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Amnésie criminelle: Quand votre rêve devient votre pire cauchemar
Amnésie criminelle: Quand votre rêve devient votre pire cauchemar
Amnésie criminelle: Quand votre rêve devient votre pire cauchemar
Livre électronique692 pages11 heures

Amnésie criminelle: Quand votre rêve devient votre pire cauchemar

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À propos de ce livre électronique

Violette Prévot, psychiatre à la vie familiale compliquée a créé un groupe de soutien pour libérer la parole de femmes qui, tout comme elle, font face à la terrible douleur d’être infertiles ou stériles. Un soir, Violette est agressée. Thomas Puget, son ami et collègue met sa carrière entre parenthèse pour prendre soin d’elle en collaborant étroitement avec l’inspecteur Gourand. En parallèle, un inconnu est admis aux urgences dans un état critique. Surnommé John pour cause d’amnésie, il tombe peu à peu amoureux de son infirmière dévouée Julia. Des flash-back sanglants et le prénom de Sandra le hantent dans ses cauchemars… Alors que Violette, harcelée, doit faire face à un coup du sort qui la bouleverse au plus profond de son être, Laure, la meilleure amie de Julia est enlevée et séquestrée. Tous étroitement liés sans même se connaître, l’inspecteur va devoir fouiller dans la vie de chacun pour trouver la clé de l’énigme. Les fantômes du passé vont les rattraper à tour de rôle et les plonger dans une terrifiante chasse à l’homme. Personne n’en sortira indemne…
LangueFrançais
Date de sortie2 sept. 2022
ISBN9782312125558
Amnésie criminelle: Quand votre rêve devient votre pire cauchemar

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    Aperçu du livre

    Amnésie criminelle - Stéphanie Pluquin

    cover.jpg

    Amnésie criminelle

    Stéphanie Pluquin

    Amnésie criminelle

    Quand votre rêve

    devient votre pire cauchemar

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2022

    ISBN : 978-2-312-12555-8

    Chapitre 1 : Le groupe

    Patricia pousse timidement la lourde porte en bois qui se dresse devant elle sans trop savoir ce qu’elle va trouver derrière. Elle passe anxieusement la tête dans l’entrebâillement avant de pénétrer dans cette grande salle avec angoisse. Des femmes sont assises en cercle. La plupart ne la voit pas arriver. Seules deux femmes remarquent sa présence et se retournent vers elle. Elles lui sourient poliment en lui indiquant qu’une place est libre auprès d’elles. Patricia hésite. Elle balaie du regard la salle toute entière. Les murs sont couverts de publicités, d’affiches, d’horaires pour des réunions en tout genre et d’une grande banderole : « ici la parole est libre ». Au sol, des tomettes rouges sont propres et brillantes malgré les centaines de pieds qui les foulent chaque jour. Des pas lourds comme les cœurs de ceux et celles qui viennent ici partager un quotidien pesant. Patricia rassemble tout son courage pour avancer, face à ces inconnues, avec l’impression de déambuler nue, vulnérable. Démunie comme face à son miroir. Ces femmes qui la regardent, savent-elles que chaque matin elle redoute cet instant quand elle sort de sa douche. Celui du reflet dans lequel elle espère voir un changement physique majeur. Ressentir une envie de vomir au simple effluve de l’odeur du café qui est en train de couler dans la cuisine. Espérer apercevoir des veines colorées sur sa poitrine, un ventre un peu plus rebondi que la veille. Parfois elle parvient à les voir ces transformations corporelles. Son cerveau se met alors à bouillonner de rêves, d’espoirs et de projections futures diverses et variées. Et puis, son image la ramène dans la réalité. Aussi dure et terrible soit-elle. Après tout le corps change tout au long de notre vie, surtout le corps féminin, rythmé comme une montre suisse. Seul le temps qui s’écoule, semaines après semaines, témoigne d’un changement profond et durable que l’on peut voir évoluer jour après jour, seulement quand on en a connaissance.

    Patricia se dirige lentement vers cette chaise qui lui a été indiquée précédemment. Il y en a bien une autre de libre, mais elle est à l’autre bout de la pièce et elle ne se sent pas la force d’avancer davantage. Elle sourit poliment à ses voisines et s’assied en prenant soin de serrer son sac tout contre elle, posé sur ses cuisses, collé à son ventre. La partie de son corps qu’elle déteste le plus, même si beaucoup de femmes le lui envient. Ce ventre si plat, si musclé, si parfait. Ce ventre qui ne fait que lui rappeler chaque jour qu’il est désespérément vide et sans aucune utilité. Elle dénoue son foulard fétiche, celui offert par son mari Melvin pour leur première Saint-Valentin fêtée dix ans auparavant, et se met à le tournicoter entre ses doigts comme chaque fois qu’une émotion la submerge, qu’un stress vient casser le calme intérieur qu’elle s’efforce d’atteindre à chacune de ses séances de méditation quotidienne. Les oiseaux qui décorent son étoffe lui redonnent souvent une bouffée d’oxygène et les fleurs colorées la projettent immédiatement dans une clairière par un bel après-midi de printemps. Si elle ferme les yeux, elle entend chanter les volatiles et frémit au souvenir de la bise légère qui souffle dans le champ de coquelicots qui accotait la ferme de sa grand-mère. Elle se détend un peu, lâche les extrémités de son étole et prend le temps de les placer convenablement sur le col de sa veste. Le moment qu’elle redoutait arrive. Tous les yeux se braquent sur elle. La nouvelle. Celle dont on ne connait pas l’histoire. Celle qui doit prendre la parole pour se présenter à tout prix. Celle qui va devenir leur sujet de conversation pour la soirée. Un silence lourd et pesant s’installe. Plus le moindre bruit de talons qui claquent sur le sol, plus de froissements de vêtements, plus de chuchotements, plus de soupirs même plus un souffle de respiration. Patricia a chaud. Elle sent ses joues se roser et une goutte de sueur qui perle sur sa nuque vient humidifier une de ses longues boucles rousses. Elle rassemble tout son courage et dit d’un ton timide :

    « – Bonjour, je m’appelle Patricia. »

    « – Bienvenue Patricia » répondent en chœur les femmes de cette assemblée spéciale.

    Patricia fait silence et se rassoit, espérant qu’une autre personne prenne la parole et vienne briser cette atmosphère intimidante. Une femme se lève pour indiquer qu’elle veut s’exprimer. Patricia se décrispe un peu et écoute attentivement celle qui vient de la sauver d’un embarras intense. Un « Bonjour Violette » prononcé collectivement ne forme pourtant qu’une seule voix. Timidement, Patricia le prononce à son tour et se sent de nouveau désemparée quelques secondes.

