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Auteur maudit, maudit auteur
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Livre électronique333 pages4 heures

Auteur maudit, maudit auteur

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À propos de ce livre électronique

Tout a commencé par l’écriture d’un simple journal.

Un journal sans plan, sans la moindre idée de ce que j’allais y confier. Un journal pour y laisser des mots probablement retenus depuis trop longtemps, ou peut-être simplement pour y laisser une toute petite trace de mon passage ici-bas…

Au-dessus de ma tête, une épée de Damoclès ; au fond de mon âme, une ombre funeste. Les mots viennent, écorchent, me conduisent aux portes de l’Enfer.

Là, en ce moment-même, ce journal est entre vos mains. Sous peu, à travers ces pages où rôde le mal, vous m’accompagnerez dans les dédales de mon passé et de mon présent, mais également dans ceux de ma folie, de ma démence. Vous êtes avertis.
LangueFrançais
Date de sortie27 mai 2021
ISBN9782898190742
Auteur maudit, maudit auteur
Auteur

Yvan Godbout

Yvan Godbout, auteur d’Hansel & Gretel, de Boucle d’or, de Le Petit Poucet, de la trilogie Les yeux jaunes, ainsi que d’Auteur maudit, maudit auteur.

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    Aperçu du livre

    Auteur maudit, maudit auteur - Yvan Godbout

    C843/.6—dc23

    PRÉFACE DU FILS D’YVAN

    Je me suis très peu exprimé publiquement durant l’affaire Hansel &  Gretel qui, pour ceux et celles qui ne le savent pas, semble bel et bien terminée. Nous ne pouvons toutefois nous empêcher de voir l’ombre de la Cour suprême planer au-dessus de la tête de mon père… Sans tribune et trop introverti pour apparaître dans les médias, je suis demeuré assez silencieux jusqu’ici. Sans compter la peur que mes émotions ne prennent le dessus en entrevue et que je franchisse des lignes regrettables. Mon but n’est certes pas de retourner dans le passé ni sur ce qui s’est fait ou dit. En revanche, cette préface me permet aujourd’hui de m’adresser à vous, lecteurs et lectrices, qui supportez mon papa. Quant aux autres, vous ne méritez rien de ma part.

    Durant ma campagne GoFundMe (qui, peu après sa création, a été retirée par l’administration du site à mon plus grand désarroi), j’ai pu remercier personnellement plusieurs donateurs par courriel. Je peux maintenant remercier tous ceux que je n’ai pas eu la chance de joindre.

    Merci à tous, très sincèrement.

    Maintenant, penchons-nous sur l’œuvre que vous avez entre les mains.

    J’ai été très heureux d’apprendre que mon père avait repris l’écriture et j’avais hâte de me plonger dans la lecture d’un nouvel ouvrage. Je n’ai pas besoin de vous dire que j’ai tous ses romans à la maison ; ils sont en première ligne devant mes autres livres. Quand je les vois sur la tablette, je suis très fier en m’imaginant que des milliers de personnes ont les mêmes dans leur bibliothèque. Mon père m’a transmis sa passion pour la lecture et le cinéma ; à travers ses œuvres, possible qu’il réussisse à vous la transmettre aussi.

    Ce nouveau roman est beaucoup plus personnel. Il a été, pour moi, plus difficile à lire qu’Hansel &  Gretel. Non parce que je n’ai pas aimé ni parce que j’étais en désaccord avec son contenu. J’ai simplement été profondément touché par ce qu’il contient. Je dois avouer avoir eu des larmes plein les joues à plusieurs reprises, ce qui m’arrive très rarement.

    À vous maintenant de le découvrir. N’essayez pas de déceler le vrai du faux. Plongez, laissez-vous absorber par le récit.

    Ne vous contentez pas de le lire, vivez-le.

    Bonne lecture !

    Le fils

    PRÉFACE DE LA SŒUR D’YVAN

    Fière, heureuse et en paix.

