin de potion magique pour m’arracher la tête.

    Comme je n’avais pas très envie qu’il me confonde avec l’ancêtre d’un centurion romain, j’ai fermé ma gueule en tentant de me relever de ma fâcheuse position, brandissant ridiculement ma hache. Ça n’a pas vraiment impressionné monsieur le boucher. Sa planche a fait un étonnant mouvement rotatif avant de venir heurter mon arme tranchante. Celle-ci m’a échappé des mains et s’est retrouvée parmi les fougères, cinq mètres plus loin. Chiotte ! Il ne me restait plus que le couteau de cuisine et le marteau passés à ma ceinture, bien peu pour combattre un pseudo-boucher gaulois et colérique.

    C’est grâce à une montée d’adrénaline que j’ai pu enfin me redresser, évitant de justesse un coup de planche en pleine poire. Il s’en est fallu de peu pour que je ne goûte à ma propre médecine et ne me retrouve avec le nez éclaté ou les yeux crevés par les clous rouillés. Je devais me rendre à l’évidence : je n’avais aucune chance de terrasser ce troll mal léché et belliqueux. La fuite devenait l’unique option pour survivre.

    J’ai donc tourné les talons en me saisissant de mon couteau, au cas où, et j’ai foncé entre les arbres. Mauvaise idée. Très, très mauvaise idée. Un choc effroyable m’a stoppé net. Une douleur fulgurante au niveau de mon omoplate gauche. Quel salaud, ce boucher ! Les clous d’au moins cinq centimètres de long qui venaient de s’y enfoncer en sont ressortis indélicatement, ma chair se rebellant contre cette horrible intrusion. Deux secondes plus tard, les clous venaient à nouveau se planter dans mon corps, mais au niveau de ma hanche droite cette fois. Ça m’a fait un mal de chien, je ne vous dis pas, mais j’ai pincé les lèvres, retenant le cri de douleur qui cherchait à s’échapper de ma gorge. Pas question de montrer à ce monstre découpeur de viande et apprenti menuisier qu’il avait le dessus. Les clous se sont retirés encore une fois de ma tendre chair sans ménagement, et j’ai fait volte-face sans trop grimacer.

    L’ogre en sarrau s’apprêtait à abattre encore une fois sa planche sur moi. J’ai instinctivement placé mes bras en croix, mais n’ai pu l’esquiver. Les clous ont transpercé la paume de ma main gauche, cette malchanceuse qui s’était déjà fait bouffer l’index par un zombie dans le sous-sol du presbytère de mon ami Paul. Ça me donnait un aperçu de ce que le Christ avait dû endurer lors de sa crucifixion : vraiment atroce. J’en ai les dents qui grincent juste à me rappeler la sensation du métal rouillé se frottant contre les os de ma main à quatre doigts.

    Cette fois, avec ce mastodonte à la trogne patibulaire qui s’amusait à me frapper sans vergogne, je croyais bien ma fin toute proche. J’avais mal partout, mes jambes menaçaient de flancher à chaque instant, et je n’avais même plus la force d’utiliser mon marteau pour au moins retirer les clous de la foutue planche de bois massif de mon assaillant. Mimi et sa tronçonneuse n’étaient pas là pour me sortir de cette fâcheuse position, et Mathieu devait lui-même sauver chèrement sa peau je ne savais trop où au cœur de la forêt. Non, j’étais bel et bien seul pour faire face à la mort. Cette salope attendait ce moment depuis bien trop longtemps.

    J’aurais pu fermer les yeux et lancer une prière à Dieu pour qu’Il me vienne en aide, mais comme vous le savez, l’enfant de pute devait plutôt prendre plaisir à me voir encaisser les coups une fois de plus. Le Seigneur tout-puissant se branlait avec extase derrière un nuage, et nous recevions son foutre sur la tête depuis le début de la matinée en tentant de sauver notre peau. Marre, je vous dis.

    Percé comme une passoire et pissant le sang, je faisais bien piètre figure devant mon assaillant avec mon couteau de cuisine brandi sans conviction. Le géant contaminé a levé sa planche bien haut, me dominant de sa fureur. J’ai reculé d’un pas, et mon pied gauche a heurté un objet dur. Un bref coup d’œil. Un éclat métallique. Putain, je n’y croyais pas ! J’ai fermé les yeux, pris une grande inspiration et suivis mon instinct ; je me suis balancé par-derrière avec le plus d’élan possible. Même pas le temps pour un signe de croix, bien inutile de toute façon, puisque Dieu faisait joujou avec son divin machin.

