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Scènes historiques.... Série 6
Scènes historiques.... Série 6
Scènes historiques.... Série 6
Livre électronique368 pages5 heures

Scènes historiques.... Série 6

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À propos de ce livre électronique

DigiCat vous présente cette édition spéciale de «Scènes historiques.... Série 6», de Henriette de Witt. Pour notre maison d'édition, chaque trace écrite appartient au patrimoine de l'humanité. Tous les livres DigiCat ont été soigneusement reproduits, puis réédités dans un nouveau format moderne. Les ouvrages vous sont proposés sous forme imprimée et sous forme électronique. DigiCat espère que vous accorderez à cette oeuvre la reconnaissance et l'enthousiasme qu'elle mérite en tant que classique de la littérature mondiale.
LangueFrançais
ÉditeurDigiCat
Date de sortie6 déc. 2022
ISBN8596547440987
Scènes historiques.... Série 6

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    Scènes historiques.... Série 6 - Henriette de Witt

    Henriette de Witt

    Scènes historiques.... Série 6

    EAN 8596547440987

    DigiCat, 2022

    Contact: DigiCat@okpublishing.info

    Table des matières

    UN PATRIOTE

    LES HÉROÏNES DE HARLEM

    CHAPITRE PREMIER

    CHAPITRE II

    CHAPITRE III

    CHAPITRE IV

    CHAPITRE V

    CHAPITRE VI

    CHAPITRE VII

    CHAPITRE VIII

    CHAPITRE IX

    CHAPITRE X

    CHAPITRE XI

    UNE HEUREUSE FEMME

    CHAPITRE PREMIER

    CHAPITRE II

    CHAPITRE III

    CHAPITRE IV

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    Dame Catherine de Traynel était assise dans la salle basse.

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    UN PATRIOTE

    Table des matières

    AU QUATORZIÈME SIÈCLE

    La bonne dame Catherine de Traynel était assise dans sa salle basse, ses six filles étaient autour d’elle: Marie, nommée en l’honneur de la sainte Vierge, Odette, Jeanne, Pernette. Brigitte et la petite Adélize, que son père, messire Juvénal des Ursins, garde de la prévôté des marchands pour le roi Charles VI, avait donnée à Dieu dès sa naissance et destinée à le servir dans un saint cloître en souvenir et reconnaissance de la guérison que Dieu avait accordée à sa dame de mère, qui avait failli mourir en la mettant au monde. La mère examinait l’un après l’autre les linges de la maison qui revenaient de la lessive, ses filles brodaient avec du fil d’or et d’argent, avec des soies aux riches couleurs, un ornement d’église pour le curé de la paroisse Saint-Merri, dont elles fréquentaient assidûment les offices.

    Les jeunes filles et la mère avaient pieusement répété les Psaumes du jour, et elles reprenaient leur ouvrage interrompu avec d’autant plus d’ardeur que les deux aînées, Marie et Odette, rivalisaient d’activité pour voir laquelle des deux terminerait le plus vite la broderie d’or d’une rose avec ses boutons qui descendait le long de la chasuble. La dame regardait du coin de l’œil voler les aiguilles; les deux sœurs étaient adroites et habiles de leurs mains, mais la mère savait d’avance que la cadette serait victorieuse, car elle travaillait sans relâche et sans se soucier des embarras d’Adélize, qui, étant admise pour la première fois à l’honneur de mettre la main à l’ouvrage de ses sœurs, hésitait souvent avant d’enfiler son aiguille, ne sachant quelle soie elle devait employer. C’était Marie qu’elle consultait toujours, c’était Marie qui s’arrêtait dans son travail pour indiquer à sa petite sœur ce qu’il fallait faire, et toute l’activité de ses doigts agiles ne pouvait lui faire regagner le temps perdu qu’Odette avait bien su mettre à profit. D’ailleurs, lorsque la dame de Traynel eut achevé de réciter les saints Psaumes, Marie était demeurée un moment la tête baissée et les mains jointes, comme si elle eût médité pieusement la parole divine qu’elle venait d’entendre, tandis qu’Odette n’avait pas achevé de prononcer le dernier verset des Écritures saintes, qu’elle renfilait déjà son aiguille en marmottant: «Je ne sais pourquoi madame ma mère ne permet pas qu’on travaille tout en disant l’office, ce serait autant de temps gagné !» La dame jugeait que ce temps gagné pour la terre serait perdu pour le paradis, mais Odette se trouvait bien jeune pour avoir déjà cure du paradis.

