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Scènes historiques.... Série 3
Scènes historiques.... Série 3
Scènes historiques.... Série 3
Livre électronique349 pages4 heures

Scènes historiques.... Série 3

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À propos de ce livre électronique

DigiCat vous présente cette édition spéciale de «Scènes historiques.... Série 3», de Henriette de Witt. Pour notre maison d'édition, chaque trace écrite appartient au patrimoine de l'humanité. Tous les livres DigiCat ont été soigneusement reproduits, puis réédités dans un nouveau format moderne. Les ouvrages vous sont proposés sous forme imprimée et sous forme électronique. DigiCat espère que vous accorderez à cette oeuvre la reconnaissance et l'enthousiasme qu'elle mérite en tant que classique de la littérature mondiale.
LangueFrançais
ÉditeurDigiCat
Date de sortie6 déc. 2022
ISBN8596547440529
Scènes historiques.... Série 3

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    Scènes historiques.... Série 3 - Henriette de Witt

    Henriette de Witt

    Scènes historiques.... Série 3

    EAN 8596547440529

    DigiCat, 2022

    Contact: DigiCat@okpublishing.info

    Table des matières

    LUTIN ET DÉMON

    CHAPITRE PREMIER

    CHAPITRE II

    CHAPITRE III

    CHAPITRE IV

    CHAPITRE V

    CHAPITRE VI

    CHAPITRE VII

    CHAPITRE VIII

    CHAPITRE IX

    A LA RESCOUSSE

    CHAPITRE PREMIER

    CHAPITRE II

    CHAPITRE III

    CHAPITRE IV

    CHAPITRE V

    CHAPITRE VI

    CHAPITRE VII

    CHAPITRE VIII

    CHAPITRE IX

    CHAPITRE X

    DE GLAÇONS EN GLAÇONS

    CHAPITRE PREMIER

    CHAPITRE II

    CHAPITRE III

    CHAPITRE IV

    CHAPITRE V

    CHAPITRE VI

    CHAPITRE VII

    CHAPITRE VIII

    CHAPITRE IX

    LUTIN ET DÉMON

    Table des matières

    CHAPITRE PREMIER

    Table des matières

    Il était tantôt minuit; le comte de Foix, Gaston Phébus, descendait lentement de sa chambre, où il avait coutume de se reposer quelques heures avant le souper. L’air était vif, car on était près des montagnes au milieu desquelles Orthez est bâtie, et les jours courts de l’hiver étaient venus. Devant le comte marchaient douze valets tenant en leurs mains des torches allumées. La grande lumière qu’elles jetaient éclairait les visages des chevaliers et écuyers qui se tenaient dans les galeries et dans les salles, attendant le souper de Monseigneur. Dans la grande salle, plusieurs tables étaient dressées; celle du comte était tout au bout, et bien abritée contre le vent par un dais; tous les chevaliers et écuyers pouvaient s’asseoir aux autres tables et bien y trouvaient-ils toujours de quoi manger.

    Le comte ne se pressait pas, car l’heure de son souper n’était pas encore sonnée, et il aimait, en toutes choses, par-dessus tout, l’ordre et la bonne règle. Tout en marchant, il s’approcha d’une grande cheminée qui se trouvait en la galerie et où il y avait un petit feu, non un grand; car le comte d’ordinaire n’aimait pas les grands feux, ayant coutume de se réchauffer à la chasse et par exercices de corps, non par les feux brûlant dans les cheminées. En ce jour-là, il avait peu chassé et l’air venant de la montagne était froid.

    «Voici, dit le comte, bien petit feu selon le froid.»

    Derrière lui marchaient plusieurs chevaliers et écuyers, et, entre autres, Ernauton d’Espagne, qui était plus grand, plus fort et mieux taillé de tous ses membres que ne fut jamais le comte lui-même en sa fleur de jeunesse, ce qui n’était pas peu de chose à dire. Or, à cette heure, le chevalier entendit la parole du-comte et, tout en passant par la galerie, regardant aux fenêtres qui donnaient sur la cour, il avait aperçu quantité d’ânes chargés de bûches qui venaient du pays de Béarn et apportaient le bois pour le service de l’hôtel. Ernauton descendit donc légèrement les degrés, et s’en vint dans la cour. Les valets des ânes étaient là qui faisaient grand bruit pour ranger et décharger leurs bêtes.

