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SE FAIRE UNE PLACE DANS LA CITE: La participation des groupes religieux à la vie urbaine
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SE FAIRE UNE PLACE DANS LA CITE: La participation des groupes religieux à la vie urbaine
Livre électronique305 pages8 heures

SE FAIRE UNE PLACE DANS LA CITE: La participation des groupes religieux à la vie urbaine

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À propos de ce livre électronique

Nous vivons dans des sociétés largement laïques et sécularisées ; pourtant, la présence des groupes religieux dans l'espace urbain dessine une géographie inédite et fait émerger, aussi bien chez les chercheurs que chez les élus et les fonctionnaires, de nouveaux questionnements. Comment une ville devient-elle inclusive et peut-elle favoriser les expressions des spiritualités diverses? Et que doivent faire ces groupes pour se mettre au service d'une telle ville? Pour comprendre les enjeux qui découlent de ces questions, le présent ouvrage adopte une perspective pragmatique qui pose le phénomène de la foi dans le quotidien des populations concernées, notamment celles de Montréal, de Paris et de Vancouver. Et tout comme le fait religieux en vient à transformer une ville, celle-ci, en devenant une sorte de laboratoire, agit à son tour sur celui-là.
LangueFrançais
Date de sortie18 août 2022
ISBN9782760645516
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    Aperçu du livre

    SE FAIRE UNE PLACE DANS LA CITE - Frédéric Dejean

    Sous la direction de

    Frédéric Dejean et Annick Germain

    Se faire

    une place

    dans la cité

    La participation des groupes religieux

    à la vie urbaine

    Préface de Jean-Paul Willaime

    Postface de Lori G. Beaman

    Les Presses de l’Université de Montréal

    Cet ouvrage a été publié grâce une subvention de la Corporation canadienne des sciences humaines/Canadian Corporation for Studies in Religion.

    Mise en pages: Chantal Poisson

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre: Se faire une place dans la cité: la participation des groupes religieux à la vie urbaine / [sous la direction de] Annick Germain et Frédéric Dejean.

    Noms: Germain, Annick, 1948- éditeur intellectuel. | Dejean, Frédéric, 1981- éditeur intellectuel.

    Collections: Matière à pensée.

    Description: Mention de collection: Matière à pensée | Comprend des références bibliographiques.

    Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20220003009 | Canadiana (livre numérique) 20220003017 | ISBN 9782760645493 | ISBN 9782760645509 (PDF) | ISBN 9782760645516 (EPUB)

    Vedettes-matière: RVM: Villes—Aspect religieux. | RVM: Pluralisme religieux. | RVM: Expression religieuse dans l’espace public. | RVM: Villes—Aspect religieux—Études de cas. | RVMGF: Études de cas.

    Classification: LCC BL65.C57 S44 2022 | CDD 201/ .5091732—dc23

    Dépôt légal: 2e trimestre 2022

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    © Les Presses de l’Université de Montréal, 2022

    www.pum.umontreal.ca

    Les Presses de l’Université de Montréal remercient de son soutien financier la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

    Préface

    Jean-Paul Willaime

    Les rapports entre la ville et les religions, entre les religions et la ville – il est important de le dire dans les deux sens –, constituent un des champs de recherches classiques en sociologie des religions, un champ qui a donné lieu à de multiples travaux incorporant des études en sociologie urbaine. On peut résumer ces recherches en disant qu’elles décrivent et analysent principalement ce que la ville fait aux religions et, secondairement, ce que les religions font à la ville. Ces rapports entre ville et religions sont aussi un vaste domaine de recherches à travers les siècles et sur différents continents pour les historiens et les géographes, les ethnologues et les archéologues, sans oublier la science politique, qui étudie particulièrement les pouvoirs municipaux, les juristes, les philosophes et les littéraires. Ces travaux permettent de dégager différents types de villes dans le temps (de la cité antique à la ville moderne) et dans l’espace (la ville européenne, nord-américaine, arabe, chinoise, indienne…). Dans la longue durée et à l’échelle mondiale, les noms de certaines villes – Rome, Athènes, Jérusalem, La Mecque, Bénarès – évoquent des pans importants de civilisation à forte dimension religieuse. Mais aucune ville ne peut être réduite à une seule dimension. Si je prends l’exemple de Rome, on peut dire qu’il y a plusieurs Rome en Rome: Rome, ce n’est pas seulement la Rome catholique, c’est aussi la Rome antique, ce n’est pas seulement la Rome révolutionnaire de Garibaldi, c’est aussi la Rome fasciste de Mussolini… Cumulant plusieurs vestiges et mémoires du passé et de nombreuses dimensions dans le présent (économiques, sociales, artistiques, politiques, militaires, académiques, nationales et internationales, religieuses, etc.), les grandes cités sont des réalités sociales extrêmement diverses et complexes. Elles attirent d’autant plus de nouvelles populations que la variété de leurs différentes facettes est grande et que l’univers des possibles y apparaît plus large que partout ailleurs. Beaucoup ont l’impression que c’est là où il faut être. Possibilités réelles de promotion sociale et d’enrichissement pour certains, les grandes métropoles sont aussi, pour d’autres, le lieu de cruelles expériences de déclassement et de paupérisation. C’est également dans les grandes métropoles que l’on rencontre la plus grande variété de cultures et de religions.

