Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

La Liste de la Sorcière: Fiction
La Liste de la Sorcière: Fiction
La Liste de la Sorcière: Fiction
Livre électronique287 pages4 heures

La Liste de la Sorcière: Fiction

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Sandy Beech ne croit ni aux sorcières ni au surnaturel. D’étranges événements mettront cependant son scepticisme à rude épreuve : un livre qui se consume, un crucifix qui tombe, une maladie mystérieuse et un incendie dans un couvent dans lequel périssent douze nonnes. Sur son lit de mort, Bernadette, la dernière nonne survivante, l’enjoint de contrôler ses désirs et d’éviter les Africaines. Un engagement impossible à tenir pour Sandy qui se sent irrésistiblement attiré par les femmes noires et qui, après une année hédonistique d’échange universitaire à Paris, épouse Rocky originaire de la Côte d’Ivoire. Cinq ans plus tard, alors que le mariage est toujours sans enfant et bat de l’aile, le couple décide de visiter le pays natal de Rocky. Sandy se trouve entraîné dans un monde d’étranges croyances et pratiques : il découvre la Liste de la Sorcière qui reprend les personnes destinées à mourir et subit les agressions de divers animaux, à commencer par un chien sanguinaire à Abidjan. Il plonge dans le royaume de la sorcellerie africaine, mais l’effroyable vérité reste obscure…

La Liste de la Sorcière est le premier tome d’une trilogie.

« Andrew Cairns a écrit un roman ensorcelant qui nous interpelle jusqu’au tréfonds de nous-mêmes. La Liste de la Sorcière jette un pont entre notre univers de convenances et celui d’une zone d’ombre chimérique qui pourrait bien être la réalité, un royaume de magie et de possibilités ultimes. Je recommande cet ouvrage car derrière la simplicité apparente se cachent les fondements d’une extraordinaire puissance. »

Tahir Shah, auteur de La maison du calife

« Le récit divertissant d’un voyage tant physique qu’émotionnel d’un garçon, de l’enfance à l’âge adulte. De l’école à l’université et au travail, nous suivons notre jeune protagoniste, Sandy, qui s’efforce de construire sa vie. De sa ville natale Dundee, ses pas le portent vers le sud, la France, puis l’Afrique Occidentale. Les changements culturels bouleversants qu’il rencontre sont dépeints avec authenticité. Les personnages rencontrés au long de ce périple sont étudiés avec soin et je me suis attaché au jeune Écossais qui m’a tenu en haleine à mesure que le récit évolue vers une stupéfiante conclusion. »

Gregor Ewing, auteur de Charlie, Meg and Me et de Bruce, Meg and Me

« La Liste de la Sorcière est un livre foisonnant de couleurs et de noirceur. Il s’ouvre sur le monde turbulent de Sandy Beech, un jeune homme qui aborde l’âge adulte avec esprit et curiosité. Son attrait pour les femmes exotiques lui vaut des aventures insoupçonnées en Afrique. Andrew Cairns a réalisé un tour de force avec ce roman à la fois vivant et captivant et une expérience culturelle unique pour le lecteur. »

Isabelle Richaud, auteure de Réflexions sur une nouvelle ère écologique et citoyenne : L’Humanité face au miroir

« La Liste de la Sorcière d’Andrew Cairns est un ouvrage fascinant. Dès que vous découvrez le personnage principal, un jeune garçon répondant au nom de Sandy Beech, vous voulez en savoir plus sur lui et lui emboîter le pas,

LangueFrançais
ÉditeurBadPress
Date de sortie2 févr. 2019
ISBN9781547567508
La Liste de la Sorcière: Fiction

Auteurs associés

Lié à La Liste de la Sorcière

Titres dans cette série (4)

Voir plus

Livres électroniques liés

Fictions initiatiques pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur La Liste de la Sorcière

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    La Liste de la Sorcière - Andrew Cairns

    Introduction

    « Tu es pour ainsi dire mort dès que tu as le malheur de figurer sur la liste de la sorcière. »

    Croyance populaire de Côte d’Ivoire (et ailleurs en Afrique, où la sorcellerie est toujours pratiquée).