    Le chevalier s’en vint tout droit au plus grand et plus fort de tous les ânes, auquel on n’avait point encore enlevé une seule bûche de son fardeau, et, le chargeant sans autre préparatif sur son cou, il remonta les vingt-quatre degrés qui menaient de la cour dans la galerie; il fendit la presse de tous les chevaliers et écuyers qui s’étaient arrêtés devant la cheminée autour du comte, et là il déchargea les bûches, et l’âne par-dessus, sur les chenets, lesquelles bûches roulèrent dans la galerie, tandis que l’âne se mettait à braire, car il avait bien senti la chaleur du feu. Le comte riait et s’émerveillait de la force de son chevalier; il appuyait sa main sur l’épaule d’Ernauton.

    «Plût à Dieu que j’eusse toute une bonne armée de semblables serviteurs autour de moi, disait-il; pour lors, tous ceux qui me donnent peine et travail n’oseraient seulement pas lever les yeux jusqu’à moi.»

    Tous les chevaliers et écuyers qui se trouvaient là savaient bien que le comte pensait à ses ennemis et rivaux d’Armagnac, et aussi à son beau-frère, le roi de Navarre, Charles le Mauvais, qui, par ses méchants conseils, avait entraîné la comtesse de Foix, laquelle était sa sœur, à rester auprès de lui, où elle était depuis deux ans, loin du comte son mari.

    Or celui-ci fronçait le sourcil en y pensant, et ses yeux, qui étaient beaux et brillants, lançaient des éclairs dans sa colère. Tous les chevaliers gardaient le silence, et le comte recommença de marcher pour aller jusqu’à la salle.

    Là était servi un magnifique souper; tous les valets, portant des torches, se rangèrent autour de la table du comte. On y voyait des entremets de formes étranges, composés d’un art curieux avec du sucre et de la pâte.

    Ce soir-là, le comte trouva devant lui la figure d’un ours attaqué par les chiens, et qui si bien se défendait que déjà deux des chiens gisaient à terre, déchirés et sanglants, ce qui était représenté par vives couleurs. Le comte prit plaisir à le regarder un instant et dit que, lorsque le moment en serait venu, on fît passer l’ours et les chiens autour de toutes les tables, afin que chacun les pût mieux voir; mais à cette heure chacun pensait à manger, et la viande fut servie avec grande foison de belles volailles à la table du comte, qui en faisait d’habitude la principale partie de son repas. Il avait coutume d’en manger les deux ailes et les deux cuisses et buvait du vin assez modérément; aussi ne mangeait-il guère de toutes ces sucreries qu’il aimait à voir représentées devant lui. Jamais il ne se levait de table avant qu’il fût deux heures après minuit, mais tandis qu’il y séait, prenait-il grand plaisir à écouter les beaux chants des ménestrels et à se faire réciter rondeaux et virelais. Ce soir-là, le comte était plus que jamais content et joyeux de ce qu’il entendait, car là était dans la salle, qui fut appelé près de sa table, messire Jehan Froissart, de la ville de Valenciennes, en Hainault, qui déjà avait écrit plus d’un beau récit des choses qu’il avait vues et entendues et s’en allait en tous lieux pour en apprendre d’autres. Le comte l’avait chargé de lui lire en un livre des ballades et chansons qu’avait fait Monseigneur Wenceslas de Bohême, duc de Luxembourg et de Brabant.

    Il déchargea les bûches et l’âne par-dessus.

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    Aussi, tandis que messire Jehan lisait, personne n’osait mot dire en la salle, car le comte voulait que les chants d’armes et d’amour de monseigneur Wenceslas de tous fussent écoutés et entendus.

    Quand on eut ainsi devisé ou pris plaisir assez longtemps, et que la nuit commençait d’avancer, le comte appela auprès de sa table quelques-uns de ses chevaliers, car nul ne lui parlait jamais tandis qu’il mangeait, à moins qu’il ne fût mandé.