    Sceau de Juvénal des Ursins.

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    Pernette ne travaillait pas avec autant de zèle que ses sœurs aînées, et elle avait coutume de regarder souvent autour d’elle. Elle relevait la tête pour la dixième fois peut-être; elle aperçut deux larmes qui coulaient silencieusement sur les joues de sa mère, pendant que celle-ci regardait au jour un tablier qu’elle raccommodait et dont elle cherchait tous les endroits usés pour les réparer ensuite de son aiguille.

    La petite fille était impétueuse, et elle avait le cœur affectueux et bon; elle s’écria: «Vous pleurez, madame ma mère, avez-vous pensé au chagrin que nous puissions avoir?» Et tout en parlant, elle repoussa brusquement le métier sur lequel elle brodait en compagnie de sa sœur Jeanne, et, jetant à terre son escabeau de bois, elle courut à sa mère, qu’elle serra de toutes ses forces entre ses bras, l’embrassant avec tant de bonne volonté que les coiffes de la dame en furent toutes dérangées. Force lui fut de se lever pour aller regarder à l’ordre de ses atours dans un petit miroir d’argent bruni accroché au-dessus de la grande cheminée et dont messire Juvénal faisait grand état, car il lui venait.. d’Italie par ses ancêtres, les Orsini, famille riche et puissante dans les États du Saint-Père, au temps où l’Église n’était pas déchirée et divisée par le schisme qui mettait deux papes sur le trône pontifical, l’un à Avignon, et l’autre à Rome, pour se partager l’allégeance de la chrétienté.

    Les larmes qu’avaient essayées les lèvres de la petite Pernette avaient involontairement été suivies par d’autres, et lorsque la dame revint à sa place et reprit en main son tablier, elle fut obligée de s’essuyer les yeux avec le coin; les six filles avaient maintenant toutes levé la tête, et elles répétaient la question de Pernette: «Avez-vous peut-être un chagrin que nous puissions savoir, ma mère?»

    La dame poussa un profond soupir en disant: «Il y a assez de cause de gémir et de pleurer pour les bons et loyaux serviteurs du roi qui le voient plongé dans une maladie qui paraît sans remède, quoique messire Guillaume de Harsely donne à espérer qu’il pourra se remettre quelque peu, étant jeune d’âge s’il n’est de robuste santé et complexion.»

    Seule Marie avait repris son ouvrage, comme si elle eût compris que sa mère n’en voulait pas dire davantage et qu’elle usait de défaite pour détourner les questions; mais toutes les autres têtes restèrent levées, et Pernettte cria: «Il y a déjà deux mois que notre seigneurie roi est malade, depuis le jour qu’il partit du Mans et fut pris de sa frénésie en chevauchant par le soleil de midi, et vous n’avez pas pleuré tous les jours depuis lors; vous avez autre peine en tête. Serait-ce pas que vous êtes inquiète pour ce grand-oncle de mon père que messeigneurs les oncles du roi n’ont pas en faveur et bonne grâce?»

    La mère fit un signe de tête, et ses larmes coulèrent plus fort, quoique toujours silencieusement. Jamais femme sur terre m’avait fait moins de bruit que cette mère de onze enfants.

    Marie était inquiète pour son bon oncle qui l’avait tant de fois dodelinée sur ses genoux quand elle était toute petite, et elle attendait avec anxiété que sa mère dît quelque chose de plus. Enfin la dame reprit: «Votre père m’a dit, quand il est revenu céans pour le dîner, que monseigneur le duc de Bourgogne avait rudement reçu et maltraité monseigneur le connétable, et voici que je vois venir le jour où autant en sera fait à mon bon oncle, à qui messeigneurs portent rancune et envie depuis longtemps, pour le soin qu’il avait des denrées et finances de monseigneur le roi.»