    Partie I

    Chapitre 1

    Sorcellerie et magie noire

    Je ne croyais pas aux sorcières. Pas vraiment. Pour avoir grandi en Écosse, je connaissais bien sûr les histoires qui couraient toujours sur les sorcières et les magiciens, les fantômes et les vampires, les monstres et les zombies, pour n’en citer que quelques-uns, mais comme dans la plupart des pays occidentaux dits civilisés, ces histoires étaient surtout assimilées à du folklore, au même titre que les lutins et les elfes. Personne n’y croyait vraiment, c’étaient des contes de fées. Vous souvenez-vous de ces histoires ?

    Un livre plus sérieux sur les sorcières se trouvait dans la bibliothèque de notre école secondaire. Et il nous faisait tous flipper. Il fut sans doute l’un des textes les plus consultés de ce lieu à cause de ses images abjectes de sorcières en train de se livrer à diverses cérémonies, des messes noires et tout le cirque, entièrement nues ! La plupart des bibliothèques possèdent des livres avec des illustrations de nus, rangés dans la littérature érotique ou les ouvrages d’art ; mais même dans la section enfants, il y a toujours un élève plus grand pour mettre la main sur l’encyclopédie et vous appeler pour vous montrer une photo d’une Africaine tribale aux seins nus. Sorcellerie et magie noire n’était pas un ouvrage de fiction, il décrivait par le menu et de façon très sexy à nos yeux une série de pratiques de sorcellerie et de magie noire. Il s’était curieusement retrouvé dans l’école catholique de Saint-Sauveur, bien que l’établissement fût résolument catholique quant à son programme et à sa culture générale, il n’y avait pas plus catholique à cet égard. Il s’agissait d’une section de référence dans le rayon des livres religieux et je suis sûr qu’aucun des professeurs n’en connaissait l’existence et encore moins le contenu grivois. La bibliothécaire était une mollasse, la trentaine, les cheveux blonds courts ; elle avait toujours le nez dans un roman. Je suppose que c’était elle qui avait commandé une copie de ce livre. Elle avait dû le faire machinalement, sans vraiment vérifier son contenu profane et pornographique. Ou peut-être était-elle une sorte d’anarchiste ou de rebelle. Qui sait ?

    Mon meilleur ami à l’époque, Martin Cardosi, toujours le premier à m’entraîner à faire des bêtises, me montra un jour le livre ; nous devions être en deuxième année, âgés de treize ans, en pleine puberté.

    -  Hé, Sandy, viens voir ! Il me mit l’épais volume entre les mains.

    Je le feuilletai, interloqué, me contentant de regarder surtout les images choquantes et enregistrant certains mots du vocabulaire : messe noire, pentagramme, sortilège, sabbat, secte, orgie,...

    -  Ça me plairait de rejoindre une de ces sectes diaboliques, juste pour participer aux orgies, déclara Martin avec un large sourire.

    -  Imbécile ! Tu seras bon pour l’enfer.

    Après nous être abreuvés d’images, Martin replaça le livre sur l’étagère et dit : « n’oublie pas de toucher la Bible, juste pour être du bon côté ».

    Nous touchâmes tous deux la Bible avant de partir.

    Nous consultâmes dès lors secrètement le livre, au moins une fois par semaine, en le dissimulant derrière une des étagères et lorgnant les images.

    ***

    Saint-Sauveur était un établissement d’enseignement secondaire général, au beau milieu de certains des quartiers les plus mal famés de Dundee : Fintry, Whitfield, Craigie et Douglas ; il avait donc sa part de psychopathes, de durs à cuire et de tarés. Les trois passe-temps favoris de ces derniers pendant la pause-déjeuner consistaient à s’adonner à un jeu d’argent appelé pitchy qui consistait à lancer des pièces contre le mur, le gagnant étant celui dont la pièce atterrissait le plus près de lui ; à fumer derrière la chaufferie ; et bien sûr à se bagarrer et à tyranniser les autres. Martin et moi étions de Broughty Ferry, l’un des meilleurs hameaux de Dundee. Nous prenions l’autocar pour nous rendre à Saint-Sauveur, avec quarante à cinquante autres enfants parce que c’était l’école catholique la plus proche. Cela nous valait d’être traités de snobs de dandys et de pédales et considérés comme les pigeons rêvés par les loubards pendant les récréations.

