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Dissident
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Livre électronique247 pages3 heures

Dissident

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À propos de ce livre électronique

Montréal, 2033. Adel est un jeune informaticien brillant, tourmenté par des idées révolutionnaires. Incapable de réconcilier ses aspirations utopistes avec le poste qu’il occupe chez Eagle Eyes Systems, une firme en cybersécurité, il rejoint un groupe anarchiste qui le bannit à la suite d’une querelle. Un acte de sabotage aux conséquences terribles le confronte à ses paradoxes, dans une société où rien n’échappe à l’œil de l’intelligence artificielle.
LangueFrançais
Date de sortie28 août 2023
ISBN9782897129439
Dissident
Auteur

Jean-Pierre Gorkynian

Né à Montréal en 1986, Jean-Pierre Gorkynian est l’auteur de trois romans. À travers ses œuvres, il tisse des liens entre le Québec et le Moyen-Orient, terre de ses ancêtres. Son roman Tireur embusqué (Mémoire d’encrier, 2020) a été finaliste au Prix littéraire des collégien.ne.s et au Prix du livre Lorientales. Dissident est son troisième roman.

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    Aperçu du livre

    Dissident - Jean-Pierre Gorkynian

    Montréal, 15 novembre 2033

    L’itinérant somnolait encore, sur le quai du métro Champ-de-Mars. L’agent Youri Akoulov achevait de lui dresser son constat d’infraction. L’assistant personnel Colombus, opéré depuis ses lunettes intelligentes, avait rempli tous les champs pour lui. Ne manquait plus qu’à les réviser.

    nom : Yasine El-Bachir

    date de naissance : 28 avril 2004

    infraction : Désobéissance civile

    Akoulov, qui patrouillait seul ce matin-là, demanda au jeune homme de confirmer son adresse ; il n’en avait pas. Ou plutôt, n’en avait plus. Il logeait au refuge, mais sa fiche signalétique précisait qu’il avait déjà résidé dans le quartier Saint-Michel. Le policier mira le clochard. Un Arabe. Un peu plus vieux que lui. Traits foncés. Pouilleux. Se dégageait de lui une odeur nauséabonde, un mélange de jus d’ordure et de merde. Ses vêtements au complet étaient infestés de grillons aux longues antennes. D’où pouvaient provenir ses bestioles ? Akoulov réprima une grimace de dégoût et maintint l’adresse du refuge au dossier. Puis, le ticket imprimé, il le remit au contrevenant, lui indiquant par la même occasion le pictogramme à côté du banc : interdiction à toute personne d’y dormir ou de s’y étendre.

    Akoulov pesta intérieurement. C’était la cinquième contravention du genre qu’il donnait aujourd’hui. Les gens n’avaient plus nulle part où aller. Le pays était englué dans la récession. La crise n’épargnait personne. L’inflation ne montrait aucun signe de ralentissement. La vague de privatisation avait pris trop d’ampleur, outrepassait les limites de la bienséance. Tout – jusqu’à l’eau potable – coûtait plus cher. Trop cher pour un pouvoir d’achat qui stagnait depuis un demi-siècle. Les faillites personnelles se multipliaient. Les évictions de locataires se comptaient par milliers. Les ressources d’hébergement et les refuges débordaient. Des familles entières jetées à la rue, privées d’eau courante et de nourriture, abandonnées à elles-mêmes. Ce phénomène s’observait d’un bout à l’autre du pays.

    Akoulov reprit sa ronde. Son regard se perdit sur l’écran mural qui annonçait l’arrivée du prochain métro dans trois minutes. Il faisait 24 °C sur le Grand Montréal. Le Bitcoin franchissait le seuil historique des 1,2 million de dollars US. Une Lavalloise remportait la 21e saison de Canada’s Got Talent. Les Canadiens avaient perdu 3-2 contre les Bruins de Boston.

    Soudain, Akoulov sursauta à la vue du visage familier qui emplit l’écran. La sentence venait de tomber. Adel Salem, 22 ans, premier Canadien à se voir accusé d’activité terroriste par une intelligence artificielle, écopait d’une peine d’emprisonnement à perpétuité, sans libération conditionnelle avant vingt-cinq ans. Un jeune finissant de l’école Polytechnique. Au nombre de ses victimes alléguées figurait Daryl Thomassen, PDG de la firme en cybersécurité Eagle Eyes System, qui survécut après avoir été atteint de deux projectiles d’armes à feu, tirés par Adel Salem lui-même.

