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Une dernière chance
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Livre électronique300 pages4 heures

Une dernière chance

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À propos de ce livre électronique

Jess mène une vie plutôt normale. Elle se chicane avec ses parents, entretient une relation amour-haine avec son frère Jonathan, et elle A-DO-RE ses amies qui forment avec elle une alliance indestructible.

A travers son quotidien assez ordinaire, les devoirs de maths remportent la palme de l'ennui. Heureusement que son amie Jasmine est là pour l'aider ! C'est chez elle que Jess se rend à bicyclette, un soir, après l'école.

Mais elle n'en reviendra pas. Du moins, pas comme avant… Frappée par une voiture, elle plonge dans un profond coma.

Aux portes du paradis, elle rencontre Daniel, l'ange de la mort. Ce dernier n'a pas l'air enchanté de sa venue et il admet avoir fait une erreur. Pour se racheter, il donne à la jeune fille une dernière chance de retourner sur Terre, mais sous forme de fantôme.

Jess découvrira alors que les gens qu'elle aime cachent bien des secrets. Certains plus lourds que d'autres. Et si ces secrets influençaient la pénible décision qu'elle sera obligée de prendre ?
LangueFrançais
ÉditeurDe Mortagne
Date de sortie7 mai 2014
ISBN9782896623372
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    Aperçu du livre

    Une dernière chance - Alex Gutteridge

    ELIOT

    Chapitre 1

    SUIVIE PAR LES OMBRES

    Jeudi 5 mars, 16 h 15

    Ce n’est qu’au moment de partir que j’ai décidé de prendre ce vélo, cédant à une de ces étranges impulsions qui peuvent influencer votre vie… et votre mort. On nous avait donné un devoir de maths vraiment difficile et j’avais attendu jusqu’à la toute dernière minute pour m’y atteler. Même Jonathan n’avait pas réussi à résoudre le problème. Pourtant, mon frère a deux ans de plus que moi et il a obtenu de très bonnes notes à ses examens, l’an passé. Ce n’était pas la peine d’ennuyer maman avec cela : son regard se perd dans le vague dès qu’on mentionne les fractions. Et je ne voulais pas attendre que papa arrive. Je préférais avoir affaire à lui le moins possible. Jasmine représentait donc mon dernier espoir.

    J’aurais pu ne pas faire ce devoir, mais madame Bouchard, ma prof de maths, insinuait toujours que les nombres ne me posaient pas un plus grand défi qu’aux autres et que je n’y mettais tout simplement pas du mien. Pourtant, je savais additionner, soustraire, effectuer des divisions et des multiplications. Il me semblait que c’était bien suffisant. Et puis, sur mon bulletin scolaire d’avant Noël, madame Bouchard avait écrit : Jessica assiste aux cours de mathématiques, mais son esprit est en congé. Il lui faudrait fournir d’énormes efforts pour réaliser tout son potentiel. En est-elle capable ? C’est ce que nous verrons. Elle n’avait pas tout à fait tort. J’étais effectivement toujours dans la lune dans les cours de maths. En rêvasserie, j’aurais pu obtenir des notes fantastiques.

    En y repensant, je ne sais pas pourquoi ce bulletin scolaire m’a énervée davantage que les précédents. Elle n’avait rien écrit qui soit bien différent de ses commentaires habituels, mais, cette fois, j’avais l’impression qu’elle me considérait comme irrécupérable, qu’elle me condamnait à l’échec, et je n’aime pas qu’on me sous-estime. Il était temps de montrer à cette médisante qu’elle se trompait, et j’avais placé tout en haut de ma liste de résolutions pour la nouvelle année de faire des efforts pour réussir dans la matière que j’aimais le moins. C’est ainsi que, le 5 mars, à seize heures quinze, j’ai dit au revoir à maman en criant, j’ai sorti discrètement le vélo du garage et je suis partie chez Jasmine.

    Je ne disposais pas de beaucoup de temps. Je devais absolument être de retour avant dix-huit heures, c’est-à-dire avant que papa ne rentre du travail. Je n’osais pas le laisser tout seul avec maman. Jonathan était à l’étage, mais il écoutait sa musique si fort qu’il n’entendait jamais rien. D’ailleurs, c’était peut-être pour cette raison qu’il montait tant le volume – il s’agissait sans doute d’une technique de blocage. Les garçons sont effroyablement bons pour cela. Moi, je faisais complètement le contraire. Notre famille se désintégrait un peu plus chaque jour, et j’éprouvais le besoin de noter les moindres détails, les disputes, les silences, les traces laissées par les larmes sur le visage de maman. Savoir exactement ce qui se passait, c’était ma façon de me préparer et de me protéger, ce qui semble ironique si l’on pense à ce qui est arrivé ensuite.