    « – Patricia, je m’adresse à toi au nom de nous toutes. Nous sommes ravies de t’accueillir dans cet atelier de parole libre. Ici, personne ne te jugera, personne ne parlera en même temps que toi. Tu auras l’attention et le soutien que tu mérites dans l’absolue neutralité. Ce qui se dit entre ses murs reste emprisonné dans le béton. Nous toutes sommes dans une situation similaire à la tienne. Aucune de tes confidences ne sera sujet à moqueries, aucun mot ne sera choquant, aucune larme ne sera solitaire, aucun sanglot ne sera de trop. Tu es libre de dire tout ce que tu as envie de dire, ton émotion du moment sera toujours juste puisque c’est celle qui te submerge à l’instant précis où tu la partages avec nous ! Voilà, je suis Violette Prévot, je suis psychologue et infertile. J’anime cet atelier depuis trois ans maintenant. Même si le chagrin ne disparait pas, il peut être apaisé quand il est compris et partagé avec d’autres. C’est ma conviction première et c’est elle qui me donne le courage chaque semaine de venir partager ma vie personnelle et mon expertise professionnelle avec vous. La parole est maintenant à celle qui se lèvera pour la prendre. Merci. »

    Violette reprend place sur sa chaise. Jambes croisées, les bras nonchalants, décontractés, pendant le long de son corps, tout son être dégage calme et assurance.

    Patricia l’observe quelques instants. « Une belle femme » se dit-elle. Un teint de porcelaine rehaussé par un rouge à lèvres bordeaux intense et juste un peu de mascara. Une coupe de cheveux courte et ébouriffés faite de mèches d’une palette de couleurs allant du brun foncé à l’auburn chatoyant automnal, du rouge cuivré au châtain profond, du blond cendré au roux carotte, ce mélange de couleurs lui donne bonne mine. Des yeux verts pétillants et un petit nez retroussé. Un petit tailleur noir classique mais parfaitement ajusté sur une paire d’escarpins rouge vernis à la hauteur vertigineuse font d’elle une vraie Working-Girl moderne !

    Soudain, la voisine de Patricia se lève et annonce le plus simplement du monde :

    « – Eh bien bonjour à toutes. Je suis Laure. Ma nouvelle tentative a encore échoué. Me voilà de nouveau au fond d’un trou émotionnel sans fin. Un trou noir béant. Voilà des semaines que je pleure sans pouvoir m’arrêter. Et comme si ce n’était pas assez difficile de vivre ce nouvel échec, mon compagnon de vie, Joé, a décidé qu’il n’en pouvait plus. Que si nous n’arrêtions pas notre combat pour devenir parents, la procréation médicalement assistée aurait raison de notre couple. Je suis folle de rage ! Non pas à cause de son ras-le-bol que je comprends bien plus qu’il ne le pense, mais par le fait que devenir père n’est pas un désir assez important pour lui. Ou pire, qu’il ne m’aime pas suffisamment pour supporter cela avec moi ! Peut-être qu’il ne m’aime pas autant que je le croyais. Cela me fend le cœur… » Laure se laisse tomber sur sa chaise comme si elle n’était plus qu’un poids mort. Des larmes coulent sur de nombreuses joues. L’empathie est respirable, la compassion palpable, la tristesse écrasante. Patricia, en essayant de ne pas faire de bruit comme pour respecter cette minute de silence presque macabre, attrape un mouchoir dans la poche de son trench. Une autre femme se lève et prend la parole à son tour.

    « – Babeth. C’est mon nom, mais ce n’est pas moi. La Babeth que je suis dans mes rêves a trois enfants qui s’appellent Tom, Line et Julian. Pour avoir accès à ma vraie vie, je dois dormir. Pour dormir il me faut prendre des substances. De plus en plus de substances. Celles en vente libre ou sous prescription médicale ne font plus le moindre effet, alors je me rabats sur celles qu’on trouve dans une ruelle sombre à la nuit tombée, celles qu’on cache à tout le monde y compris à soi-même. Je rencontre ce grand mec longiligne, la capuche d’un sweat-shirt noir surplombant une casquette, des baskets blanches qui prennent presque le rôle de la seule source lumineuse disponible avant le coin de la rue adjacente. Un mec sans identité, sans visage, sans nom, sans face. Je repars avec mon petit sachet que je serre dans ma main. Je le serre si fort que j’ai peur de le craquer. La sueur qui se forme dans ma paume de main me fait douter de trouver mon produit en bon état quand je serai enfin rentrée chez moi. La peur au ventre de me faire arrêter par la police me fait sentir que j’ai des entrailles et qu’elles servent à quelque chose malgré tout. Ma vie idéale reprend dès que je quitte votre compagnie mesdames. Et je la préfère de loin. » Dit-elle désolée.

    Elle se pose comme une plume sur son siège. Un silence respectueux s’installe immédiatement. Ses mots résonnent en chacune comme un coup de poignard. Ce même coup que les femmes ressentent chaque mois. Ces profonds tiraillements, ce désespoir vide de sens.

    Babeth est une petite femme. Blue Jeans délavé, grand pull de laine noire avec un col roulé si large qu’elle peut recouvrir sa tête entière avec, une paire de mocassins simple et sans chichis. Pas de bijoux, pas de maquillage. Des cheveux longs brun foncé qui ont renoncé eux aussi à la brillance. Pas la moindre distinction pour ne pas attirer le regard des autres. Un teint terne et blafard, des yeux marron sans étincelles assombris par des cernes bleutés et creusés, des lèvres minces et pincées qui laissent apparaître quelques ridules naissantes donnent une indication sur son âge réel, entre trente-cinq et quarante ans vraisemblablement. Elle est devenue experte pour se rendre invisible et déambuler dans la foule sans que personne ne la voit jamais. Elle se faufile incognito, tel un serpent, elle glisse entre les gens sans attirer l’attention. En les croisant, elle baisse la tête, leur montrer son visage est bien trop dur. Elle qui n’est plus qu’une ombre, un corps sans âme dont le cœur ne veut pas s’arrêter de battre malgré ses nombreuses tentatives pour faire cesser cette machine infernale. Malgré tous les poisons qu’elle ingurgite et sniffe jour après jour. Alors quand elle doit se rendre chez un médecin, aller faire des courses, se rendre au marché, acheter des chaussures ou tout autres futilités qui n’ont aucune importance dans sa vie, elle se hâte. En essayant de refouler toutes ses pensées qui la font chavirer en un instant, celles qui lui rappellent ce qu’elle a fait quelques jours auparavant. Celles qui lui rappellent que son ventre est douloureux et tuméfié par les coups qu’elle s’est auto-infligés. Tout ce qui compte est de faire ce qu’elle doit le plus rapidement possible pour vite rentrer chez elle, dans son cocon. Retrouver la boîte en bois de son grand-père qui trône sur la table basse du salon. Cet objet qui renferme les substances qui lui permettent d’échapper à la réalité. Cette même boîte qui attire les yeux de tous ceux qui posent un regard sur elle tellement les sculptures qui l’ornent sont fines et magnifiques. Une petite œuvre d’art dans un intérieur quelconque dont personne n’en soupçonne le contenu.

    Chacune plongée dans leurs pensées après ce témoignage bouleversant, aucune n’a remarqué qu’une autre femme s’est levée. Elle reste muette. Son regard vide de toute émotion semble fixer un point noir imaginaire sur le mur blanc qui lui fait face. Le silence est pesant. Ses larmes sillonnent les traits tirés de son visage et viennent s’écraser sur ses cuissardes de cuir noir dans un léger bruissement à peine audible. Comme des gouttes de pluie venant mourir sur une vitre. Une atmosphère lourde envahit alors toute la pièce. Personne ne rompt le pacte. Le pacte qu’elles ont toutes signé tacitement en intégrant ce groupe, celui de ne jamais parler quand quelqu’un se lève pour partager son histoire, évacuer son désespoir et ses idées noires.

