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Évolutions: Le cri de la Terre
Évolutions: Le cri de la Terre
Évolutions: Le cri de la Terre
Livre électronique548 pages8 heures

Évolutions: Le cri de la Terre

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À propos de ce livre électronique

À l'orée de l'univers se trouve la planète Carélyian, berceau de la civilisation andécave âgée de quelques milliards d'années. Pour acquérir sa forme adulte et accéder aux connaissances de son peuple, la jeune Riyel doit franchir une épreuve initiatique, qui est différente pour chaque Andécavi.

Perdue dans l'immensité de l'espace vogue la Terre, surpeuplée, rongée par ses habitants. Riyel y est envoyée par les Lueurs Ancestrales, des Andécavii très anciens, pour passer son épreuve. Elle découvre la passion et la violence qui animent l'humanité. Elle la voit s'autodétruire et entraîner tout l'écosystème à sa perte. À côté de cela, ses propres capacités se révèlent peu à peu. Elle s'emploie alors à essayer de comprendre ce qui a conduit les Hommes dans une telle impasse. Pour leur éviter le pire, elle doit agir !

Mais est-ce la seule raison de sa présence sur ce monde lointain et isolé ? Car d'autres drames se jouent à travers le cosmos. D'autres destins se tissent parmi les étoiles, inexorablement attirés par "le cri de la Terre"...

"Le cri de la Terre" est le premier tome d'"Évolutions", une trilogie au cours de laquelle plusieurs civilisations vont s'entrechoquer et s'enflammer, jusqu'à ce que les remous dépassent la Source de notre univers.
LangueFrançais
Date de sortie19 mars 2023
ISBN9782491367152
Évolutions: Le cri de la Terre
Auteur

Hélène Destrem

Hélène Destrem écrit depuis l'enfance. Grâce à sa plume, naviguant avec ses mots, elle a bravé de nombreuses tempêtes sans jamais abandonner ses rêves. Elle aime mélanger les genres et explorer de nouveaux horizons, à travers nouvelles et romans. Correctrice d'édition et écrivaine publique, elle aide les autres à exprimer leur potentiel. En juin 2019, elle a fondé le cabinet d'édition Plumes Ascendantes afin de proposer des services éditoriaux aux auteurs et de les accompagner vers l'édition de leurs livres.

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    Aperçu du livre

    Évolutions - Hélène Destrem

    De la même auteure :

    ~ Littérature blanche ~

    Éprise au piège (2013), roman.

    Comptes à rebours : Émilie (2017), roman.

    Ah ! si les murs… (2020), nouvelle.

    ~ Littératures de l’imaginaire ~

    L’ombre du cavalier (2009), nouvelle fantastique, 3e prix du concours Sur le fil….

    Seigneur du passé (2010), nouvelle fantastique.

    La Légende du futur (2012), roman de science-fiction.

    Fantasmagories (2016), nouvelle fantastique.

    Talion 2040 (2019), nouvelle de science-fiction, 4e du concours d’écriture d’EPACA Sud.

    Les Canines du caveau (2020), nouvelle fantastique.

    Égaré (2021), nouvelle de science-fiction.

    Blog de l’auteure : http://helenedestrem.com

    Note de l’auteure :

    Riyel est née en 2013. Simple prénom dans une phrase de quelques mots tapés sur une grande page blanche. Riyel…, héroïne encore floue, au destin incertain. Elle manquait de maturation. Il a fallu deux ans pour que je commence à écrire les premiers chapitres de son histoire.

    Après deux nouvelles années de recherches, de tâtonnements, de réflexions et de brouillons, c’est en 2017 que je me suis vraiment plongée dans l’écriture. Puis, encore deux ans pour arriver à L’Envol du phœnix, première version du premier tome de ce que je voyais déjà grandir comme une trilogie.

    Cette première version a été publiée en autoédition en 2019. Elle manquait pourtant de structure et de maturité. Sur les conseils d’un relecteur avisé, je l’ai entièrement réécrite. J’en ai aussi changé le titre, pour deux raisons : la première était qu’il n’était plus approprié à l’idée que j’avais de ma future trilogie (je venais d’écrire la première version du tome 2 et, le tome 3 mûrissant déjà, je savais plus clairement où j’allais) ; la seconde était qu’un roman de fantasy paru en 2020 s’était approprié le même titre.

    Ainsi, c’est en 2023 que paraît la version définitive de ce récit, dans lequel Riyel est un personnage complet et accompli, aux contours clairs et à la destinée définie, et dans lequel tout l’univers que j’ai imaginé a pu prendre forme.

    J’espère que vous éprouverez autant de plaisir à lire Le cri de la Terre que j’en ai eu à le concevoir et à le pousser aussi loin.

    Bon voyage…

    Hélène Destrem

    SOMMAIRE

    PREMIÈRE PARTIE

    DEUXIÈME PARTIE

    QUELQUES NOTIONS D’ASTRONOMIE

    LEXIQUE

    REMERCIEMENTS

    À Mike, Enola, Jordan et Julie,

    À tous les enfants du XXIe siècle :

    Qu’un avenir lumineux et plein d’espoir

    Rende vos pas plus légers et colorés

    Que ceux de vos aïeux torturés.

    PREMIÈRE PARTIE

    Civilisations croisées

    CHAPITRE I

    Dans le plus ancien amas galactique de l’Univers, quelque part sur la

    planète Carélyian.

    Un homme habillé d’une façon étrange se tourna vers elle. Il déboutonna sa veste de costume, plia légèrement les genoux, puis les bras, qu’il leva devant lui, prit une inspiration et s’élança. Riyel para sa première attaque et esquiva la seconde, ce qui fit basculer l’agresseur en avant. Elle ne le rata pas. Elle lui asséna un coup de poing au milieu du ventre, le stoppant net dans son élan, puis un coup de genou entre les jambes. L’homme s’écroula à terre en hurlant de douleur. Riyel jeta sur lui un regard désapprobateur :

    Homme de pouvoir peut-être, mais bon à rien en combat rapproché.

