Le Roi des Animaux : l’Homme
Par Charles Richet
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Aperçu du livre
Le Roi des Animaux - Charles Richet
Le roi des animaux : l’Homme.
Le Roi des Animaux : l’Homme
Charles Richet
EHS
Humanités et Sciences
Je sais bien que l’homme, qui s’intitule volontiers le roi de la nature, n’aime guère qu’on lui rappelle par quels liens directs il tient à cette nature qu’il régit. Il est pourtant comme tous les autres animaux soumis à ces lois mystérieuses et fatales qui règlent la propagation de l’espèce, la transmission des ressemblances, des anomalies, des principes morbides, l’extension ou le dépérissement des races. Notre orgueil est chaque jour humilié par les dépendances nombreuses dont nous sentons directement les effets. Et combien d’autres dépendances cachées pèsent sur nous, comme ces chaînes auxquelles l’esclave s’est si bien accoutumé, qu’il oublie qu’il les traîne après lui ! Sachons pourtant ne pas craindre la vérité, osons étudier l’homme en naturalistes aussi bien qu’en érudits et en philosophes ; remontons à son passé le plus lointain ; cherchons-le dans ces vieux monuments où nous le voyons lutter corps à corps avec les animaux les plus farouches ; étudions les actions par lesquelles les espèces animales se subdivisent en variétés, et recueillons ainsi précieusement toutes les analogies qui peuvent nous éclairer sur l’origine des races humaines.
(Auguste Laugel, Nouvelle théorie d’histoire naturelle - L’Origine des espèces)
Le roi des animaux, ce n’est pas le lion : c’est l’homme. Tel est, en effet, le titre que l’homme s’est donné à lui-même, et à bon droit, semble-t-il. Il a même imaginé un règne spécial qu’il a appelé le règne humain. Nous allons examiner jusqu’à quel point cette prétention à l’empire est justifiée ou chimérique, et dans quelles limites elle peut et doit s’exercer.
I.
Au milieu du XVIe siècle, un naturaliste français qui avait beaucoup voyagé, beaucoup étudié, beaucoup réfléchi, Petrus Bellonius, Pierre Belon (du Mans) de son vrai nom, eut une idée géniale . Après avoir dessiné le squelette de l’homme, il plaça en face le squelette d’un oiseau, compara le crâne de l’un au crâne de l’autre, les membres de l’un aux membres de l’autre, et démontra, par le dessin plus encore que par le texte explicatif, que c’étaient mêmes os et même conformation générale. « L’affinité est grande des uns aux autres, dit-il, et la comparaison du portraict des os humains montre combien le portraict des os de l’oyseau en est prochain. »
Ainsi, qu’il s’agisse de l’oiseau ou de l’homme, c’est un même type, une même organisation. Entre l’ossature d’un homme et l’ossature d’un oiseau il est des différences, mais il n’est pas de dissemblance essentielle. Cette conception grandiose, trop profonde pour le XVIe siècle, passa alors à peu près inaperçue, et il faut en venir jusqu’à Cuvier pour trouver plus nettement exprimée l’idée de types fondamentaux communs à toute une série d’êtres. De fait, la notion d’un type uniforme est maintenant devenue banale : il n’est pas un aspirant bachelier qui ne la possède. Toute une science s’est fondée sur la comparaison des divers types de la série animale. Il existe aujourd’hui une science qui s’appelle la morphologie générale, et qui enseigne que, dans toute la série des êtres, on passe par les variations d’un seul et même type d’être. Le squelette de l’homme et le squelette d’un mammifère quelconque sont parfois tellement analogues qu’il faut, pour les distinguer, être déjà quelque peu versé dans l’anatomie. On passera facilement des mammifères aux oiseaux, des oiseaux aux reptiles et aux poissons. Le même type se retrouve toujours : des vertèbres, surmontées d’un crâne plus ou moins large ; deux membres attachés au thorax ; deux membres attachés au bassin. Voilà ce qu’on trouve chez tous les vertébrés, qu’il s’agisse de l’homme, du singe, de l’aigle, ou de la grenouille.
Par son squelette, l’homme est animal au même titre que le singe, l’aigle et la grenouille.
En est-il autrement des autres organes ? Qui oserait le prétendre ? Le tube digestif ne varie que par des détails anatomiques de peu d’importance. Un estomac d’homme et un estomac de chien se ressemblent à ce point qu’on peut s’y méprendre. Quant au cœur, il est, chez l’un et l’autre, formé de quatre cavités qui ont exactement les mêmes rapports et les mêmes fonctions. On pourrait même, quelque étrange que paraisse cette supposition, concevoir un homme qui vivrait avec un cœur de chien ou un cœur de cheval ; la circulation du sang se ferait chez cet homme-là aussi bien que chez tout autre. On pourrait encore lui supposer un poumon d’âne ou un poumon de veau : il respirerait aussi bien qu’avec son poumon d’homme.
Les tissus homologues sont chez tous les êtres vivants de même nature, ou peu s’en faut ; et leur conformité est étonnante. Muscle de cheval, de bœuf, de chien ou d’homme, c’est toujours le même tissu. Os, glandes, foie, nerfs, tous ces tissus se ressemblent dans la série animale. Entre le sang de l’homme et le sang d’un autre vertébré il n’est que des différences insignifiantes. Ce sont toujours de petits globules rouges nageant dans un sérum peu coloré. La forme est la même ; et la composition chimique est la même aussi, comme toutes les analyses le prouvent. Ce qui démontre l’extrême ressemblance des deux liquides, c’est qu’on peut remplacer notre sang humain par du sang de mouton ou du sang de veau. Qu’un homme, épuisé par des hémorragies répétées, soit sur le point de succomber, la vie reparaîtra comme