    Le comte riait encore de la peur qu’avait eue l’âne lorsqu’il avait été porté sur les chenets dans la cheminée par Ernauton d’Espagne; et il regardait tout autour de lui en parlant, cherchant dans la salle quels étaient les chevaliers qui ce soir se trouvaient là, lesquels étaient d’ordinaire fort nombreux et de grande mine. Nul n’échappait à son regard, car il savait bien voir tous ceux qui arrivaient ou qui sortaient, et parfois semblait-il pénétrer de ses yeux jusqu’au fond des cœurs et des esprits.

    Il aperçut assis à une table lointaine l’un de ses chevaliers qu’il n’avait pas coutume de voir souvent, car il demeurait presque toujours en son château, lequel n’était pas trop proche; aussi dit-il aussitôt:

    «Sire de Coarasse, venez ici, que je vous voie et vous parle, car vous n’êtes pas tous les jours en ce château et cette ville.»

    Le sire de Coarasse s’avança, qui devisait fort assidûment en un coin, et racontait des choses qui semblaient étonner très fort ceux auxquels il parlait, et avec lui s’avança messire Ernoult de Pau, qui était écuyer du comte et fort aimé par lui, lequel prit la parole et dit:

    «Monseigneur, dites donc au sire de Coarasse qu’il vous raconte ce qu’il vous disait à cette heure en un coin, du mauvais état du roi Charles de France, dont la santé se trouve à cette heure en très grand péril et aussi des bonnes pensées que le dit sire roi a en son esprit pour Monseigneur et pour tout le pays de la Langue d’Oc?»

    Le comte regarda le sire de Coarasse, qui ne paraissait pas trop content qu’on répétât ainsi au comte ce qu’il avait dit après avoir bu, et prenant le ton et l’air dédaigneux que bien il savait prendre quand il voulait:,

    «Quelles bourdes leur apportiez-vous ici à Orthez de votre château de Coarasse, messire Raymond? demanda-t-il. Voyez-vous par là beaucoup d’oiseaux volant de France et bien accoutumés aux palais des rois, qui vous en apportent des nouvelles, sachant même ce qu’ils ont en l’esprit?»

    Le sire de Coarasse se redressa, non sans rougir quelque peu, et mieux eût-il aimé se taire, à ce qu’il sembla au comte, lequel l’observait toujours attentivement. Alors il dit:

    Le sire de Coarasse s’avança.

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    «Monseigneur, je ne comptais pas faire long conte de ce que vous devez savoir cent fois mieux que moi, puisque vous avez en tous lieux des serviteurs et des messagers qui vous peuvent instruire; mais, puisque messire Ernoult de Pau vous l’a fait connaître, je disais à cette heure que la petite fistule de venin, laquelle le roi de France porte au bras depuis qu’il fut guéri du poison qu’on lui avait donné, s’est tout à coup desséchée, ce qui de longtemps lui fut annoncé comme un signe de mort prochaine.»

    Le comte de Foix avait écouté les premières paroles du sire de Coarasse, mais il était devenu distrait et pensif. Il ne parlait pas, et les sages parmi ceux qui l’entouraient devinaient assez qu’il se rappelait bien que le poison dont le roi Charles de France avait failli périr vingt-trois ans passés, lui avait été donné, quand il était duc de Normandie, par son cousin et beau-frère le roi de Navarre, lequel était encore en vie et plutôt un démon qu’un homme.

    «Monseigneur pense qu’il fait bon se garder du roi de Navarre, se disaient les chevaliers de sa confidence, et guère ne se trompe-t-il.»

    Le comte avait relevé la tête, Ernoult de Pau poussa le bras du sire de Coarasse; celui-ci reprit:

    «On raconte aussi que le comte de Buckingham et la troupe de ses Anglais chevauchent à cette heure dans le Gâtinais et sont venus jusqu’à Vendôme, après avoir attaqué plusieurs forts et châteaux, en divers endroits; aussi y a-t-il eu joutes et escarmouches entre les Anglais et les Français, lesquels se sont bien combattus.

    — Et quand sont advenues toutes ces choses? demanda le comte, comme s’il se moquait; vous les savez si bien que vous devez en connaître le jour et l’heure?

    — Monseigneur, dit le sire de Coarasse, il n’y a pas quatre jours qu’il y a eu joute près du château de Marche-en-Sucy, dans le comté de Blois, entre un écuyer français qui s’appelle Gauvain Micaille et un Anglais nommé Jovelin Cator, en laquelle l’Anglais n’a pas bien agi, ayant frappé Gauvain trop bas à la cuisse, et le comte de Buckingham a été fort mécontent.