    Elle se tourna vers seize autres humains ligotés sur leur chaise autour d’une table ovale. Ils s’agitaient et essayaient de se libérer, profitant de ce qu’elle était occupée avec leur homologue. L’homme à terre glissa la main vers sa ceinture, où il dissimulait toujours une arme blanche. Avant qu’il ne s’élançât, Riyel sut ce qu’il voulait faire. Cependant, elle le laissa œuvrer. Elle s’offrit même le luxe de mettre en garde les fantoches muselés :

    Inutile de vous débattre, vous tous ! Vous n’y arriverez pas !

    À cet instant, elle perçut le mouvement de son assaillant. Il s’était relevé. Il bondit sur elle la lame en avant…

    Riyel se réveilla en sursaut. Autour d’elle régnait le calme de la nuit sylvestre. Elle soupira de soulagement : ce n’était qu’un mauvais rêve. Tout près d’elle, son compagnon grogna, à peine dérangé par son mouvement brusque. Elle se réfugia contre son corps chaud, puis se rendormit.

    L’aube de la première étoile, Lythéan, se levait sur le paysage vallonné. Les monts couverts de forêts s’éclairaient peu à peu d’un vert doux et lumineux, alors que l’obscurité glissait de l’autre côté du monde. Le souffle éphémère du vent matinal balayait les hautes cimes. Les feuilles les plus élevées ondulaient sous sa caresse. L’atmosphère était paisible, les animaux nocturnes regagnaient leurs foyers, tandis que les diurnes s’éveillaient peu à peu. Aucun oiseau ne chantait encore. Ils entameraient leur concert assourdissant lorsque la seconde étoile paraîtrait.

    Haakun ouvrit les yeux le premier. Il n’était pas six heures. La clarté du jour naissant embrassait le surplomb rocheux sous lequel sa compagne de voyage et lui avaient passé la nuit. C’était le moment de la journée qu’il préférait, la seule heure où il était possible de respirer un air encore frais, de profiter d’un sentiment de plénitude absolu ; l’heure idéale pour se laisser aller à toutes sortes de pensées… La roche scintillait sous les premiers rayons de Lythéan, laissant deviner la présence en son sein de multiples minéraux de grande valeur. Haakun sourit. En cet instant, il n’avait nul besoin de joyaux. Il tenait son plus grand trésor entre ses bras, blotti contre lui sous l’épaisse peau de bête qui leur servait de couverture lorsqu’ils étaient en mission. Il inspira avec délices le parfum des cheveux de sa compagne. Il était le plus heureux des hommes. Il écarta légèrement la fourrure et posa son regard sur le corps de la jeune femme endormie. Comme toutes celles du continent, elle était peu vêtue. La chaleur qui régnait sur cette contrée permettait d’aller quasiment nu toute l’année. Une brassière masquait à peine sa poitrine qui se soulevait au rythme lent de sa respiration. Quatre brides, deux sur le ventre et deux autres dans le dos, maintenaient le vêtement en place, tout en le reliant à une sorte de jupe qui s’apparentait davantage à un pagne. Sous celui-ci, une fine lingerie protégeait son intimité. Le tout était de couleur kaki ; le vert clair d’origine avait été tanné par la poussière des sentiers. Haakun caressait des yeux les courbes de ce corps abandonné, descendait le long de ces hanches, rêvait de plonger au creux de cette aine pour aller cueillir des plaisirs plus délicieux encore. De sa main libre, alors que l’autre tenait son amie contre lui, il retraça du bout des doigts le chemin parcouru par son regard un instant plus tôt. Que de douceur… Riyel tressaillit lorsque les doigts de l’homme parvinrent à son ventre. Haakun, gêné, suspendit son geste. Il jeta un coup d’œil au visage de la jeune fille. Il crut y voir un léger sourire, qui disparut pour laisser place à une mine détendue. La cascade de cheveux blonds l’auréolait d’un air juvénile et angélique. Trompeuse apparence ! Il ne savait pas quel âge pouvait avoir sa jeune compagne, mais il la connaissait pour être forte, résistante et farouche. Elle accomplissait son devoir de messagère sans faillir.

    Par crainte de la réveiller, Haakun ne poursuivit pas son exploration tactile. Il en rêvait tant, pourtant, et depuis si longtemps ! Mais il eût été déplacé, et surtout extrêmement risqué, de lui imposer un tel contact. Ils n’auraient même pas dû dormir l’un contre l’autre, d’ailleurs… mais il faisait trop froid, la nuit, dans la forêt, pour ne pas profiter de la chaleur apaisante du corps de l’autre. Ils partageaient le quotidien depuis de nombreuses semaines, maintenant. Ils avaient décidé, de manière tacite, d’enfreindre un code de la bienséance qui ne pouvait être valable qu’en société, en présence de leurs congénères ou sous l’œil des caméras de surveillance placées en tous points des cités. Les zones intercités demeuraient les seuls lieux de liberté ; un privilège rare accordé aux messagers. Encore ces derniers ne devaient-ils pas tromper la confiance du gouvernement et se devaient-ils de respecter, même et surtout en dehors de leur cadre de vie habituel, les lois imposées par leur monde.

    Se serrer sous la même couverture pour avoir chaud en pleine nature ne constituait pas vraiment un outrage. Oser un rapprochement physique plus intime, en revanche, les condamnerait à des sentences que Haakun ne voulait même pas imaginer. De toute façon, Riyel ne lui avait jamais laissé croire une telle chose possible. Tout au plus s’amusait-elle à l’aguicher de temps en temps, par une attitude volontairement impudique, des œillades complices ou provocantes, voire des mots suggestifs, mais il la connaissait trop bien pour savoir que tout cela n’était qu’un jeu pour elle.

    La température extérieure commençait à augmenter. Dans peu de temps, Kariggan pointerait le bout de ses rayons et il serait trop tard pour rester alanguis contre la pierre, qui deviendrait aussi brûlante que de la braise. Haakun retira doucement son bras de sous le buste de son amie pour ne pas la réveiller. Il attrapa une sacoche qui reposait à côté d’eux et partit en quête de baies.