    Le monstre aux yeux jaunes a fait un pas en avant. Qu’un seul. Un schling retentissant, suivi d’un grognement d’étonnement. Le boucher venait de se prendre le pied dans un piège à grosses bébêtes à fourrure, passant subitement de chasseur à gibier. Jouissif ! Si je n’avais pas été aussi mal en point, je me serais tapé sur les cuisses en riant aux éclats. Je ne me suis permis qu’un demi-sourire, avant d’écrabouiller son nez d’un coup de talon bien boueux. Le crac produit par l’os fracturé m’a procuré le plaisir habituel, et je n’ai pas pu m’empêcher de frapper à nouveau pour combler mon appétit de vengeance. Et vlan ! dans sa gueule de psychopathe.

    Malheureusement, je suis resté sur ma faim ; ce n’était pas suffisant, j’en voulais beaucoup plus. Je sais bien que je n’aurais pas dû traîner dans les parages dans mon état, mais je tenais à lui régler son compte, à ce foutu Ted Bundy contaminé qui voulait attendrir mes chairs de sa planche à clous avant de me dévorer vivant. J’ai d’abord récupéré la hache rouge, ma main gauche se refermant avec douleur sur son manche, et j’ai entrepris de lui sectionner les bras.

    Il avait beau avoir une jambe coincée dans un piège à ours, ses gigantesques paluches pouvaient toujours m’arracher la tête, vous comprenez. J’ai dû m’y prendre à plusieurs reprises, puisque mes forces étaient en chute libre et mes douleurs au dos et à la hanche, cuisantes. Ça a été au tour du boucher de se faire charcuter, et j’aurais bien fait de la chair à saucisse de ce malotru qui me regardait de ses yeux jaunes et mauvais.

    Quand ses deux bras ont touché enfin le sol, j’ai pris une pause bien méritée, hypnotisé par les gerbes de sang s’échappant des moignons tout frais. Divertissant, mais vite lassant ; ce n’était pas comme la première fois. Ses mâchoires claquaient sans cesse, ses dents se refermant parfois sur sa langue baveuse. Tout à fait puéril et dégoûtant. L’idée de la lui trancher également et de la mettre plus tard dans le vinaigre m’a séduit une fraction de seconde, mais valait mieux mettre fin à ma petite séance de torture si je ne souhaitais pas voir débarquer le reste de sa horde. J’ai saisi mon marteau, arraché quelques clous sur la planche de bois et me suis approché du boucher désormais manchot.

    Je lui ai cloué le bec et crevé les yeux avant de disparaître dans la nature.

    ***

    Je ne sais combien de temps j’ai erré seul dans la forêt. Une heure, peut-être deux. L’orage s’éloignait enfin, et la pluie avait presque cessé. Les hauts feuillages continuaient pourtant de dégoutter sur mon passage et empêchaient mes vêtements de sécher. J’étais frigorifié, et mes dents claquaient bien malgré moi à la manière d’un zombie affamé. Je tournais en rond, c’était bien évident. Je ne sais plus le nombre de fois où j’ai dû me jeter au sol, croyant entendre des grognements s’approcher. J’étais dans un sale état, à bout de nerfs, et je ne souhaitais plus qu’une chose : me mettre à l’abri et au sec.

    Il m’était difficile de réfléchir convenablement. Les idées s’embrouillaient dans ma tête, et les visages de ceux que j’aime flottaient à tour de rôle dans mon esprit. C’était pour eux que je tenais tant à survivre. Ma belle Mimi devait se ronger les sangs à m’attendre, alors que Sandy se consolait probablement dans les bras de Rachel, nous croyant très certainement morts, Mathieu et moi. Et Félix ? Où donc se trouvait le pauvre gosse maintenant ? Hogan l’avait-il abandonné au beau milieu d’une route grouillante d’yeux jaunes, ou l’avait-il plutôt gardé avec lui pour ainsi assouvir ses désirs de vengeance ?

    Ces deux conclusions étaient aussi horribles l’une que l’autre. J’espérais pourtant qu’il reste une parcelle d’humanité dans le cœur de cette sale brute tatouée d’un cobra et qu’il épargne le gamin. Peut-être Félix lui rappellerait-il sa fille Bianca et que son côté paternel s’épanouirait à nouveau. Bien entendu, j’en doutais énormément. Roch, que j’avais rebaptisé Hogan en raison de son physique aussi imposant que celui du célèbre lutteur, avait l’âme empoisonnée par la noirceur des ténèbres. Il s’était fait copain-copain avec le diable lorsque ce dernier avait étendu son territoire sur notre monde, et il y avait bien peu de chances qu’il change de camp. Lui avait-il vendu son âme pour survivre seul durant plus d’une semaine au beau milieu d’une forêt infestée de zombies ? Rien ne m’aurait plus étonné.