    — Dites-moi, messire Raymond, reprit le comte en se penchant vers son chevalier, qu’est-ce que racontait Ernoult de Pau lorsqu’il disait vous avoir entendu affirmer que le roi Charles de France avait en l’esprit de bonnes pensées pour le pays de la Langue d’Oc et pour moi?

    — Monseigneur, dit le sire de Coarasse, messire le roi a décidé en sa sagesse, et bien l’a-t-on appelé Charles le Sage, qu’il vous nommerait gouverneur et chef de tout ce pays, qui trop long a été pressuré par les princes de son sang, ce dont ils ne sont pas joyeux, et pourra vous en arriver malheur si sa santé vient en mauvaise fin.»

    Le comte regardait devant lui, et ses yeux brillaient d’un feu inaccoutumé :

    «Ce que le roi me confiera, je le saurai défendre, dit-il enfin; n’en doutez pas, messire Raymond, et je compte que tous mes serviteurs m’y aideront.»

    Puis se levant, comme pour secouer ses pensées:

    «Au reste, ajouta-t-il, tout ceci sont paroles oiseuses tant que nous n’en saurons pas plus que ce que vous avez appris par sorcelleries ou par art magique, si vous ne nous faites pas des contes par passe-temps. »

    Le sire de Coarasse s’inclina gravement.

    «Je repartirai demain au jour pour mon château et ma ville de Coarasse où j’ai laissé ma dame ennuyée et dolente, dit-il; quand vous serez instruit de la vérité de mes paroles, j’espère, monseigneur, que vous voudrez bien donner l’ordre qu’on m’en instruise. Je n’ai pas coutume d’être si badin qu’on me puisse croire propre à raconter des bourdes à monseigneur.»

    Le comte de Foix vit bien qu’il avait fâché messire Raymond, mais il ne savait que croire de ses nouvelles et les pensées qu’elles lui avaient suggérées remplissaient son esprit. «Vous aurez un message de moi en quelque manière que ce soit,» dit-il, et, aussitôt, il donna le bonsoir à ses chevaliers et écuyers avant de se retirer dans sa chambre.

    «Ah! messire Jehan, dit-il à Froissart qui se tenait à l’écart, causant avec le bon chevalier messire Espaing de Lyon, qui avait fait avec lui le voyage de Pamiers à Orthez, demain nous recommencerons à parler ensemble de ce que vous vouliez apprendre et savoir des temps que j’ai vus, car l’histoire que vous écrivez et poursuivez sera au temps à venir plus recommandée que toute autre; et savez-vous pourquoi, mes beaux maîtres? ajouta le comte en regardant autour de lui tous ses chevaliers; c’est que, depuis cinquante ans en çà que je suis en ce monde, sont advenus plus de faits d’armes et de merveilles par la terre qu’il n’était arrivé trois cents ans auparavant.»

    Le comte était remonté dans sa chambre, où il avait fait appeler les contrôleurs de sa dépense qui chaque mois lui rendaient leurs comptes, car jamais n’y avait-il de désordre ni dettes arriérées dans les châteaux et hôtels du comte, et toujours faisait exactement rentrer et recueillir ce qui lui était dû, sans permettre aucune oppression ni rapine, en sorte que ses peuples payaient volontiers, et que ses coffres étaient toujours remplis d’or et d’argent.

    Les gens bien informés disaient qu’il avait bien par devers lui trente fois cent mille florins, et cependant jamais grand seigneur ne donna tant et si libéralement à tous chevaliers et écuyers qu’il ne faisait; et aussi tous les jours distribuait-il aux pauvres cinq francs en petite monnaie pour l’amour de Dieu et l’aumône à sa porte pour toutes sortes de gens.

    Le comte appuyait sa tête sur sa main, réfléchissant profondément, encore que l’heure fût bien venue de se mettre au lit et de se reposer.