    Jonathan avait reçu le vélo pour Noël et il ne m’aurait jamais laissée l’emprunter, même si j’avais rampé devant lui. Je me suis faufilée hors du garage, et je n’ai pas pensé du tout à prendre les phares du vélo. Après tout, Jasmine n’habitait qu’à huit cents mètres de chez moi, et j’avais prévu de rentrer bien avant la tombée de la nuit. J’aurais pourtant dû me douter qu’il nous faudrait une éternité pour faire mon devoir, parce que la pauvre Jasmine devrait m’expliquer et me réexpliquer le raisonnement. Comme d’habitude, elle a été incroyablement patiente, mais j’ai tout de même fini par me sentir comme une vraie idiote. Nous méritions bien de nous gâter un peu, toutes les deux, après tout ce stress, alors nous avons écouté les derniers morceaux que Jasmine avait téléchargés en feuilletant des magazines et en nous extasiant devant des photos de vêtements super chers. J’étais sur le point de partir quand la mère de Jasmine nous a apporté une assiette de beignes. Cela n’aurait pas été poli de refuser, alors il était presque dix-huit heures quand je suis finalement sortie de chez mon amie, et il bruinait. L’obscurité tombait rapidement.

    – À demain, m’a crié Jasmine tandis que j’enfilais mon sac à dos bleu marine. Où sont tes phares ?

    – Je les ai oubliés.

    J’ai remarqué la lueur d’inquiétude dans son regard.

    – Ce n’est pas loin. Ne t’en fais pas.

    – Tu n’as pas de casque ?

    Elle était si prudente, avec un tel sens des responsabilités.

    – Les casques, ça décoiffe.

    J’ai passé la main dans mes cheveux châtains, très raides. Ils étaient tellement fins et plats, même dans leurs meilleurs moments, que je ne voulais surtout pas les plaquer encore plus sous un casque.

    – Il vaut mieux avoir les cheveux aplatis que de se faire écraser, m’a-t-elle prévenue.

    Est-ce que j’ai frissonné ? À ce moment précis, est-ce que j’ai eu une prémonition ? Un pressentiment ? Je ne crois pas. À la limite, je me suis peut-être dit que les accidents n’arrivaient qu’aux autres.

    – Tu me promets que tu vas marcher à côté de ton vélo ? a-t-elle insisté.

    Avec un sourire, j’ai hoché la tête. Je me souviens d’avoir pensé que c’était moins terrible de ne pas tenir une promesse si on ne jurait rien à haute voix.

    – Merci pour ton aide, lui ai-je lancé. Tu vas voir, grâce à toi, je vais finir par devenir super bollée en maths.

    Elle a ri, m’a fait au revoir de la main et m’a regardée pousser mon vélo sur le trottoir jusqu’au coin de la rue.

    Une fois hors de sa vue, j’ai hissé mes fesses sur la selle, dure à en pleurer, et me suis mise à pédaler pour sortir de la ville. J’ai suivi la rue de la Forêt, la tête baissée à cause de la pluie, ignorant que ma vie était sur le point de changer. J’ai regardé ma montre. Presque dix-huit heures. Maman allait bientôt appeler Jonathan pour le faire descendre, mais sans succès, et papa devait être sur le point de garer sa voiture devant le garage.

    Je me suis demandé de quelle humeur il serait, ce soir-là. Tout allait dépendre des plans qu’il avait faits. Il allait peut-être s’inventer un autre rendez-vous d’affaires, alors que nous saurions tous qu’il irait la retrouver, elle. Je ne pouvais pas supporter l’idée de voir maman crier et pleurer, comme la semaine précédente. Les yeux rougis à cause de la trahison de papa, elle s’était agrippée à sa chemise pour l’empêcher de sortir de la maison, le suppliant de réfléchir à ce qu’il était en train de nous faire. Dans le cadre de la porte de la cuisine, je les avais regardés.