    L’opération policière s’était soldée par une autre victime qui, elle, succomba à ses blessures. C’était Akoulov qui avait tiré par mégarde, mais Akoulov avait été acquitté. Certes, il avait écopé d’un transfert ; il considérait sa mutation à l’unité du métro comme une rétrogradation. L’enquêteur responsable de son dossier avait conclu que la force utilisée par le policier était légitime, étant donné qu’il craignait réellement pour sa vie.

    Akoulov avait suivi attentivement le procès Salem, tout au long duquel il bénéficia d’un soutien psychologique. Heureusement pour lui, l’affaire n’avait pas traîné en longueur.

    Les images firent place au plus récent sondage électoral qui plaçait les conservateurs en tête. Akoulov eut un soupir de soulagement. Justice avait été rendue. Quant à lui, il ne tarderait pas à réintégrer ses fonctions.

    Acte terroriste :

    Action ou omission, commise au Canada ou à l’étranger :

    (A) Au nom d’un but, d’une cause de nature politique, religieuse ou idéologique.

    (B) En vue d’intimider la population quant à sa sécurité, entre autres sur le plan économique, ou de contraindre une personne, un gouvernement ou une organisation nationale ou internationale à accomplir un acte ou à s’en abstenir, que la personne, la population, le gouvernement ou l’organisation soit ou non au Canada.

    — Code criminel du Canada

    Le 7 juin 2032

    (17 mois plus tôt)

    Les doigts gantés d’Audrey étaient pleins de sang, à force de remuer la pointe du bijou dans l’oreille charnue d’Adel. Une épaisse tignasse de cheveux bouclés lui gênait la vue. Faute d’espace, elle avait fait asseoir Adel sur le rebord de son matelas, posé à même le sol. À lui seul, le lit accaparait la moitié de la chambre. La position était inconfortable. Déjà près d’une vingtaine de minutes qu’elle essayait, mais l’aiguille ne voulait tout simplement pas percer le lobe. Pourtant, un peu plus tôt, le poinçon qu’elle avait chauffé à blanc à l’aide d’une bougie avait pénétré sans problème. C’est que, le bijou – une petite étoile anarchocommuniste en argent – n’était tout simplement pas adéquat pour un premier piercing. Il aurait fallu choisir un clou ou une tige de diamètre moyen, qui aurait permis un meilleur guidage. Mais, Adel ne s’y connaissait pas. Il ne lui avait pas demandé conseil. Il était passé à la bijouterie après le boulot et l’avait retrouvée sitôt après. Or, tous deux avaient prévu se rejoindre au QG un peu plus tard. Le commando chargé de mettre en branle le « méchoui La Grange » les attendait. Le moment était mal choisi, c’était peu dire…

    Mis à part ces considérations logistiques, sa demande l’avait d’abord surprise. Combien de fois, pendant qu’ils sortaient ensemble, avait-elle offert de percer son oreille et essuyé un refus net ? Il prétextait toujours des raisons quelconques, souvent familiales et professionnelles. Elle lui proposait pourtant des boucles d’oreille anodines, toutes petites et discrètes. Contrairement aux tatouages, qu’elle jugeait trop conformistes, les trous pouvaient se cicatriser et disparaître avec le temps. Elle-même en avait exactement six : cinq au niveau des oreilles et un sur le nez – tous faits maison. Rien n’avait pu convaincre Adel. Ce soir-là, sans qu’elle puisse se l’expliquer, il voulait son piercing à tout prix. Une étoile anarchocommuniste, en plus ! Elle n’y était pas préparée. Le « méchoui » accaparait toute son attention. L’entreprise était périlleuse et nécessitait qu’elle s’y attelle au plus vite. Adel aussi, d’ailleurs, mais il refusait de remettre sa coquetterie à un autre jour. Elle avait fini par se plier à ses caprices. Sa coloc Juju avait consenti à lui prêter du matériel. Du reste, il fallait faire avec les moyens du bord. Elle lui remonta la crinière à l’aide d’une pince à cheveux trouvée dans sa commode, puis força une fois de plus la petite aiguille dans la chair molle. Un petit bruit sec se fit entendre. Adel grimaça. Victoire ! La boucle était finalement passée.