    «Que dira le duc d’Anjou, si le roi me choisit pour gouverneur de la Langue d’Oc, lui qui l’a si longtemps gouvernée et rudement pillée? Il a toujours été de moi jaloux et soupçonneux, et bien ai-je eu besoin de me garder afin que ma terre ne fût pas aussi courue et pillée; je me souviens encore de ses pratiques pour se faire rendre le château de Lourdes quand Pierre de Béarn le tenait pour le roi d’Angleterre. Ce fut une affaire difficile de le garder de ses mains et m’en a coûté la vie d’un bon chevalier que bien j’aimais. Aussi les gens de Béarn ne me l’ont-ils pas encore pardonné. Ils me feraient quelque mauvais tour s’ils pouvaient, mais point ne leur en laisserai-je les moyens. Ils aiment Gaston mon fils plus que moi; il leur sera bon prince et seigneur, si son oncle de Navarre ne lui met point folie en la tête, avec le secours de madame sa mère, à laquelle il a si bien su faire peur de moi! Aussi bien ne leur pardonnerai-je jamais, ni à lui, ni à elle!»

    CHAPITRE II

    Table des matières

    Tandis que le comte pensait ainsi tout seul en sa chambre, messire Jehan Froissart, que le désir d’apprendre et de s’instruire tenait éveillé, avait rejoint le sire de Coarasse, comme celui-ci se rendait à son hôtel pour y dormir; et il l’interrogeait curieusement sur les nouvelles qu’il avait pu donner au comte:

    «Comment messire le roi pourraît-il ôter le Languedoc à son frère le duc d’Anjou? demandait-il, et comment ne compterait-il pas davantage sur la fidélité de son sang que sur tout autre?»

    Le sire de Coarasse souriait, dans sa barbe:

    «Monseigneur le duc d’Anjou a été bien des fois en traité avec le comte de Foix, répondit-il, et dans plus d’une occasion il a trahi le roi et le comte. Il a été cause de plus d’un malheur entre le comte de Foix et ses voisins, par ses jalousies et avidités. Aussi le comte s’est servi parfois de cette raison pour conquérir et retenir des terres et châteaux qui ne lui appartenaient pas. Vous avez entendu raconter comment finit Pierre de Béarn?»

    Messire Jean n’en savait rien; il ne pensait seulement pas à dormir; mais il s’étonnait de voir le sire de Coarasse si animé à causer et raconter au milieu de la nuit, et quand tout le monde dormait en la ville d’Orthez.

    «Pour lors, dit messire Raymond, sachez que le duc d’Anjou, ayant eu affaire avec la garnison anglaise qui tenait le château de Lourdes, s’était, à grand peine, retiré à Toulouse, sur la requête et les promesses du comte de Foix. Celui-ci écrivit à son cousin, messire Pierre Arnauld de Béarn, qui commandait aux Anglais, et lui donna ordre de lui venir parler à Orthez. Quand le chevalier reçut les lettres, il eut plusieurs imaginations, et ne savait lequel faire, d’y aller ou de rester dans sa forteresse. Tout considéré, il dit qu’il irait, et il ne voulait nullement courroucer le comte de Foix. Quand il dut partir, il fit venir Jean de Béarn son frère, et lui dit, tous les compagnons de la garnison étant présents: «Jean, monseigneur le comte de Foix me mande. Je me doute grandement qu’il me veut requérir de lui rendre la citadelle de Lourdes, qui fortement contrarie monseigneur le duc d’Anjou, et dont ils peuvent avoir traité entre eux. Je vous dis ceci que, tant que je vivrai, je ne rendrai le château de Lourdes, sauf à mon naturel seigneur le roi d’Angleterre. Je vous prie donc, Jean, mon beau-frère, si je vous établis ici mon lieutenant, que vous me juriez, par votre foi et par votre gentillesse, que vous tiendrez le château comme je le tiens, et que ni pour mort ni pour vie, jamais vous ne vous en départirez.» Ce que Jean de Béarn jura.