    On dit qu’en cas de tremblement de terre, il faut se réfugier sous un cadre de porte. J’avais remarqué combien les bras de papa s’étaient raidis contre son torse, ses poings fermés comme s’il faisait tout son possible pour ne pas la frapper, et je m’étais avancée pour m’interposer. J’étais presque certaine qu’il ne me battrait pas, mais, si un jour je n’étais pas là, si maman était toute seule, il n’allait peut-être pas pouvoir s’empêcher de s’en prendre à elle. C’est pourquoi je devais rentrer avant lui.

    J’ai commencé à pédaler plus vite et j’ai décollé mes fesses de la selle, me penchant en avant, m’imaginant en plein Tour de France. Je me suis dit que j’étais en train de bien raffermir mes cuisses, ce qui m’a fait plaisir. Toutes les voitures avaient allumé leurs phares et des ombres me suivaient, mais j’étais presque arrivée. J’aurais dû tourner quelques minutes plus tard dans ma rue, qui est bordée d’une ribambelle de maisons entourées de jardins bien nets. Mais je ne l’ai jamais atteinte.

    La voiture a débouché d’une rue transversale en éclaboussant tout sur son passage, profitant d’une interruption dans la circulation de l’heure de pointe. De toute évidence, le conducteur ne m’avait pas vue. Je n’ai pas eu le temps de l’éviter, j’ai tout juste réussi à lancer un juron. Nous n’avions aucune chance de ne pas entrer en collision. J’ai freiné d’un coup sec, mais le crachin avait formé une couche huileuse sur la chaussée. Un œuf sur le plat se serait mieux accroché à sa poêle que mes pneus à la route. Je me suis écrasée contre la portière du passager avec la force d’un rhinocéros en train de charger, puis je me suis envolée. Je suis presque sûre d’avoir effectué un saut périlleux au-dessus du toit de la voiture. Évidemment, ma figure ne respectait pas les critères olympiques, mais, pour quelqu’un comme moi, qui n’arrive ordinairement pas à faire une culbute sans attraper un torticolis, c’était tout de même impressionnant.

    C’est vraiment incroyable, ce qu’on a le temps de remarquer en quelques secondes. Sur le bord du pavé était étalée une énorme crotte de chien fumante, et une vieille boîte en polystyrène traînait dans le caniveau. On aurait dit qu’elle contenait un restant de pâte de tomate, mais, de plus près, ça devait ressembler à du vomi. C’est difficile de différencier les deux, quand on est en train de tomber en vrille. Je me suis demandé dans quoi ce serait le moins dégoûtant d’atterrir. Si je m’étais donné plus de mal dans mes cours d’éducation physique, j’aurais sûrement pu mieux contrôler ma trajectoire, mais c’était trop tard. Au moins, la crotte de chien était fraîche et avait des chances d’amortir légèrement ma chute.

    Je me souviens d’avoir eu peur de perdre mon cellulaire s’il tombait de ma poche et de m’être inquiétée de n’avoir pas rendu les livres que j’avais empruntés à la bibliothèque. Je ne me rappelle pas m’être dit que j’allais mourir. Je pense que je m’attendais à tomber, puis à épousseter mes vêtements et à continuer mon chemin, comme dans un dessin animé. Mais ça, c’était avant que je ne m’écrase au sol comme une pierre.

    L’arrière de ma tête s’est fracassé contre le bord du trottoir et le bas de ma colonne vertébrale aurait bien voulu s’encastrer dans une grille d’égout, mais, pendant quelques sublimes secondes, je n’ai ressenti aucune douleur. J’ai regardé le ciel. Il était magnifique, d’un bleu indigo strié d’orange et d’argent. La lune pâle scintillait derrière des nuages d’un noir d’encre, chargés de pluie. Je n’avais pas envie de bouger, je voulais juste rester immobile et me perdre dans ce ciel. J’ai commencé à me sentir étourdie.

    – Jess, concentre-toi ! me suis-je dit. Reste là, ne te laisse pas aller.

    Certaines choses me sautaient aux yeux comme dans un film en 3D. Les branches nues d’un hêtre incliné s’étendaient au-dessus du trottoir et je pouvais distinguer les petits bourgeons bruns, à l’extrémité des plus fines brindilles. J’ai imaginé les feuilles vert citron toutes neuves qui allaient se déployer quand ces petites gaines poisseuses s’ouvriraient, un mois plus tard. Quelqu’un avait cloué une cabane à oiseaux au tronc de l’arbre, et un merle chantait à pleins poumons, juste au-dessus de ma tête. On aurait dit qu’il me gazouillait ma petite berceuse personnelle. J’ai espéré que tous ces efforts ne lui donneraient pas envie de faire caca. J’ai fermé la bouche, par précaution, et le brouillard dans ma tête s’est intensifié.