    La bibliothèque était idéale pour nous esquiver et éviter de nous faire tabasser, mais le meilleur endroit était le club d’échecs, car nous pouvions y manger notre déjeuner et aussi, je suppose, parce que nous aimions jouer aux échecs (nous appartenions tous deux à l’équipe d’échecs de l’école). Le club était dirigé par Monsieur Fitzsimmons, un professeur de chimie très drôle et charismatique, mais au caractère explosif. Il était connu pour ses accès de colère qui réduisaient souvent de solides gaillards qui le dépassaient de trente centimètres à l’état de mauviettes par le simple fait de hurler et de leur crier dessus. Il donnait parfois l’impression d’être sur le point de craquer nerveusement, ce qui finit par arriver des années plus tard alors que nous avions tous quitté l’école. Même si le club d’échecs était le lieu de prédilection pour traîner, nous avions intérêt à nous tenir à carreau car Fitz (il ne fallait surtout pas s’aviser de l’appeler par ce sobriquet !) pouvait se pointer à tout moment pour nous rappeler à l’ordre.

    En hiver, quand il faisait très froid, les salles de classe étaient glaciales même si les radiateurs fonctionnaient à plein régime. Monsieur Fitzsimmons avait coutume d’allumer tous les becs bunsen sur les paillasses longeant trois murs de la pièce, ainsi que celui de son bureau situé devant. Il les réglait sur la flamme jaune lente et non sur la bleue, forte et intense, mais il était plutôt dangereux de laisser des adolescents sans surveillance entourés de brûleurs enflammés. Cela créait aussi une ambiance assez mystérieuse, semblable à celle d’un temple païen. Je suis sûr que si un inspecteur de la santé et de la sécurité s’était présenté, notre professeur se serait fait sonner les cloches. C’était la Grande-Bretagne des années 1980 où les enseignants faisaient grève et cessaient toute activité extrascolaire pour protester contre les restrictions budgétaires et les refus d’augmentations salariales de Thatcher. Ce club d’échecs était le seul à subsister dans l’école ; tous les autres clubs, que ce soit de sports, de théâtre, de photographie, etc., avaient arrêté après la première année. Je pense qu’il soutenait les grèves, mais les échecs étaient sa passion. Il faut dire qu’il avait formé le célèbre Paul Motwani, ancien élève de l’école et immense star des échecs qui devint premier grand maître d’Écosse.

    Un mardi vers midi, pendant notre deuxième année, au milieu de l’hiver glacial écossais, nous étions assis à manger notre déjeuner et à jouer aux échecs dans le laboratoire de chimie et club d’échecs, les becs bunsen brûlant à plein tube. Martin dit : « Vise un peu ça ! » Il se dirigea vers la paillasse sur le côté de la salle et passa sa main dans la flamme. « Regarde, si tu passes assez vite ta main dans la flamme, tu ne te brûles pas. »

    Nous sommes tous fascinés par le feu. C’est sans doute notre nature, nos instincts hérités des temps préhistoriques où le feu était synonyme de chaleur, de protection, d’aliments chauds, de narration, mais peut-être aussi d’excitation : l’amour au coin du feu ? Nous avons tous mis le feu à quelque chose pour le plaisir : une bougie, un feu d’artifice, une allumette ou toute une boîte à la fois, ravis par la petite explosion, l’embrasement soudain. « Alors, vous vous dégonflez ou quoi ? »

    Il n’en fallut pas plus pour nous persuader. La plupart des garçons et de rares filles abandonnèrent leurs parties d’échecs et passèrent tour à tour leurs mains dans la flamme, sentant la chaleur légère, mais agissant assez vite pour ne pas se brûler. Je me dirigeai vers le brûleur sur le bureau du professeur, montant sur une chaise pour l’atteindre. Juste au moment où je passais ma main dans la flamme, ce fut bien ma chance : Fitzsimmons entra, comprit tout et disjoncta !

    -  Bande de salopards ! Je n’en crois pas mes yeux ! hurla-t-il en devenant cramoisi.

    Beaucoup se seraient éloignés des brûleurs quand il entra, mais il m’avait pris en flagrant délit, il m’avait aperçu à travers la petite vitre de la porte avant de pénétrer dans la salle. « Je ne peux pas vous laisser quelques minutes sans que vous fassiez des bêtises », beugla-t-il.

    -  Pardon, m’sieur, dis-je d’un ton docile en regardant mes chaussures.