    Ces mêmes idées sombres qui font irruption à la nuit tombée, quand Amanda est bien au chaud dans son lit. Quand ses yeux se ferment pour forcer son cerveau à s’endormir, à ne plus penser. Ce sommeil après lequel elle court quand ses vieux démons font surface dans la pénombre de son esprit et tentent de l’emmener dans une vision de l’enfer qui est le sien. Son image mentale de l’enfer finit toujours par la hanter. Les abîmes morbides effrayants et infinis. Représentation de toutes ses peurs inavouables, ses secrets les plus sombres, ses rêves désespérés inatteignables et ses projets de vie inachevés. Cette noirceur mentale qui occupe soudain tout l’espace de sa boîte crânienne à un point tel que toutes ses connaissances sont inexistantes et inaccessibles pendant un court instant qui lui paraît interminable. Moment pendant lequel elle chute mentalement dans un puits sans fond ni lumière. Puis le sursaut de ses muscles la sort de cet état second, elle revient alors dans la réalité, la même qu’elle a essayé quelques minutes auparavant de fuir en fermant ses paupières lourdes et fatiguées. En ouvrant les yeux, elle scrute sa chambre à la recherche d’une infime source lumineuse. Le réveil affiche d’un rouge écarlate trois heures trente-trois…

    Cette femme se rassoit sans dire un mot. Il est trop difficile pour elle de parler. Patricia ne sait pas que cette femme n’arrive jamais à prononcer la moindre phrase, comme si elle n’était pas digne de se confier et encore moins de se plaindre. Un mystère complexe entoure cette personnalité tourmentée.

    « – Merci Amanda » dit Violette, suivi de toute l’assemblée qui chuchote un « merci » collectif à peine audible, comme si le silence de ce moment solennel ne devait pas être rompu. Elle relève la tête en tentant d’esquisser un sourire de remerciement, mais sans y parvenir, elle se contente de cligner des yeux et baisse la tête de nouveau. A présent, un petit morceau de papier jonché sur le sol aspire son attention. La voilà de nouveau emprisonnée dans ses pensées, sa prison psychologique. Son cerveau lui laissant à peine un peu d’attention pour rester consciente de l’endroit où elle se trouve.

    La simple vibration du téléphone de Violette ramène tout le monde dans le présent. La séance est terminée. L’heure est déjà achevée. Une heure si intense qu’elles en sont toutes bouleversées. Elles relèvent la tête en une fraction de seconde, comme si la sirène des pompiers les avait sorties d’un de leurs effroyables cauchemars. Ces maudits songes desquels elles se réveillent assises comme si elles avaient reçu une décharge électrique pour les réanimer. Sentant leur échine dorsale trempée de sueur et la peau de leurs visages tiraillée par le sel des larmes qui ont coulé le long de leurs tempes pour venir s’échouer à la naissance de leur chevelure avant de mourir sur leur oreiller. Les talons claquent de nouveau sur le sol. Elles sont toutes debout, hissées sur les quelques centimètres qui définissent la féminité. Le froissement des lanières des sacs à main sur les vêtements vient compléter l’ouverture de la symphonie suivi de quelques échanges verbaux. La vie reprend son cours. Comme si cette heure n’avait jamais eu lieu, qu’elle était restée suspendue dans une réalité parallèle. Violette s’approche de Patricia pour faire un peu plus connaissance.

    « – Comment vas-tu Patricia après cette première séance avec nous ? »

    « – Plutôt bien merci. C’est très intense ici. Comme dans ma tête en fait. Moi qui me pensais différente, enfin folle pour être précise, je m’aperçois que ce que je ressens est très banal dans la réalité qui est la nôtre. »

    « – Personne n’est fou ici. Chacun vit son malheur comme il le peut. Nous avons toutes des échappatoires, même imaginaires, pour rester connectées à la vie que nous devons subir et vivre malgré tout. Aurions-nous le plaisir de te revoir la semaine prochaine ? »

    « – Oui je pense que je reviendrai. Je ne peux pas vous dire si je serai présente chaque jeudi mais je reviendrai. Je m’excuse de n’avoir pas pris la parole. C’était trop tôt pour me confier. »

    « – Ne t’excuse de rien. Venir ici ne t’oblige pas à parler. Amanda en est la preuve. Malheureusement, cela fait plusieurs mois qu’elle vient à nos réunions, mais elle n’a pas encore trouvé les ressources nécessaires pour partager son histoire avec nous. Mais ce n’est pas grave. Le fait qu’elle vienne chaque semaine nous prouve que nous lui apportons un peu de bien-être dans son quotidien difficile et c’est déjà une petite victoire en soi. Nous sommes ici pour nous entraider, nous permettre de souffler un peu en sortant de notre cadre monotone et répétitif quotidien, de nous confier, de nous rassurer, de nous redonner la force d’affronter une autre semaine. »

    « – Merci pour ta bienveillance. Ce que tu viens de me dire me donnera certainement l’envie de sortir de chez moi jeudi prochain. Il me faut rentrer à présent. Bonne soirée et à très bientôt Violette. »

    « – Merci. Belle soirée et à très vite. Prends soin de toi. Au revoir Patricia. »

    Patricia s’éloigne doucement en faisant un signe de la main à celles qui ont formé un petit cercle pour discuter plus intimement. Violette les a rejointes en agitant entre ses doigts son trousseau de clés. Elle doit, à regret, presser les retardataires à quitter la salle de réunion. Alors qu’elle ferme la porte, elle se rend compte qu’une femme l’attend dans le couloir qui conduit au parking. Elle n’aime pas devoir bâcler une discussion avec une patiente, c’est donc le cœur gros qu’elle doit annoncer à Laure qu’elle ne peut pas lui consacrer de temps pour l’instant. Cette pauvre Laure qui vit un nouveau drame avec une double peine, celle d’avoir perdu un bébé pour la quatrième fois et celle de faire un choix entre son désir de maternité et son couple, bien qu’ayant vraiment besoin de parler, comprend tout à fait les obligations professionnelles de Violette. En essuyant ses dernières larmes, elle lui dit au revoir et s’éloigne. Violette la rattrape pour lui donner sa carte de visite en apposant au dos son numéro de téléphone personnel.

    « – Tu peux m’appeler le soir après vingt-et-une heures si tu en as besoin Laure. Saches que tu n’es pas toute seule et même si je ne peux pas prendre les décisions à ta place, je peux t’écouter. Je suis désolée, il faut vraiment que j’y aille, mais n’hésites surtout pas à m’appeler Laure. Prends soin de toi ! »