    Je ne trouvais pas meilleure façon de débuter cette préface qu’en identifiant les émotions qui m’habitent en découvrant cette nouvelle œuvre de mon frère.

    Fière de découvrir la force de mon benjamin qui a su vaincre ses démons personnels pour en créer d’autres, de son cru, sur son clavier. Quelle imagination débordante, quelle créativité surnaturelle. Une plume parfaite, qui fignole chacun des mots de son ouvrage, et qui, subtilement, y insère des références ajoutant le défi de la découverte au plaisir de la lecture.

    Fière de l’avoir vu, malgré certains moments forts difficiles, se tenir tel un David devant le Goliath de la Justice. Une justice qui a agi a contrario de ce pour quoi elle existe. Comment devrait-on nommer une justice injuste ? Je ne sais pas. Mais, ce que je sais, c’est que je ne lui pardonnerai jamais d’avoir démontré autant d’ignorance et d’abus en n’attaquant qu’un seul individu pour créer un débat de société. Les moyens étaient disproportionnés entre la Couronne et l’accusé, à tous les niveaux. D’autres méthodes auraient pu être utilisées pour discuter. Ils le savent, je le sais, nous le savons tous.

    Heureuse de voir le sourire revenir éclairer le visage d’Yvan.

    Heureuse de voir son souffle prendre de l’ampleur, soulever sa poitrine, soulever sa plume.

    Heureuse de le voir retrouver sa passion, qui a bien failli s’endormir à jamais.

    Heureuse de pouvoir dire à tous ceux qui auraient été tenté de croire en la légitimité de l’accusation portée contre Yvan : Il ne le méritait pas. Zéro, point barre. Il ne faut pas le connaître pour seulement en douter.

    Heureuse aussi d’avoir découvert, à travers l’épreuve judiciaire, des humains merveilleux. Généreux de cœur et de temps. Il y en a deux, en particulier, qui sauront se reconnaître sans que j’aie à les nommer. Un politicien et un enseignant, fins connaisseurs d’art. Ces deux hommes ne quitteront jamais le giron confortable de ma reconnaissance. Elle leur est acquise ad vitam aeternam. Je n’oublierai jamais, jamais. Promis.

    En paix, puisque tout a repris sa juste place. Que le quotidien a repris ses droits. Que mon sommeil n’est plus interrompu par la terreur des pensées qui détruisent mon petit frère et qui risquent de l’emmener vers le néant.

    En paix, de savoir que mon frère est sur la voie de la guérison, même si ses épaules sont encore lourdes des conséquences des injustices subies.

    Et surtout, immensément attachée au dernier-né de notre famille. Nous avons peut-être onze ans de différence, mais nos esprits sont tellement collés qu’il serait impossible de glisser une simple feuille de papier entre eux. Malgré nos défauts, nos divergences parfois, nos cœurs sont à jamais scellés l’un à l’autre. À la vie, à la mort et au-delà, si ça existe.

    PRÉFACE DU FRÈRE D’YVAN

    Le premier mot qui m’est venu à l’esprit en amorçant la lecture de cet écrit inclassable dans aucun style littéraire défini c’est : wow ! ! ! Un sentiment de fierté indescriptible m’a assailli en voyant le talent d’Yvan ressurgir, malgré les ravages causés par le cercle infernal des épreuves qui se sont déversées sur lui avec un inlassable acharnement à la suite de la parution d’Hansel et Gretel.

    Des ravages à tous les niveaux, qui l’ont mené au bord du gouffre, au plus grand effroi des gens qui l’aiment. Le sentiment de panique et de désespoir qui m’habitait au moment où Yvan livrait ce duel épique avec son âme est certainement l’un des moments les plus terrifiants vécus dans mon existence à ce jour. Rien à voir avec l’épouvante ressentie lors de la lecture de ses romans. Cette fois, c’est dans ma vie que la peur s’était infiltrée et le sentiment était bien réel.