    Messire. Juvénal avait communiqué à sa femme ses inquiétudes et ses prévoyances aussitôt après que la maladie du roi Charles VI avait fait tomber le pouvoir aux mains de ses oncles, les ducs de Bourgogne et de Berry. Il semblait qu’il eût assisté aux conversations intimes des royaux frères, en compagnie de madame la duchesse de Bourgogne. Le pauvre roi avait à peine été laissé à Creil entre les mains du médecin Guillaume de Harsely, que le duc de Berry, qui était l’aîné des deux ducs, s’il n’était pas le plus sage et le plus puissant, avait dit très haut: «Clisson, la Rivière, le Mercier et le Bègue de Vilaine, quand ils furent avec le roi en Languedoc, molestèrent et punirent de mort cruellement mon trésorier et bon serviteur Bétizac, par envie et mauvaiseté, et oncques, pour chose que je pusse faire ou dire, ne pus-je le retirer de leurs mains. Or, qu’ils se gardent de moi maintenant, car le temps viendra que je les payerai de la même monnaie; on la forge quand on peut.» Le duc de Bourgogne ne parlait pas si fort, étant froid, prévoyant et menant de loin ses affaires; mais il en pensait faire autant, car il avait dès longtemps en mauvaise grâce les hommes qui avaient gouverné les affaires du jeune roi Charles VI, depuis qu’il en était devenu maître par lui-même, et qui avaient été auparavant les conseillers du bon roi Charles le Sage.

    La duchesse de Bourgogne avait une haine particulière pour le connétable Olivier de Clisson à cause de ses discordes avec le duc de Bretagne, dont elle était parente et amie. Elle était maintenant dans l’hôtel Saint-Pol, qu’habitait la reine, et personne n’approchait cette princesse sans sa permission. Elle parlait souvent à son mari avec une grande hauteur et colère, lui montrant que c’était grande faute de faire cas et façon de ce petit cadet de Bretagne en comparaison d’un grand prince comme monseigneur le duc. «Il fait bel et beau dissimuler en tout temps, ma mie, disait le duc Philippe, en branlant doucement la tête. Vérité est que le duc de Bretagne, notre cousin, est un grand seigneur et que sa puissance pourrait tout contre Clisson, si nous retirions une fois notre main; mais on s’émerveillerait fort au royaume de France si on me voyait déjà tourné contre Clisson, et on aurait grand’aise, car Clisson soutient avec raison que c’est par les affaires et pour les intérêts du roi que sont nées les querelles entre notre cousin de Bretagne et lui. Donnez-moi le temps d’agir, car, je vous le dis, la verge est toute cueillie dont ils seront bientôt battus et corrigés. Donc, sachez-le bien, il n’est personne qui ne paye, pas de fortune qui ne tourne, pas de cœur courroucé qui ne vienne à se réjouir, ni de réjoui qui ne vienne à s’attrister. Le temps amène tout à qui sait souffrir qu’il s’écoule.»

    Philippe le Hardi, duc de Bourgogne.

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    Le temps était venu pour le connétable; le jour même où messire Juvénal l’avait raconté à sa femme, il était bien informé de ce qui l’intéressait si fort, car les affaires de monseigneur Olivier de Clisson tenaient de près à celles du seigneur Noujant de la Rivière et des autres conseillers du jeune roi, pour lors malade sur les bords de la douce rivière d’Oise. Les ducs de Bourgogne et de Berry avaient tenu ensemble un parlement secret, et ils s’étaient dit: «Il faut commencer à détruire ceux qui se sont joués de notre neveu monseigneur le roi, pour nous faire déplaisir en toute occasion. Nous commencerons par le connétable, car c’est celui qui est le plus grand et qui a le plus de pouvoir. Quand il fut blessé par Pierre de Craon, il fit testament de dix-sept cent mille francs, et point ne s’est diminué. depuis lors son avoir. Où diable a-t-il tant amassé ? Si une fois nous le tenons, nous le diminuerons bien à notre gré, par la voie du Parlement, dont nous sommes les maîtres à cette heure. — Je lui montrerai bien, à la manière dont je l’accueillerai la première fois qu’il viendra me parler, que je ne lui passe point, dit le duc de Bourgogne, et faites-lui autant s’il vient chez vous le premier, beau frère de Berry.»

    Ainsi avaient été les choses convenues lorsque le connétable se présenta à l’hôtel d’Artois, pour parler au duc de Bourgogne de l’argent qu’il fallait délivrer aux chevaliers qui avaient accompagné le roi dans le malheureux voyage du Mans, allant en Bretagne.

    Le connétable chevauchait avec bon nombre de gens, comme il avait accoutumé de faire; mais, en descendant au bas des degrés dans l’hôtel d’Artois, il laissa sa troupe dans la cour, où ses gens mirent pied à terre, commençant à rire et à deviser entre eux, dè ; que le connétable fut entré dans l’hôtel avec son seul écuyer; car monseigneur Olivier de Clisson ne plaisantait pas avec ceux qui le servaient et tenait ses hommes en grande obéissance. Il demanda au chevalier qui se trouvait dans l’antichambre du duc de Bourgogne s’il pouvait parler à celui-ci, et comme il attendait qu’on allât faire sa requête, un chevalier qu’il connaissait peu passa à côté de lui, qui dit très vite et comme s’il se parlait à lui-même: «Clisson, gare à toi!» Le connétable l’entendit bien, car il était déjà en grand doute de la manière dont il serait accueilli; mais il ne fit pas mine d’ouïr, de peur de perdre celui qui lui avait donné avis, et il entra tantôt dans la chambre du duc de l’air qu’il pouvait avoir dans les plus grandes batailles et périls qu’il avait rencontrés en sa vie.