    -  Et dire que j’essayais de me montrer gentil en chauffant la salle pour vous. Il jeta un regard circulaire et surprit Martin en train de ricaner. « Je parie que c’était ton idée, Martin, pas vrai ? »

    -  Quoi ? Non, m’sieur, protesta-t-il, mais personne ne fut dupe.

    -  Vous deux, dehors ! Vous êtes exclus pour le reste de la semaine.

    Il n’était pas question de tergiverser, nous ramassâmes nos affaires et nous dirigeâmes vers la porte. Fitzsimmons fit le tour de la classe et éteignit tous les brûleurs. « Retournez à vos jeux, vous autres, et vous pouvez mourir de froid, je m’en fous ! » Il nous lança un regard noir alors que nous franchissions la porte.

    -  Bravo, Martin, dis-je d’un ton accusateur à mon ami qui m’avait entraîné une fois de plus dans des eaux profondes ou plutôt, dans ce cas-ci, sur un lac gelé dont la glace menaçait de céder. C’était l’une des plus froides journées d’hiver, des amas de neige et d’épaisses couches de glace recouvraient tout.

    Les loubards se livraient à des batailles de boule de neige et, ce qui était pire, faisaient tomber les autres et les ensevelissaient dans la neige qu’ils tassaient sur eux avec leurs pieds. Ron Knight, l’un des plus barjots de la bande, nous guettait. Il s’approcha, me jeta par terre et me balança de la neige avec ses pieds. « Hé Sandy, sale pédé ! Viens te battre aux boules de neige au lieu de jouer à ton jeu de pédé. »

    Un de ses potes, Grant Bishop, prit dans un grand seau une poignée de sable qui servait officiellement à faire fondre la glace et me le jeta à la figure. Il en fourra aussi dans mon cou. « Hé, la tapette Sandy a besoin d’un peu plus de sable. »

    -  Un cavalier et un fou[1] viennent de te mettre échec et mat, dit Martin en plaisantant. Il faisait souvent de l’humour dans de pareils cas et tout en amusant la galerie, réussit à déjouer la violence des loubards. Tandis que les deux petites frappes s’esclaffaient, Martin m’agrippa pour me relever. « Allez viens, Sandy. » Il m’entraîna et quand nous fûmes hors de portée de voix, il dit « Allons à la bibliothèque ». Il ne tenait pas à ce que les autres sachent que nous y allions, car ils venaient de nous traiter de tapettes et de pédés et nous bombarderaient probablement encore un peu plus de neige et de sable. Nous avions environ quarante-cinq minutes à tuer avant la pause-déjeuner, cela nous parut donc être une bonne idée.

    La bibliothèque était silencieuse, seuls quelques élèves studieux parcouraient les rayons ou étaient assis à lire à l’une des tables. Nous nous intégrâmes à eux, malgré la traînée laissée par le sable glissé par Grant dans mes vêtements. Après avoir regardé sans but précis quelques livres dans les divers rayons, nous nous retrouvâmes dans la section religieuse, devant l’étagère de l’ouvrage abject Sorcellerie et magie noire.

    Martin s’en empara. « Puisqu’on est là, autant y jeter un coup d’œil », dit-il.

    Nous le feuilletâmes, page après page ; nous avions eu beau consulter ce livre troublant à maintes reprises, il nous fascinait toujours, suscitait un étrange sentiment de curiosité, d’horreur et d’excitation à la vue des images qui étaient à la fois des dessins et des photos. « Tu crois que ce sont de vrais adorateurs du diable, qui participent à de vraies messes noires ou juste des acteurs qui font semblant ? », demanda Martin.

    -  J’en sais rien. Ne dis pas que tu envisages de te proposer comme acteur pour la prochaine édition ?

    Il rit. « Qui publie ce genre de truc au juste ? » Il trouva la réponse sur une des pages du début. « Six-six-six publishing », lut-il tout haut. « Mince alors, le diable en personne ! On ferait mieux d’aller en vitesse toucher la Bible avant de partir. » La pause-déjeuner était presque finie.

    -  Qu’est-ce qui arriverait, d’après toi, si tu le touchais avec la Bible ?, demanda-t-il.

    -  Je ne sais pas. Probablement rien. Essaie et tu verras bien, répondis-je avec désinvolture.

    -  Je le tiens et tu attrapes la Bible. Il avait l’air sérieux.