    Alors, la renaissance d’Yvan dans cet écrit est non seulement évocatrice d’un sentiment de fierté envers le talent littéraire de mon jeune frère, mais aussi envers la résilience affichée face aux combats livrés. Il a choisi de relever la tête et, malgré les doutes l’assaillant, de se remettre à ce métier qui lui permet d’exprimer toute l’étendue de son imaginaire. Qu’il soit venu à bout de finaliser ce projet est une très grande victoire personnelle en soi.

    Bien sûr, pour son retour, Yvan ne pouvait pas faire comme tout le monde : choisir de décrire les événements vécus lors des dernières années de façon autobiographique ou de simplement retourner à ses sources horrifiques. Non, il a plutôt choisi de confondre les deux genres… et ses lecteurs par le fait même. Yvan navigue tellement habilement entre le réel et l’imaginaire que même moi, le grand frère, je me suis pris au jeu de me questionner sur ce qui était vrai et ce qui ne l’était pas, au point de profiter de mon contact privilégié avec l’auteur pour lui arracher quelques explications… recueillies avec émotion, mais également avec une infinie tendresse.

    En fin de compte, discerner le vrai du faux importe peu. Ce qui importe, c’est qu’Yvan se livre dans cet écrit comme il ne l’a jamais fait auparavant. Ce sont ses émotions et ses valeurs qui nous habitent lors de la lecture de ces pages. Malgré les imperfections de sa famille, on ressent toute l’affiliation et l’amour qu’Yvan éprouve envers celle-ci. Et cette courte préface est une façon de lui renvoyer l’ascenseur en lui disant : je t’aime mon frère ! ! !

    NOTE DE L’AUTEUR

    Vérité ou mensonge.

    Vrai ou faux.

    Dans les prochaines pages, il ne tient qu’à vous de tracer la frontière entre la fiction et la réalité…

    Avant de poursuivre votre lecture de ce « journal », sachez que tous les noms de personnes réelles – qu’elles soient vivantes ou décédées – ont été changés, à l’exception de ceux de certains membres de ma maison d’édition (et du mien, bien entendu). J’ai changé ces noms d’abord par respect pour chacune de ces personnes. Je préfère éviter que des hurluberlus songent à les embêter dans leur vie privée. Par ailleurs, cette autofiction ne doit pas être confondue avec une autobiographie.

    Pour terminer, je vous souhaite bien sincèrement une agréable balade au cœur de mes souvenirs, de mon imaginaire, de ma folie ou de ma démence ? Et s’il vous plaît : n’oubliez jamais qu’un auteur est là, avant tout, pour vous raconter une histoire. Laissez-vous donc prendre au jeu. 

    Bonne lecture.

    Yvan le maudit

    À tous les survivants d’injustice.

    SAMEDI 15 FÉVRIER, 9 H 05

    Par où débuter, alors que la page blanche m’intimide au point de souhaiter déjà appuyer sur le X, dans le coin supérieur droit de mon écran, pour qu’elle disparaisse instantanément, pour faire comme si elle n’avait jamais existé ? Anyway, ai-je vraiment encore quelque chose à écrire, à raconter ? Ne devrais-je pas tirer une leçon du cauchemar dans lequel je suis plongé depuis plus de deux ans, ce cachot aux murs invisibles, conçu par l’hypocrite moralité d’une nouvelle vague puritaine, et ne plus jamais m’essayer à l’écriture ? De toute façon, comment pourrais-je, assis seul derrière les barreaux de la bien-pensance, créer à nouveau ?

    Je n’en ai pas la moindre idée.