    Charles VI.

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    Lorsque le duc le vit entrer, il changea subitement de couleur; il devint blanc, comme il faisait d’ordinaire dans ses plus grandes colères, ce que ses gens ne manquèrent pas de remarquer, et il sembla hésiter un moment, craignant de s’emporter par la haine qu’il éprouvait pour lui. Le connétable ôta son chapeau avec respect, demandant ce qu’il fallait faire pour les chevaliers qui lui venaient réclamer leur argent: «Car je suis tous les jours poursuivi pour mon office, et pour le présent vous avez le gouvernement avec monseigneur de Berry.» Le duc de Bourgogne fit deux pas, comme s’il allait se jeter sur lui, et ses yeux bleus, si froids d’ordinaire, lançaient des éclairs. «Ne vous mettez point en peine du gouvernement, Clisson, car il sera conduit sans votre office; où pouvez-vous avoir rassemblé tant de monnaie que vous ayez fait naguère un testament de dix-sept cent mille francs? A nous deux, mon beau-frère de Berry et moi, avec toute notre puissance nous n’en pourrions mettre autant ensemble, ni monseigneur non plus. Retirez-vous tout à l’heure de devant moi et que je ne vous voie plus, car, si ce n’était pour mon honneur, je vous ferais crever l’autre œil!»

    Hôtel Saint-Pol.

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    Le duc de Bourgogne fit deux pas, comme s’il allait se jeter sur lui.

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    Le connétable recula lentement jusqu’à la porte; son courage semblait l’avoir abandonné, il se sentait d’avance glacé comme un homme qui va être jeté en prison. Il monta à cheval, la tête basse et sans regarder ceux qui l’entouraient et dont nul ne lui faisait cortège; il croyait toujours entendre retentir à ses oreilles la voix basse et profonde du chevalier qui lui avait dit, quelques instants auparavant: «Gare à toi, Clisson!»

    Ruines du château de Montlhéry.

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    Rentré dans son hôtel, il pensa que le duc de Bourgogne pourrait bien l’y faire arrêter dans cette même nuit; aussi prit-il avec lui deux valets seulement et sortit par derrière, ayant donné tous ses ordres à ses gens, pour gagner le pont de Charenton sur la Seine et s’en aller de là jusqu’à son château fort de Montlhéry, où il pouvait sûrement attendre les nouvelles qui lui viendraient de Paris.

    Quand le matin vint, messire Juvénal des Ursins, qui avait été informé la veille des dures paroles que monseigneur le duc de Bourgogne avait tenues au connétable, ne fut pas bien surpris d’apprendre qu’il avait quitté Paris, ainsi que le sire de Montagu, qui tirait vers Avignon, où il avait déjà envoyé grande partie de ses biens sous la garde du Saint-Père. Le duc de Bourgogne en fut informé également, car il avait en effet envoyé chez le connétable pour l’arrêter, après avoir tenu conseil avec le duc de Berry. Celui-ci avait dit: «Clisson, le Mercier, la Rivière et Montagu, ont dérobé et pillé tout le royaume de France; le temps est venu où ils rendront tout et y laisseront leurs vies si l’on veut me croire.»

    Messire Juvénal revint chez lui tout triste, sachant que messire Jean le Mercier était prisonnier au Louvre, n’ayant pu sortir de sa maison, qui était gardée par devant et par derrière. Le duc de Bourgogne avait envoyé le chevalier Barrois des Barres avec trois cents hommes d’armes pour attaquer le château de Montlhéry et mettre la main sur le connétable; mais on ne sut comment il en avait été averti, ayant entendu qu’on le chercherait hors Paris; lorsque les gendarmes arrivèrent, ils trouvèrent le château vide et Olivier de Clisson parti pour la Bretagne, où il s’établit dans son beau château de Josselin, l’un de ceux que le duc de Bretagne lui avait enlevés naguère pour sa rançon lorsqu’il le tenait en prison au château de l’Hermine, et qui lui avait été rendu par ordre du roi.