    Le thème de la ville est présent dans de nombreux systèmes religieux, et la perception que les croyants en ont est tantôt positive (la ville sainte, destination d’un pèlerinage, la cité céleste imaginée), tantôt négative (la ville incarnant le pouvoir démesuré de l’homme, l’oubli des dieux). Dans les théologies juive et chrétienne, il y a un rapport ambivalent à la ville: un lieu de perdition dont il faut s’écarter (Sodome et Gomorrhe), mais aussi la promesse d’une cité de Dieu à venir, la Jérusalem céleste. Les textes bibliques verront en Babylone, qui, avant sa décadence, fut considérée comme «une ville sainte», le symbole même du péché, la «grande prostituée» évoquée à la fin du Nouveau Testament dans l’Apocalypse de Jean (17,1). Saint Augustin, dans La Cité de Dieu (XIV, 28,1), évoque deux cités qui s’opposent radicalement: «Deux amours ont donc bâti deux cités: l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu, la cité de la Terre, l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi, la cité de Dieu. L’une se glorifie en soi, et l’autre dans le Seigneur.» Dans l’imaginaire des villes, l’on trouve souvent mêlées ces deux cités; ainsi Montréal est aussi bien perçue, jusqu’à l’aube de la Révolution tranquille, comme «la ville aux cent clochers» que comme «la ville du péché», Paris est aussi bien associée aux plaisirs de Pigalle qu’à Notre-Dame de Paris, à la tour Eiffel qu’à la basilique du Sacré-Cœur. Les imaginaires des villes charrient des mémoires d’événements historiques qui, à l’occasion de commémorations, peuvent réveiller de vieux antagonismes. Les rues, places et quartiers de Paris sont riches d’une histoire dont certains pans sont sanglants. Les évoquer sur la voie publique peut réserver des surprises. Ainsi, le 29 mai 2021, à Paris, des catholiques ont été pris à partie alors qu’ils participaient à une marche de prières organisée par le diocèse de Paris en mémoire des religieux exécutés le 26 mai 1871 lors de l’insurrection connue sous le nom de Commune de Paris. Après avoir essuyé quelques quolibets anti­cléricaux traditionnels («à bas la calotte»…), ils ont été traités de «versaillais» par quelques «gauchistes», dont quelques-uns sont même allés jusqu’à des violences physiques1.