    Un sourire timide se dessine sur le visage de Laure. Le simple fait d’avoir cette carte lui donne le courage d’affronter le monde extérieur dans lequel elle est à présent en immersion. Violette est attendue à l’autre bout de la ville dans le cabinet médical qu’elle partage avec son associé le Docteur Thomas Puget. Eminent psychiatre reconnu par toute la profession et écrivain de talent qui jongle entre ses patients, pour qui il est toujours disponible, et de nombreuses dédicaces organisées dans les hauts lieux de la capitale. Violette, quoi que déjà très expérimentée, apprend encore chaque jour auprès de son confrère et ami. Rencontré alors qu’elle était encore sur les bancs de la FAC, Thomas a dû choisir dès la sortie de son premier livre entre sa carrière d’écrivain et celui de conférencier, mais la question ne s’est même pas posée. Il avait déjà l’impression d’avoir fait le tour de son métier auprès des jeunes qui voulaient plus devenir « profiler » que psychiatre. Aider a toujours été sa motivation première et c’est pour cette même raison qu’il s’était lié d’amitié avec Violette. Elle fournissait des efforts assidus et était déterminée à comprendre les gens au mieux pour leur apporter une aide véritable dans leur quotidien. Ayant obtenu la plus haute distinction en terme de mention à ses examens, Thomas lui avait directement proposé de venir exercer dans son propre cabinet médical. C’était donc une toute jeune diplômée qui avait commencé sa carrière professionnelle dans le prestige, prise sous les ailes d’un mentor dont la renommée s’étendait au-delà des frontières françaises. Le matin, il revêt sa casquette de médecin, le soir venu, c’est celle d’auteur à succès qu’il enfile pour se rendre dans les librairies et les hôtels cinq-étoiles où il déambule entre les piles de ses nombreux livres disposés entre les petits fours et les coupes de champagne pour des séances de dédicaces fatigantes mais plaisantes. Bien qu’il n’aime pas spécialement les tapis rouges qu’on lui déroule, au fil des années, il a appris à aimer la mise en lumière que lui font les autres, ce qui lui apporte la motivation et le courage pour affronter les cotillons et autres soirées mondaines qui s’éternisent jusque tard dans la nuit la plupart du temps. L’idée qu’il aide bien plus de personnes à travers ses livres qu’il ne pourrait le faire de part son métier lui fournit une inspiration inépuisable pour continuer à écrire. Bien conscient qu’il ne pourrait humainement pas recevoir tous ceux qui en ont besoin en consultation, sans parler de tous ces gens qui se disent que de se faire aider par un professionnel ne servirait à rien, ses livres sont accessibles à tous ceux qui en éprouvent le besoin à moindre coût. Cependant, il n’abuse pas de sa notoriété et ses patients qui, bien que peu nombreux, ignorent son succès d’auteur, ne verront même pas un exemplaire de ses ouvrages dans l’immense bibliothèque qui apporte tout le sérieux à son bureau. Et quand la demande d’un patient qui souhaite avoir une dédicace personnalisée à l’issue de sa séance se présente, Thomas la rédige avec plaisir et une certaine fierté, mais aussi avec une certaine gêne car il n’aime pas mélanger ses deux aspects de son métier qui sont deux pans de sa vie totalement différents. Seul le secret médical les lie. Il voue une véritable passion pour la psychanalyse. Il a coécrit son dernier ouvrage publié avec une consœur, le Docteur Mary Lancaster, psychothérapeute et hypnotiseur travaillant à l’hôpital Sainte-Claude qu’il a rencontré lors d’une conférence.

    DÎNER EN VILLE

    La porte se referme lentement en grinçant pour finir sur un claquement ferrailleux qui lui fait presser le pas dans le corridor. Patricia n’a pas envie que quelqu’un lui emboîte le pas et vienne la questionner. Elle n’est pas prête encore à faire connaissance avec qui que ce soit. A présent sur le parking, elle cherche du regard sa voiture. A la vue de lʼénorme 4x4 rouge de son mari, elle sursaute puis se souvient qu’elle a dû l’emprunter en attendant de récupérer sa voiture accidentée. « Beep, beep », l’engin déverrouillé, Patricia ouvre la portière, pose le pied sur le rebord et il lui faut encore exécuter un petit saut pour enfin se retrouver assise dans cet habitacle luxueux aux dimensions démesurées que son époux aime tant. Elle lève les yeux au ciel et sourit à l’idée d’aller récupérer son Melvin à la sortie de son travail. Cela lui rappelle l’époque où ils se retrouvaient étant jeunes à la sortie de la faculté où ils se sont rencontrés. Le souvenir d’une vie simple et sans souci où seul l’amour inconditionnel qu’ils se portaient avait de l’importance. L’insouciance de sa jeunesse lui paraît si loin. Quelques flashs visuels viennent torpiller son esprit brumeux, venus tout droit de la mémoire d’une vie antérieure éteinte depuis des siècles et qui pourtant ne datent que d’une décennie à peine. Elle appuie sur le bouton de démarrage rapide. Le tableau de bord scintille de toute part. L’heure puis l’autoradio, le GPS puis la climatisation, les jauges d’huile et d’essence, le kilométrage et les cadrans divers. « Ce bleu nuit est apaisant, tout le contraire de ce rouge si clinquant qu’il en est indécent ! » Se dit-elle en démarrant et quittant le parking en réglant le GPS sur « travail Melvin ». Un trajet de vingt minutes au moins l’attend, seulement si la circulation est fluide et vue la queue de véhicules qui la précède au feu tricolore, son espoir de rouler tranquille et de rentrer tôt s’envole immédiatement. « Appelez Melvin » dit-elle à haute voix. La sonnerie retentit et un « Allô ma fée » résonne.

    « –Coucou mon amour. Je viens de partir. Je fais le plus vite possible pour venir te récupérer. »

    « – Prends ton temps, rien ne presse à moins que tu veuilles te changer avant que nous allions dîner chez Fabrizzio ? »

    Un court silence plombe cet échange qui avait si bien commencé.

    « –Ma fée tu m’entends ? »

    « – Oui, désolée je ne m’attendais pas à ce qu’on sorte ce soir. Tu es sûr de ne pas vouloir un plateau télé tranquille ? »

    « –Tu veux dire comme celui qu’on se fait tous les soirs depuis des semaines ? Oui je suis sûr. J’ai besoin de voir un peu de monde. De sortir. De renouer un peu avec la vie sociale qu’on a fuie. Ma chérie, je sais que c’est dur pour toi mais je, j’en ai besoin… »

    « – Ok tu as raison, allons manger italien en amoureux. Ça fait si longtemps que j’ai oublié le goût de la mozzarella que pourtant j’adore. Je me dépêche mon ange. » Dit-elle en retenant les sanglots qui lui remontent dans la gorge.

    « –Super ma fée, je t’en prie soit prudente sur la route. Fais sonner mon téléphone quand tu seras à proximité, je te rejoindrai aussi vite que possible. A tout à l’heure. Merci mon cœur, je sais que je te demande un gros effort mais tu fais de moi un homme encore plus comblé que d’habitude. Je te laisse, il me faut boucler ce dossier pour avoir l’esprit tranquille ce soir et me consacrer qu’à toi corps et âme. Je t’embrasse tendrement. »

    « – Ok, bisou mon cœur. »

    La voilà mise au pied du mur. Il faut qu’elle prenne sur elle et fasse plaisir à Mel’ qui fait preuve d’une patience sans failles depuis des mois. Le temps nécessaire pour faire un deuil. L’adieu à ce bébé qu’elle a mis au monde sans vie à vingt-deux semaines. Non, il n’est pas fini, loin de là. Elle ne croit pas qu’un deuil complet soit réalisable un jour, mais pour autant elle est en vie, Melvin également et il lui faut préserver le seul fil vital qui la relie à ce monde. Ce firmament si fragile qui pourrait se rompre en une seconde si elle ne remet pas un pied dans la réalité. Le brouhaha des klaxons assourdissants lui fait reprendre ses esprits et surtout sa concentration. Les flashs lumineux des enseignes de magasins, les clignotants et les feux stops des voitures et autres lampadaires offrent un spectacle visuel urbain moderne mais agressif. Patricia a hâte de changer de place et de gagner le siège passager. Hâte de pouvoir l’observer du coin de l’œil concentré sur la route avec ses sourcils légèrement froncés qui lui donnent cette irrésistible expression sexy qu’elle aime tant. « Appelez Melvin. » Elle laisse trois sonneries retentir comme d’habitude puis prononce « Raccrocher ». Elle se gare au plus près de la sortie du bureau et attend de l’apercevoir, sûr de lui, beau comme un dieu dans son costume gris cintré et parfaitement ajusté. Sa mèche rebelle flottant dans le courant d’air créé par le mouvement de la porte qui s’ouvre sur l’extérieur. Impatiente de le voir s’approcher de la voiture d’un pas désinvolte mais bien affirmé, de la rejoindre alors qu’elle est appuyée contre la carlingue étincelante, puis de l’embrasser fougueusement et de se sentir, l’espace d’un instant, comme les adolescents qu’ils étaient jadis quand leur amour pur et sans tâches animait leur douce folie.