    Depuis des mois, je ne parviens plus à commencer de manuscrit. Pas le moindre début de roman ni la plus insignifiante nouvelle. Les mots se bousculent dans ma tête, les uns cherchant à devancer les autres, ceux-ci tentant de remplacer ceux-là. Si ce n’était de quelques publications sur les réseaux sociaux, je dirais que mon inspiration est morte avec les accusations qu’on a portées contre moi. Mes proches affirment qu’elle est pourtant bien vivante, simplement engourdie à l’intérieur de moi, comme le serait un animal en hibernation durant les longs mois d’hiver. Pourtant, j’en doute. Pas qu’elle soit vivante - mes doigts qui pianotent sur les touches en ce moment même prouvent qu’elle l’est bel et bien -, mais qu’elle sommeille. À mon avis, elle est plutôt malade. Je la perçois comme une vieille dame alitée depuis très longtemps, trop longtemps. Une octogénaire fiévreuse qui voit ses souvenirs lui échapper, sa mémoire s’égrainer au rythme de ses battements de cœur. La pauvre vieille sait qu’elle va mourir ; elle ne sait juste pas quand sonnera le glas… En attendant, je laisse les mots affluer comme ils peuvent, sans chercher à les influencer, encore moins à les organiser, et sans savoir où ils me mèneront. Aucune ligne directrice, pas de plan. Ici, je serai l’humain et non l’auteur. Un père, un fils, un frère, qui ne cherchera qu’à raconter le vrai. L’écrivain prendra-t-il les rênes à un moment ou à un autre ? Possible. Est-ce que je le laisserai faire ? Tout aussi possible… mais je ne le forcerai pas à sortir de sa léthargie… Je n’en dis mot à personne, poursuivant ce qui s’annonce pour l’instant comme un simple et banal journal.

    Me connaissant, ça risque de vite s’éparpiller dans tous les sens…

    Écrire ainsi, sans contrainte, ni l’habituelle préoccupation du résultat final, est en quelque sorte libérateur. Un grand ménage de l’esprit qui en dépoussière le moindre recoin, qui en vide les tablettes surchargées. Tout me semble possible. Je pourrais par exemple m’essayer à la poésie. Mais contrairement à mon ami et collègue Louis-Pier chez ADA, je n’ai pas ce talent, ou plutôt, je ne l’ai plus. En fait, je ne me souviens pas avoir écrit un poème depuis mes années de collège, il y a plus de trente ans. Trente années. Putain ! Des mois, des semaines, des jours de hauts et de bas ; ces hauts fabuleux qui passent comme l’éclair, ces bas terribles qui se terminent presque toujours en combat.

    S’habituer à vivre dans le chariot d’une montagne russe devient vite épuisant.

    Mais bon, je m’égare déjà. J’en étais à parler de poésie. Ou plutôt de l’époque de mes dix-sept ans, lorsque mes dispositions pour cet art étaient réelles. En tout cas, c’est ce que semblait laisser entendre Mme Grondin, ma lumineuse et douce professeure de poésie au Cégep Saint-Jean-sur-Richelieu, où j’ai obtenu un DEC en Arts et Lettres au printemps 1989.

    Je me souviens d’une journée en particulier où le thème du cours était l’écriture automatique ; ce cours m’avait beaucoup inspiré. Du poème que j’ai composé, je ne me souvenais, encore tout récemment, que de la toute première phrase :

    « Plongeon noir dans l’obscur »

    Grâce à un très gentil lecteur, j’ai pu mettre la main, trente-trois ans plus tard, sur le collectif dans lequel se trouve ce poème. Le voici donc, dans sa forme originale que je joins ici.

    Pour cette œuvre brute et noire, écrite pendant les quelques minutes qui nous étaient allouées, j’avais obtenu un A+, ainsi qu’une lecture à voix haute faite par Mme Grondin. Bien qu’aucun autre élève ne savait qui était l’auteur du poème en question, je voulais disparaître sous le plancher tellement j’étais gêné d’une attention si particulière alors que je n’y avais jamais été habitué. En récitant mes mots d’une voix légèrement tremblotante, Mme Grondin avait échappé une larme, me jetant parfois un regard embué à la dérobé ; je crois qu’elle avait perçu, à travers mes vers, les cicatrices de mon âme que j’avais cru mieux dissimulées. Tête basse et yeux voilés par d’épais verres de lunettes, je regardais le sol plus souvent qu’autrement, même si j’étais convaincu d’être invisible pour la grande majorité…