    Au XXe siècle, dans les sociétés occidentales, le récit moderne a valorisé la «cité séculière» comme lieu d’émancipation et d’épanouissement des individus «délivrés» des contraintes traditionnelles du milieu rural. En publiant, en 1965, The Secular City, qui, à l’époque, a obtenu un vif succès, le théologien américain Harvey Cox a apporté en quelque sorte une caution religieuse à ce récit: c’est en prenant en compte la réalité séculière de la cité moderne que les Églises devaient repenser leur mission. Mais l’émergence de cette «cité séculière» étant une des conséquences de la sécularisation, elle signifiait une perte d’influence du religieux, voire, pour certains, son inéluctable dépérissement. De fait, pendant la période 1950-1970, en Europe de l’Ouest, l’on a constaté une forte diminution de la pratique religieuse dans le passage du village à la ville2, comme si celle-ci constituait le tombeau de la religion. Aujourd’hui, dans plusieurs pays, dont la France, l’on observe le phénomène inverse: loin d’être le lieu de la décomposition du religieux, les grandes agglomérations sont au contraire le lieu de sa recomposition. Les grandes villes constituent aujourd’hui de véritables laboratoires de reconfiguration du religieux dans l’ultramodernité contemporaine. C’est notamment le cas de «villes mondiales» telles que Montréal et Paris, qui, tout en étant des hauts lieux de la sécularité, sont devenues aujourd’hui des lieux emblématiques d’une forte diversification religieuse, et ce, alors même que, dans les deux cas, ces cités se caractérisaient par une religion largement dominante: le catholicisme. D’autres groupes religieux se sont peu à peu fait une place dans ces villes sur le fond d’espaces urbains marqués par des édifices monumentaux évoquant aussi bien le catholicisme (les églises-monuments que comptent Montréal et Paris) que le capitalisme (les grands centres commerciaux et immeubles consacrés aux activités financières). Les «nouveaux» venus3 (certains sont très anciens: les Autochtones, les juifs) sur la scène religieuse de ces villes s’y inscrivent de façon originale, ils mettent en œuvre un autre rapport à l’espace et participent à la vie urbaine non pas en abandonnant leurs spécificités religieuses, mais, bien au contraire, en partant d’elles. Autrement dit, si la ville transforme le religieux, le religieux transforme aussi la ville.

    C’est l’immense intérêt du présent ouvrage publié sous la direction d’Annick Germain et de Frédéric Dejean, qui le démontre à partir d’études localisées du religieux vécu au cœur de l’urbanité montréalaise et parisienne. Sans oublier le texte qui nous fait découvrir, à Richmond, dans la banlieue sud de Vancouver, la route 5, qui, comportant sur trois kilomètres plus d’une vingtaine d’établissements religieux, a été surnommée «la Highway to Heaven». Dans les espaces urbains de Montréal et de Paris, il n’existe pas un tel axe, mais une multitude de rues, ruelles, places, sites, lieux… permanents ou temporaires, visibles ou très discrets, qui témoignent non seulement d’une extrême diversité de l’offre religieuse dans ces deux villes mondiales, mais aussi d’une extrême variété des façons de vivre la ville en tant que groupe ou réseau religieux.

    L’introduction générale de l’ouvrage présente fort judicieusement la problématique d’ensemble et le contenu des chapitres analysant certains aspects de la diversité religieuse à Montréal, Paris et Vancouver. Avant d’aborder les principales caractéristiques qui se dégagent des études locales ici rassemblées, quelques réflexions sur le titre et le sous-titre donnés à ce livre ne sont pas inutiles. Titrer Se faire une place dans la cité indique d’emblée que cette place n’est pas acquise d’avance, qu’il faut la conquérir, aller la chercher, la négocier, face à des politiques municipales qui encadrent le phénomène religieux de façon souvent mal adaptée aux nouvelles réalités socioreligieuses du terrain. C’est ce que montrent les trois contributions de la première partie de ce livre, intitulée «Diversité religieuse et politiques municipales». Quant au sous-titre, La participation des groupes religieux à la vie urbaine, il pointe une conclusion importante de cet ensemble d’études locales: les groupes religieux ne se contentent pas de s’assurer une place dans l’espace urbain leur permettant de vivre entre coreligionnaires leur vie religieuse, ils contribuent eux-mêmes de toutes sortes de façons à la vie urbaine. On le découvrira dans les trois contributions de la deuxième partie: «Les groupes religieux au service d’une ville inclusive». Les cinq chapitres de la troisième partie de l’ouvrage, intitulée «Expressions religieuses et spirituelles dans les quartiers», croisent les deux questionnements évoqués ci-dessus en se focalisant sur des expressions et des événements socioreligieux à forte visibilité qui marquent les espaces urbains concernés.

