Du mouvement catholique en France depuis 1830
Par Charles Louandre
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À l’origine même du siècle, le point de départ de l’ère nouvelle du catholicisme est marqué dans la politique par le concordat de 1801, dans la littérature par le Génie du christianisme, qui parut un an après le concordat. Retardé sous la restauration par l’appui même que lui prêtait le pouvoir, dans l’intérêt d’une politique qui se rejetait vers le passé, le mouvement religieux a pris, depuis 1830, un développement nouveau. On sait l’affluence qui se porte aux églises dans les grandes solennités, l’empressement du public à suivre les prédictions des orateurs chrétiens, le succès des cours de la faculté de théologie, et, s’il convient de faire une assez large part à la curiosité de la foule, il est juste aussi de reconnaître qu’auprès des oisifs et des curieux il y a les chrétiens sincères. Sans aucun doute, il faut attribuer la cause principale de ce mouvement à la séparation de la religion et de la politique opérée par la révolution de juillet, à la pensée, encourageante pour la foi sérieuse, que la liberté de conscience était acquise, et que le pouvoir ne spéculerait plus sur les croyances.
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Du mouvement catholique en France depuis 1830 - Charles Louandre
Du mouvement catholique en France depuis 1830.
Du mouvement catholique en France depuis 1830
Charles Louandre
Humanités et Sciences
Première partie
I – RENAISSANCE CATHOLIQUE.
Chaque siècle, comme chaque homme, a ses exagérations, ses contrastes. Sous ce rapport, nous n’avons rien à envier aux générations qui nous ont précédés, et ce serait une étrange histoire que celle des opinions et des idées extrêmes qui ont eu cours dans l’époque troublée où nous vivons. Le peuple qui tuait son roi, qui proscrivait son Dieu, il y a tantôt cinquante ans, s’est agenouillé devant les autels qu’il avait brisés naguère. C’est là, à part l’imprescriptible puissance du sentiment religieux, une loi éternelle des choses de ce monde, un reflux inévitable qui nous ramène toujours au point que nous avons quitté, pour nous emporter de nouveau et nous y ramener encore. L’outrage révolutionnaire, en tombant sur les choses saintes, avait préparé une réaction religieuse, comme le régicide avait préparé une restauration. L’église de France eut bientôt cicatrisé ses plaies : de grands esprits, de grands écrivains se rallièrent là cause du catholicisme et la défendirent, les uns par la logique, les autres par la poésie, Dieu fut, pour ainsi dire, rappelé de l’exil.
À l’origine même du siècle, le point de départ de cette ère nouvelle est marqué dans la politique par le concordat de 1801, dans la littérature par le Génie du christianisme, qui parut un an après le concordat. Retardé sous la restauration par l’appui même que lui prêtait le pouvoir, dans l’intérêt d’une politique qui se rejetait vers le passé, le mouvement religieux a pris, depuis 1830, un développement nouveau. On sait l’affluence qui se porte aux églises dans les grandes solennités, l’empressement du public à suivre les prédictions des orateurs chrétiens, le succès des cours de la faculté de théologie, et, s’il convient de faire une assez large part à la curiosité de la foule, il est juste aussi de reconnaître qu’auprès des oisifs et des curieux il y a les chrétiens sincères. Sans aucun doute, il faut attribuer la cause principale de ce mouvement à la séparation de la religion et de la politique opérée par la révolution de juillet, à la pensée, encourageante pour la foi sérieuse, que la liberté de conscience était acquise, et que le pouvoir ne spéculerait plus sur les croyances.
La renaissance des idées catholiques s’est produite dans la littérature par des manifestations diverses. Il a été fondé dans plusieurs villes, et sur le plan de la Société littéraire de l’université catholique de Louvain, des académies religieuses, qui se recrutent surtout parmi les jeunes gens, et qui ont pour but de discipliner aux mêmes doctrines les hommes qui s’occupent des travaux de l’esprit. Nous citerons à Paris le Cercle catholique, qui a été présidé par M. Rendu, conseiller de l’Université ; l’Institut catholique, qui est présidé par M. de Villeneuve-Bargemont ; la Société de Saint-Paul, qui publie, comme appendice de l’Univers, un recueil mensuel, la Revue de Saint-Paul, dont la mission est d’immoler, sans respect de la langue et des convenances, tous les écrivains qui ne se font pas les champions aveugles de l’intolérance ; à Lyon, l’Institut catholique, présidé par M. le cardinal de Bonald.