    » Là-dessus messire Arnauld de Béarn partit, qui s’en vint à Orthez, à ce même hôtel de la Lune où nous sommes à cette heure. Dès que lé comte le sut, il le fit venir au château, et le fit asseoir à sa table, et lui montra tous les plus beaux semblants d’amour qu’il put. Après dîner, le comte dit: «Pierre, j’ai à vous parler de plusieurs choses; venez çà que nous causions;» puis tous présents, ses chevaliers et écuyers, il continua tout haut, si bien que tous l’entendirent: «Pierre, je vous ai mandé et vous êtes venu. Sachez que monseigneur le duc d’Anjou me veut grand mal pour la garnison de Lourdes que vous tenez, et ma terre en a été bien près d’être courue et pillée, comme elle l’eût été sans quelques bons amis que j’avais en ma chevauchée. Son opinion, et celle de ceux qui me haïssent dans sa compagnie, est que je vous soutiens, parce que vous êtes de Béarn. Or je n’ai que faire d’avoir la malveillance de si haut prince que monseigneur d’Anjou. Je vous commande donc par la foi et lignage que vous me devez, que vous me rendiez le château de Lourdes.» Je vous puis’bien assurer que le chevalier fut tout ébahi quand il entendit cette parole, car il voyait bien que le comte de Foix parlait sérieusement.

    Toutefois, il pensa un moment; puis il dit: «Monseigneur, il est vrai que je vous dois foi et hommage, car je suis un pauvre chevalier de votre sang et de votre terre; mais je ne vous rendrai pas le château de Lourdes. Vous m’avez mandé et vous pouvez faire de moi ce qui vous plaira. Quant à la citadelle, je la tiens du roi d’Angleterre qui m’y a mis et établi, et je ne la rendrai à personne qu’à lui.»

    » Quand le comte de Foix ouït cette réponse, le sang lui bouillit si fort de courroux qu’il tira sa dague et dit: «Ah! faux traître, as-tu dit cette parole de refus? Par ma tête, tu ne l’auras pas dite pour rien.» Ainsi il frappa de sa dague le chevalier, le blessant cruellement en cinq endroits, sans qu’il y eût là baron ni chevalier qui osât aller au-devant. Le chevalier disait bien: «Ah! monseigneur, vous ne vous conduisez pas loyalement; vous m’avez mandé et vous m’allez tuer.» Cependant le comte ne s’arrêtait pas de le frapper, et il le fit ensuite jeter dans un cachot, où il mourut, tant il fut mal soigné de ses plaies.»

    Messire Jehan Froissart avait écouté jusque-là sans interrompre le sire de Coarasse, car il eût eu trop grand peine de perdre quelque chose du récit; mais, à ce mot, il se leva du banc sur lequel il était assis:

    «Ah! sainte Marie, dit-il, ne fût-ce pas là une grande cruauté ?

    — Quoi que ce fût, répondit messire Raymond, c’est ainsi qu’il en advint. On regarde bien fort à le courroucer, car en son courroux il n’y a point de pardon; ce qui n’empêcha pas que Jean de Béarn gardât toujours le château de Lourdes, et s’appelle sénéchal de Bigorre de par le roi d’Angleterre.

    — Mais le comte de Foix ne s’est-il pas repenti? persista messire Jean, qui était homme d’église; et n’en a-t-il pas eu depuis grand regret?

    — Oui, grandement, repartit le chevalier; mais quant au repentir, il n’en a fait nulle amende, si ce n’est par pénitence secrète, messes et oraisons, auxquelles il est toujours fort adonné, et aussi a-t-il auprès de lui le fils de messire Jean de Béarn, un gentil écuyer, qu’il aime fort; mais le père n’est jamais venu depuis la mort de son frère.

    — Sainte Marie! dit messire Jehan, le duc d’Anjou dut se tenir bien content du comte, qui tua un chevalier, son cousin, pour accomplir sa volonté.

    — Ah! dit le chevalier, le duc savait bien aussi que le comte de Foix ne serait pas fâché pour son compte de tenir le châte u de Lourdes; d’ailleurs, s’il lui en sut jamais gré, il l’a bien oublié à cette heure, et se tient pour fort mécontent et offensé. Sur ce, et à cette heure de la nuit, je vous donne le bonsoir, messire Jehan, car dès qu’il fera jour, je chevaucherai vers mon château de Coarasse, et je n’ai guère de temps pour dormir.»

    Messire Raymond était rentré dans son château de Coarasse, dont il ne s’absentait pas volontiers; aussi n’était-il allé à Orthez que pour une affaire d’héritage, et afin de voir des hommes de loi. La dame l’attendait, qui fut bien

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