    J’ai mentionné précédemment l’ambivalence de ces deux villes mondiales que sont Montréal et Paris, dont les espaces sont marqués par deux monumentalités, l’une séculière, l’autre religieuse, deux monumentalités qui les font apparaître comme des cités à la fois séculières et religieuses. Il s’agit là d’un marquage matériel par des édifices cultuels monumentaux: pour Montréal, je pense particulièrement à la basilique cathédrale Marie-Reine-du-Monde et à l’oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal et, pour Paris, à Notre-Dame de Paris et à la basilique du Sacré-Cœur sur la colline de Montmartre, ces édifices témoignant de façon ostentatoire de l’importance qu’a eue le catholicisme dans l’histoire de ces villes. C’est dans ce décor, j’emploie à dessein ce terme, que se déploie une profonde recomposition du religieux que l’on peut caractériser par les six traits suivants:

    Les espaces urbains des grandes agglomérations, en partie parce qu’ils comptent une part importante de populations immigrées, présentent l’offre religieuse la plus diversifiée: les habitants de ces espaces ont l’embarras du choix, et ce, y compris au sein d’une même religion avec la pluralité interne qui caractérise désormais chacune d’elles (paroisses catholiques d’élection, sensibilités «orthodoxes» ou «libérales», groupes à dominante ethnique…).

    Ces différents groupes s’insèrent dans l’hypersécularité des grandes cités au sein desquelles ils cherchent sans complexe à faire valoir leurs différences. On n’est plus dans le schéma cité séculière contre cité religieuse comme si l’une devait l’emporter sur l’autre. L’extrême pluralité de l’offre religieuse protège la sécularité de la cité. Le problème concerne désormais l’équité, la non-discrimination d’une expression religieuse par rapport à une autre et par rapport aux convictions non religieuses.

    Les évolutions religieuses actuelles que l’on observe dans les grandes agglomérations remettent en cause les catégorisations du religieux qui tendent, particulièrement en France, à le confiner à l’intimité de la conscience individuelle et à l’intérieur des édifices du culte. Le cultuel déborde les édifices dans lesquels on voudrait le contenir, il se manifeste momentanément ou régulièrement dans des lieux non cultuels. Il devient de plus en plus difficile de distinguer le cultuel et le culturel, particulièrement dans le cas des traditions religieuses telles que le bouddhisme et l’hindouisme ou des pratiques religieuses comme les crèches de Noël ou le jeûne du ramadan, qui sont indissociablement à la fois culturelles et cultuelles.

    L’espace public, ce n’est pas seulement l’espace public politique de l’État et des collectivités territoriales, c’est aussi celui de la vie associative, un espace public social fortement investi par les groupes religieux locaux. Ceux-ci proposent toutes sortes d’activités sociales de solidarité qui mobilisent leurs réseaux nationaux et transnationaux et qui se révèlent plus complémentaires que concurrentes par rapport à l’action sociale publique.

    Une troisième expression de l’espace public, c’est tout simplement l’espace de nos rues et places dans lesquelles nous pouvons librement déambuler dans le respect de l’ordre public. Cet espace public commun est de plus en plus aujourd’hui le théâtre de manifestations religieuses très diverses à forte visibilité. Dans l’ultrasécularité urbaine, de plus en plus d’identités religieuses se donnent à voir, quelquefois avec ostentation, dans l’espace commun de la rue. Par le truchement de marches, de spectacles, de rassemblements, de processions, d’initiatives diverses, il s’agit de nous rendre visibles. On n’a pas fini d’explorer aujourd’hui, en sociologie des religions, cette question de la visibilité, de ses différents régimes et de ses enjeux.

    Les tensions et conflits que toutes ces évolutions engendrent. Tensions et conflits de voisinage, de cohabitation face à des expressions religieuses qui, parce qu’elles se montrent et s’entendent, dérangent particulièrement celles et ceux qui s’étaient habitués à un religieux invisible et silencieux. Tensions, conflits et négociations avec les autorités municipales qui cherchent à concilier la liberté des uns avec la liberté des autres et à éviter toute discrimination.

    Une diversification externe et interne accentuée du religieux, le brouillage de la délimitation entre le culturel et le cultuel, l’intégration urbaine de ces groupes religieux par leur participation à la vie associative (l’espace public social), l’affirmation décomplexée des identités dans l’espace public commun qui devient le théâtre de la diversité, les tensions et conflits que cela suscite, telles sont quelques-unes des conclusions que l’on peut tirer de cet ensemble d’études qui ont l’avantage de partir du religieux tel qu’il est vécu au cœur même d’espaces urbains saturés de sécularité. Un religieux plus mobile, plus fluide, plus instable, qui représente un défi pour les pouvoirs publics qui préfèrent les territorialisations stables aux territorialisations instables et éphémères, un religieux solide facile à circonscrire dans l’espace de la cité (le zonage religieux) à un religieux plus liquide qui peut sortir de son lit habituel et se répandre là où on ne l’attendait pas. Après avoir été considérée comme le tombeau de la religion, la vie urbaine semble bien être devenue un lieu innovant de sa recomposition.

