Victoire-Divine - Tome 1: Déclaration de guerre
Par Edith Kabuya
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À propos de ce livre électronique
Tu proviens de la famille Duplessis, Wolfe ou Cipriani ?
Tu fais partie de la Monarchie, et tu as le privilège de dicter les lois du collège.
Tes parents ont les moyens de payer la totalité de tes frais de scolarité ?
Tu es membre de la Nouvelle Bourgeoisie, et tu peux te tenir avec la Monarchie.
Tu as reçu une bourse pour étudier ici?
Tu es un Enfant de la charité, et tu dois mériter ta place auprès de tes supérieurs.
Tu as été déclaré Intouchable ?
Peu importe à quelle catégorie tu appartiens, on ne peut rien faire pour toi.
Victoire-Divine Kembonayawhé a quatorze ans, toutes ses dents, et de la répartie pour cent ! Elève douée, elle a obtenu une bourse pour fréquenter Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, le pensionnat le plus huppé de la province. Mais cette école n'a rien d'ordinaire : les élèves y sont maîtres et rois !
Chaque année, les plus populaires désignent un Intouchable, le souffre-douleur qui subira le mépris et les moqueries de tous. Victoire ne se gêne pas pour dénoncer cette tradition épouvantable, si bien que, cette fois, l'élue n'est nulle autre qu'elle…
Contrairement à tous les Intouchables précédents, l'adolescente n'a pas l'intention de se laisser faire sans se battre.
Une seule solution s'impose : déclarer la guerre.
« Victoire-Divine s'illustre honnêtement comme un des personnages les plus forts de la littérature jeunesse de cette année. » - Anne-Marie Lobbe, Le Journal de Montréal.
Edith Kabuya
Edith Kabuya est auteure, scénariste, boute-en-train et un brin dans la lune. Née à Montréal le 14 avril 1987, elle est bachelière en psychologie de l’Université McGill. Elle a également terminé une formation en scénarisation télévisuelle à L’INIS en 2018. Québécoise d’origine congolaise, elle souhaite refléter dans ses écrits la conciliation de ses deux identités culturelles à travers les manies, les valeurs et les origines des personnages qui peuplent ses univers. Sa trilogie Les Maudits, publiée aux Éditions de Mortagne depuis 2012, a été vendue en France à Hachette, dans la collection « Black Moon ». Lauréate de la bourse Netflix pour la diversité, elle entamera une nouvelle formation dans le cadre du programme long de scénarisation à L’INIS (cohorte 2018-2019). Elle planche présentement sur plusieurs projets de séries télé et de romans, dont la série Victoire-Divine.
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Victoire-Divine
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Avis sur Victoire-Divine - Tome 1
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Aperçu du livre
Victoire-Divine - Tome 1 - Edith Kabuya
Remerciements
10 h 20
C’est mon tour d’être la Copie Carbone, aujourd’hui.
Assise toute raide sur le bout de ma chaise, les yeux fixés sur le brouillon de mon examen de maths, j’ai l’air aussi naturelle et à ma place qu’un sapin albinos en plein milieu du désert d’Arabie. Le bureau de Shrek est juste en face de mes narines. Je n’ose même pas lui jeter un coup d’œil, de peur qu’elle ne devine mes intentions. Shrek est plus du genre bouledogue que du genre ogre (mais elle ressemble à Shrek pareil); elle a le don de flairer la peur chez ses élèves. J’ai l’impression que son attention est dirigée vers moi depuis le début du cours. Ou peut-être que c’est dans ma tête. Ou peut-être qu’elle sait? Comment pourrait-elle savoir? Est-ce que je lui envoie des ondes télépathiques sans le vouloir? Bip, bip! C’est moi, la Copie Carbone! C’est moi qui vais faire passer toute la classe!
Oh my God. Faut que j’arrête ça.
Trois rangées derrière moi, Ézékiel Duplessis se racle la gorge pour la quatrième fois. Le son est dégueulasse, je peux carrément voir le raz-de-marée de morve qu’il ravale.
— Enrhumé, monsieur Duplessis? lui demande Shrek, énervée.
— Non, non, madame Fouquet. Juste un petit restant de flegme de rien du tout.
Fous rires dans le fond de la classe. La prof trucide Ézékiel du regard en grommelant quelque chose dans sa barbe. Elle a vraiment une barbe. Bon, disons plutôt qu’elle a plus de pilosité faciale que la majorité des hommes. Bon, OK, disons plutôt qu’elle a un truc louche velu dégueu au-dessus de la lèvre supérieure. Et puis, elle a des favoris. Comme, aide-toi un peu, là.