    Je n’avais pas le choix. Il me fallait retrouver Félix, autrement je ne me le pardonnerais jamais. Le remords viendrait me ronger, bien avant que ne réussisse à le faire l’un de ces charognards grogneurs. Je devais à tout prix sortir de cette forêt inextricable avant qu’elle ne devienne mon tombeau. Ensuite, retrouver Mathieu, et enfin, rejoindre Mimi et Sandy. Je demeurais un combattant, même transpercé comme une passoire grâce à Ted le boucher. Mes blessures étaient mineures comparativement à la souffrance que j’éprouverais à abandonner ceux que j’aime. J’allais donc me battre, jusqu’à la mort.

    Plus sûr de moi, avec la sensation réelle de regagner des forces, je poursuivis mon chemin, tentant de faire fi de ma douleur. Je me mis à marcher de plus en plus vite, mais je sentais bien qu’un truc n’allait pas. Vertige et nausée. Alors que je hurlais intérieurement à mes jambes de tenir bon, un minuscule moucheron tout ce qu’il y a de plus insignifiant et virevoltant dans les parages m’a foncé dessus. En fait, c’est plutôt le contraire, mais le résultat demeurait le même : il s’est foutu dans mon œil droit pour bien s’y coller. J’ai battu des cils, sans cesser ma course folle. Bang ! dans un arbre. Abrupt et douloureux.

    Cette fois, mes fesses se sont retrouvées non pas dans la boue, mais plutôt dans un trou sans fond. Je n’arrêtais pas de tomber, comme cette Alice au pays des merveilles après sa chute dans le terrier du lapin blanc courant sans cesse après son temps. Quand j’ai enfin touché la terre ferme, les paroles d’une chanson fort à propos de Michel Rivard me sont revenues à l’esprit : « Il n’y a pas que des lapins blancs au pays des merveilles. » J’ai ouvert les yeux. Monsieur Rivard avait bien raison. Bienvenue dans mon pas si merveilleux pays.

    L’endroit était plongé dans l’obscurité, et le sol sur lequel j’étais tombé, dur comme de la pierre. Un vent du nord-ouest charriait des gouttes d’eau glacée, et mes lèvres ont été surprises par leur goût salé. Je me sentais coincé dans mon t-shirt, comme s’il était deux tailles trop petites, mais trempé comme je l’étais, ça n’avait rien de surprenant. L’air marin chatouillait mes narines, et j’ai rapidement reconnu le bruit des vagues se fracassant sur des récifs. La mer se trouvait tout près, et j’avais l’étrange impression de m’y retrouver en plein cœur. Je n’osais pas avancer, mes yeux cherchant toujours à percer l’opacité de la nuit.

    Une lumière soudaine mais furtive a enfin percé les ténèbres. Elle a disparu si vite que j’ai cru qu’elle n’était que le reflet de mon imagination. J’ai patienté encore un moment, ne sachant pas où mettre les pieds. La lumière a reparu, et son rayon s’est prolongé sur une surface mouvante aqueuse, avant de disparaître à nouveau. J’ai tourné la tête, le regard dirigé vers le ciel noir d’encre. Quelques secondes d’attente, et la lumière est revenue.

    Une vision incroyable mais impossible : devant moi se dressait l’église de mon ami Paul et son haut clocher. La croix le surplombant n’y était plus, une girouette tournoyant sans cesse sur elle-même s’y trouvant désormais. Un énorme réflecteur remplaçait également le lampion qui y brûlait habituellement, et sa lumière blanche artificielle glissait sur les vagues tumultueuses recouvrant désormais le cimetière et ses environs. J’étais abasourdi. Une brèche s’est ouverte alors dans le ciel, découvrant une pleine lune pourtant pas de saison. Les contours de l’église se sont estompés pour laisser place à un bâtiment d’apparence moins conventionnelle. Je comprenais tout à coup où j’étais : un lieu exceptionnel que je n’avais pas revisité depuis mon enfance. Comment avais-je bien pu atterrir à cet endroit ?

    Je n’ai pas eu le temps de tirer ça au clair. Un truc a frôlé ma tête dans un bruissement d’ailes impressionnant, et ce n’était pas un simple moucheron cette fois. C’était gros, et ça déplaçait beaucoup d’air. Ça m’a foutu la pétoche comme jamais. Je me suis écrasé au sol, mes cheveux cherchant désormais à pousser par en dedans.

    Une masse sombre a flotté un instant au-dessus de moi, échappant un long grognement caverneux. J’ai reculé vivement, mes mains déjà passablement mal en point s’écorchant sur le sol rocailleux. Deux grands yeux jaunes me fixaient. Un nouveau grognement, le feulement d’un animal flairant sa proie. Une bête énorme et poilue me survolait, et malgré sa pilosité extrême et sa tête disproportionnée, je l’aurais facilement confondue avec un homme de forte carrure. Affublé d’une paire d’ailes membraneuses gigantesques qui fouettaient furieusement l’air dans un fracas assourdissant, l’être mi-homme mi-animal m’a survolé, son regard haineux cherchant à me paralyser. Qu’attendait-il pour se jeter sur moi ?