    La dame de Traynel et ses filles avaient commencé une neuvaine de prières pour le salut de leur oncle le seigneur de Noujant de la Rivière, mais elles ne laissaient pas d’être fort inquiètes depuis que le connétable avait été poursuivi jusqu’à son château de Montlhéry. Le sire de la Rivière était à son château d’Anveau, près de Chartres, une très belle forteresse, qui lui venait de madame sa femme, qui l’avait reçue en héritage. Il avait dépensé de grosses sommes du sien pour embellir le château et amender la terre, en sorte que c’était maintenant le plus beau bien du monde, à ce que racontait à ses enfants messire Juvénal, qui y avait plusieurs fois visité le sire de la Rivière. Aucune des filles de la dame de Traynel n’avait jamais voyagé plus loin que le pont de Saint-Cloud.

    Bien des amis avaient été envoyés au sire de la Rivière dans son château d’Anveau, où il se tenait avec sa femme et ses enfants. Messire Juvénal lui-même avait pris peine de lui adresser un sien clerc, intelligent et rusé, qui pouvait bien lui donner à connaître que, le château de Montlhéry ayant été pris et pillé, il serait plus facile encore de mettre la main sur le château d’Anveau avec lui dedans. Mais le sire de la Rivière répondait toujours: «Ici et autre part je suis en la volonté de Dieu, et je ne me sens pas en mal. Dieu m’a donné ce que j’ai, il peut me l’ôter s’il lui plaît, que sa sainte volonté soit faite! J’ai servi le roi Charles de bonne mémoire et le roi Charles son fils à présent, bien et loyalement. Ils ont bien reconnu mes services et les ont grandement récompensés. J’ose sans crainte attendre le jugement des chambres du Parlement à Paris sur ce que j’ai fait pour leur service et à leur convenance, et, si l’on trouve quelque chose à redire dans mes actions, que j’en sois puni et corrigé !» Il s’était donc toujours refusé à quitter sa maison et à chercher refuge ailleurs, bien qu’on lui eût souvent répété : «Messire, sauvez votre corps, car vos ennemis ont à présent la force contre vous.»

    Le château de Josselin.

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    En ce temps-là revenait du château de Montlhéry messire Barrois des Barres, qui y avait été envoyé par monseigneur le duc de Bourgogne à cette fin de s’en emparer au nom du roi sur monsieur le connétable; il fut requis de se présenter chez le sire de la Rivière au château d’Anveau: ce qui lui était très déplaisant, car messire de la Rivière et aussi messire Juvénal des Ursins son neveu avaient rendu grand service à messire Barrois dans un procès qu’il avait devant la cour du Parlement pour des biens de madame sa mère que réclamaient des collatéraux. Lorsque le seigneur de la Rivière apprit qu’il approchait du château et pour quelle cause, comme on lui demandait s’il fallait ouvrir la porte: «Quoi donc? dit-il, comme devait le dire plus tard le chancelier de l’Hôpital en la même occurrence, ils sont les très bienvenus.» Et il alla lui-même au-devant d’eux, leur faisant grande fête comme s’ils fussent venus le voir à soin invitation et à sa prière.

    Comme ils entraient dans la grande salle du château, le Barrois, devenu tout rouge, comme honteux de ce qu’il avait à faire, mit la main sur l’épaule de son hôte, en disant entre ses dents: «Sire de la Rivière, je vous arrête au nom du roi.» Et il ajouta tout aussitôt, comme homme qui ne saurait se contenir: «Et je vous demande mille fois pardon d’être obligé d’agir ainsi!»

    Ce dont le sire de la Rivière le tint volontiers pour excusé, mais non la bonne dame sa femme, qui eût bien voulu ne point donner à souper aux commissaires; mais son mari l’ordonna si expressément, qu’elle n’eut pas même la ressource de leur refuser les perdrix et le beau chapon qui rôtissaient pour lors devant le feu de la cuisine et dont le sire de la Rivière s’enquit très discrètement, prévoyant bien que le repas des commissaires pourrait être maigre, si dame Annis était laissée à sa propre volonté et colère contre eux qui n’en pouvaient mais.

    Pour ce soir-là et jusqu’à nouvel ordre le seigneur de la Rivière fut donc laissé et gardé comme prisonnier dans son château d’Anveau: ce qui lui était une grande douceur, que reporta à son maître le clerc de messire Juvénal lorsqu’il revint à Paris, après être demeuré jusqu’à la fin des affaires dont il tenait à être complètement informé, pensant bien que messire Juvénal serait curieux de tout savoir.