Ézékiel tousse, pour faire différent, cette fois. Message reçu cinq sur cinq: les élèves s’impatientent. Je dois me lancer. Le problème, c’est que je suis assise en face du prof. Ce n’est pas comme si je pouvais me retourner et distribuer ma feuille d’examen en toute subtilité. Et, si cet imbéciole* d’Ézékiel persiste à se décrotter le gosier comme ça, c’est sûr que Shrek va se douter de quelque chose. Ce qu’il me faut, c’est une distraction. Genre, LÀ LÀ.
Je croise les doigts sous mon pupitre en formulant une prière rapido presto dans ma tête: dieu de la Triche, donne-moi une distraction. N’importe quoi. Maintenant. Pleeez.
Je tapote ensuite ma copie avec le bout de mon crayon. Je sais que j’ai toutes les bonnes réponses: j’ai étudié comme une débile, hier soir. Ce n’est donc pas le contenu qui me rend anxieuse, mais plutôt le moment où je devrai faire circuler ma feuille. Depuis notre première secondaire, la réputation de notre groupe est incomparable en ce qui concerne les tactiques de triche. On ne s’est jamais fait prendre. En maths, notre meilleur stratagème, la Copie Carbone, s’est toujours déroulé avec le plus grand des succès. Le procédé est simple: les meilleurs élèves du cours remplissent en secret une feuille brouillon supplémentaire qu’ils distribuent ensuite au reste de la classe. Les autres élèves copient les réponses, mais pas au complet, ou en s’arrangeant pour commettre des fautes ici et là, histoire de ne pas éveiller les soupçons. Il existe d’autres tactiques de triche beaucoup plus complexes. La Méthode Highlighter, par exemple. Tu imprimes tes formules en tout petits caractères sur une feuille acétate, que tu enroules ensuite autour de ton surligneur, comme s’il s’agissait de l’étiquette originale. La Méthode Highlighter a une variante, la Vitamine T (pour «TRICHE»), qui consiste à imprimer une fausse étiquette avec les solutions sur une bouteille de Vitaminwater, que tu poses, ben relax, sur le coin de ton pupitre.
Évidemment, c’est Ézékiel (qui d’autre???) qui a breveté les deux dernières combines. En fait, c’est toujours lui qui débarque avec les idées de triche. Je trouve qu’il gaspille plus d’énergie et de neurones (s’il en a) à conceptualiser ses triches qu’à étudier. Mais bon, ça, c’est son problème, pas le mien.
J’ai mal à la nuque. Hum, mauvais signe. Quand je suis agitée, j’ai le cou stressé, j’ai peur de faire un mouvement brusque, d’attraper un torticolis et de mourir bêtement sur place, comme ça, dans un crac! sonore. Il y a mon imagination qui débride, aussi. Je ne sais pas si ça se dit vraiment, «débrider», mais l’image dans ma tête est forte, ça ne veut pas me lâcher. Je vois mon imagination comme un cheval qui, d’habitude, est tout sage et tranquille dans son écurie, en train de mâchouiller son foin ou sa paille, en fait je ne suis pas certaine de ce que ça mâchouille, un cheval. Enfin bref, mon imagination est un cheval ben relax, sauf lorsque tu lui enlèves ses rênes et que tu le fais sortir de son box. Alors là, il saute par-dessus la clôture et galope, galope, galope, la crinière dans le vent, les sabots en feu, hi-haaan! il ne revient plus, il est débridé. Voilà. Mon imagination est comme ça quand j’angoisse. Elle galope dans tous les sens. Elle est débridée. Ou elle débride. Ou est-elle débridante?
Le silence dans la classe est encore une fois interrompu, non pas par un bruit dèg gracieuseté d’Ézékiel Duplessis, mais par le grincement de la porte. Oh, yes! Le dieu de la Triche vient de me tendre une perche bénite, sous la forme de Stella-Stacie Grutman. Elle entre dans la classe en reniflant comme un porc effiloché, les yeux boursouflés, le maquillage dégoulinant et le chignon de travers. Tous les regards se braquent sur elle. Elle fait celle qui ne cherche pas l’attention et rampe jusqu’à son pupitre avec la même face de martyre qu’on voit sur les images traumatisantes dans la chapelle annexée à notre pensionnat.