    Dès qu’il se fut éloigné, Riyel ouvrit les paupières. Elle esquissa un demi-sourire. Elle n’avait rien perdu du manège de son compagnon. Elle saisit la fourrure et la rapprocha de son visage, pour humer l’odeur de l’homme qui l’avait quittée. Dans un autre monde, régi par d’autres lois, ce matin-là, elle n’aurait plus hésité. Hélas ! elle n’y était pas encore autorisée ; elle devait d’abord passer « l’Épreuve ». Haakun ne savait même pas qu’elle était soumise à cette condition. Il ne savait pas que, une fois cette étape décisive franchie, Riyel jouirait de tous les droits sur sa propre vie ; elle aurait acquis son indépendance. Encore fallait-il qu’elle y survécût… L’homme ignorait que, depuis plusieurs mois, il chevauchait à travers plaines, montagnes et forêts aux côtés d’une Andécavie.

    Riyel repoussa la couverture et se redressa. D’un geste de la main, elle dégagea une mèche de cheveux qui tombait devant son visage. Elle leva les yeux vers le ciel. Distinguant les dernières étoiles visibles dans la naissance du jour, elle se demanda sur quelle planète étrangère elle serait projetée. Elle n’ignorait rien de l’existence des autres mondes qui peuplaient la galaxie, elle connaissait presque toutes les civilisations qui s’y développaient. La technologie des Andécavii leur permettait de suivre l’évolution d’une grande majorité d’espèces intelligentes à travers l’univers, et parfois d’intervenir auprès de l’une d’elles, dans la plus grande discrétion, pour réfréner certains débordements et éviter qu’ils n’aient des répercussions sur d’autres civilisations. Les planètes sur lesquelles étaient envoyés les jeunes Andécavii pour affronter l’Épreuve, prouver leur maturité et pouvoir ainsi accéder aux savoirs supérieurs, à la maîtrise des technologies les plus avancées, et à leur transformation psychologique et physique définitive, étaient souvent choisies pour être des lieux hostiles et primitifs, rarement très dangereux cependant. Le but n’était pas de mettre leur vie en danger, mais de les pousser à aller au bout d’euxmêmes, à découvrir des aptitudes insoupçonnées et à connaître leurs limites. Si, de manière fortuite, certains échouaient, leur âme était renvoyée dans la Source¹, point originel de toute matière, dans l’attente d’une éventuelle réincarnation.

    Riyel avait appris tout cela au cours de ses premières années d’existence. À cette époque, elle vivait dans un vaisseau spatial en compagnie d’hologrammes et de plusieurs Sfairs. Ces derniers étaient constitués de chairs molles et colorées, évoluant en lévitation. Leur travail était de veiller au bon fonctionnement du vaisseau et à ce que Riyel ne manquât de rien. Ils communiquaient par variations de couleurs, mais ils n’échangeaient pas de gestes ou de coloris attentionnés envers l’enfant andécave. Ils étaient dénués de toute capacité émotionnelle. Heureusement pour Riyel, ses parents lui rendaient souvent visite, de sorte qu’elle n’était jamais vraiment seule. Une fois les connaissances quotidiennes absorbées, elle s’amusait avec les hologrammes, elle en créait d’autres, ou alors elle partait en quête d’un Sfair à taquiner. Comme ils ne réagissaient jamais à son espièglerie, elle finissait par se lasser et elle retournait étudier.

    Un soir, sa mère n’était pas venue la bercer de son aura de lumière. Riyel avait pleuré toute la nuit… Le lendemain, son vaisseau s’était écrasé sur une planète secouée de cataclysmes.

    Ses souvenirs la renvoyaient ensuite à sa famille d’adoption, des humains chargés de pourvoir à son bien-être jusqu’à ce qu’elle atteignît l’âge adulte, sans même savoir qu’elle n’était pas de leur espèce. Elle avait passé huit ans à Karvala, l’une des trente villes humaines de Carélyian, loin de son propre peuple. Elle n’avait pourtant pas été abandonnée. Trois fois par semaine, à la nuit tombée, elle avait reçu la visite d’un Andécavi. Il lui avait enseigné les connaissances nécessaires à tout jeune Andécavi de son âge, notamment les six lois andécaves. Mais il lui avait surtout défendu de dire qu’elle n’était pas humaine. Pendant huit ans, Riyel avait ainsi partagé les jeux des enfants humains, leurs disputes, elle avait assisté à leurs premiers flirts, sans jamais vraiment se mêler à eux. Elle n’avait jamais révélé la vérité sur ses origines à qui que ce fût, puisque cela n’était pas permis. Tout comme il lui était formellement interdit de s’unir charnellement à un humain.

    Durant toutes ces années, à de nombreuses reprises, elle avait demandé – et parfois supplié ! – son instructeur à pouvoir vivre dans une famille andécave, comme n’importe quel enfant de son âge…, en vain.

    Aussi, quand un garçon avait commencé à s’intéresser de trop près à elle, elle avait insisté pour rejoindre les rangs des messagers. Cette activité devait avoir le double avantage de l’éloigner de l’humain et de lui permettre de gagner Frunyal, la capitale andécave de Carélyian, où elle rencontrerait enfin d’autres Andécavii. Elle savait que ses parents étaient décédés ; pour elle, cela avait un rapport avec le crash de son vaisseau. Mais jamais son précepteur ne lui avait révélé la vérité à ce sujet. Elle avait cherché à connaître les raisons de leur disparition et celles qui la maintenaient loin des siens ; là encore, les lèvres de l’Andécavi étaient restées scellées. Lorsqu’il avait accepté qu’elle devînt messagère, peu après son dix-septième anniversaire, elle n’en était pas revenue. Dès lors, elle n’avait plus eu qu’une obsession : se rendre à Frunyal pour découvrir la vérité sur la mort de ses parents. Celle-ci était d’autant plus difficile à comprendre que les Andécavii étaient composés d’énergie pure quasiment inépuisable.