    LE PASSEUR DE MONDE

    Quant à Babeth, elle s’en va rejoindre le point de rendez-vous fixé avec son dealer. Tous les jeudis soir, c’est le même rituel. Elle quitte le groupe de parole, marche environ quinze minutes puis prend le bus 224 jusqu’au terminus. Elle en descend puis arpente les rues d’abord civilisées, puis de plus en plus sombres, jusqu’à tourner à gauche, là où trône la maison délabrée. Cette demeure qui, tout comme elle, mois après mois dépérit. L’ultime volet en bois du premier étage ne tient plus qu’avec une attache métallique rouillée. Un jour il viendra se fracasser sur le trottoir. Ce contrevent qui pend dans le vide la renvoie à sa propre existence qui ne tient qu’à un fil et qui pourtant s’avère être suffisamment solide pour la maintenir en vie. Elle arrive maintenant près du terrain vague, sa seule vue lui fait froid dans le dos. Des carcasses de voitures à moitié brûlées, des ordures gisant sur le sol, des rats et des chats faisant des petits bonds sur l’épaisse couche d’immondices fortement odorante pour se nourrir. Au loin, des jeunes ont investi les escaliers de cette ancienne manufacture laissée à l’abandon depuis quelques années à peine et qui semble pourtant sortir tout droit du siècle dernier. En arrière-plan, des tours d’immeubles dont on ne peut même plus reconnaître la couleur d’origine se dressent comme faisant de la résistance au paysage huppé de la ville embourgeoisée installée à deux quartiers de là. Le choc visuel de deux mondes côte à côte si différents est un peu comme les deux personnalités qui habitent cette même entité qu’est Babeth. Elle hâte le pas en feignant ne pas entendre les insultes et les cris qui fusent des cages d’escaliers de ces habitations de la honte. Elle dépasse le dernier immeuble et arrive aux quatre poteaux de béton qui se dressent comme une barrière face à un mur surplombé d’un mètre de barbelé pour dissuader toute personne de son envie d’accéder aux entrepôts de stockage d’un supermarché. Elle s’adosse, lasse, contre un poteau froid et attend en scrutant à droite puis à gauche la venue de son passeur de monde. Elle aime l’appeler ainsi secrètement car c’est exactement la mission qu’il effectue pour elle. Il lui permet de quitter sa vie réelle pour sa vie imaginaire, celle qui la fait se sentir elle-même, celle qui lui permet de vivre chacune de ses folies, les plus gaies comme les plus obscures sans conséquences. Là même où elle mène la vie qu’elle voulait vivre. Celle où elle est maman de trois beaux enfants qui la comblent de bonheur. Cette vie où elle prépare le repas pour une famille unie et épanouie dans laquelle le simple bruit de la porte qui claque à dix-neuf heures trente, heure à laquelle son mari Edward rentre du travail, fait virevolter les papillons qu’elle a dans le ventre. Quand, dans sa dure réalité, elle vient puiser un peu de force dans sa vie parallèle, elle peut presque sentir la bonne odeur du rôti, des pommes de terre et celle du pain préparé au cours de l’après-midi avec amour. Voir sa famille en arracher un morceau pour savourer les dernières gouttes de sauce dans leurs assiettes lui donne toujours le sourire. Cette expression de satisfaction et de contentement sur leurs visages quand ils mâchent la dernière bouchée de ce repas lui met toujours du baume au cœur. Le bruit d’un pas lourd écrasant du verre la sort brutalement de ses pensées. Son passeur est là. Il se tient droit face à elle en tendant ses deux mains vers elle. Une paume est ouverte vers le ciel pour récolter les précieux euros, l’autre est fermée sur le petit paquet rond tant convoité par Babeth. Elle sursaute. Lui dit bonsoir sans attendre une réponse qui ne viendra pas. Fouillant dans sa poche droite pour en sortir son billet de cinquante euros, elle tend l’autre main et sent le poids de sa vie imaginaire l’effleurer. Le passeur ne lâche pas le paquet tant qu’il n’a pas vérifié le contenu de son autre main. Un coup d’œil suffit. Il laisse alors tomber le précieux sésame, glisse son butin dans sa poche et s’en va en prononçant ces quelques mots comme à son habitude : « à jeudi prochain. » Babeth n’a même pas le temps de lui répondre qu’il a déjà disparu dans le sombre sentier qui longe une série de garages dépourvus de portes. Elle serre son petit colis très fort dans sa main. Il lui faut à présent remonter la rue et revenir dans les lumières de la ville. Elle fouille dans son sac et saisit sa bombe anti-agression. Les deux poings serrés sur leurs contenants, elle marche aussi vite qu’elle le peut en accélérant à chaque son suspect qui résonne dans l’obscurité. La vieille demeure passée, sa respiration se fait plus calme en apercevant au loin les lumières des néons des magasins et quelques personnes déambuler sur la voie publique. Elle se dirige à présent vers la gare pour prendre le dernier train en circulation de la journée. Ce train, emprunté par une poignée de personnes qui, tout comme elle, n’aspirent qu’à rentrer chez eux. Elle y croisera l’homme à l’imperméable aussi fatigué que lui, serrant son attaché-case contre lui pendant les trente minutes de trajet, la jeune femme gothique dont le visage, au fil des heures de la journée, est devenu aussi noir que ses yeux fortement maquillés, ce couple de quinquagénaires qui se tient bras dessus bras dessous en toutes circonstances et ce jeune homme noir, frêle et moitié le wagon. Le troisième arrêt, le dernier, est celui de Babeth et des autres. En arpentant le quartier qui la ramènera chez elle, elle s’imagine d’ores et déjà dans son canapé, enveloppée par la douceur de son plaid. Elle peut sentir l’odeur du chocolat chaud qu’elle se sera préparée en rentrant et des biscuits caramélisés qui lui feront office de dîner. Elle regardera alors avec envie la boîte en bois qui vient d’être remplie du poison qui l’emmènera dans sa vie parallèle.