    . «Jamais homme ne fit si bien contre fortune bon cœur, dit le clerc, qui était d’ordinaire plus disposé à critiquer son prochain qu’à le louer ou l’admirer, et l’on ne saurait douter que cette patience et courage lui viennent de Dieu seul, car tous ceux qui l’entourent pleurent et se lamentent si continuellement, qu’ils ne sauraient lui donner force et bon cœur et résignation, à commencer par la bonne dame sa femme, qui gémit sur la perte de son château d’Anveau comme si elle s’en voyait déjà hors!

    — Hélas! mon pauvre Gilles, et le garde prévôt des marchands s’essuyait les yeux de la manche de son pourpoint, je crains qu’elle n’ait grand’raison de faire son deuil de ce beau lieu, qui ne saurait que donner envie à bien des gens et peut-être à messeigneurs eux-mêmes. Je voudrais être auprès de mon bon oncle et pouvoir le réconforter en sa peine.»

    Gilles sortait de la chambre où travaillait messire Juvénal comme celui-ci prononçait ces paroles. Il ne put s’empêcher en les entendant de faire si vilaine grimace que plus laide ne se pouvait: «Madame Catherine ne vous laissera pas aller! murmura-t-il, et pour bien qu’elle aime son oncle, elle se rappellera encore mieux de ses onze enfants qui n’ont pas métier de mettre en mauvaise humeur et colère les gens à cette heure puissants dans l’État!»

    Gilles ne s’était pas trompé, et les désirs charitables de maître Juvénal s’en allèrent en fumée. Bien lui en prit d’ailleurs, car, ainsi qu’il l’avait prévu, messire de Noujant de la Rivière ne resta pas longtemps sur sa parole au château d’Anveau; mais il fut amené au Louvre avant que huit jours se fussent passés, et pour cette fois non seulement messire Juvénal, mais la dame de Traynel elle-même, l’allèrent visiter en sa prison et lui porter toutes les consolations qu’ils purent imaginer dont le prisonnier avait bien besoin, étant rudement traité et dépouillé de tout ce qu’il avait et possédait en propre des grands biens qu’il avait amassés au service du roi et de messire Charles le Sage son père, comme des beaux présents qui lui avaient été faits par les princes étrangers avec lesquels il avait maintes fois traité les affaires du roi de France.

    La dame de la Rivière était demeurée au château d’Anveau, toute triste et déconfortée de voir ainsi changer la fortune qu’elle avait toujours vue belle et propice au sire son mari. Elle eut cependant cette consolation que rien de ce qui avait été à elle en propre ou en héritage ne lui fut confisqué, et bien soin avait eu le sire de la Rivière de faire passer en mains sûres et remettre dans une bonne cachette, chez messire Juvénal des Ursins, le principal des pierreries et joyaux qu’il avait pu dérober et faire sortir de sa maison avant que les commissaires du roi y eussent placé des gardes.

    Nul ne connaissait cette cachette, hormis maître Juvénal et sa femme, qui n’était pas trop rassurée de sentir tant de richesses en la maison dans un temps où il arrivait souvent que les portes et les armoires fussent forcées et les trésors pillés sans que personne osât en demander raison, tant la chose venait souvent de personnages placés en haut lieu.

    La dame de la Rivière avait toujours trouvé moyen de faire savoir secrètement à son mari tout ce qui se passait dans leur maison d’Anveau, et ces nouvelles étaient une grande consolation et un amusement constant pour le sire de la Rivière, enfermé au Louvre dans une assez étroite prison, où il ne voyait guère de gens et n’entendait pas grand’chose de ce qui se passait au dehors, en sorte qu’il n’avait à faire qu’à dire ses heures pendant une grande partie de la journée. Il ne passait pas son loisir à pleurer, comme le faisait messire le Mercier, qui tant versa de larmes qu’il en devint bientôt quasiment aveugle. Au contraire, lorsque messire Juvénal pouvait avoir accès auprès de son oncle, ce qu’il faisait le plus souvent qu’il pouvait, il le trouvait toujours gai et le visage serein, disant qu’il ne s’ennuyait point en sa prison, où il avait le temps de prier Dieu comme il n’avait jamais pu le faire en la grande presse des affaires où il avait été sa vie durant. «D’ailleurs, mon beau neveu, ajouta-t-il en baissant la voix avec l’expression d’une vénération profonde, tout pauvre pécheur

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