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La vie ne m’apprend rien
La vie ne m’apprend rien
La vie ne m’apprend rien
Livre électronique152 pages2 heures

La vie ne m’apprend rien

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À propos de ce livre électronique

La vie ne m’apprend rien dévoile le parcours de Vincent, un jeune homme audacieux, à la fois loyal en amour et en amitié. Au fil du temps, il sera confronté aux vicissitudes de la vie, oscillant entre des moments de bonheur intense et les blessures les plus profondes. Saura-t-il puiser en lui la force nécessaire pour échapper à la dépression et à une spirale infernale ?


À PROPOS DE L'AUTEUR 


En mettant en scène la vie de son personnage principal, Pierre Fons cherche à transmettre un message fort sur l’importance de la résilience, en soulignant la nécessité de se relever après chaque épreuve et de discerner la lueur d’espoir qui éclaire le bout du tunnel.
LangueFrançais
Date de sortie21 août 2023
ISBN9791037798398
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    Aperçu du livre

    La vie ne m’apprend rien - Pierre Fons

    I

    L’ennui avec la blatte, c’est qu’elle ne meurt jamais ! Sitôt écrasée et dégageant cette odeur âcre de soufre et de bois moisi, elle se réincarne et repart avec ses copines, à l’assaut du territoire qu’elles ont décidé d’envahir. Elles avaient élu domicile dans le cagibi, sous le grand escalier du salon qui grimpe à l’étage. Chez moi, dans mon placard, ma cachette. Enfin, je devrais plutôt dire ma cellule, vu le nombre de fois où Éliane, ma mère, m’y avait enfermé, mettant provisoirement fin à l’avalanche de baffes, coups de pied et autres douceurs symptomatiques administrées par Gérard. Gérard, ce n’était pas mon père, c’était Gérard ! Une masse de quatre-vingt-dix kilos, pas de cou, la musculature de Monsieur Propre et la tronche qui va avec. Ajoutez-y le QI d’une méduse et l’élocution d’un dogue allemand, vous cernez tout de suite le personnage ! Son ultime exploit consistait à s’être fait virer de l’armée pour incommunicabilité… « La grande muette n’a rien à foutre de grands muets ! » C’est ce qu’en avait dit Albert notre voisin, qui était aussi le père de Félix, mon unique pote. Ma mère, elle, ne disait rien. Elle se levait le matin une demi-heure avant moi pour me préparer mon petit-déj, jetait un œil sur mes devoirs et mon carnet de liaison, puis elle essayait de me recoiffer, vérifiait que j’avais bien mon ticket de cantine, m’embrassait sur le front et repartait aux plumes finir sa nuit comme elle disait. En fin d’après-midi, elle rejoignait ses amies de la brigade des plumeaux et des aspirateurs dans les grandes tours de glaces aux innombrables bureaux, couloirs et cabines d’ascenseurs, qu’il fallait astiquer jusque tard dans la nuit.

    Ce n’était pas une violente Éliane, elle élevait rarement la voix. Quand elle était contrariée, elle le disait, tout simplement d’une voix calme et monocorde. Mais elle n’était pas faible, loin de là ! Elle tenait tête à Gérard, à ses coups de gueule, ses certitudes et son poing levé à la moindre occasion. La seule fois que je l’ai vraiment entendue crier, j’avais douze ans. C’était un dimanche vers midi. Alors que mon père s’attardait probablement en ville comme toujours, accroché au zinc du PMU, en attente entre deux Suze citron, de la dernière minute du Prix de Diane ; elle était descendue à la cave, en quête d’une bouteille de Bourgogne ou de Madiran pour accompagner le gigot aux patates douces qui finissait de dorer dans le four de la cuisinière. En appuyant sur l’interrupteur en émail, elle aperçut d’abord deux longues jambes raides qui semblaient flotter à cinquante centimètres du sol, et au bout desquelles pendaient des boots en vachette noire, qu’elle se refusait dans l’instant de reconnaître. Jamais je ne pourrai effacer de ma mémoire ce hurlement atroce qui s’échappa des entrailles de ma mère. La dernière fois que j’ai tenu mon père dans mes bras, c’était pour le décrocher de cette maudite corde qu’il avait choisie pour faire table rase de toutes ses peines, ses dettes et ce mal de vivre qu’il ne montrait jamais. Il faut se méfier des proches qui disent vous aimer. Ils peuvent, le matin, vous frictionner la tête en signe d’affection, pendant que vous sirotez votre chocolat chaud, et vous faire plonger, le soir même, au fond d’un vide abyssal, duquel vous ne remontez jamais.