    Au petit matin, le bruit des marteaux piqueurs la sort de sa vie parallèle brutalement. Elle reprend pied dans la réalité sans en avoir émis le souhait. Son humeur est maussade, semblable aux nuages gris qu’elle aperçoit entre les pans des rideaux. Elle s’étire puis s’assied. Regarde tout autour d’elle pour rassembler ses idées. A-t-elle au moins fermé la porte à clé ? Elle ne le sait même pas. En regardant sur la table, elle réalise qu’elle s’est au moins un peu nourrie avant de sombrer. Il lui faut se lever, boire un café et aller se doucher. C’est le minimum vital qu’elle s’impose pour continuer de faire partie de la race humaine. Ensuite, elle pourra de nouveau abandonner cette triste réalité et replonger dans son monde. Elle rassemble le peu de forces qu’elle a pour se hisser sur ses pieds. Elle débarrasse la table et se rend à la cuisine. Une dosette de café dans la machine, sa grande tasse contenant deux sucres placée dessous et « clic », elle appuie sur le bouton pour obtenir le doux breuvage qui va définitivement la faire sortir du brouillard matinal. Chaque goutte venant s’écraser au fond de la porcelaine émet un son. Un compte à rebours qui l’amène peu à peu vers cette nouvelle journée. Journée pendant laquelle elle va devoir lutter pour ne pas puiser trop tôt dans sa boîte et accomplir ses tâches quotidiennes routinières mais essentielles.

    L’ÉCORCHÉE VIVE

    Amanda marche d’un pas rapide. En sortant, sur le parking, elle trouve la carte de visite de Laure qu’elle a laissé tomber accidentellement. Machinalement, elle la ramasse et la met dans son sac à main. Les cliquetis de ses talons qui foulent les pavés lui donnent le rythme nécessaire pour oublier cette séance. Une fois de plus elle s’est sentie ridicule de ne pouvoir prononcer un mot. Elle ne se souvient même plus du son de sa voix. Cela fait des jours qu’elle n’a parlé à personne. Elle n’a même plus le souvenir d’avoir dit bonjour, merci ou au revoir à la boulangerie dans laquelle elle vient de s’arrêter pour acheter la seule chose qui lui procure un peu de bonheur, un chausson aux pommes. La compote délicieusement sucrée glisse le long de sa gorge et le croustillant de la pâte feuilletée vient combler ses papilles en alerte. « Clic, clac », ses pas résonnent malgré le chaos sonore de la ville. Les hommes se retournent sur son passage. Leurs regards sexualisés insistants la pénètrent littéralement. Une paire d’yeux s’arrête dans son décolleté pigeonnant, une autre fixe son nombril parfait, piercé d’un bijou doré en forme de soleil qui décore son ventre ferme et plat en s’affichant fièrement en dessous du volant de sa brassière imprimée léopard. D’autres yeux curieux se perdent entre le cuir de ses cuissardes et celui de sa mini-jupe. Cet espace de chair décoré par le motif de ses bas résilles laisse entrevoir ses tatouages de fleurs d’hibiscus colorées. Ses longues jambes interminables sont des œuvres d’art à part entière. Quant aux femmes, elles la dévisagent des pieds à la tête avec tantôt un air de dégoût prononcé, tantôt une offuscation extrême. Certaines blêmissent tellement qu’elles pourraient s’évanouir. Quand Amanda croise des enfants, son premier réflex est de rabattre son pardessus en simili cuir rouge brillant sur son corps, puis elle leur offre le plus beau de ses sourires. Voir leurs yeux briller est la plus belle récompense qu’elle puisse recevoir pour affronter et faire face, la tête haute, à cette population médisante et hypocrite. Les femmes sont les plus cruelles. Elles prononcent des injures qu’elles n’essaient même pas de chuchoter. Amanda les entend bien sûr, elle les prend en pleine figure comme les nombreux coups qu’elle a pu recevoir tout au long de sa vie. Elle essaie de ne pas y prêter d’attention. Parfois elle y parvient, d’autres fois non. Leur répondre, les insulter à son tour ou pire pleurer serait donner de l’importance à leurs jugements. Toute cette rancœur, cette tristesse, cette violence gratuite, Amanda les évacuera quand elle sera rentrée dans son nid douillet. Ces femmes n’ont pas la moindre idée de ce qui l’a poussé à choisir cette voie professionnelle. Cette vie marginale qu’elle mène pour atteindre son nirvana personnel. Celui de donner la vie, une raison de vivre, la meilleure qui soit. Peu importe de qui elle tombera enceinte, elle ne compte ni s’embarrasser d’un homme, ni fonder une vie de famille classique. Un homme, une femme, des enfants, une grande maison et des vacances organisées chaque année des mois à l’avance n’ont jamais fait partie de ses fantasmes. Elle veut juste un bébé, un enfant à aimer, une vie qui dépendrait de la sienne à chaque instant jusqu’à son dernier souffle. Offrir une enfance heureuse à un petit être, faite de joies, de découvertes, d’aventures et de rencontres. De vraies fêtes d’anniversaires, un sapin de Noël décoré de plumes et de boules scintillantes. De gros cadeaux empilés dessous, sans oublier les chants traditionnels qu’elle passerait en boucle et cette bonne odeur de biscuits à la cannelle et aux épices qui refroidiraient sur la plaque de cuisson dans la cuisine. Ces Noëls dont Amanda a rêvés des années durant depuis l’orphelinat où elle revenait systématiquement après de courts séjours dans des familles d’accueil toujours plus inadaptées les unes que les autres. Des familles qui ne voulaient que toucher les allocations de l’état. Les enfants se retrouvaient livrés à eux-mêmes dans le meilleur des cas ou devenaient les proies de toutes sortes de prédateurs. Amanda a connu le pire, mais s’est toujours relevée. Bien sûr son passé a influencé sa vie actuelle, mais elle a accepté son sort. Elle est mal née voilà tout. Même pas destinée à naître d’ailleurs puisque sa première maison fut un carton laissé sur le seuil de l’orphelinat Sainte-Hélène par une froide nuit de Novembre. D’après le récit de Sœur Anne, elle tenait entre ses petites mains gelées son cordon ombilical, comme un doudou. Entrelacé entre ses petits doigts fins et rouges, elle le serrait très fort pour conserver le seul lien qui la rattachait à la mère qu’elle ne connaitrait jamais.

