Le Lait Du Mensonge

Par Lucia Canovi

Extrait

Devant son petit magasin inépuisable, caverne de voleur regorgeant de gadgets irrésistibles, le bonimenteur vante sa camelote à tous les passants qui passent.
Il dit :
– Achetez vingt soutiens-gorges Pérelle et des seins de Reine pour les rembourrer ! Achetez un Bouddha doré pour donner un sens à vos vies ! Achetez un décor de rêve, une piscine du plus haut standing, un Armani de premier rôle, la Barbie de votre vie ! Achetez une vérité subjective, strictement personnelle ! Relative et télescopique, elle ne vous encombrera pas en voyage… Achetez le bonheur, petite pilule dorée à avaler trois fois par jour pendant les repas...
Il dit :
– Approchez, approchez ! C’est une religion pittoresque et colorée, pleine d'ânes et de bébés ! Offre spéciale : pour le prix d’?un produit, vous en emportez trois ! Ce n’est pas logique ? Précisément, c’est ça qui est fort ! Credo quia absurdum ! Achetez un mystère qui vous dépasse, achetez un dieu devenu homme qui se change en pain tous les dimanches ! Il a expié à votre place, il vous aime même si vous lui crachez à la face !  Achetez, achetez le droit de ronfler dans la divine étable, naïf comme le bébé et pieux comme l’?âne, sous le regard céleste et tendre d’une maman si supérieure à l’autre…
Il dit :
– Goûtez, goûtez ! C’est une religion moderne, déculpabilisée, sans aucune obligation, à prix sacrifié ! Découvrez un Dieu cool, hyper-compréhensif, qui vous bénit en toutes circonstances ! Pas de Jugement Dernier ! Vous êtes plus que vous n’?imaginez ! C’est Dieu lui-même qui vous rassure ! Goûtez, goûtez à la Nouvelle Religion Universelle ! » 
Et, changeant de voix comme un ventriloque : 
– Oui mes enfants, je vous aime sans condition ! volez, violez, tuez, faites tout ce qui vous chante, Je ne vous en accueillerai pas moins gratuitement (oui vous avez bien entendu : gratuitement) dans les Verts Paradis de Ma Miséricorde ! »
Reprenant sa voix normale : 
– Quelle chance, hein ?! L’essayer, c’est l’adopter : goûtez à la Nouvelle Religion Universelle, goûtez à la Foi de Demain ! »
Il dit encore :
– Mais non, je n’ai rien à vous vendre ! Acteur et scénariste, vous êtes le héros de votre propre film… Ne craignez plus de contempler en face votre propre splendeur, votre propre divinité. Ne soyez pas dupe d’?un décor que chacun peut s’offrir ; c’est vous qui créez votre monde. L’éternité est en vous ; la toute-puissance est en vous ; le paradis est en vous. Comment, vous ne les avez pas encore trouvés ?! Cherchez bien…? Cherchez encore… Cherchez toujours… »

Présentation de l'éditeur

Entre métaphysique et critique sociale, ces textes drôles et grinçants, doux et amers, nous mettent face à nos aspirations et nos contradictions. Dans un style à la fois clair et mystérieux, mais toujours percutant, Lucia Canovi y parle d'elle, de nous, du monde moderne, des illusions qui nous leurrent, de l'insouciance qui nous fait oublier l'essentiel, de la mort, de la vie, de l'amour, de la souffrance et du manque. 
 

• Langue: Français
• Éditeur: Lucia Canovi
• Date de sortie: 1 mars 2016
• ISBN: 9781524204327

Lucia Canovi

Lucia Canovi est née en 1973. Elle gagne six prix littéraires entre 1987 et 1994. Agrégée de lettres modernes, elle abandonne l'enseignement pour se consacrer à l'écriture. Elle est l'auteur de plusieurs blogs, d'un recueil de citations et de proverbes, et d'un livre-phare : "Marre de la vie ? Tuez la dépression avant qu'elle ne vous tue !" (à paraître sur smashwords) Mariée au meilleur mari de l'univers, Lucia Canovi est la mère d'une petite fille ayant beaucoup de charisme, l'air scrutateur, et pour l'instant quatre dents.