    Son Épreuve à venir lui permettrait sans aucun doute d’accéder à la connaissance de son passé et de lever le voile sur cette énigme. Encore fallait-il franchir cette étape complexe dont elle ignorait tout. Frunyal était un objectif bien plus concret, bien plus facile à atteindre.

    Depuis qu’elle avait commencé à parcourir le continent aux côtés de Haakun, Riyel avait eu envie, à plusieurs reprises, de lui révéler sa vraie nature. Les veillées nocturnes étaient l’occasion pour eux de parler de nombreux sujets, et pour Riyel d’en apprendre beaucoup sur Haakun. Ce dernier savait par exemple que leur planète n’était pas la seule à abriter de la vie dans l’univers. Il connaissait le peuple des Andécavii comme étant, en quelque sorte, celui des Maîtres de l’univers, des Connaisseurs, des Protecteurs, et que Carélyian était le berceau de leur civilisation. Il avait grandi à Xanthy, une autre ville humaine. Il lui avait fallu longtemps pour avouer à Riyel qu’il avait été trouvé au pied d’un arbre par un chasseur. Haakun n’avait aucun souvenir précédant son premier regard porté sur la forêt alentour et sa rencontre avec le chasseur. Ce dernier l’avait ramené auprès de sa femme. Ils avaient fait connaître l’existence du bébé aux dirigeants de Xanthy – et, indirectement, à l’Andécavi qui les surveillait –, afin de les informer de leur souhait d’adopter l’enfant. Ce fut un événement. Une enquête fut ouverte pour retrouver les parents du bébé, mais elle n’aboutit pas. Une période d’un an de latence fut instaurée, durant laquelle il aurait été possible aux parents de venir récupérer l’enfant. Cette année fut pénible à vivre pour le chasseur et sa femme, qui s’étaient attachés à lui. Mais personne ne vint le leur arracher. Aussi l’adoption fut-elle proclamée officiellement un an et deux mois après la découverte du bébé. Haakun ignorait donc tout de ses origines, à l’instar de Riyel.

    Ces révélations avaient ému la jeune fille au point de vouloir partager avec lui sa propre histoire, mais elle en avait été incapable. L’interdit était trop puissant. Elle avait seulement pu l’enlacer en signe de compassion.

    Haakun avait poursuivi son histoire en racontant qu’une Andécavie était parfois venue lui rendre visite, à l’insu des humains, pour lui poser des questions sur ses origines et fouiller sa mémoire. Il ne devait parler à personne de leurs rencontres. En échange de son silence, l’Andécavie lui avait révélé son prénom : « Krii », et lui avait appris l’existence de sa civilisation, qui veillait sur celle des humains à travers l’univers, notamment sur Carélyian. Malgré leurs efforts conjoints pour sonder la mémoire de Haakun, le mystère autour de sa naissance demeura entier.

    Haakun avait toujours respecté sa parole, jusqu’à ce soir-là, où il s’était épanché auprès de Riyel. Elle en avait été touchée. Tous deux avaient décidément beaucoup de choses en commun… Cette soirée les avait rapprochés.

    Les Andécavii étaient des êtres notoirement différents des êtres humains. Ces derniers appartenaient à l’espèce la plus répandue dans l’univers visible ; une espèce remarquablement adaptée aux conditions de vie offertes par les agencements possibles des atomes dans la dimension de la matière visible. Les Andécavii, en revanche, avaient la particularité de modeler leurs atomes à volonté, en fonction des circonstances et de la dimension dans laquelle ils évoluaient, ce qui leur permettait de s’acclimater aisément à n’importe quel environnement². Les Andécavii n’étaient pas destinés à élire domicile sur une planète spécifique. Ils étaient certes apparus sur une planète source, Carélyian, le berceau de l’agencement de leur chimie singulière, mais ils étaient adaptés à l’univers tout entier. Première exoplanète formée de l’univers – la plus proche, donc, de la Source –, Carélyian avait été la plus exposée aux rayonnements de matière émis par chaque dimension ; visible et invisible. Ainsi, la forme de vie dotée d’intelligence qui s’y était développée se trouvait à son aise en tous lieux et en tous temps de l’univers. Cette forme de vie – les Andécavii – avait ensuite installé quelques colonies d’humains pour étudier leur comportement et mieux les comprendre, sans jamais interférer avec eux, mais en s’assurant que chaque colonie restât isolée et ne s’étendît pas trop.

    L’apparence des Andécavii n’était pas figée, contrairement à celle des humains. Elle se modifiait en fonction de leurs intentions au fil d’un échange, qu’il fût verbal ou pensé. L’autre particularité des Andécavii était le partage extra-sensoriel. Une fois adultes, une fois la fameuse Épreuve traversée, ils communiquaient par l’esprit. Ils se déplaçaient et agissaient à travers la matière noire, que les autres formes de vie étaient incapables de saisir ni même d’appréhender. Il leur était cependant toujours possible, et à volonté, d’apparaître devant des êtres humanoïdes sous une forme adaptée, afin de communiquer avec eux sans les effrayer. Alors, le plus souvent, les contours de leur crâne se perdaient dans un halo de lumière généré par la puissance de leur pensée.

    À l’instar de tout être humain, qui aspirait, depuis sa naissance, à grandir pour devenir un adulte et en posséder la puissance physique et mentale, l’autonomie et les libertés, tout jeune Andécavi aspirait à acquérir sa forme mature pour accéder au savoir universel et à toutes les capacités extraordinaires de son espèce. Riyel ne faisait pas exception. Sa jeune enveloppe charnelle lui permettait de passer inaperçue au milieu des humains de Carélyian, et surtout aux yeux de Haakun, et de profiter quelque temps encore de la douce et sécurisante existence matérielle dont on pouvait jouir sur cette planète. Mais elle rêvait d’accéder à la dimension invisible de l’univers. Autant les êtres humains étaient les plus adaptés à vivre sur les mondes de cet univers, autant les Andécavii étaient les plus aptes à évoluer à travers les différentes dimensions de celui-ci… Riyel était partagée entre la crainte et le profond désir de grandir.

