De la scène au toit du monde
Par Bernard Ortega
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Bernard Ortega a été accompagné par Shakespeare et Molière pendant plus de quarante ans. Ces auteurs ont affiné sa plume, lui permettant de traiter des sujets liés à la conscience humaine. Il est également l'auteur de "Sagesse et business", paru en 2013 aux éditions Fortuna, et de" Méditer pourquoi", publié par La Providence en 2016.
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Aperçu du livre
De la scène au toit du monde - Bernard Ortega
Préface
Cette préface, Rinpoche, c’est vous qui deviez la faire. Le destin, ce fameux personnage que l’on ne peut maîtriser, aura voulu que vous partiez dans votre paradis des Bouddhas au moment où je finis ce livre. Vous m’avez offert bien plus que quelques mots attendus. Votre silence sera ma garantie, mon secret, ma souffrance et ma joie.
La perte de nos parents est lourde. Notre mère fut notre première maison pendant les 9 premiers mois. Et même si peu de souvenirs conscients résistent à ce passage, nous ne pouvons nier ce fait. Par sa semence née de l’amour, notre père fut le créateur physique de notre vie. Par cet acte, il devient le protecteur, le gardien de la fleur qui s’est développée, puis du fruit qui en est éclos. Nos parents ont contribué à nous nourrir, nous vêtir, nous soigner, nous éduquer et nous aider à nous propulser dans la vie. Certains l’on fait maladroitement en fonction de leur évolution, de leurs souffrances, de leurs habitudes, de leurs craintes et espoirs personnels. Ils ont réussi ou échoué, mais ils l’ont fait avec leurs moyens. Pour cela, nous devons oublier leurs errements et garder l’effort et la reconnaissance de leurs actes, de leurs pensées, de leur amour. Les affinités liées à notre karma nous ont poussés davantage vers l’un que vers l’autre, et lorsqu’un sentiment d’amour, d’amitié, de respect profond s’est manifesté, ce fut une joie ineffable.
La perte de son maître est lourde. Il est le père et la mère en union. Il est celui qui cautérise nos souffrances de l’âme, celui qui nous offre la méthode pour alléger nos émotions perturbatrices générant souffrance et frustration. Il est celui qui explique l’inexplicable, qui chasse les nuages noirs de notre karma, celui qui veut nous libérer et non nous attacher. Il est la voie, la vue claire, le sourire de notre ignorance. Mon maître étant Tibétain, il ne pouvait me séduire par ses mots et aucune fascination ne pouvait naître par cet artifice. Seulement ses actes, son expérience, sa compassion naturelle répondaient de lui. Il soignait les corps comme les âmes et nous faisait comprendre combien notre ignorance était la vraie cause de nos souffrances, de nos maladies et comment les éradiquer. Il nous renvoyait à notre état naturel, celui qui n’est pas souillé, celui qui ne lutte pas pour être le plus fort, le plus riche ou le plus aimé. Le chemin est aride, car d’être conscient et lucide nous conduit vers une famille minoritaire qui semble aller à contre-courant d’un monde furieux et dominant qui juge, dénonce, compare, organise et gère notre vie. Il faut beaucoup de force, de stabilité, de patience et de foi pour entreprendre le chemin spirituel. C’est cette stabilité et cette force que me donnait mon maître. C’est cette confiance en me donnant mon titre de Lama qu’il m’offrait pour aller sur son propre chemin afin de m’aider et d’aider les autres.
Oui, la perte de son maître est lourde, autant que la charge dont il me fait hériter sans sa présence physique. Il est donc temps pour moi de lui montrer que ses efforts n’étaient pas vains et de développer ma propre autonomie. À l’heure où les maîtres authentiques sont si rares au milieu de tant d’êtres qui prétendent sauver les gens et le monde. À l’heure où « kaliyuga », le monde de dégénérescence, prend son essor, je sais que sa présence silencieuse, son énergie et sa protection me suivront inlassablement.
Lorsque le grand maître Marpa perdit son fils, l’un de ses disciples ne comprenait pas pourquoi il était si affligé, alors qu’il enseignait que tout est illusion. Marpa sourit et lui répondit : « Cela est vrai, mais je viens de perdre la plus parfaite de mes illusions ». Alors, pour l’instant, c’est le temps des larmes.
Introduction
Coach, acteur, Lama, beaucoup de personnes m’ont demandé qui j’étais vraiment. Je ne vais pas imaginer que cette question, revenant inlassablement, fût la véritable motivation de ce livre. Elle y a contribué néanmoins, car je suis toujours resté stupéfait par l’image et la fonction unique que l’on devait renvoyer aux gens. On veut cerner et reconnaître à qui l’on a affaire. Cela rassure. On ne doit pas changer de rôle, être multiple, sinon nous sommes catalogués comme caméléon ou pire… comme comédien. Ce comédien qui se donne en spectacle, caractérisé par un exhibitionnisme notoire entraînant une dépréciation sociale, sauf quand il est devenu célèbre, donc social.