Aperçu du livre

Lucia Canovi

Le lait du mensonge

Fragments d’une parole sincère

© lucia-canovi.com, 2016

Tous droits réservés.

« - Comment expliquez-vous qu'à ce jour, Truman n'ait toujours pas découvert la vraie nature du monde dans lequel il évolue ?

- Chacun de nous accepte la réalité du monde auquel il est confronté, c'est aussi simple que ça. »

(Le Truman Show)

Avant-Propos

S'étalant sur plus de dix ans, l'écriture de ces petits textes reflète diverses prises de conscience, certaines douces et d'autres amères. Vous pouvez les lire pour le sourire ou l'émotion parfois profonde qu'ils suscitent, vous pouvez aussi chercher à les décrypter, car ils ont un sens. Mais ce sens ne vous parviendra vraiment que si vous commencez ou poursuivez votre quête de vérité jusqu'à sa conclusion logique.

Bonne lecture et bonne méditation.

Lucia Canovi

La Poésie et la mouette

I.

Qu’au moins dans cette zone franche qu’ouvre la poésie sous son drapeau blanc comme une page blanche ou une tour d’ivoire, qu’au moins ici… des choses soient dites.

Soustraite à la censure par son allure de vierge folle anachronique, d’Ophélie affolée, la poésie peut se permettre quelques licences.

Peut se permettre d’avoir du sens.

Après tout, cela fait bien longtemps que plus personne ne la prend au sérieux. Et son royaume microscopique, îlot de sable souvent enseveli sous l’eau salée de la Mélancolie, n’est convoité par personne.

Qu’au moins ici, en cette plage blanche et lisse que l’Océan des Choses a laissé a découvert, portant ailleurs ses grandes vagues mugissantes de Merchandising et de Mondialising, flots obscurs et grumeleux de Hamburgers et de Mickeys, qu’au moins ici des choses soient dites.

Sur cette plage blanche purifiée par des millions de larmes, l’instant est songeur et paisible, mais précaire, car menacé de toutes parts par les fastes clignotants de monstrueux centres commerciaux avides.

Le calme se prolongera-t-il assez pour qu’éclose l’œuf de la tortue-lyre ?

Le calme se prolongera-t-il assez pour que la vérité cachée montre le bout de son nez ?

Une sagesse lente est en partance pour un périple invisible...

II.

La Poésie pourrait encore jouer aux énigmes, assaisonner ses vers de symboles, de mystères, de dédales, de miroirs, de fumée et de doutes.

Mais elle se l’avoue, maintenant : le mystère est son échec.

Voile de brouillard jeté sur du néant.

III.

La poésie gratte sa lyre et son crâne, alternativement.

Ce n’est pas si facile de dire vraiment, quand on a l’habitude de chanter ses émotions et ses contradictions, cheveux défaits. Les mots tout de suite vous entraînent dans leur lyrisme circulaire et la raison boit la tasse.

Ô vous bêtes farouches,

Ô vous peines de cœur,

Ô vous étoiles sans bouche,

Ô vous…

Non, ce n’est pas cela ; ce n’est pas cela qu’elle veut dire.

Ô vous, oiseaux sans sel,

Ô vous bouches sans fiel,

Ô vous étoiles de mer,

Ô vous…

Et le vif du sujet ?

Il serait bien temps d’y entrer.

Assez ! Tous mes mots se sont changés en réminiscences ;

Ma lyre a perdu ses cordes et je ne crois plus qu’au silence.

Une mouette applaudit à cette conclusion pleine de modestie.

Et en effet, quelle parole indivine pourrait rivaliser avec le bruit de la mer ?

IV.

L’étourneau postmoderne babille librement sur tout, sur rien, sur ce qu’on dit à la télé, sur la politique et les vaccins, sur le temps qu’il a fait et celui qu’il fera, sur le droit de ceci, le devoir de cela, mais quand il s’agit de […], il clôt son bec.

Et la poésie aussi, rousse et échevelée,