    — Oh, tu es réveillée ?

    Le retour de Haakun la tira de ses pensées. Elle baissa les yeux vers lui. Au-dessus d’un simple caleçon court, son torse musclé attirait le regard. Haakun était de grande taille, son visage était anguleux, d’une beauté presque dure, surmonté d’une chevelure d’ébène. Sa peau noire, à peine plus claire que ses cheveux, luisait parfois sous les rayons des étoiles, lorsque la moiteur du jour la couvrait d’humidité. Riyel en était toujours fascinée. Haakun imposait respect et crainte à tous ceux qu’il croisait, il était le compagnon de voyage idéal, un messager sûr et robuste. Il était surtout déjà adulte. Il tendit à Riyel le sac rempli de baies.

    — Tiens, je suis allé ramasser ça, avant que Kariggan se lève.

    La jeune fille le remercia et plongea la main au milieu des fruits juteux. Haakun s’agenouilla à ses côtés. Il entreprit de rouler la peau de bête qui les avait tenus au chaud. Il serra la fourrure avec une corde, qu’il noua plusieurs fois, et considéra son amie :

    — À quoi pensais-tu, les yeux perdus vers le ciel ?

    — À rien de spécial… mentit-elle, tiraillée entre l’envie de tout lui raconter et le devoir de se taire.

    — Ne me dis pas de bêtises, je te connais trop bien. Tu es de plus en plus accrochée à la voûte céleste, depuis quelques jours. On dirait que tu redoutes quelque chose.

    — Je ne redoute rien, répliqua-t-elle avec trop d’empressement.

    Elle baissa le visage sur les fruits, de peur de s’épancher auprès de lui si leurs regards se croisaient. Haakun ne la lâchait pas des yeux. Riyel se détourna et attrapa la gourde posée à côté d’elle sur sa droite. L’homme soupira et se redressa.

    — Riyel, il faudra bien que tu me parles, un jour ou l’autre. Je ne suis pas ton ennemi, tu le sais, depuis le temps.

    Elle reposa le petit bidon après avoir bu une gorgée. Sans le regarder, elle replia ses genoux contre sa poitrine, en signe d’évitement.

    — Quelle entêtée ! s’exclama-t-il, un sourire dans la voix pour détendre l’atmosphère. Bon, je vais conduire les chevaux à la rivière. Rejoins-moi quand tu auras fini de bouder.

    Il allait s’éloigner lorsqu’elle bondit sur ses pieds et vint l’enlacer. Elle posa la tête contre son torse ; il en profita pour humer l’odeur de ses cheveux. Elle murmura :

    — Si je pouvais, je te dirais ce que j’ai sur le cœur. Hélas ! ça m’est impossible...

    Elle soupira. Il referma ses bras autour d’elle. Riyel songea que le moment était peut-être venu de le mettre sur la voie, de lui donner un indice. Le jour de l’Épreuve approchait, elle le sentait. Elle en ignorait la date exacte, mais les siens ne la laisseraient pas longtemps en compagnie de Haakun alors qu’elle commençait à éprouver pour lui un désir charnel qui réchauffait son corps un peu plus chaque jour. S’unir à un humain n’était pas permis…

    Il la repoussa doucement, la prit par la main. Ils allèrent dénouer les rênes de leurs montures et les entraînèrent jusqu’à l’onde qui s’écoulait à quelques centaines de mètres de là. Le lever de Kariggan les cueillit ainsi, au bord du frais cours d’eau. La chaleur s’abattit sur eux. Il leur faudrait rejoindre rapidement le sentier et l’ombre protectrice des feuillages. Riyel, debout les pieds dans l’eau, sut qu’un instant aussi idéal ne se représenterait plus. Ils devaient arriver à Frunyal, la cité de leur destination, en fin de journée, après de longues heures de chevauchée ininterrompue. Ils n’auraient que peu de temps pour se reposer et se restaurer en cours de route. Haakun flattait l’encolure de son cheval. Riyel se tourna vers lui et, d’un geste décidé, retira sa brassière. Les seins libérés offrirent toute leur arrogance au regard étonné de Haakun.

    — Mais… que fais-tu ? bredouilla-t-il.

    Sans répondre, elle lui saisit les mains et les plaqua sur sa poitrine. Leurs cœurs s’emballèrent. Le bruit du torrent qui courait sur les rochers couvrait leurs chuchotements. Riyel espérait qu’aucun outil technologique andécave ne viendrait les surprendre. Elle plongea ses yeux verts dans l’océan bleu de ceux de Haakun et, se hissant sur la pointe des pieds, elle approcha la bouche de son oreille pour murmurer :

    — Je te désire, Haakun. Mon temps ici est compté. Mon Épreuve approche.


    1 La Source : Point originel d’où ont émané les premières particules responsables de la création de l’univers. La rencontre de ces particules a généré le Big Bang, à partir duquel la dimension temporelle a été créée, ainsi que les dimensions (ou matières) visibles et obscures, le tout donnant naissance à notre univers. De même, une « planète source » est une planète sur laquelle apparaît une espèce donnée pour la première fois dans l’univers.

    2 La civilisation des Andécavii est une civilisation de type IV sur l’échelle de classification des civilisations élaborée par Nikolaï Kardashev et poussée plus loin par l’auteure de ce roman, mais aussi une civilisation de niveau V sur l’échelle de John Barrow. Pour plus de détails, voir le lexique page 492.

    CHAPITRE II

    Il comprit instantanément. D’instinct, il retira ses paumes de la poitrine convoitée et eut un mouvement de recul. Riyel le considéra d’un air triste, un pâle sourire aux lèvres. Elle replaça sa brassière.

    — Tu… Tu es une Andécavie ? Comment est-ce possible ? Comment se fait-il que tu sois une simple… messagère, au lieu de vivre parmi les tiens ?