    Je fis des yeux ronds. « D’accord et après, on s’arrache de là avant que la bibliothécaire se réveille et nous choppe. »

    Il tint le livre Sorcellerie et magie noire et j’attrapai la Bible, une volumineuse édition reliée cuir, plus loin sur l’étagère. Elle avait probablement été consacrée par l’évêque, le vrai, pas Grant Bishop[2]. Je la posai sur le livre pervers, diabolique que tenait Martin et les pages s’enflammèrent entre ses mains.

    -  Ah ! se mit-il à hurler. Nous fûmes pris de panique. Il lâcha le livre en flammes et je posai à la hâte la Bible, qui demeura indemne, sur le haut de l’étagère sans prendre le temps de la remettre à sa place. Nous nous enfuîmes à toutes jambes.

    Par bonheur, la bibliothécaire ne nous avait pas vus, absorbée qu’elle était dans la lecture du dernier roman-feuilleton. Nous dévalâmes les escaliers et retournâmes dans la cour de récréation en priant de ne pas être découverts ou de ne pas avoir mis le feu à la bibliothèque. Les détecteurs de fumées n’existaient pas à l’époque, mais je supposai que la bibliothécaire aurait assez d’énergie pour réagir à l’odeur de fumée et éteindre un livre avec l’extincteur le plus proche.

    ***

    Le cours de maths, le premier de l’après-midi, se déroula comme d’habitude, mais au milieu du deuxième cours, celui d’anglais, une note circula parmi les professeurs et tout le monde fut convié à une réunion d’urgence. Quand nous arrivâmes, la salle était pleine ; tous les professeurs et élèves étaient présents, ainsi que la bibliothécaire qui était pour une fois dans tous ses états et en proie à une certaine agitation. Martin et moi nous lançâmes des regards gênés. Il posa son index sur ses lèvres. Je n’allais certainement pas révéler quoi que ce soit. Nous avions appris une règle d’or universelle à l’école primaire : ne moucharde jamais et surtout n’avoue jamais rien si tu sais que ce qui est bon pour toi.

    Mademoiselle Gruffy, la directrice adjointe, mena la danse. Elle avait une présence extraordinaire, malgré sa courte stature d’un mètre soixante. Les cheveux grisonnants coupés court, les yeux clairs d’un bleu glacial que personne n’osait regarder plus d’une fraction de seconde, elle était mastoc, pas obèse, mais je suppose qu’on pourrait la qualifier de colossale, matriarcale. Elle avait été sœur missionnaire en Afrique dans les années 1960 et 1970 et avait sans doute fait peur aux tribus cannibales qui osaient la défier. Elle avait été nommée membre de l’Ordre de l’Empire britannique, excusez du peu, avant de quitter l’habit et d’accepter une nouvelle mission : essayer de nous maintenir dans le droit chemin.

    Elle brandit les restes carbonisés de Sorcellerie et magie noire, tenant l’ouvrage par un coin entre le pouce et l’index, comme si c’était un chiffon répugnant ; je suppose qu’il l’était à ses yeux au sens littéral et figuré. « Qui est responsable de ça ? », demanda-t-elle d’une voix tonitruante, puis jeta un regard circulaire dans la salle de réunion pour essayer de déceler le moindre indice révélant que l’un de nous pourrait avoir vent de quelque chose. Nous gardâmes tous les yeux baissés et restâmes muets. Elle nous laissa mariner en silence pendant deux bonnes minutes avant de déclarer : « Bon. Comme personne ne veut se dénoncer, la bibliothèque sera fermée les deux prochaines semaines. »

    Elle laissa tomber d’un geste théâtral le volume calciné dans une poubelle qui, de toute évidence, avait été posée sur la scène à côté d’elle à cette seule fin. Elle nous regarda de nouveau et fulmina enfin : « On ne se moque pas de Dieu ! » Empoignant la Bible (j’ignore si c’était celle dont je m’étais débarrassé auparavant à la bibliothèque), elle nous fixa quelques instants encore, puis s’éloigna de la scène en furie.