    1. L’insurrection des «communards» fut réprimée dans le sang par les troupes du gouvernement de l’époque réfugié à Versailles. Traiter de «versaillais» les catholiques participant à cette procession était donc les identifier à la répression sanglante du gouvernement de cette époque. Mgr Michel Aupetit, archevêque de Paris, a vigoureusement dénoncé cette violence exercée contre des catholiques qui défilaient pacifiquement et dont certains étaient accompagnés de leurs enfants. Dans une tribune publiée mardi 1er juin dans Le Figaro, il a plaidé pour le droit des catholiques à être traités à «égalité […] avec les autres religions concernant la protection des personnes» et pour «le droit d’exprimer [leur] foi dans la sphère publique». Plainte a été déposée par le diocèse de Paris.

    2. En ce qui concerne la France, voir les études de sociologie du catholicisme de Gabriel Le Bras et de Fernand Boulard.

    3. Erik Sengers et Thijl Sunier (dir.), Religious Newcomers and the Nation State. Political Culture and Organized Religion in France and the Netherlands, Delft, 2010.

    Introduction

    Annick Germain et Frédéric Dejean

    Depuis une bonne vingtaine d’années, le phénomène religieux fait, au Québec, l’objet d’un intense traitement politique dans les débats publics, particulièrement au début des années 2000, dans le sillage de la «crise des accommodements raisonnables» et de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles créée en 2007 et présidée par Gérard Bouchard et Charles Taylor pour «dresser un portrait des pratiques d’accommodements qui ont cours au Québec» (Bouchard et Taylor, 2008, p. 17). Depuis lors, la question de la place de la religion dans l’espace public s’est imposée comme un sujet central, à la faveur de controverses et de projets de loi, jusqu’à l’adoption de la Loi sur la laïcité de l’État en juin 2019. Au cours des discussions et des débats, la religion, dans ses expressions multiples, est principalement abordée comme un problème ou comme une menace, la crainte étant que l’affiliation religieuse des personnes – en tout premier lieu des personnes immigrantes – l’emporte sur le sentiment d’appartenance à la société québécoise. Cette impression de menace n’est pas étrangère au rejet du modèle multiculturaliste, qui, selon ses détracteurs, conduirait inévitablement à une juxtaposition de communautés repliées sur elles-mêmes. Des politologues ont cependant montré qu’être socialement libéral, au Québec, avait des effets opposés à ceux qu’on observe dans le reste du Canada, notamment en matière d’affichage des signes religieux (Bilodeau et Turgeon, 2014).

    Pour autant, la façon dont la religion est construite comme «problème public» (Cefaï, 1996) a pour effet d’évacuer ce que l’anthropologue Albert Piette appelle la «religion ordinaire» (Piette, 2003). La «religion ordinaire», c’est une invitation à effectuer un pas de côté, à mettre au second plan les institutions, les manifestations qui frappent l’imaginaire du public et font vaciller la raison, et à accorder de l’importance aux pratiques quotidiennes des individus, révélées par un patient travail d’observation à l’échelle locale. Par ailleurs, le traitement du religieux principalement comme problème a pour effet de focaliser les discussions sur des enjeux théoriques et généraux, avec une saveur fréquemment normative, laissant finalement peu de place à l’extrême diversité de la manifestation du religieux dans le quotidien de la société québécoise (Dejean, Lavoie et Koussens, 2020).

    Cette focalisation sur les menaces potentielles que représentent les expressions du religieux a finalement pour effet de détourner l’attention des changements associés à la place du religieux dans la vie sociale et dans les espaces de la vie quotidienne, au-delà des tendances à la sécularisation. En effet, à vouloir réduire les traditions religieuses à des systèmes normatifs contraignants et imperméables à leur environnement social, on se prive de prendre la mesure des pratiques religieuses concrètes. En effet, ces dernières ne se limitent pas à la simple mise en application de normes et de règles contenues dans des textes sacrés ou énoncées par des clercs, mais se manifestent par des formes inédites d’adaptation au contexte local.

    La ville, laboratoire du religieux

    Le présent ouvrage s’inscrit à la jonction de deux évolutions importantes

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