    Félix m’attendait près de l’abribus, il avait la tête des mauvais jours. Dès que je suis arrivé à sa hauteur, il a froncé les sourcils et m’a lâché :

    — Estelle, c’est qu’une salope ! elle m’a posé un lapin hier soir, elle m’a pris pour un blaireau. Deux heures dans le parc à me geler les burnes. Quelle petite pute !

    — Elle a peut-être eu un empêchement.

    — Tu parles ! je l’ai vue passer sur la mob à Rémi. Elle a tourné la tête pour ne pas me voir. Je suis sûr qu’il l’a fourrée, ce boutonneux !

    — Non, elle baise pas, Estelle, c’est pas son truc !

    — Et comment tu sais ça, toi, t’as déjà essayé ?

    — Je le sais, c’est tout !

    Félix avait l’air dubitatif, il baissa les yeux, regarda arriver le bus qui allait nous embarquer vers le collège St-Exupéry, se retourna vers moi, haussa ses petites épaules d’agneau et s’engouffra dans l’autocar, sans oublier au passage d’écraser les petits sixièmes qui avaient déjà du mal à grimper la première marche. Il n’était pas méchant, Félix, un peu aigri peut-être. À quinze ans passés, il ne connaissait toujours pas cette sensation délicieusement merveilleuse que l’on éprouve à glisser le plus chanceux de ses doigts, le majeur bien sûr, dans l’écrin humide et tiède de l’intimité duveteuse de sa petite copine. Et ça, Félix, ça le tracassait, ça l’obsédait au point de s’adonner parfois à des expériences plus que douteuses. Comme celle qu’il accomplit l’été dernier, alors qu’il passait quelques jours de vacances chez sa grand-mère en Auvergne. Il avait décidé de s’entraîner sur une jeune poule. Expérience désastreuse, il s’en était tiré avec quelques méchants coups de bec et des griffures plein la poire. Pauvre gallinacé, c’était bien la première fois qu’on lui faisait le coup du rendez-vous chez le proctologue ! Quel con, ce Félix ! Mais c’est mon copain, l’unique, le vrai. En fait, depuis le CP, nous sommes les seuls à St-Ex à avoir redoublé deux classes, à chaque fois les mêmes. Si c’est pas de la fidélité ça…

    Depuis le début, 1981 était une année un peu bizarre. En politique d’abord ! Moi je n’y connaissais rien, mais il sembla à tout le monde qu’une immense vague rose avait submergé le pays. Le soir du dix mai, ma mère avait regardé la télé en pleurant, puis les voisins étaient venus avec du champagne pour pleurer avec elle. Gérard, lui, il n’avait pas moufté. Personne n’avait vraiment envie de connaître son opinion ; mais moi, il me semblait bien l’avoir entendu marmonner entre ses dents : « Putain, c’est la merde ! » tandis que la tronche du nouveau taulier de l’Élysée s’affirmait sur l’écran du Pathé-Marconi. J’ai demandé à Albert pourquoi les gens défilaient tous avec une rose à la main, il m’a répondu que la fleur, c’était pour François, mais que les épines, elles, seraient bien assez tôt pour nos gueules ! Éliane a fait les gros yeux, puis elle a éclaté de rire en se resservant une coupe de champagne. Qu’est-ce qu’elle était belle, ma mère, quand elle avait l’air heureuse ! Trois jours plus tard, c’est encore la télévision qui la fit pleurer. Cette fois, le flux lacrymal était plus dense et plus chaud. Place Saint-Pierre, on avait osé tirer sur le pape ! Dégommer le Saint-Père comme une vulgaire pipe d’argile à la Foire du Trône ! un illuminé turc avait mis, en quelques secondes, le monde de la chrétienté à genoux. Il est vrai que pour eux, s’accroupir n’était pas vraiment un challenge, mais des millions de fidèles, au même instant, et dans tous les coins de la planète, ça c’était fort ! Ce n’était pas une bonne année pour les papes, celui du reggae venait lui aussi de s’envoler pour suivre ses volutes de fumée étranges et parfumées, qui avaient donné cet éclat si particulier à sa musique et à son sourire. La « fumette », moi, ce n’était pas vraiment mon truc, ça me rendait triste et acariâtre. La seule fois que j’ai participé à la tournée d’un pétard, dans la cave de Félix, j’ai failli tout casser. J’en voulais à tout le monde. Un mauvais trip qu’ils appellent ça, eux ! ils s’étaient mis à cinq pour me calmer. Je frappais dans tous les sens, filles ou garçons sans distinction. Plus tard, je m’étais retrouvé seul sur un banc à pleurer sur mes pompes, un vrai con ! Cette fois-là, j’aurais pu perdre mon ami, le seul que j’avais.