    Une sourde pulsation a commencé à résonner à l’arrière de mon cerveau, là où mon crâne était en contact avec le trottoir. Des portières de voiture ont claqué, ce qui m’a brutalement rappelée à la réalité. Mon nez s’est empli de gaz d’échappement et, tout à coup, j’ai eu mal au cœur. Un bus est passé, des visages effarés pressés contre ses vitres. J’ai prié que Will ne se trouve pas dedans, qu’il ne puisse pas me voir, le nez rougi par le froid et le mascara délavé par la pluie. Mon cœur a fait un petit bond quand j’ai pensé à Will. C’est le meilleur ami de mon frère, et je l’adore. Il est drôle et vraiment beau, avec des cheveux bruns qui bouclent sur sa nuque et un sourire un peu de travers qui me fait toujours rougir. Et il n’y avait absolument pas la moindre chance qu’un gars comme lui remarque quelqu’un comme moi. Cela ne m’empêchait pourtant pas de rêver. J’espérais qu’il en viendrait à me voir comme une fille vraiment géniale, drôle et attirante, et pas seulement comme la petite sœur de Jonathan. Si je le souhaitais assez fort, peut-être qu’un jour il m’inviterait à sortir avec lui.

    – Ne bouge pas, ma chouette.

    Un homme s’est penché au-dessus de moi, dissipant mes rêves de Will. Je me suis léché les lèvres, au cas où le beignet m’aurait laissé une moustache de sucre. J’ai essayé de sourire. Cela m’a fait un drôle d’effet, comme si l’arrière de ma tête avait été en train de s’ouvrir. Quelqu’un pleurait. Quel culot ! Si quelqu’un devait pleurer, c’était bien moi. C’est moi qui avais des problèmes, avec la crotte de chien écrasée dans mes cheveux et une de mes chaussures Converse rouges préférées posée dans une pâte de vomi.

    – Tout va bien aller, m’a dit l’homme d’une voix apaisante.

    Jusqu’à ce moment précis, je n’en avais pas douté une seule seconde. J’ai commencé à me demander à quel point le vélo était abîmé et combien de temps j’allais devoir économiser pour le remplacer. Mais, c’est drôle, je ne me suis pas demandé quels dégâts j’avais subis, moi. Au loin, une sirène a commencé à hurler. Derrière moi, j’entendais le bourdonnement des voitures sur la route, tandis que les gens passaient et continuaient leur vie. C’était réconfortant de savoir que le monde entier n’avait pas besoin de s’arrêter pour jeter un coup d’œil. Cela signifiait sûrement que la situation n’était pas si grave.

    – L’ambulance arrive.

    L’homme a saisi ma main tremblante de sa propre main ferme et chaude, et cela m’a rassurée.

    J’ai essayé de me rappeler si je portais ma plus jolie petite culotte. Ma grand-mère répétait souvent en plaisantant qu’il fallait toujours enfiler de jolis sous-vêtements, au cas où on aurait un accident et qu’on devrait se rendre à l’hôpital. J’ai eu l’horrible impression que je n’avais pas suivi son conseil et enfilé, ce matin, ma petite culotte grisâtre toute râpée sur laquelle était écrit Mardi. Mais on était jeudi, n’est-ce pas ? Ou bien était-on plutôt vendredi ?

    Tout est devenu flou, comme l’écran d’une télévision dont la réception est mauvaise, et une odeur de cari s’est entremêlée à celle des gaz d’échappement. J’ai espéré que ce n’était pas celui de maman. Elle prépare un cari qui sent épouvantablement fort. Son image a vacillé devant mes yeux, ses cheveux blonds et ondulés flottant devant son visage en forme de cœur. Elle a aussi de petites taches de rousseur et un nez retroussé. Elle a l’air jeune pour son âge ; enfin, elle a eu l’air jeune jusqu’à ce que papa commence à faire l’imbécile. J’ai essayé de lever le bras pour regarder ma montre. Il devait être dix-huit heures passées et il était sûrement déjà à la maison. Il fallait que je rentre.