    Chapitre 2

    L’appel des bongos

    Même après cet épisode, je n’étais pas totalement convaincu de la véracité du surnaturel, de la sorcellerie, etc. J’avais vu les pages s’enflammer, mais je pensai que Martin était l’auteur de toute cette mise en scène, qu’il avait mis le feu avec une allumette cachée ou un briquet. Je le pris à partie peu après l’incident, mais il nia en bloc. « Ça va pas la tête ? », demanda-t-il. « Tu crois que je ferais ça juste pour rigoler ? Regarde mes mains ». Il avait plusieurs cloques aux doigts, là où il avait été brûlé.

    -  Tu veux peut-être me faire croire que le feu a pris tout seul ?

    -  Oui. Ce livre était diabolique.

    * * *

    Avec notre exclusion du club d’échecs et la fermeture de la bibliothèque, j’imaginais que le reste de la semaine serait infernal. Réduits à grelotter dans le froid, n’ayant nulle part où aller pour échapper aux cinglés, mais tout compte fait cela ne se passa pas si mal. Le bruit avait de toute évidence couru que nous étions responsables d’avoir réduit le livre en cendres et quasiment mis le feu à la bibliothèque. La bibliothécaire avait heureusement réagi à temps et maîtrisé les flammes avec un extincteur ; il subsistait sur la moquette une trace de brûlure qui servirait à rappeler ce singulier épisode. Les détraqués nous considéraient avec un respect nouveau, fût-il éphémère ; un ou deux mois plus tard, ils se remirent à nous harceler comme à leur habitude.

    Ce fut toutefois moi qui en subis les conséquences. Le lendemain après la destruction du livre, je me baladais derrière les chaudières avec Martin et quelques autres camarades de classe, une opération toujours un peu risquée, car nous prenions parfois ce raccourci pour nous rendre d’une classe à l’autre, au lieu d’emprunter l’autre chemin qui était beaucoup plus long. Un type que je ne connaissais pas et que je n’avais même jamais remarqué auparavant, il devait être deux ou trois classes au-dessus de nous, s’approcha de moi et m’envoya son poing dans la figure, puis déguerpit sans dire un mot. Nous découvrîmes plus tard qu’il s’appelait Dougie Mitchel et qu’il était un farouche admirateur du sordide volume que nous avions détruit.

    ***

    Je suis sûr que Monsieur Fitzsimmons nous soupçonnait d’être impliqués dans l’incident, mais il fut tout à son honneur de ne jamais rien dire. Il nous accueillit au club d’échecs le lundi suivant en nous lançant un avertissement : « Si vous jouez avec le feu, vous allez vous brûler. Et si vous jouez avec moi, je ferai de vous de la chair à pâtée. » Il ne plaisantait qu’à moitié. Il était connu pour ses troubles de la personnalité. Il fonçait parfois sur des élèves avec sa voiture quand il entrait dans le parking et ceux-ci devaient s’écarter en vitesse.

    * * *

    Nous rentrâmes donc dans le rang, mangeant notre déjeuner et jouant aux échecs, allant en cours, évitant les ennuis, ou du moins nous essayâmes. Les ennuis vous tombaient dessus à Saint-Sauveur, sous l’apparence de Rodney ou Grant ou Dougie ou Mike ou Wayne ; tous les voyous semblaient porter de tels noms, comme si leurs parents avaient épluché les dix premiers prénoms de brutes de la liste pour choisir celui à leur attribuer à leur naissance.

    Porter le nom de Sandy Beech[3] n’était pas une sinécure. Une petite plaisanterie familiale. J’appartiens à une longue lignée de Sandy Beech. Le fils premier-né recevait le nom de Sandy d’aussi loin qu’il nous en souvienne. Je faillis échapper à cette tradition, car mon père qui était en fait le second enfant reçut de ses parents, par boutade, le prénom de Sonny[4]. Mais son grand frère, l’oncle Sandy, à l’esprit plutôt rebelle, fugua, forma un groupe de rock et changea son nom en Stoney[5]. Il fit savoir à qui voulut l’entendre qu’il n’avait aucune intention de poursuivre cette ridicule tradition quand il déciderait, et s’il décidait, d’avoir des enfants. Papa (merci beaucoup !) résolut donc ce problème en donnant à son fils premier-né, c’est-à-dire moi, le prénom de Sandy.

    Avec tous ces quolibets, ces brimades et la difficulté d’être pris au sérieux, chaque fois que vous deviez téléphoner et donner votre nom quelque part, vous auriez pu croire que quelqu’un

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1