— Quarante-cinq minutes de retard, mademoiselle Grutman! C’est INACCEPTABLE! Vous n’aurez pas droit à du temps supplémentaire!
Il n’en faut jamais gros à Shrek pour péter les plombs. Tu arrives en retard, elle aboie après toi. Tu ne comprends pas la matière, elle aboie après toi. Tu respires, elle aboie. Stella-Stacie adopte aussitôt son ton de chèvre agonisante. Combiné avec son (faux) accent français, il me fait saigner des oreilles.
— Maiiiiis madame-euh! Je traverse une période trèèèès difficil-euh! Je suis émotionnellement traumatisée! J’ai mal à l’âââââme-euh!
Je roule des yeux. Tout le monde, sauf la prof, sait que Stella-Stacie pleurniche parce qu’elle a rompu pour la quatorze millième fois avec Cyrilen-chest. La tragédie grecque de Stella-Stacie ne provoque aucune pitié chez moi. C’est la fille la plus superficielle que je connaisse, toujours en train de vanter les voyages exotiques qu’elle entreprend autour de la terre avec ses diplomates de parents. Sa personnalité est aussi fausse que son accent Radio-Canada. Je ne comprends pas pourquoi Salomé Lévesque-Coutu est sa meilleure amie. Mais bon, il y a plein de trucs dans cette école qui ne s’expliquent pas. Comme le Trou noir, par exemple. Ou les raisons nébuleuses qui ont poussé la direction à engager Shrek comme prof.
Profitant de la distraction stella-stacienne, je tourne le dos au prof pour faire semblant de ramasser mon sac à bandoulière et, du même coup, paf! je plaque ma copie brouillon sur le pupitre de Julie-Anne Tremblay. Sans marquer de pause, je prends mes affaires, puis me dirige vers Shrek afin de lui remettre mon examen au propre.
— Merci, Victoire-Divine.
Shrek ne m’appelle jamais par mon nom de famille; elle n’arrive pas à le prononcer comme du monde. Idem pour tous les autres profs, en passant (sauf Enrique Iglesias*: lui, il le prononce à la perfection). Ce n’est pourtant pas difficile: Kem-bo-na-ya-whé. Kembonayawhé. Ça se prononce comme ça s’écrit. Pas besoin d’un doctorat en langues pour catcher ça, il me semble.
Maintenant que j’ai quitté la classe, mon cœur bat normalement. Je peux enfin laisser cette expérience derrière moi. D’habitude, c’est P-H Marois qui joue la Copie Carbone. Mais Ézékiel a dû réaliser que j’avais des meilleures notes que lui. Wow, pas très rapidos comme déduction de sa part quand on sait que j’ai gagné le Méritas de la meilleure moyenne générale deux années consécutives! Mais bon. Faut se rappeler qu’Ézékiel n’est pas non plus le Usain Bolt de l’intelligence humaine, hein.
10 h 58
En première secondaire, je me perdais constamment dans le dédale du pensionnat. Dans le temps, on n’avait pas tous nos cours dans le même local. C’était une véritable plaie de tenter de s’orienter à travers les milliers de couloirs et de pavillons et d’escaliers et d’étages, et tous les foutus culs-de-sac qu’il y a pratiquement à chaque étage. Mais c’est de cette façon que je me suis liée d’amitié avec Kat Turcotte. On arrivait en retard à nos cours en même temps, pile synchros, comme si on s’était consultées, mais on ne venait jamais du même endroit. Forcément, ça nous a rapprochées. On a dessiné une carte géographique (un peu pour se retrouver, beaucoup plus pour le lol), sur laquelle on s’est amusées à rebaptiser les différents locaux de l’école. Exemples: la Taverne, le quartier général des profs. L’Aéroport, le pavillon sans aucune utilité existentielle hormis celle de rassembler plusieurs chaises alignées contre un mur. Le Boudoir, la petite alcôve de l’aile sud où la prof d’éduc aime fumer en cachette. Le couloir de la Honte, le corridor que tu dois ABSOLUMENT éviter si tu es une fille. L’année passée, nous étions sur le point de localiser le Trou noir, mais Kat n’est pas revenue pour notre troisième secondaire et, depuis, j’ai perdu toute motivation à compléter notre carte.
Je rentre rapidement dans le dortoir des filles pour changer de cardigan, puis je retourne dans mon local pour le cours d’HEC, avec deux minutes et trente-cinq secondes d’avance. Pas que ça serve à quelque chose: Enrique Iglesias est toujours en retard. Je prends place à mon pupitre en parcourant les applications de mon iPad, puis je vois le message privé qu’Ézékiel m’a envoyé il y a deux minutes.