    Non pas que mes années d’adolescence furent si terribles ; en fait si, mais pas pour les raisons qu’on serait porté à croire. Oui, j’ai été victime d’intimidation à l’école, comme bien d’autres avant et après moi, tant au primaire qu’au secondaire, mais beaucoup moins au cégep, où j’étais un inconnu pour la plupart des autres élèves. Les mots tapette et fif résonnent parfois encore à mes oreilles, même lorsque je me retrouve seul face au silence…

    Oui, mes parents étaient sévères, mais non, ils ne m’ont jamais battu, ni maltraité, sinon une bonne claque sur les fesses de temps à autre, et pas toujours méritée. Ma mère menaçait parfois de sortir la cuillère de bois, ou lançait un « N’attends pas que je le dise à ton père » ou sa variante, « Tu vas voir quand ton père va arriver ».

    Entre mes parents et moi, les discussions étaient rares, très rares, pour ne pas dire inexistantes. D’ailleurs, le mot le plus fréquemment entendu durant notre cohabitation, mis à part les osti de crisse de tabarnak de mon paternel, est « non ».

    Non pour tout, et pour rien, non tout le temps.

    Non. Un mot banal, mais si lourd de sens, que mes parents, eux, m’empêchaient d’utiliser. De toute façon, je n’aurais jamais songé à le faire tellement ma propre volonté n’avait aucun droit à l’existence.

    Ça, c’était le lot de la fratrie Godbout au grand complet, c’est-à-dire de ma sœur Marie, de mon frère Mathieu, mais aussi de mon aîné Simon, mouton noir de la famille, décédé il y a trente-deux ans.

    La moindre demande de ma part se terminait presque invariablement par une négation de la part de mes géniteurs. En l’état, ce n’est pas si grave ; j’ai fini par m’y habituer et par ne plus demander quoi que ce soit. Comme si j’avais deviné que, de toute façon, je n’aurais plus à le faire dans un avenir rapproché. Ce moment arriva bel et bien. Bang ! Juste comme ça, sans crier gare. Du jour au lendemain, je suis passé du totalitarisme parental à l’autonomie forcée la plus totale.

    J’avais peut-être plus de 15 ans, mais sans le moindre bagage pour assumer un tel passage.

    Oh, pas que ma mère et mon père soient décédés, non, rien d’aussi définitif. Ils ont simplement disparu de ma vie. Enfin, presque disparu. Du mois de mai à la mi-octobre, ils quittaient le bungalow de la rue Pinsonneault pour s’installer dans notre chalet en bordure du fleuve, à Saint-Jean-Port-Joli. Entre nous, une distance de plus de 400 km. Près de quatre heures de route.

    Ils se seraient retrouvés sur la Lune que ça n’aurait pas davantage fait de différence.

    Durant cinq longs mois, je n’avais plus la moindre nouvelle d’eux, sinon via quelques appels placés à ma grande sœur Marie, mariée depuis un bon moment. C’était bien avant Internet et les réseaux sociaux qui maintenant rapprochent les gens les plus éloignés. Pas d’argent laissé derrière non plus pour subvenir à mes besoins. Qu’un congélateur à moitié vide dans lequel se trouvaient les dernières tourtières et tartes du temps des Fêtes précédent. J’aime bien me faire accroire qu’il restait aussi quelques beignes et morceaux de sucre à la crème…

    Les adolescents d’aujourd’hui, nés avec un cellulaire à la main, seraient mieux équipés et plus matures que je ne l’étais pour vivre pareille situation. Même je mettrais ma main au feu qu’ils seraient nombreux à m’envier.

    Je n’étais pas ce genre d’adolescent.

    Introverti à l’extrême, sans le moindre appui pour m’extirper hors d’un cocon devenu toxique, j’observais l’univers à travers un minuscule interstice. Un beau matin de printemps, on me larguait dans un monde dont je ne connaissais à peu près rien, sinon une version rétrécie.