    Sachant faire la part des choses, les jugements des autres glissent sur elle comme l’eau d’une cascade sur les rochers qu’elle façonne. Elle sort de ses pensées en une fraction de seconde quand elle hume le doux parfum de la cuisine chinoise, celle du restaurant au-dessus duquel elle habite. Elle s’est acheté, à la sueur de son corps, un petit studio de vingt mètres carrés à peine qu’elle a transformé en havre de paix. Un hamac trône au milieu de la pièce en guise de lit. Des coussins moelleux et une couette en duvet d’oie l’enveloppent de douceur nuit après nuit. Le fait de dormir suspendu lui offre un sommeil de qualité et lui assure de jolis rêves bien loin du monde réel dans lequel elle évolue sans en avoir le choix. Chaque nuit, elle rejoint son nuage et ses yeux se ferment doucement en regardant le ciel étoilé qu’elle a peint au plafond. Un bleu nuit profond contraste avec les étoiles jaunes phosphorescentes qu’elle a collées aléatoirement au grès de ses envies. Sans l’avoir fait exprès, elle peut y voir un cœur, une fleur épurée et son signe du zodiaque scintillant gaiement à la nuit tombée. Seule la lampe de chevet posée sur l’appui de fenêtre en guise de veilleuse offre encore un peu de lumière à cette petite pièce étriquée mais chaleureuse. Le strict nécessaire y est installé. Une table style bistrot ronde avec deux tabourets. L’un est pour elle, l’autre est pour « baby » son chat. Une petite cuisine équipée d’une plaque de cuisson à deux feux au gaz, un mini-four électrique, une cafetière et quelques jolies tasses fleuries trônent sur le petit plan de travail en bois. Une rangée de trois placards en formica des années cinquante aux tons pastel apportent une petite touche rétro très sympathique. Un petit frigo américain rouge avec une grosse poignée arrondie en acier brossé et le cactus ramené d’un week-end passé au Mexique l’été dernier posé au-dessus finissent de délimiter cet espace. La porte qui se trouve juste après l’arcade donne l’accès à la salle de bain. Pas de grand luxe. Juste une douche, une vasque lave-main et un miroir. Un coin toilette autour duquel une étagère en osier met à disposition toutes les petites affaires dont elle a besoin au quotidien, dispersées dans des valisettes de couleurs vives. Mascaras, rouges à lèvres et brosses à cheveux. Gants, serviettes de toilette et paquets de coton. Dentifrice, produits d’hygiène et parfums se partagent les différents niveaux de rangement dans des corbeilles tressées qu’elle a chiné aux puces il y a juste quelques semaines. Les panières sont venues remplacer les cartons récupérés au supermarché du coin pour le plus grand plaisir d’Amanda qui, au fil des mois, se sent de plus en plus chez elle. Une boîte métallique un peu particulière trône seule sur un niveau de l’étagère. En forme de cœur et d’un rouge flamboyant, elle renferme les préservatifs qu’elle utilise pendant ses passes. Aucun homme ne vérifie la qualité de ces derniers. Personne ne voit que des micro-perforations faites à l’aiguille viennent altérer tout le sens de ces protections. Même si elle n’est pas fière d’œuvrer de cette manière, de tromper ses clients, Amanda est prudente et se fait dépister de toutes maladies chaque trimestre. Hormis le fait de leur cacher le fait qu’elle veuille tomber enceinte, jamais elle ne fait prendre le moindre risque à personne. Quand elle attend les résultats de ses analyses, elle utilise immédiatement des protections neuves et les inspecte avec attention avant de les utiliser. La porte de la salle de bain refermée, le mur bleu pastel continue et tout contre, se trouve une petite console de bois clair où Amanda pose ses clés, sa casquette, ses cigarettes. En dessous, elle y range ses sacs, son parapluie et son cabas. Un endroit stratégique pratique, juste à côté de la porte d’entrée à cinq points de sécurité. Elle n’a pas rechigné sur le prix d’une porte de haute sécurité. C’est le prix à payer pour se sentir en sécurité, primordiale pour le style de vie qu’elle mène. De l’autre côté un vieux fauteuil club en cuir rouge. Usée et craquelée, la patine fait tout le charme de cette incontournable pièce de décoration prisée par les grands hommes de ce monde. Amanda aime s’y poser avec un bon livre. Assise de travers, les jambes à cheval sur l’accoudoir et le dos appuyé contre l’autre, elle se sent bien dans cette position presque fœtale. Une bibliothèque en forme de pyramide met en valeur ses livres préférés et quelques objets de décoration sans intérêt, mais qui animent un peu ce lieu de vie singulier. Puis vient un banc où sont posés quelques coussins et la seule peluche qu’elle ait eue en cadeau pendant son enfance. Elle l’avait reçue de manière anonyme un matin de Noël. Alors qu’elle revenait pour la quatrième fois à l’orphelinat, l’année de ses huit ans. Sur le paquet déposé par un livreur privé, une étiquette avec son prénom suivi d’un petit cœur. L’expéditeur non renseigné, Sœur Anne avait fait tout son possible pour l’identifier, mais en vain. Un lapin rose avec de grandes oreilles, si longues que quand il est assis, elles se posent le long de son corps. La lettre « A » brodée sur son ventre n’a presque plus de fils tant Amanda l’a caressé des heures durant. Le lapin tout entier est déformé. Il tient assis difficilement à présent. Il penche sur le côté gauche et le voir ainsi lui fait toujours monter une larme. Il est le dernier vestige de son passé et elle lui doit beaucoup. Confident et compagnon de toutes les galères, elle y tient comme à la prunelle de ses yeux. Secrètement elle a toujours pensé que sa mère biologique lui avait envoyé comme pour lui donner un signe de vie, lui dire qu’elle ne l’avait jamais oubliée.

    Chapitre 2 : L’agression

    Violette déverrouille sa voiture à distance depuis l’entrée du garage et marche aussi vite qu’elle le peut. Perchée sur ses hauts talons dont le bruit résonne dans cet espace gigantesque, humide et sombre. Seuls quelques plafonniers sales éclairent les lignes jaunes au sol et les places délimitées sur les murs par de la peinture. Elle balaie du regard tout ce béton et ces voitures à la recherche de sa jolie berline bleue et l’aperçoit au fin fond du parking, garée juste à côté d’une luxueuse limousine noire. Sa voiture parait sale alors qu’elle la lave chaque semaine. Des pas lourds et appuyés derrière elle la sort brusquement de ses pensées. Elle lutte pour ne pas se retourner et donner de l’importance à son angoisse. Celle que chaque femme ressent monter doucement le long de sa colonne vertébrale quand elle ne se sent pas en sécurité et qui vient s’écraser dans sa poitrine comme un coup de poignard en plein cœur. Une goutte de sueur perle sur son front. Elle respire à pleins poumons et s’insulte d’idiote. Elle n’est plus qu’à quelques pas de son véhicule et reprend enfin son souffle quand une violente douleur à la tête l’ébranle et la fait tomber à genoux. Une silhouette noire et imposante l’attrape par les cheveux, si fort que Violette sent les bulbes de sa chevelure s’arracher de son crâne. Incapable de se relever, son agresseur la traîne sur le sol jusqu’à sa propre voiture, cette superbe limousine préalablement admirée. Il ouvre la portière arrière et jette sa victime sur la banquette avec une facilité déconcertante. Violette se sent comme une carcasse de viande pendue au bout de son crochet dans la chambre froide d’un abattoir poussée par un boucher. Sa tête heurte la portière opposée. Elle est sur le ventre et avant même qu’elle puisse bouger un seul membre, l’agresseur lui saisit les chevilles, relève ses jambes et les écarte férocement. Elle tente de lui porter un coup de talons aiguilles en pleine figure sans y parvenir. Elle l’entend grogner comme un animal alors qu’il fait valser ses chaussures. Il frappe le dessous de ses pieds avec deux coups de poing portés en même temps puis glisse ses genoux entre les cuisses de sa proie. Il déchire sa jupe de bas en haut en moins de temps qu’il en aurait fallu pour la découper avec une paire de ciseaux. Il enfonce ses doigts dans la chair de ses cuisses et les écarte avec tant de force que Violette a l’impression que ses muscles se déchirent. Elle hurle, mais ses cris sont étouffés par la banquette où s’est enfoncé son visage. Alors qu’elle tente de relever sa tête pour crier à nouveau, son assaillant pose une main sur sa nuque pour la maintenir dans cette position de faiblesse. Ses cris contenus lui procurent un sentiment de toute puissance. Violette perd son souffle. Elle a du mal à respirer et comprend rapidement que ses hurlements ne feront que l’affaiblir et risquent de lui faire perdre connaissance. Il arrache sa culotte de dentelle noire avec son autre main. Bien qu’un de ses bras soit bloqué sous son ventre avec ses clés de voiture dans sa main et que la bandoulière de son sac à main lui coupe la circulation sanguine, l’autre main de Violette cherche désespérément sur le plancher de la voiture, un objet, n’importe quoi qui pourrait l’aider à le blesser, à lui faire baisser sa garde ne serait-ce que quelques secondes. Elle a beau tâter la moquette un peu partout elle ne trouve rien. Après tout, c’est une limousine grand luxe. Des personnalités hautement importantes s’y installent, elle doit donc être impeccable et propre à tout instant. Une douleur insupportable envahit son bas ventre. Occupée à réfléchir, concentrée à chercher, elle n’avait pas réalisé que cette brute avait eu le temps de déboutonner son pantalon et qu’il était à présent allongé sur elle. Un poids mort. Un corps si lourd qui l’étouffe, lui compresse la cage thoracique et l’empêche de bouger. Violette ne peut plus crier, ses poumons sont vides d’air et le seul réflex qu’elle puisse encore avoir pour se sentir encore en vie c’est de mordre. Elle mord de toutes ses forces le cuir de la banquette, si fort qu’elle entend la peau se déchirer. Son corps est secoué d’avant en arrière par les vas et viens de cet animal qui pénètre son corps inlassablement avec une violence croissante et démesurée. A chaque mouvement de son corps inerte, son crâne heurte l’accoudoir de la portière. Le temps semble s’être arrêté et pourtant les secondes paraissent longues comme des heures. Violette prie de toutes ses forces pour que son cauchemar prenne fin le plus rapidement possible. Elle halète, elle ne sent plus rien, même plus sa douleur. Ses paupières sont lourdes et l’air lui manque. Ses dernières ressources, elles les utilisent pour laisser une fois de plus ses empreintes dentaires dans le cuir des sièges. Avant de s’évanouir, sa dernière pensée est « au moins la police aura des indices… »