    À travers les yeux de Haakun, Riyel voyait ses pensées se bousculer à toute allure. Jamais il n’avait imaginé qu’elle pût ne pas être humaine. Ils parcouraient les contrées, portaient d’importantes missives d’une ville à l’autre, œuvraient pour le service des dirigeants des Cités depuis plus d’un an, sans qu’il ne se fût douté de rien. Des milliers de questions lui vinrent, mais Riyel lui posa son index sur les lèvres, lui intimant le silence.

    — Nous devons partir, sinon nous allons cuire ici, déclara-t-elle.

    Il acquiesça. Elle se baissa, pencha la tête vers l’eau pour inonder sa longue chevelure, et se redressa. Pendant qu’il remplissait leurs gourdes, elle se peigna approximativement avec les doigts et tressa sa cascade étincelante. L’humidité lui garantirait un peu de fraîcheur pour quelques heures. Haakun trempa un linge de couleur sombre et s’en enroula le crâne, dans le même but. Ils montèrent en selle sans rien ajouter.

    Ils chevauchèrent longtemps à l’abri de l’épaisse végétation. La chaleur, ajoutée à l’humidité des lieux, commençait à rendre l’atmosphère irrespirable. Les deux cavaliers transpiraient, mais ce n’était rien comparé à ce qu’ils éprouveraient une fois que Kariggan aurait passé son zénith. Cette étoile était la plus accablante. Lythéan, la première à se lever, réchauffait moins la planète parce qu’elle était située bien plus loin dans l’espace. Riyel avait appris, lorsqu’elle était enfant, que ces deux astres jumeaux dansaient un ballet qui aurait pu s’avérer funeste si la technologie andécave n’avait permis de maîtriser leur trajectoire. Attirées l’une par l’autre, les étoiles se seraient heurtées, provoquant un cataclysme effroyable qui aurait anéanti Carélyian. Les Andécavii étaient parvenus à maintenir le système binaire sur un plan orbital stable, grâce à un procédé complexe dont les détails échappaient à Riyel. L’essentiel à savoir était qu’une distance idéale de stabilité rotative avait été calculée et qu’en son centre de gravité avaient été placées trois sphères renfermant de la matière en fusion. Ces étoiles miniatures tournoyaient à une vitesse très élevée, générant une force gravitationnelle suffisante pour maintenir Lythéan et Kariggan en équilibre. La matière interne des sphères était puisée au cœur d’étoiles supermassives appartenant à des systèmes binaires. Les étoiles ainsi vidées de leur substance finissaient par exploser en supernova ; leur noyau devenait une étoile à neutrons, parfois un trou noir, qui poursuivait sa danse cosmique avec son étoile jumelle quelques millions d’années encore, suivant l’évolution commune des étoiles. La matière nécessaire à la fusion nucléaire à l’intérieur des sphères devait être renouvelée tous les cinq cent mille ans. La prochaine fois, la troisième, aurait lieu dans cinquante mille ans.

    D’ici là, la mission des messagers était matérielle et sa portée était immédiate sur l’échelle du temps universel. Dans quelques heures, ils parviendraient à l’orée de la forêt équatoriale et devraient galoper aussi vite que possible pour atteindre Frunyal, avant de tomber d’épuisement sous les rayons de leurs étoiles. Machinalement, Riyel passa une main sous sa brassière, entre ses seins, et en chassa le tropplein de sueur. Elle essuya son front d’un revers de main. L’humidité contenue dans ses cheveux était chaude et lui pesait, désormais. Lâchant la bride de sa monture, elle dénoua sa tresse afin que l’eau s’en évaporât. Haakun l’imita et retira son turban, dont il fixa une extrémité dans sa ceinture. Les chevaux allaient au pas, à présent, tout aussi harassés que leurs cavaliers. Ces derniers décidèrent, sans se concerter, car ils connaissaient parfaitement leurs animaux, de mettre pied à terre et de poursuivre en marchant. Ils iraient côte à côte entre les bêtes.

    — Nous ferons une halte lorsque nous aurons atteint le lac, suggéra l’homme.

    — Bonne idée, souffla Riyel.

    La forêt bruissait de la faune alentour. Aucun animal, qu’il fût volant, marchant ou rampant, ne les avait jamais attaqués au cours de leurs excursions. Haakun n’avait jamais compris pourquoi, regrettant presque les années précédant sa rencontre avec Riyel, au cours desquelles il avait pu se mesurer à des bestioles peu commodes. Depuis la révélation de Riyel sur sa nature, la réponse était évidente. Seuls les êtres humains ne percevaient pas le halo d’ondes électromagnétiques répulsives qui émanaient des cerveaux des Andécavii dans leur jeune âge. Ce halo était alors de trop faible intensité pour être ressenti par les humanoïdes. Il n’en allait plus de même une fois que les Andécavii devenaient adultes. C’était l’une des raisons pour lesquelles les humains ne vivaient pas à leur contact, et pour lesquelles aucun d’entre eux ne pouvait imaginer que de jeunes Andécavii évoluaient parfois parmi eux.

    Alors que des vertiges dus à la chaleur s’emparaient de son esprit, accentués par ses réflexions, Haakun aperçut enfin le lac. Riyel, engourdie, avait ralenti l’allure et marchait quelque peu en retrait. Haakun se retourna, lui prit la main et l’entraîna un peu plus vite. Elle se ressaisit en découvrant la surface liquide. Le couple goûta bientôt aux bienfaits de l’eau fraîche. Ils choisirent un lieu ombragé pour déjeuner. Ils tirèrent de la viande séchée des besaces attachées aux selles, puis mangèrent en silence, plongés dans leurs réflexions, ne sachant plus quelle attitude adopter l’un envers l’autre.