Je regarde par-dessus mon épaule. Les yeux fixés sur moi, Ézékiel se gratte le pif avec son majeur. Pff, fuck you toi-même. J’ai envie de lui gueuler: EILLE, la prochaine fois d’abord, ce sera toi, la Copie Carbone! OUPS, c’est vrai: TU NOUS FERAIS TOUS COULER!!!!! Mais je me retiens. Je n’ai vraiment, mais vraiment pas envie de me le mettre à dos.
— Ouf! C’était moins une, hein? lance Enrique Iglesias en déboulant dans la classe en même temps que la cloche sonne.
Il sourit à la ronde et, c’est plus fort que moi, ma face itou se déchire en un large sourire. Le cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté est le seul moment où je me permets d’être moi-même, de me laisser aller. Enrique Iglesias possède un véritable don pour susciter un intérêt scolaire chez moi. Habituellement, je reste discrète en classe, j’évite d’attirer l’attention. Mais pas dans le cours d’HEC. Bon, d’accord, ça aide beaucoup que le prof soit aussi miam-miam avec ses cheveux bruns ondulés et son teint basané et sa façon suave de rouler ses r et son petit carré de chest poilu qu’on aperçoit par le col de sa chemise, mais… mais ce n’est pas juste ça! Enrique Iglesias est un nouveau prof, il est jeune, il est drôle, il est passionné par ce qu’il fait, il est comme ces profs cool qu’on nous montre dans les films de profs cool, qui adorent ce qu’ils enseignent et qui n’ont pas peur d’être marginaux afin d’intéresser leurs élèves. Enrique commence souvent ses cours en s’installant ben relax sur le coin de son bureau pour nous parler de la politique internationale. Il s’inspire des nouvelles du jour, nous demande de les commenter ou de nous séparer en deux groupes pour débattre d’une question d’ordre social. Du coup, la citoyenneté (qui est par définition le sujet le plus poche de toute la galaxie), c’est le fun.
— Puisque nous sommes un peu en retard sur le programme, aujourd’hui nous n’aurons pas notre débat habituel. Par contre, j’ai corrigé vos dissertations sur les États voyous. Si vous avez des questions concernant votre copie, venez me voir après le cours.
Je manque de hurler au meurtre en voyant ma note.
C-
C-?!?!?!?!?
EUH?
EXCUSEZ-MOI PARDON?!?
Impossible! Je n’ai jamais eu C en classe, jamais! C’est une erreur, il a sûrement mélangé ma copie avec celle d’Ézékiel ou de je ne sais qui, je ne peux juste pas avoir C! Je retourne la feuille, vérifie qu’il s’agit bien de mon nom, de mon écriture, je regarde autour de moi, je panique, je suis trahie. Trahie par l’amour de ma vie. Je veux pleurer, je veux crever, adios.
J’attends la fin du cours pour me planter devant le bureau d’Enrique.
— Monsieur Enri… euh, je veux dire, monsieur Saldana, je comprends pas ma note. J’ai super bien travaillé! Comme d’habitude! Pourquoi ma note est aussi différente aujourd’hui?
Enrique Iglesias croise les bras en soutenant mon regard.
— En fait, Victoire, tes arguments étaient… comment dire? N’importe quoi? Tu maîtrises tellement bien ta plume que tu ne mets aucun effort dans la recherche d’arguments pour appuyer ta thèse. Tu as le don extraordinaire de ne rien dire pendant des paragraphes et des paragraphes. Tes grands mots et tes longues phrases camouflent le fait que tu ne maîtrises pas du tout le sujet. On appelle ça de la paresse intellectuelle. Et je te sais plus futée que ça.
Je suis tellement choquée que je n’ai rien à dire. Paresseuse intellectuelle? MOI? La fille qui a remporté le Méritas de la meilleure moyenne générale DEUX ANNÉES CONSÉCUTIVES?
— OK, mais là, je fais quoi? Je peux pas garder ce C-!
— Voyons, c’est pas la fin du monde. Ces dissertations sont des devoirs hors sujet que je donne pour des points bonis et…
— Justement! Admettons que je foire, excusez-moi pardon, admettons que je coule tous mes autres travaux et qu’il me faut juste un point boni pour passer mon année?
— Franchement, tu n’es pas sérieuse! dit Enrique Iglesias en haussant les sourcils. Je trouve que tu stresses