    Quand j’ai essayé de bouger, une douleur soudaine a explosé dans ma tête et une sensation glacée est partie de mes orteils puis s’est répandue en serpentant dans tout mon corps. La route sur laquelle j’étais allongée ne me semblait plus si dure. J’avais l’impression que le goudron ramollissait sous mon poids, comme lors de la canicule l’été précédent. J’étais en train de m’enfoncer dans sa noirceur gélatineuse comme si j’étais tombée dans une cuve pleine du caramel à la mélasse de grand-mère. Un bruit blanc strident a envahi mes oreilles, couvrant le chant du merle. J’avais envie d’entendre l’oiseau chanter.

    C’est quand je me suis rendu compte que je n’arrivais plus à reprendre mon souffle que la peur m’a submergée. Quelqu’un d’autre pleurait, maintenant, et la douleur était bien présente. Oh, la douleur, tant de douleur, partout. J’avais l’impression que l’arrière de ma tête était collant. Je me suis demandé si je saignais. Je ne supporte pas la vue du sang. Cela me fait me sentir mal. Le ciel était vraiment magnifique, mais il s’assombrissait. Les pleurs se sont intensifiés. « Mais tais-toi donc ! avais-je envie de crier. Tu vas te taire ! Tu me fais peur. » Juste avant de perdre conscience, j’ai compris que c’était moi qui pleurais.

    Chapitre 2

    LA TENTATION

    Vendredi 3 avril, 8 h 30

    Le voyage m’a paru durer une éternité, et je n’y étais pas préparée. J’étais allongée sur mon lit d’hôpital, essayant de suivre tout ce que se passait autour – le bip des moniteurs, la voix de maman qui s’éloignait de plus en plus –, quand, tout à coup, j’ai entendu quelqu’un m’appeler. Je n’ai pas reconnu la voix et je n’avais pas envie de l’écouter, mais elle résonnait dans ma tête, répétant mon prénom encore et encore. J’ai eu l’impression d’être tirée vers l’entrée d’un tunnel, une corde enroulée autour de mes pieds.

    – Maman, ai-je voulu crier, tiens-moi. Ne me laisse pas partir.

    Mais, même si je n’avais pas eu cet atroce tube dans la gorge, je n’aurais pas pu dire quoi que ce soit. Depuis des jours et des jours, j’essayais de prévenir mon entourage que j’étais là, que je l’entendais. Mais personne ne comprenait mes appels à l’aide, ni les médecins et les infirmières, ni mon frère, ni ma grand-mère, ni même mon père ou ma mère. J’étais la seule à percevoir ces cris qui se réverbéraient dans mon crâne.

    Le tunnel était inondé d’une lumière vive et la voix qui m’appelait était vraiment persuasive, comme celle d’une sirène qui attire les marins pour les mener à leur perte. Je savais que quelque chose n’allait pas, que j’aurais dû me boucher les oreilles, mais la voix s’enroulait autour de moi comme les liserons sur la clôture du jardin de grand-mère et je ne pouvais rien faire. J’étais attirée vers le haut, les pieds en premier, comme s’il y avait un immense aspirateur à l’autre bout du tunnel. J’ai tendu les mains, écarté les pieds, mais il n’y avait rien à quoi m’accrocher, rien qui puisse me ralentir ou m’arrêter. De plus, je n’avais pas beaucoup de force.

    J’ai continué à monter, à monter, tournant si vite dans les coudes que j’en avais le vertige, battant des paupières à cause de la lumière qui devenait de plus en plus forte et blanche. Et, tout à coup, ça s’est terminé. J’ai été éjectée du tunnel et je me suis affalée comme une poupée de chiffon, devant quelqu’un. Contre toute attente, je ne me suis pas fait mal en tombant ; tout était doux, blanc et moelleux comme de la ouate, et il y avait du brouillard partout, beaucoup de brouillard. L’homme qui se tenait près de moi avait le visage pâle et anguleux et des sourcils arqués ; sa peau était lisse à en donner la chair de poule. Il n’avait pas l’air très sympathique, mais, si je me suis mise à trembler, ce n’était pas pour cela. C’était à cause de l’auréole dorée qui lui flottait au-dessus de la tête et des ailes aux extrémités argentées déployées derrière ses bras. Si je ne me trompais pas et que je n’étais pas en train de vivre une hallucination, j’avais atterri aux pieds de ce qui ressemblait parfaitement à un ange.