    J’ai tenté de me redresser, mais il m’a retenu au sol d’une main puissante recouverte de poil. Son visage s’est rapproché du mien. J’ai écarquillé les yeux : un primate. Un gorille en fait, avec des traits presque humains. Il a ouvert sa gueule, me laissant entrevoir deux parfaites rangées de dents blanches. Son haleine de viande avariée m’a convaincu qu’il ne mangeait pas que des bananes.

    D’autres grognements se sont élevés. Des bêtes approchaient, trois formes monstrueuses se découpant à contre-jour devant la pleine lune. J’ai presque ri de ce cliché de film d’épouvante tout de même assez efficace pour me foutre les jetons. Les hommes-gorilles ont plongé vers la mer, avant de planer juste au-dessus des vagues enragées. Ils fonçaient droit sur le grand singe et moi, leurs ailes immenses battant sous la pluie, une musique semblable au tam-tam des cannibales.

    La main velue me maintenait toujours au sol, et je pouvais sentir chacune des pierres me martyrisant le dos. L’une d’elles faisait d’ailleurs pression exactement là où un clou s’était fiché lors de ma rencontre avec Ted le zombie. Une douleur non moins vive se réveillait à ma hanche gauche, compressée contre un rocher aux arêtes aiguës. Je ne pouvais rien faire ; j’étais comme une poupée de chiffon entre les mains d’un gamin bien portant.

    La lumière du phare a balayé la mer à nouveau, attirant mon regard vers elle. J’ai cru perdre la raison : des centaines, voire des milliers d’abominations semblables à mon assaillant et ses trois compagnons noircissaient le ciel de pleine lune, volant en direction du phare. Partout des yeux jaunes, telles des lucioles maléfiques attirées par l’incandescence d’une chandelle géante. Le chant lugubre des grognements s’est répercuté sous la voûte céleste, et tous les os de mon corps en ont ressenti l’effroyable vibration. Mon cœur cherchait la fuite, car je le sentais frapper à mes tempes pour en sortir. J’ai cru devenir sourd à jamais lorsque le chant choral de fin du monde a cessé abruptement.

    Un sifflement presque surnaturel parvenant du phare l’a remplacé, se modulant sur le bruit des vagues. La mer en colère s’est fragmentée en une explosion de cristaux glacés qui ont illuminé le ciel opaque et sombre comme des millions d’étoiles givrées. Les vagues se sont allongées et endormies, puis, enfin apaisées, se sont laissées mourir, complètement gelées et durcies par le froid. Les milliers d’hommes-gorilles sont venus s’y poser à l’unisson et, telle une monstrueuse légion, ont marché vers l’île d’un pas cadencé. Le sifflement s’est mu en longue plainte pour finalement devenir une voix aux tonalités basses et graves, presque rauque. Je l’ai reconnue : c’était celle du diable.

    La bête au-dessus de moi a retiré sa main de ma poitrine et m’a offert un rictus qui m’a fait dresser les cheveux sur la nuque. Avant que je n’aie le temps de fuir, ses deux larges bras m’ont retourné sans finesse, puis m’ont entouré et agrippé. J’ai remarqué pour la première fois la couleur du t-shirt qui me comprimait les côtes : rose, avec un col en V. Qu’est-ce que je foutais avec ce ridicule vêtement de gamine ? Mes pieds ont quitté le sol, et j’ai été emporté dans la nuit avant d’en avoir la réponse. Je savais où l’homme-gorille m’emmenait. C’était l’heure des retrouvailles avec mon vieil ennemi.

    La pluie était froide, et j’ai fermé les yeux. Quand je les ai rouverts, un grand érable tendait ses branches vers moi. Quelques gouttes de pluie, prisonnières de ses feuilles, tombaient malicieusement sur mon visage. J’ai porté une main à mon front ; une prune de bon calibre s’y était formée durant mon bref séjour au pays des hommes-gorilles volants. Encore un de ces sapristi de cauchemars. Dans une autre vie, j’aurais cru à une simple divagation de mon esprit tourmenté, mais pas dans celle-ci. Oh non. Était-ce alors un avertissement ? Un mauvais présage ? Je ne le savais pas encore, mais cela viendrait bien assez tôt. L’île et son vieux phare m’attiraient pour bien d’autres raisons…

    Je me suis redressé en m’appuyant sur l’arbre que je venais de percuter. Le soleil n’atteignait toujours pas son zénith ; je n’étais donc pas demeuré très longtemps aux abonnés absents. J’ai ramassé ma hache et repris ma marche, encore un peu étourdi, regardant bien où je mettais les pieds cette fois. Lorsque je suis arrivé en bordure du lac quelques minutes plus tard, j’ai eu peine à retenir mes

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