La propagande trouve des auxiliaires plus puissants encore dans les sociétés de bons livres, dans l’activité des imprimeries spéciales, dont quelques-unes sont même dirigées par des prêtres. En 1840, M. l’abbé Migne, ancien directeur de l’Univers religieux, fondait au Petit-Montrouge une imprimerie qui occupa dès la première année cent quarante ouvriers, et qui devait donner, par séries de publications successives, toute une encyclopédie catholique. Saint-Sulpice et Saint-Thomas d’Aquin ont aujourd’hui des bibliothèques paroissiales, et la presse religieuse semble lutter d’activité avec les presses des sociétés bibliques du protestantisme. Cette librairie, qui a résisté aux crises les plus graves, a pour principaux centres Paris, Lyon et Tours. Paris produit en général les grandes collections, les éditions de luxe, les Bibles ou les Évangiles illustrés ; Lyon, les éditions populaires et à bon marché. Voici à peu près pour toute la France, depuis 1835, le terme moyen des publications de chaque année, dans chaque genre :
Il est à noter que les livres de prières à l’usage du culte ne sont pas compris dans ce chiffre déjà si élevé, et qui donne par les tirages à grand nombre une masse d’exemplaires beaucoup plus considérable que les autres branches de la librairie, à l’exception toutefois de la librairie universitaire. A part l’empressement du public religieux et la modicité des prix, cette remarquable propagation s’explique par le patronage constant du clergé. Ainsi il exige dans plusieurs séminaires de véritables boutiques (c’est le mot dont on se sert pour désigner ces sortes de dépôts), destinées à approvisionner le diocèse. Les annonces sont affichées sous le portail des églises, quelquefois même on fait la vente dans les sacristies ; on joint au volume quelque prière emportant indulgence, et au besoin des distributions gratuites sont faites à titre d’aumônes spirituelles. Certaines congrégations s’occupent même activement des placements de la librairie religieuse ; c’est ainsi que parmi les frères de Saint Augustin pu ont leur principal établissement à Avignon on trouve, à côté des frères solitaires et des hospitaliers, les missionnaires propagateurs des bons livres.
Les arts, comme la littérature ont subi l’influence du prosélytisme. La peinture, après avoir épuisé l’élément païen, a demandé au christianisme, et quelquefois sans trop le comprendre, des inspirations nouvelles. Les nombreux travaux exécutés dans les églises favorisaient d’ailleurs, par un côté positif, cette tendance des esprits, et, sans que les artistes en soient peut-être pour cela plus catholiques, le nombre des sujets religieux s’est considérablement accru dans ces dernières années. En 1833, le chiffre des peintures pieuses exposées au salon, et pouvant figurer dans les églises, était de vingt seulement ; il s’est élevé en 1838 à quatre-vingt-six, et à cent soixante-un en 1842. Dans l’architecture, la réaction a été plus sensible encore, et du moins profitable à l’art même. L’iconographie chrétienne, appliquée à la conservation des monuments, s’est constituée de nos jours comme une science toute nouvelle. Des cours d’archéologie religieuse ont été ouverts dans les séminaires, et la dévotion s’est éveillée de toutes parts pour les reliques de pierre, comme on dit, qui sont les seuls poèmes complets et achevés que nous ait légués le moyen-âge. A défaut d’une inspiration originale et d’une foi suffisante pour les grandes créations, on a reproduit textuellement les compositions du passé. C’est un progrès néanmoins ; puisqu’il s’agit de christianisme mieux vaut la copie ogivale que le pastiche païen. On a vu même dans la construction des églises, les choses se passer exactement comme au moyen-âge. Ainsi, en ce moment, on bâtit à Rouen, sur la colline du Bon secours, une chapelle à la Vierge, et, comme, aux âges les plus mystiques, les ouvriers donnent des journées gratuites tandis que M. l’archevêque et M. le premier président donnent des vitraux, à la seule condition de voir sculptées leurs armoiries sur les fenêtres.