    L’ange pianotait impatiemment de ses ongles parfaitement manucurés sur une tablette à pince en forme de nuage.

    – Nom ?

    Il m’avait à peine jeté un coup d’œil.

    – Jessica.

    – Nom complet, a-t-il ajouté. Il y a des tas de Jessica, ici.

    – Jessica Roy.

    – Âge ?

    Il a étouffé un bâillement et j’ai essayé de me mettre debout. C’était difficile, un peu comme de marcher dans ces piscines à boules où maman m’emmenait quand j’étais petite. J’ai chancelé et ai réussi à me redresser, puis j’ai cligné des yeux. Où me trouvais-je ? Qu’est-ce que je faisais dans cet étrange endroit ? C’était sûrement un rêve. J’allais bientôt me réveiller, c’était certain.

    – J’ai quatorze ans et…, ai-je hésité.

    J’avais perdu la conscience du temps qui passait.

    – Mon anniversaire est le 25 janvier.

    – Tu es Verseau, a-t-il murmuré en parcourant sa liste des yeux. Pas un bon signe.

    Il a soulevé rapidement plusieurs feuilles d’un papier incroyablement fin et a pincé les lèvres.

    – As-tu réservé ta place ?

    – Pardon ?

    Je flottais, maintenant, et je n’avais jamais connu de plus étrange sensation. J’avais envie de m’asseoir, de sentir une surface rassurante sous moi.

    – Concentre-toi ! m’a-t-il ordonné en claquant des doigts devant mon visage. Je t’ai demandé si tu avais réservé ta place !

    – Je ne sais pas, ai-je murmuré.

    J’avais envie de retrouver la sécurité de mon lit d’hôpital, avec maman qui me tenait la main et papa qui parlait d’un ton faussement joyeux.

    – As-tu pris ton billet ?

    D’une pichenette, l’ange a replacé une de ses mèches décolorées.

    – Non.

    Visiblement frustré, il a levé les mains au ciel. J’avais envie de pleurer.

    – La boîte qui contient tous les billets pour aujourd’hui se trouve à mi-chemin de l’allée du Destin. Je l’ai moi-même remplie de nouveau il y a à peine quelques heures, malgré toutes les autres tâches que je dois accomplir, je le précise. Tu n’as pas la moindre idée de la longueur de ma liste…

    – Je suis désolée, j’ai dû rater la boîte.

    Pourquoi me traitait-il de la sorte ? Ne voyait-il pas que je n’étais pas en forme ? La réceptionniste de mon médecin était bien plus accueillante, même si on n’avait qu’un rhume. J’ai levé la main, comme si j’avais été à l’école.

    – Oui ? Qu’y a-t-il ?

    Il a soupiré si fort que les fleurs du tissu très voyant de sa chemise ont eu l’air de se flétrir. Je savais que quelque chose n’allait vraiment pas. Pourquoi n’étais-je pas capable de me tirer de ce rêve ?

    – Heu, que… qu’est-ce que c’est, en fait, l’allée du Destin ?

    – C’est la voie rapide vers le Paradis, évidemment. Nous nous trouvons dans la salle d’orientation. Normalement, quand on arrive ici, on a pris son billet, avec son nom dessus.

    Je tremblais maintenant assez violemment, alors j’ai entouré ma poitrine de mes bras serrés et tenté de retenir les sanglots qui s’accumulaient en moi et menaçaient de tout balayer sur leur passage, comme un raz-de-marée.

    – I-i-il doit y avoir une erreur. Quelque chose ne va pas. Je ne devrais pas être ici.

    Les mots se sont bousculés pour sortir de ma bouche, laissant sur ma langue le sel des larmes… et le goût de la peur. Je crois que, jusque-là, je n’avais encore jamais ressenti la vraie peur. J’avais l’impression de me dissoudre dans la brume tout autour, que j’allais disparaître petit à petit, jusqu’à ce qu’il ne reste rien de Jessica Roy. Il a fait glisser sa main sur son front dans un geste théâtral.

    – Mais oui, c’est normal que tu sois ici. Nous ne faisons pas d’erreurs.

    Il a soupiré de nouveau. J’ai regardé autour de moi pour repérer une sortie de secours. Je n’ai rien vu d’autre que ce brouillard épais et cette créature qui me retenait prisonnière.

    – Vous ne me facilitez pas la tâche, vous tous. Mais, même si tu

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