    Audrey retira ses gants chirurgicaux, puis tendit un miroir à Adel.

    — Pas mal, non ? s’exclama-t-elle avec enthousiasme. Elle pouffa de rire. En tous cas, j’espère qu’ils diront rien à ta job !

    — Penserais pas, rétorqua Adel, médusé par son reflet. Il se contemplait de biais pour faire ressortir son nouvel ornement. Son oreille était rouge comme une tomate. Du sang en dégoulinait. Le chatoiement de l’étoile le fit sourire. Rien de très ostentatoire, songea-t-il. C’était limite. De toute façon, il s’en foutait.

    — T’avais pas fait une croix sur ce stage ? s’enquit-elle.

    — Non… j’ai jamais dit ça.

    — Donc, t’es content ?

    — Ça va… laissa-t-il tomber. C’est juste un stage, rectifia-t-il en tentant d’y mettre un peu plus de conviction.

    Adel mentait. Il détestait son boulot plus que tout au monde. Mais c’était un passage obligé pour l’obtention de son baccalauréat en génie informatique. Le programme requérait deux stages en entreprise. Il avait eu la chance, l’an dernier, d’être recruté à un poste extrêmement contingenté dans une firme de renom. Il avait obtenu « A+ » à sa première évaluation. On lui avait proposé un nouveau stage, cet été ; il n’avait pas pu dire non. L’expérience lui apporterait des privilèges et une belle notoriété. Audrey n’insista pas davantage. Après tout, ce n’était plus son affaire. Elle commença à ranger le matériel de Juju.

    Adel fixait son reflet dans la glace. Son oreille chauffait, mais il s’abstint de la toucher, pour ne pas l’infecter. Sa douleur était rédemptrice. Il pensait à la réaction de son père, Mohamed Salem. C’était un descendant kurde d’une longue lignée de propriétaires terriens dans le Rojava. Ancien cultivateur de blé et russophile, il était demeuré résolument communiste, comme en faisait foi la carte du parti qu’il avait conservée jusqu’à ce jour. C’était un homme austère, peu enclin aux épanchements sentimentaux, même nationalistes. Étrange pour un Kurde, avait toujours pensé Adel, lui qui était très attaché à ses racines et à l’héritage de ses ancêtres. Il aurait aimé pouvoir s’en réclamer plus ouvertement – après tout, il était né au Kurdistan et y avait passé les premières années de sa vie avant que la guerre l’en expulse. Son père, toutefois, avait tout fait pour l’en empêcher. C’était un universaliste pur et dur, conviction renforcée par quelques études en mathématiques faites à Moscou. Les identités plurielles, autant que les nombres, faisaient toutes partie – en importance égale – du patrimoine universel de l’humanité. Pour lui, l’identité kurde n’était ni supérieure ni inférieure à une autre. En véritable communiste, il souscrivait à cet idéal que toutes les cultures se valent entre elles, et que tous les citoyens sont égaux devant la loi. Il réprouvait le culte de l’individualisme et cette manie de promouvoir les diversités en tous genres. Il ne se considérait pas comme différent des autres et avait en horreur toutes les manifestations de pitié qu’il pouvait bien susciter. Rien, pas même le chagrin de l’exil, le passage des saisons, la douceur du sirop d’érable ou même l’élégance des caribous traversant les surfaces glacées des lacs canadiens, n’étaient parvenus à l’attendrir. Un véritable spartiate. La vue d’un bijou fantaisiste à l’oreille de son fils ne pouvait lui inspirer que dégoût et aversion. Adel le savait. Il en tirait d’ailleurs une certaine fierté, lui qui d’ordinaire, n’osait défier l’autorité du père. Il savait qu’Audrey comprenait, et espérait d’elle un peu plus d’égard. Un signe d’approbation, à tout le moins. Tandis qu’elle lui nettoyait l’oreille à l’aide d’une compresse d’eau oxygénée, les yeux d’Audrey trahirent un émoi. La chose le troubla. Elle s’était assise près de lui. L’odeur de sa transpiration avait réveillé de tendres souvenirs. La vue de sa nuque, mise en évidence par sa nouvelle coupe de cheveux à la garçonne style cyberpunk, avait attisé en lui un ardent désir de la prendre. C’était comme s’il découvrait, pour la toute première fois, la beauté de cette partie du corps. Il posa une main maladroite contre ses cuisses mises à nu par ses shorts troués. Leurs regards se croisèrent. Peut-être n’était-ce pas le bon moment, le geste tomba à plat. Audrey lut le désarroi dans les yeux de celui qu’elle avait jadis considéré, sans ambages, comme son seul et unique amoureux. Les temps avaient changé. Plus rien de tout ça n’était clair. Le passé n’était plus garant du présent. Encore moins de l’avenir. Ses sentiments avaient bifurqué au gré d’une rencontre inattendue, bouleversante. Son désir violent d’assouvir une passion charnelle avec un autre avait laissé au passage des émotions inexpliquées, inexplicables, et un cœur tourmenté que rien ne pouvait apaiser. Une dispute avait éclaté entre eux. S’en était conclu qu’ils devaient, pour un temps, prendre leurs distances pour repenser la relation.