    Violette sursaute soudainement quand elle entend un bruit sourd qui résonne dans l’habitacle comme le glas de la fin de son calvaire. C’est celui de la portière qui vient de claquer. Choquée et à moitié assommée, elle est néanmoins consciente qu’il lui faut reprendre le dessus, réagir au plus vite. Il lui faut prendre la fuite le plus vite possible. Elle distingue à peine l’homme à travers les vitres embuées. Il est adossé contre la portière du conducteur. Il parle. Elle comprend qu’il est au téléphone. Elle a peu de temps pour agir, mais il lui faut saisir sa chance. Violette redresse sa tête. Elle a si mal qu’elle pense se rompre les cervicales rien qu’en desserrant sa mâchoire restée visiblement bloquée par la dernière action qu’elle effectuait, mordre. Elle prend appui sur son bras valide mais complètement endolori, se relève tant bien que mal et s’aperçoit que le cliquet de la portière contre laquelle sa tête n’a cessé de cogner n’est pas abaissé. « Elle n’est pas verrouillée » se dit-elle. Elle réalise soudain qu’elle aurait pu essayer de fuir depuis le début. Désemparée, écœurée par le manque de raisonnement dont elle a fait preuve malgré l’entraînement de self-défense qu’elle suit depuis maintenant près de trois ans. Pour autant, « ce n’est ni le moment ni l’endroit pour se faire des reproches » se dit-elle en sentant des hauts le cœur lui saisir les tripes. Elle saisit la poignée de la portière en essayant de ne pas faire de bruit. Par chance, la porte s’ouvre en silence. Violette jette un coup d’œil rapide vers l’homme. Il rit au téléphone comme si de rien n’était. Elle rampe sur la banquette, pose ses mains sur le sol et laisse glisser son corps sur le béton froid tout en priant pour que son bourreau ne se retourne pas. Elle se souvient avoir déverrouillé sa voiture en arrivant dans le parking. Elle n’a donc plus qu’à se trainait jusqu’à sa berline pour s’y réfugier, s’enfermer, s’enfuir et appeler la police. Elle reste à genoux pour parcourir la distance qui la sépare de son véhicule, même si la douleur des écorchures est intense. Le message de douleur que transmet son corps à son esprit lui hurle qu’elle est bel et bien en vie. Les quelques mètres parcourus sont semblables à un marathon. Elle se remet debout sans faire de bruit. Elle ne se retourne pas. Terrorisée à l’idée d’être pétrifiée si elle s’aperçoit que l’homme est à ses trousses. Violette saisit la poignée de sa voiture à pleine main et ouvre la porte. Elle grince. Elle monte rapidement et s’engouffre dans l’habitacle. Elle referme la portière derrière elle sans même faire attention au bruit qu’elle pourrait faire. Elle aperçoit dans sa vision panoramique une silhouette noire qui déboule comme une furie. « Boum, boum » Il frappe violemment contre la vitre pour la briser, mais n’y parvient pas. Violette panique, sa vision est trouble. L’homme continue de frapper sur le toit du véhicule et s’attaque maintenant à la vitre arrière. Violette doit réagir et vite. Les coups violents vont bientôt avoir raison du verre. Elle tente de rassembler ses idées et en desserrant les doigts de sa main droite qui lui fait très mal, elle se rend compte que ses clés sont enfoncées dans sa peau. Elles les arrachent littéralement de sa chair meurtrie, met la clé dans le barillet de démarrage et la tourne avec force. Le moteur démarre, le tableau de bord s’illumine, elle en est presque aveuglée, mais elle enchaîne les manœuvres sans réfléchir. « Boum, boum, boum » Le vacarme continue, de plus en plus fort, de plus en plus assourdissant. Le frein à main baissé, son pied sur l’embrayage, l’autre sur la pédale de l’accélérateur, sa main droite en sang sur le levier de vitesse, elle recule si vite que ses pneus crissent. L’homme s’acharne sur la lunette arrière et au moment où le bruit du verre brisé se fait entendre, elle le percute violemment. Violette entend le choc et voit disparaître le monstre sous sa berline. Elle ne s’arrête pas, il n’a que ce qu’il mérite après tout. Violette se déchaîne sur le levier de vitesse et les pédales. Elle s’enfuit à toute vitesse en accrochant le pare-choc de la limousine. Le grincement de la tôle froissée et du plastique cassé fait ralentir Violette jusqu’à ce que l’explosion de son pare-brise ne la fasse sursauter et appuyer sur l’accélérateur à nouveau. Elle jette un rapide coup d’œil sur la banquette arrière et aperçoit un gros morceau de béton qui y trône. Elle jette un regard furtif sur la limousine accidentée et alors qu’elle se concentre pour ne voir que l’endroit où se trouve normalement la plaque d’immatriculation, elle se rend compte qu’elle n’est pas comme les autres. Elle est verte et les numéros et les lettres qui la composent sont blancs. Violette sait parfaitement reconnaître une plaque diplomatique. Son père en avait une similaire. Ce très cher conseiller politique spécialisé en droit international des droits de l’homme au Moyen-Orient. Une armure légale qui lui a permis de ne jamais être poursuivi pour toutes les atrocités qu’il a commises pendant des années…

    Violette sort du parking sous-terrain à vive allure. Ses larmes entremêlées au sang qui dégouline de sa blessure à la

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