    Haakun était préoccupé. Il ignorait en quoi consistait cette épreuve dont Riyel avait parlé, mais il sentait confusément qu’il allait la perdre. Il savait, grâce à Krii, que les Andécavii passaient par différents stades, des sortes de rites initiatiques, avant de pouvoir acquérir des connaissances auxquelles jamais les humanoïdes n’auraient accès. L’Épreuve était la première d’entre elles. Avait-il le moindre espoir de la revoir, après cela ? Il se rendit compte qu’il n’avait jamais envisagé de ne plus parcourir les chemins à ses côtés. Pourtant, il n’en était pas à son premier compagnon de voyage. Depuis sept ans qu’il était messager, il avait formé deux autres jeunes gens. Il s’était bien douté que la présence de Riyel ne serait pas éternelle, mais il n’avait jamais voulu songer à son départ. Le fait qu’une femme ait obtenu l’agrément pour faire partie des messagers aurait tout de même dû lui mettre la puce à l’oreille. Il était vrai qu’elle n’était pas la première, mais elles demeuraient rares. Ce métier requérait une endurance extrême, une ponctualité sans faille dans la livraison des messages, quels que soient les aléas rencontrés sur le parcours. Les femmes humaines, hormis quelques rares exceptions, n’étaient physiquement pas capables de mener à bien de telles missions. Pourtant, pas une seule fois Riyel, qui n’affichait pas une masse musculaire herculéenne, n’avait eu besoin de son aide pour la protéger d’un animal hostile, pour chasser, pour trouver un point d’eau ou un lieu de repos abrité – il savait désormais pourquoi. Ainsi était-il rapidement passé du stade d’enseignant messager à celui d’ami. Mais dans ce cas, si Riyel n’était pas destinée à devenir messagère, que faisait-elle ici ? Pourquoi ne vivait-elle pas parmi les siens ? Haakun se demanda quelle pouvait être la vie d’une jeune Andécavie. Il réalisa que, malgré tout ce que Krii lui avait expliqué, il ne savait pas grand-chose de ces êtres, de leur histoire, de leur quotidien, de leurs aspirations… Il était envahi de sentiments étranges, d’incertitudes, et cela le rendait mal à l’aise.

    Riyel perçut son trouble et cessa de manger. Elle le regarda avec intensité.

    — Tout va bien, tenta-t-elle de le rassurer.

    — Si on veut… Devais-je être mis dans une telle confidence ? N’est-ce pas trop lourd à porter pour moi ? Quel est mon rôle dans tout ça ? Vous ne faites jamais rien au hasard, lâcha-t-il d’une traite.

    Riyel mesura la portée et la justesse de ses paroles. Elle réalisa qu’en effet aucun de ses gestes ne pouvait être anodin, aucun de ses mots n’était proféré sans but précis. Elle commençait à percevoir l’ampleur des capacités de son espèce. Les humains, malgré leur « infériorité », en avaient peut-être conscience sans en mesurer l’impact. Ne sachant quoi lui répondre, elle demeura factuelle :

    — Arrête de te poser des questions. On a une mission, on va la remplir. On avisera après.

    Elle ne pouvait rien proposer de plus logique, étant elle-même dans l’expectative. Cependant, elle voulait profiter encore un peu de l’endroit avant de repartir. Elle se leva, retira sa culotte et délaça sa brassière, de manière à ne garder sur son corps que la futile protection du pagne. Haakun la regarda faire, ému, mais encore tout à fait maître de lui. Elle se dirigea vers le lac, hors de la protection de l’ombre. Sous les rayons des étoiles jumelles, ses cheveux libres brillèrent d’une lueur éclatante. Haakun dut placer une main en visière devant ses yeux pour être moins ébloui. C’était la première fois qu’un tel phénomène se produisait. L’homme n’osait comprendre…, ne voulait comprendre. Riyel se tourna vers lui et lui adressa un signe de la main. Il s’exécuta et la rejoignit.

    Ils avaient de l’eau jusqu’à la taille. Elle écarta les bras. Il accepta l’invite silencieuse. Il la saisit par les hanches, elle répondit à son étreinte. Elle leva son visage vers lui, leurs regards se croisèrent. Lentement, redoutant presque cet instant, leurs lèvres s’unirent. Le désir les embrasa. Haakun glissa une main sous le pagne de Riyel, caressa ses fesses, contourna sa cuisse, avant d’effleurer son entrejambe. La jeune femme gémit de plaisir. Elle effleura le torse, descendit le long des hanches, et saisit le désir dressé hors du tissu. Ils s’embrassèrent avec avidité.

    La lumière autour d’eux devint plus intense, presque insoutenable. Elle n’était pas due aux étoiles ; ils n’eurent d’autre choix que de fermer les paupières. Dans un élan de détresse et de désir, redoutant que tout s’arrêtât pour eux l’instant suivant, Riyel sauta dans les bras de Haakun. Leurs cœurs allaient exploser sous l’impulsion de l’appétit qui les poussait l’un vers l’autre. Haakun pénétra en elle, la balayant d’une vague de plaisir.

    Soudain, un éclair d’énergie les sépara violemment. Haakun, assommé, sombra dans l’eau. Riyel, chancelante, reprit rapidement ses esprits. Elle aperçut son compagnon sur le fond. Sans hésiter, elle le saisit sous les bras pour le ramener à la surface. Au prix d’un immense effort, elle le tira sur la berge. Il ne respirait plus. Elle s’employa à le ranimer. Par bonheur, il reprit son souffle. Il cracha l’eau hors de ses poumons et resta un moment l’esprit dans le vague.

    Furieuse, Riyel regarda le ciel, pourtant clair de toute intervention indésirable. Elle cria à qui voudrait l’entendre :

    — C’est maintenant ou jamais ! N’ai-je pas bafoué les limites de la décence ? Ne mériterais-je pas de partir maintenant ?

    Contre toute attente, une réponse lui parvint. Une voix tonitruante, impressionnante, retentit dans son seul esprit :

    « Ce n’est pas à toi de choisir le moment de ton Épreuve. En revanche, tes actes décideront du monde où tu seras envoyée. Réfléchis, désormais, avant de te comporter légèrement. »

    Riyel soupira. Elle pencha son visage vers Haakun, qui la regardait, serein. Il n’était pas mort et elle était toujours là. C’était tout ce qui importait pour lui. Il se redressa sur un coude.