    Pourquoi Adel était-il venu la retrouver chez elle ? se demandait Audrey. L’excuse du piercing était boiteuse. Jusque-là, elle s’était gardée de tout commentaire. Une impression d’étrangeté l’envahit, et elle se leva d’un bond. La chambre étant minuscule, elle ne put aller bien loin. Et de n’importe où qu’elle ait pu se trouver, il était impossible de briser la troublante intimité qui s’était installée entre eux. Adel était demeuré assis. Elle s’adossa contre le mur du fond, croisa bras et jambes, et un silence malaisant s’installa. Son regard fuyait vers la fenêtre. S’y élevait un vieux chêne aux longs bras clairsemés que des chenilles spongieuses, à sa grande tristesse, avaient lentement pris d’assaut.

    — Je croyais que c’était fini entre nous…

    — Fini ? s’enquit Adel avec effroi.

    — Ben… Tu me l’as bien fait comprendre, l’autre jour. Je me sens plus à l’aise de…

    — Je comprends, trancha l’autre avec regret, baissant les yeux, comme si le simple fait de la regarder le fit trop souffrir. Cet amour platonique qui les unissait désormais, ce pacte d’amitié, ce respect réciproque qu’ils se vouaient l’un l’autre, rien de tout cela ne pouvait apaiser cette violente douleur sur laquelle il ne se reconnaissait aucun droit, et qui pourtant s’arrogeait tant de droits sur lui. Après tout, Audrey pouvait coucher avec qui elle voulait.

    Il se leva pour partir, mais Audrey fit un mouvement pour le retenir.

    — Désolé, je voulais pas te…

    — C’est correct.

    Il semblait hésiter entre partir ou rester.

    — Es-tu stressé pour ce soir ? lui demanda Audrey, comme pour l’inviter à se vider le cœur.

    Adel n’était pas du genre très bavard et bien qu’elle excellât dans l’art de le faire parler, il parvenait toujours à s’esquiver.

    — Ce soir ?

    — Oui, La Grange… le « méchoui »… précisa-t-elle, sur un ton agacé.

    — Pas vraiment. Peut-être un peu.

    — Tu t’en mets pas un peu trop sur les épaules ?

    Adel reçut le reproche sans sourciller.

    — Tu sais, t’es pas obligé… osa-t-elle prudemment.

    Elle n’avait pas bougé de sa place.

    — Pas obligé de quoi ?

    — On peut toujours annuler, si tu veux.

    — Et pourquoi est-ce qu’on annulerait ?

    — J’sais pas… Peut-être à cause de Maximilien et moi ? avança-t-elle en haussant les épaules.