    Ce serait toutefois mentir que d’affirmer que mes parents ne se souciaient pas de moi. Peu, ou moins, sonnerait plus juste. Ils étaient rendus ailleurs, comme on dit. La retraite leur faisait miroiter de magnifiques couchers de soleil tous les soirs, et disons-le, je devenais un accessoire encombrant. Encombrant, mais sage. Pour s’assurer que j’allais le demeurer durant leur absence et rester sur la droite ligne bien tracée par leur sacro-sainte religion et leur éducation, ils m’ont forcé à devenir sacristain. Ou, en bon québécois, un bedeau.

    Rien de moins.

    Ce moment, je le redoutais depuis longtemps ; mon frère Mathieu, de quatre ans mon aîné, occupait ce poste avant de devoir le quitter au moment de son entrée à l’Université de Sherbrooke. Et puisque j’avais suivi mon cadet comme un chien de poche durant ma prime jeunesse, donc durant toutes ses heures passées à l’église, les dés étaient jetés d’avance. Pour tous – sauf pour moi – ce n’était qu’un jeu d’enfant.

    Ce que j’étais encore un peu, bien malgré moi, non ?

    Mais avant de parler de cet été et de ceux qui ont suivi, peut-être devrais-je mentionner qu’avant mon obligation d’être sacristain à l’église du quartier, j’ai d’abord été servant de messe. L’église, je la connaissais donc par cœur avant d’y talonner mon frère pendant ses tâches de bedeau et de reprendre moi-même ce rôle.

    Yep, j’étais un pas si mignon enfant de chœur ; je portais des lunettes « en écailles » avec des verres très épais, et mes cheveux étaient séparés par une affreuse raie. Servant de messe, je l’ai été de mes neuf ans jusqu’à mes quinze ans, si je ne me trompe pas.

    Après ça, les catholiques pratiquants diront qu’ils n’endoctrinent pas leurs gosses comme la plupart – sinon toutes – les autres religions. 

    Chaque vendredi après l’école, je devais me joindre à d’autres enfants dans la sacristie de l’église Saint-Edmond. Nous ne devions pas alors être plus de cinq ou six. L’horaire des célébrations auxquelles nous devions assister était attribué par un responsable adulte et laïque : au moins une messe sur semaine, une autre durant le weekend. Immanquablement, je me ramassais avec celle du dimanche matin à 10 h, c’est-à-dire celle avec la chorale et tout le chichi qui vient avec.

    Bref, la plus chiante et la plus longue de toutes.

    Et quelle était notre récompense, pour mes jeunes amis enfants de chœur et moi, pour nous être ainsi mis en soutane – le col jauni et les dessous-de-bras cernés par la sueur – et agenouillés devant les nombreux paroissiens reniflant ou se gourmant sans cesse dans l’assistance ?

    Des autocollants.

    Des étoiles, anges, et animaux de la ferme. Tous mignons. C’était ça, ou dix sous la célébration. Dix cennes la messe, bon sang ! Ça en fait des courbettes à faire devant monsieur le curé et sa bande de vieux paroissiens pour se payer un sac de bonbons qui a de l’allure au dépanneur du coin !

    Pour le servant de messe obligé que j’étais, la pire période était celle de la Semaine sainte. Les célébrations se succédaient les unes après les autres, durant trois jours.

    Trois putains de jour, bordel !

    Le Vendredi saint, c’était le Chemin de Croix en après-midi, alors que mes potes de l’école, eux, parcouraient plutôt la ville à vélo ou jouaient au baseball sur l’un des nombreux terrains vagues du quartier. Aucun enfant, même parmi les plus raisonnables, comme moi, ne voulait faire ce fichu Chemin de Croix. Ça ne finissait plus de finir. Il fallait demeurer debout sans possibilité de s’asseoir, ou pire, porter l’encensoir fumant presque du début à la fin de la cérémonie. Je dois bien m’être étouffé une dizaine de fois sous les yeux réprobateurs du curé, et m’être vomi dans la bouche presque aussi souvent. Il m’est donc encore impossible d’entrer chez un ami où brûle un bâtonnet d’oliban pour chasser une persistante odeur de cigares au chou.