    — Allons-nous être condamnés ? s’enquit-il.

    — Je n’en sais rien, répondit Riyel en l’embrassant. Mais on n’est pas libres pour autant.

    — L’as-tu jamais été ?

    Elle haussa les épaules et se leva. Elle lui tendit la main pour l’aider à faire de même. Ils reprirent la route.

    Quelques heures plus tard, Lythéan disparut à l’horizon. La touffeur relâcha un peu de sa pression sur les organismes. Kariggan descendait dans le ciel, mais tant qu’elle régnerait sur le paysage la chaleur ne disparaîtrait pas. En nage, les cavaliers parvinrent à l’orée de la forêt. Ils marquèrent une halte, évaluant la distance qui les séparait des remparts de Frunyal. Ce n’était pas la première fois que Haakun avait à franchir cette bande de désert, mais il redoutait toujours de perdre sa monture, comme cela lui était déjà arrivé dans le passé.

    — Donnons-leur à boire, proposa-t-il.

    Ils décrochèrent des seaux de leurs selles. Ils y versèrent de l’eau tirée de leurs gourdes, avant de boire à leur tour. Une fois toute l’équipe réhydratée, Riyel et Haakun enfourchèrent leur monture. Ils s’adressèrent un regard d’encouragement.

    — Je leur envoie le signal ?

    Riyel acquiesça d’un signe de tête, incapable de parler. Une vive émotion l’étreignit à la vue des remparts baignés de lumière. L’objet de sa quête était à sa portée. Après avoir parcouru une bonne partie de la planète, ces derniers mois, se rapprochant toujours plus de Frunyal, elle allait enfin rencontrer d’autres Andécavii et lever le voile sur son passé. Elle en aurait pleuré de joie, mais il était encore trop tôt pour crier victoire.

    Haakun tira une conque de sa besace, la porta à sa bouche et souffla dedans aussi puissamment qu’il put. Il avertissait les sentinelles de Frunyal de leur arrivée. Les battements du cœur de Riyel accélérèrent. Dans l’attente d’une réponse, les cavaliers décalèrent leurs pieds dans les étriers, de manière à n’en poser dedans que la pointe. Au cas où leur monture viendrait à chuter – tant la course qui les attendait était périlleuse –, ils pourraient rouler plus loin sans rester bloqués. Aucun des messagers ne souhaitait se faire traîner ou écraser par son cheval pour une histoire de pieds mal placés. Quelques minutes plus tard, un mugissement sonore retentit en provenance des remparts.

    — On y va ?

    — C’est parti !

    Dans un même élan, ils bondirent sur l’espace sablonneux. Un kilomètre de dunes dressait une barrière hostile entre leur objectif et eux. Cet erg constituait une protection idéale contre les prédateurs de la forêt, mais elle était souvent mortelle pour les messagers débutants. Pour cette raison, ces derniers étaient toujours accompagnés d’un messager confirmé, qui connaissait les périls des chemins et savait comment les éviter ou les surmonter.

    Les montures galopaient aussi rapidement qu’elles le pouvaient. Poussés à leur maximum, les chevaux ne ménagèrent pas leurs efforts pour franchir les dunes bouillantes et se libérer de l’atmosphère suffocante. Leur survie dépendait de leur vélocité. La distance diminuait au même rythme que leurs forces. Penchés sur les encolures, afin d’offrir un minimum de résistance au vent, Haakun serrait les dents et Riyel stimulait son destrier par la pensée. Elle exerçait son pouvoir télépathique sur les animaux depuis son enfance, jamais sur les humains, comme le lui avait enseigné son instructeur. Cette faculté lui avait permis de détourner de nombreux animaux sauvages de sa route, durant ses missions aux côtés de Haakun.

    Les fortifications de Frunyal devenaient de plus en plus imposantes à chaque foulée. La porte d’accès demeurait invisible, habilement camouflée au creux des pierres. La monture de Haakun ralentissait l’allure de manière inquiétante.

    — Allez ! Courage ! l’exhorta-t-il.

    Hélas, l’animal épuisé trébucha et tomba vers l’avant. Haakun lâcha les rênes en même temps qu’il retirait ses pieds des étriers. Il accompagna son cheval dans sa chute et roula sans mal sur le sable. Kariggan lui sembla alors redoubler d’ardeur. En hâte, l’homme se redressa pour ne plus être en contact avec le sol brûlant. Il se précipita vers ses sacoches, en tira le sac qui contenait l’objet de la mission, saisit sa gourde et la fourrure. Il plaça le tout en bandoulière et considéra son cheval. Celui-ci le regardait d’un air triste, désolé de ne pas l’avoir porté au terme du trajet. Haakun lui adressa un sourire d’excuse et le remercia en chuchotant. Il lui flattait l’encolure lorsque l’animal lâcha son dernier souffle.

    — Haakun ! cria Riyel. Dépêche-toi !

    L’homme se ressaisit. Il était déjà en train de sombrer dans la torpeur du désert. Il regarda ses membres, durement atteints par la brûlure de l’étoile. Il leva les yeux vers Riyel, parvenue au pied de la muraille, mais pas encore abritée de la chaleur. Elle aurait pu pénétrer dans la cité, mais cela aurait condamné Haakun à une mort certaine : on ne pouvait ouvrir la porte qu’une fois par jour tant la touffeur qui se déversait alors dans la ville était insoutenable. Haakun se secoua, se redressa, et puisa dans ses dernières forces pour parcourir la centaine de mètres qui le séparaient de Riyel. Sa vision devint trouble, aussi embuée que son esprit. Il commençait à perdre conscience. Seul le halo étincelant qui émanait des cheveux de Riyel le guidait, le motivant à avancer. Étrangement, il crut voir la chevelure se dresser tout autour du crâne de la jeune femme, comme si elle eût été une étoile et non une personne. Non… comme une Andécavie… Il

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