    — Aucun rapport ! mugit Adel. Il détestait Maximilien Caron et tout ce qu’il représentait. C’était le genre d’individu qui se targuait d’être activiste, mais qui en réalité n’était qu’un douchebag dont l’unique souci était de se faire valoir, à grands coups de bluff. Adel ne croyait guère aux causes politiques de son rival. Elles tenaient du mirage. Le mec filmait ses actions dans l’unique but de se vanter sur les réseaux sociaux, avec toujours sa figure en gros plan. Un vrai frimeur. Il connaissait un certain succès, c’était indéniable. Mais aux yeux d’Adel, Caron n’était qu’un misérable fanfaron. Il aurait voulu qu’Audrey ait assez de discernement pour voir la même chose. Bien au contraire ! Elle s’était vite entichée de lui. Adel n’avait jamais osé lui dire le fond de sa pensée. Il était trop orgueilleux pour admettre qu’Audrey puisse s’éprendre d’un autre que lui. À présent, le ton de sa voix trahissait sa blessure.

    — Aucun rapport, répéta Adel en fixant le sol. J’me fous de ce que vous faites ensemble. Ça me regarde pas. Je fais ça pour la cause, uniquement pour la cause, maugréa-t-il.

    Il leva les yeux, constata avec effarement qu’Audrey était bouche bée.

    — Je m’excuse, balbutia-t-il, désemparé. Je voulais pas… Je m’excuse.

    Il se leva maladroitement et faute d’espace, fit quelques pas autour de lui. Puis, il ouvrit enfin la porte. Jetant un dernier coup d’œil vers Audrey (elle n’avait pas bougé d’un poil), il dit : « À tout à l’heure. » Puis, il referma la porte derrière lui.

    Il commençait à être tard. Une longue, très longue nuit l’attendait.

    La boutique La Grange, spécialisée dans la vente de mobilier haut de gamme en bois rustique, avait pignon sur la rue Jean-Talon, dans le quartier Saint-Michel. Au rez-de-chaussée, la salle d’exposition abritait une impressionnante collection internationale de meubles luxueux en tous genres : tables, buffets, bars, comptoirs, garde-robes, armoires en bois massif aux essences les plus nobles, provenant de forêts exploitées aux quatre coins du globe.

    Établi depuis 2026, le commerce prospérait à la faveur d’un embourgeoisement du quartier qui avait vu un nombre grandissant de nouveaux ensembles résidentiels. Des tours à condos flanquées de certifications environnementales avaient colonisé toutes les rues de cet arrondissement, autrefois parmi les plus pauvres de Montréal.

    Pour répondre à la croissance des ventes, le groupe Prestige, propriétaire de la boutique La Grange, avait décidé d’annexer au magasin le local d’à côté, une gargote où avaient l’habitude de se réunir les habitués du coin. Un cabinet d’architecture ainsi qu’une firme de design intérieur avaient investi l’étage du dessus, et offraient leurs services aux promoteurs locaux.

    Groupes citoyens et militants associatifs avaient organisé nombre d’évènements anticapitalistes aux abords de ces commerces, dans l’espoir de démobiliser clients et propriétaires. De la distribution de tracts aux manifestations virant en parade de foire, en passant par les barbecues solidaires, ils avaient tout tenté pour déloger ces malvenus. L’enracinement de ces commerces était devenu d’autant plus durable qu’ils incarnaient désormais le symbole d’une nouvelle ère de prospérité pour le quartier, en dépit de la crise qui affectait les pauvres.

    Dernièrement, plusieurs attaques avaient ciblé les vitrines de ces établissements, à la faveur du mouvement populaire Eau Secours visant à contrer le projet de loi sur la privatisation de l’eau potable. Les employés avaient été menacés, des voitures vandalisées. Pour sécuriser les lieux et dissuader les casseurs, on avait installé un système de caméras intelligentes aux abords du terrain, le tout couplé à un dispositif de marquage ADN anti-cambriolage à l’intérieur. En cas de braquage, des brumisateurs cachés diffusaient un traceur à la fluorescéine indélébile, uniquement visible à la lumière d’une lampe UV. Le produit imprégnait la peau, les cheveux et les vêtements pour des semaines, voire des mois, permettant de retracer les coupables et les objets volés. Deux casseurs – un homme et une femme – avaient d’ailleurs été interpellés, appréhendés, déclarés coupables, puis incarcérés grâce à cet équipement sophistiqué qui allait bientôt devenir la norme en matière de protection antivol. La sentence qui les condamnait chacun à deux ans

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