    Après ce laborieux Vendredi saint venait le Samedi tout aussi saint et sa Veillée Pascale à mourir d’ennui. Se promener avec un cierge de trois pieds, tenu à bout de bras, quand tu en mesures à peine cinq toi-même, et qui plus est, affublé d’une charpente d’à peine soixante livres, était ma foi un défi en soi. Ne pas s’endormir sur « la job » en était un autre…

    Le lendemain, on terminait enfin avec les « vraies » messes de Pâques, selon l’horaire dominical habituel. Comme je l’ai mentionné plus haut, j’étais plus souvent qu’autrement pogné avec celle de 10 h, et devoir supporter la chorale – dont ma mère faisait partie – presque exclusivement formée de sopranos. Je m’imaginais parfois que les vitraux finissaient par exploser sous la note suraiguë échappée durant un cantique par l’une des Castafiore. À cette époque, je n’en étais pas encore à penser aux résultats d’un tel incident du point de vue horrifique : des paroissiens aux yeux crevés par les tessons de verre, bariolés de coupures au visage et d’autres blessures bien saignantes, titubant entre les bancs et s’enfargeant dans les prie-Dieu pour trouver la sortie… tiens, voilà un passage intéressant pour un futur roman d’horreur… ! Mouais, d’abord me faudrait-il avoir le goût d’en écrire un. Pour l’instant, je suis bien loin de ce genre de désir.

    Bien que…

    Toujours est-il que mes années d’enfant de chœur ont cessé lorsque j’ai hérité du poste de sacristain. J’aimerais sortir l’expression « c’était un mal pour un bien », mais ce serait mentir puisque c’était plutôt l’inverse… à quinze ans, me voilà prisonnier de la maison de Dieu, tous les samedis et dimanches de l’année, été comme hiver, ainsi que durant les trois semaines de vacances de monsieur Vanier, le vieux bedeau de semaine. Je me rappelle cette période comme si elle datait d’hier : j’en ai gardé le souvenir oppressant des effluves humides du sous-sol du presbytère, de l’odeur légèrement sucrée des confessionnaux, et la peur des pièces vastes, sombres et désertes.

    Tout ça a duré trois ans.

    Bon, je crois que je vais prendre une petite pause, maintenant. Plus de trois heures d’écriture non-stop. Se pourrait-il que mon blocage soit enfin derrière moi ? Je devrais probablement en profiter. Un sandwich vite fait et un petit café feront l’affaire pour dîner. Ensuite, retour sur ce clavier. Je croise tout de suite les doigts pour que l’inspiration se poursuive. Et me poursuive.

    12 h 50

    Voyons si je pourrai replonger dans les entrelacs de mon passé aussi facilement que ce matin. Commençons par retourner vers mon rôle de sacristain, trop marquant pour que je ne le détaille pas un peu plus.

    Le samedi matin, je devais être à l’église de notre paroisse – j’ai su qu’elle était désormais transformée en unités de condominium – à 8 h 30 pour l’ouverture des trop nombreuses portes, mais avant tout pour préparer la célébration de 9 h 30. Qui donc va à la messe de 9 h 30 un samedi matin, pourrait-on se demander ?

    Une petite douzaine de personnes, gros max.

    Douze putains de bondieusards… je devrais me sentir coupable d’écrire ça, mais je n’y arrive pas. Après tout, mes parents ne se sont aucunement sentis coupables de m’enfermer dans cette fichue église durant trois ans.

    Trois longues et interminables années.

    Fréquemment, la messe de 9 h 30 était suivie de funérailles. Sans vouloir faire de mauvais jeux de mots, c’était ma mort. Des cercueils, j’en ai vu passer de tous les formats. Ma bonne amie Salomé, qui a rêvé toute sa vie d’être thanatologue, aurait assurément adoré.

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