    Lorsque je rentrai à la maison ce soir-là, j’étais plutôt content. J’avais pas mal assuré au contrôle de géo, surfé sur les maths et Alice m’avait jeté un regard de miel dans la cour qui valait dix fois plus qu’une invitation à la découverte de nos corps respectifs. Enfin, la vie était belle quoi ! mais quelque chose me disait que cela n’allait pas durer. D’abord, je remarquai qu’Éliane n’était pas partie travailler. Elle était là, dans sa cuisine, en train d’écraser des pommes de terre, tandis qu’une spirale de boudin noir grillait lentement dans une poêle. Ça sentait rudement bon, et je le lui dis. Elle ne se retourna pas et me lança simplement :

    — Gérard t’attend dans ta chambre.

    — Pourquoi, elle est rangée ma chambre, que je lui réponds !

    — Je sais, vas-y, dépêche-toi ! il est déjà assez furax comme ça.

    — Putain ! mais qu’est-ce que j’ai encore fait pour déplaire à monsieur ?

    Je longeai le couloir et me retrouvai devant « Raging bull », aussi tendu qu’un puceau à son premier rendez-vous. Il avait ses mains cachées derrière son dos. Comme je savais, par expérience, que c’était de là que partaient en général les premières salves, je gardai mes distances. « Chat échaudé craint l’eau froide ! » Il avait la veine du cou qui avait doublé de volume. En général, c’était un signe qui indiquait que je devrais certainement passer la nuit en compagnie de mes amies les blattes. Jusque-là, rien de méchant, mais ce fut l’état de ma piaule qui m’inquiéta le plus. Il avait tout renversé, le matelas, le bureau, la penderie et l’armoire qui, de ce fait, n’était plus bancale. Tout gisait au sol, fringues, bouquins, copies et même le disque de Lennon que je croyais disparu à jamais, tout comme lui d’ailleurs. Du coup, ça me fit presque plaisir de le revoir. Ah ! Gérard comme déménageur, il ne faisait pas très soigné, mais dans les douanes, il aurait fait un malheur ! D’un coup, ses yeux devinrent jaunes et il se mit à aboyer :

    — Tu la planques où alors ? hein dis, où ça ? qu’il gueule à s’en décrocher sa mâchoire de doberman.

    — Planquer quoi ? que je lui réponds, hein, de la thune ? Tu ne crois tout de même pas qu’avec les vingt balles que tu me files par semaine j’ai la tête à faire des économies !

    — Te fous pas de ma gueule ! tu sais de quoi je parle, ta dope, ton herbe, ton shit quoi !

    — Mon quoi ? Mais tu débloques là ! qu’est-ce qu’il t’arrive ?

    Je sentis une vague tiède envahir mes pommettes, je devais avoir les yeux d’une chouette qui venait de localiser sa proie. Je n’imaginais même pas la tronche que j’affichais à cet instant précis, mais elle ne devait pas être loin de celle de Livingstone, lorsqu’au détour d’un bosquet, par une après-midi africaine, il s’était retrouvé nez à nez face aux chutes du Zambèze. Ma stupéfaction était telle que j’en oubliai la distance de sécurité que je m’étais fixée au départ et ce ne fut pas comme un cadeau du ciel que je reçus une demi-livre de phalanges sur mon tarin, déjà pas mal sollicité ces derniers temps. Gérard avait enclenché la machine à ecchymoses et même si, par quelques esquives inopinées, je parvins à éviter certains coups vicieux, ceux qui arrivèrent finalement à destination réduisirent considérablement ma vigilance. J’espérai au fond de moi l’intervention des Casques bleus, mais ma mère restait hermétique à mes appels et au raffut que l’on devait entendre au moins du fond de la rue. Soudain, l’orage se calma. Malgré ses cent cinquante pompes par jour et son jogging dominical, mon bourreau eut du mal à reprendre son souffle. Je pensai : « Merci, Kronenbourg ! » Je sentis sa respiration saccadée près de mon oreille. Putain ! Ce n’était pas humain une haleine pareille ! Il avait dû remplacer sa pâte dentifrice par du maroilles. C’était incommodant, mais je m’abstins de lui en faire la remarque. Et comme dans une garde à vue, l’interrogatoire reprit de plus belle :

    — Robert t’a vu sur le banc l’autre soir, raide défoncé ! et Robert, c’est mon pote et en plus c’est un flic, les junkies, il les repère à dix bornes, c’est son job. Alors, tu vas cracher le morceau, fils de p…

    Il se retint, car on entendait tout de la cuisine.

    — Cracher quoi !

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