En devenant coach pour top managers, j’élevais la fonction du comédien en formateur dans le domaine de la communication. Je passais donc le Rubicon et me donnais une stature plus officielle et une reconnaissance de ma fonction. Je n’étais plus un artiste, mais un spécialiste en technique de la communication orale avec des élèves reconnus et très élevés dans le monde « officiel » politique et économique.
Quant au titre de Lama, il ne fallait pas qu’il apparaisse. Le spirituel et le matériel doivent se tenir à distance (gestes barrières) et l’odeur du soufre ne s’estompe pas si vite, malgré les siècles. L’odeur de sainteté (catholique) pouvait encore être tolérée, sans tapage, pour ne pas effrayer la maçonnerie. Et même si le bouddhisme était coloré de philosophie, je me devais la plus grande discrétion, malgré l’œil de Google qui est devenu mille fois plus grand que « feu », celui de Moscou.
Aujourd’hui, avec l’apanage de l’âge, de l’expérience, et d’une « certaine reconnaissance », mes trois têtes (Coach – Homme de théâtre – Lama) sont tolérées. Je peux donc évoquer cette richesse. À l’heure où nous devons bouter l’étranger hors de France (discours sécuritaire un peu usé), combien nos richesses se nourrissent de nos expériences et de nos différences, et combien nos multiples activités, responsabilités et rôles doivent être considérés avec légèreté, avec la distance qui nous le permet.
Certains Tulkous (réincarnations de grands Lamas) sont découverts à l’âge de trois ans. Leur vie est alors consacrée à devenir ce qu’ils étaient dans leurs vies passées et leur éducation suit immédiatement le chemin de l’enseignement du Bouddha. Malgré les liens très forts avec les Lamas durant plus de 30 ans, je n’ai jamais demandé à mon maître une quelconque explication de mes ressentis, ni s’il fallait comprendre que j’étais la réincarnation d’un Tulkou. Ce n’est qu’il y a trois ans que H.E Togdan Rinpoche, Head Lama du Ladakh, me parla de l’une de mes précédentes incarnations comme Abbé d’un monastère, à Terdrom, au Tibet. Cet Abbé portait le même nom tibétain que je porte aujourd’hui. Il décrivit les environs de cette vie avec force détails. Lorsque l’on sait qui est H.E. Togdan Rinpoche et son importance, on ne peut douter de ses déclarations et il fallut bien me convaincre que j’étais un Tulkou réincarné. Ce n’est pas cette officialisation qui m’a stimulé à écrire ce livre, l’ayant décidé avant cette information. Peut-être cela m’a-t-il aidé à concevoir et accepter mon rôle de Lama et de ne plus me cacher pour des raisons d’humilité mal placée et d’autres liées à mes activités professionnelles.
C’est donc à travers la progression d’une vie ordinaire qui peu à peu se métamorphosait que j’ai écrit ce témoignage. Car c’est aussi grâce à ma vie d’homme de théâtre, de coach que j’ai pu observer les êtres humains enrichissant mes compréhensions et mes connaissances. Il n’y a jamais eu de séparation comme si j’étais né au Tibet. C’est pourquoi mon récit développe tous les aspects de cette vie qui, curieusement, fatalement, mystérieusement ou naturellement, ont fait naître ce Lama. Même si le karma voudrait dire le contraire, je ne suis pas né Lama, je le suis devenu par mon expérience et par la reconnaissance d’un grand maître.
Je ne suis pas le seul Lama-Tulkou à me réincarner en Occident et derrière chaque costume, il y a un être humain. Adulé, détesté, c’est toujours un être humain. Pour le meilleur et aussi pour le pire. Celui qui prend son rôle au sérieux devient malade ou rend malades celles et ceux qui l’entourent. Ce n’est pas le rôle que nous avons (même le plus haut) qui dévoilera qui nous sommes, mais ce que nous en avons fait. Au fond, j’ai davantage écrit ce livre pour lutter contre les préjugés, contre la race de celles et ceux qui jugent, contre celles et ceux qui par ignorance et par convention s’insurgent si on ne leur ressemble pas, si on ne ressemble pas aux codes établis. Peut-être aussi afin de désacraliser la fonction d’un titre, la normaliser dans un paysage français, sans la minimiser pour autant.
C’est bien un témoignage et une expérience que je décris. Il n’y a rien d’exceptionnel dans cette vie. Elle est certainement atypique, féconde en liberté, magnifique par les rencontres avec des êtres qui eux… étaient exceptionnels. C’est donc un hommage que je leur rends et que je partage.
Togdan Rinpoche et Düdul Dorje Rinpoché
Nos liens spirituels se révèlent tôt
Aimer les lieux sacrés, le silence de la nature et son observation. Si nous prêtons attention aux enfants, nous pouvons déceler cette attirance. Elle est un signe de leur connexion à un monde moins visible que celui qui les entoure. L’art est un autre signe de ce désir d’embellir, de magnifier ce qui nous apparaît. Si le monde extérieur est souvent triste et froid, il est évident que ce ne sont pas ces enfants qui l’ont dessiné. Le monde joyeux et coloré ne peut être créé que par des êtres qui n’ont pas égaré leurs âmes enfantines. Se prendre au sérieux est certainement ce qui peut arriver de pire à un être humain.
J’avais 13 ans lorsque je dévorais le monde de Shakespeare, ses meurtres motivés par l’ambition, les jeux du pouvoir qui se transforment en folie meurtrière, les jeux de l’amour qui prennent le masque de la possession, les questions obsédantes de la vie, de la mort, du rêve, du rêve éveillé.
La réalité du meurtre, je l’ai vécue à ce moment-là, dans un bus, lors d’un retour de colonies de vacances. La vigilance des surveillants étudiants fut certainement faible, car le révolver que nous avions trouvé dans une vieille grange, datant de la dernière guerre mondiale, était confortablement installé dans mon sac de sport. Par chance, il était inoffensif. Aussi, lorsque l’un de mes camarades de jeu me mit au défi de lui tirer dessus, le risque n’était pas bien grave. Pourtant, le seul fait de le viser ne m’enchantait nullement et je refusais ce jeu macabre. Ses moqueries, les rires de tous les camarades dans le bus surchauffé, les mots de lâche, de peureux, de « dégonflé » influencèrent mon index qui appuya sur la détente. Le nuage de fumée, et le visage de mon camarade parti à l’arrière ressemblèrent à une terreur. Le bus freina brusquement, je pris la direction de la porte en courant comme un damné et hurlant que je voulais mourir. Deux surveillants me rattrapèrent en essayant de me calmer par des gifles et en me serrant fort. Un troisième arriva, essoufflé, pour dire que la balle avait été recrachée, arrêtée par une dent. Mon ami et moi étions sauvés par une arme vétuste et des anges gardiens qui veillaient sur notre folle jeunesse.
L’apprentissage de vivre lorsque nous sommes adolescents peut être harassant. J’appris déjà que je ne tiendrai jamais une arme à feu, et que toutes insultes seraient vaines afin de m’influencer. Que l’on nous flatte ou que l’on nous insulte, ce n’est que la fragilité de notre mental et la manifestation de notre ego qui réagit, en ne maîtrisant pas ses émotions. Le premier épisode de ma vie eut une odeur de poudre et de tragédie. Le second aurait le parfum d’une comédie.
Le désespoir de ma mère de faire quelque chose de moi m’avait projeté dans cette école de filles, à Millau, où l’on admettait une dizaine de garçons, qui aurait « la chance » d’avoir un diplôme d’employé de bureau. Le fait d’avoir ôté un cache-clavier lors d’un examen (un chiffon qui doit nous empêcher de regarder les touches de nos machines à écrire) me permit d’être consigné quatre dimanches de suite. Je fis donc l’apprentissage du donjuanisme très jeune, car le lycée avait une capacité de 300 élèves féminins et je devais composer avec beaucoup de Mathurine et de Charlotte afin d’en inviter à danser le maximum, dans le foyer. Curieusement, je me devais d’être inventif et brillant, ce qui ne gâche rien pour le futur métier que je n’envisageais pas encore.
Et apparut « mon ange prof ». Parmi les fonctionnaires de l’éducation nationale (il n’y a pas que des fonctionnaires dans l’âme), il nous est tous arrivé une « relation heureuse » avec un professeur. La mienne était fine et élégante et, après mon premier poème récité, le regard qu’elle posa sur moi traduisait que j’avais un réel talent dans cette matière. Ses encouragements furent le révélateur de la confiance que je pouvais avoir en ce talent, que je me devais avoir en la vie.
Deux ans plus tard (15 ans déjà), je montais ma première troupe de théâtre et écrivais mes premières pièces. La maison du Peuple, et ses cinq cents places affichèrent complet, grâce à mes « relations privilégiées » au lycée des filles. Mon oncle propulsé aux chocolats glacés, maman et papa à la caisse et les cousins cousines pour placer les spectateurs achevèrent l’équipe indispensable à l’événement. Les artistes, c’est souvent une affaire de familles. Un P.I.J (prix national d’initiative des jeunes) récompensa mon travail et me fit rencontrer mon « premier » journaliste venu à mon cours d’éducation physique pour mon