Du reste, il est juste de le dire, le sentiment religieux du XIXe siècle, au milieu de ses entraînements parfois mondains et purement admiratifs ou littéraires, a eu aussi son côté pratiqué ; il ne s’est point contenté de cette dévotion égoïste et stérile qui ne veut que son propre salut. Effrayée des misères inévitables que la civilisation trahie à sa suite, effrayée de la dureté de la charité légale et de l’impuissance trop souvent démontrée de la philanthropie, la foi contemporaine s’est imposé l’exercice des œuvres bienfaisantes commandées par l’Évangile. Tandis que les réformateurs matérialistes s’adressaient au peuple en lui montrant la terre promise dans l’application de leurs utopies, la piété sincère, moins orgueilleuse et plus puissante que le bien, s’adressait aux pauvres et leur tendait la main. Les plus tièdes eux-mêmes applaudiront sincèrement à la propagation des œuvres de bienfaisance, et leur pardonneront de grand cœur ce qu’elles ont parfois d’un peu mondain. Il faut donc citer dans Paris, comme ayant droit à la reconnaissance publique, la société de Charité maternelle, l’association de Sainte-Anne, celle des Mères de famille, fondée par M. de Quélen en faveur des orphelins du choléra ; la société des Amis de l’Enfance, sous la protection du saint enfant Jésus ; la société de Saint Vincent-de-Paule, qu’il ne faut pas confondre avec la société de Saint-Paul, et qui compte deux mille deux cents membres dans Paris, et des agents dans cinquante villes de la province ; l’œuvre de Saint-Charles, pour les prêtres âgés et infirmes la société de Saint-François Régis, pour la légitimation des enfants et la consécration civile et religieuse de ces ménages libres qui sont une des plaies des classes laborieuses : cette utile association a des succursales dans vingt-trois villes des départements, et même une succursale à Constantinople. N’oublions pas non plus, dans un autre ordre d’institutions, mais toujours dans la sphère du bien pratique, la salutaire influence qu’ont exercée les idées catholiques, appliquées à l’organisation et à la direction de la colonie agricole de Mettray, des pénitenciers de Bordeaux, de Marseille et de Lyon.
Placées sous le patronage des membres du clergé, les sociétés chrétiennes de bienfaisance ont rallié à Paris comme quêteuses, présidentes, distributrices de secours, des dames du plus grand nom et des jeunes gens du monde élégant, qui partagent dans les divers quartiers de la capitale, avec MM. les curés des paroisses, les fatigues de la charité. A défaut de dotations suffisantes et de patrimoine foncier, les œuvres de charité ont recours aux cotisations annuelles, aux quêtes, aux loteries. La plupart d’entre elles publient chaque aunée le budget des recettes et justifient de l’emploi des fonds en présentant le chiffre des pauvres qui ont été secourus, le tableau des aumônes, soit en argent, soit en objets de première nécessité. Il convient d’ajouter, pour la gloire de notre époque, que les diverses communions, les divers cultes, se sont rencontrés souvent, pour la pratique du bien, et comme sur un terrain neutre, dans ces associations, dont quelques-unes sont administrées par des sociétés mixtes, composées de catholiques et de protestants. Toutes les œuvres de charité cependant n’ont pas cette louable tolérance ; il en est qui imposent aux pauvres qu’elles secourent, comme condition première de leur aumône, le strict accomplissement des devoirs religieux et l’assiduité aux exercices du culte. Ce fait a de l’importance, car, si nombreuses que soient les convictions sincères, on est surpris du brusque passage d’une indifférence presque générale aux pratiques de la dévotion la plus fervente, et quand on voit, par exemple, dans une paroisse de Paris, qui compte à peine 27,000 âmes, le nombre des communions, qui avait été, en 1835, de 750 seulement, s’élever, en 1838, à 9,500, et à 20,000 en 1840, on peut se demander s’il faut attribuer exclusivement cette progression à l’éloquence des prédicateurs et à l’influence des conférences religieuses.
A côté des associations établies pour soulager les misères humaines, il en est d’autres qui s’occupent avant tout du prosélytisme. La plus importante, celle qui rappelle le moyen-âge en le dépassant, est sans contredit l’œuvre de la propagation de la foi, qui a pour but de seconder les missions par des prières et des secours d’argent. Fondée à Lyon en 1822, cette œuvre compte aujourd’hui sept cent mille associés en France et à l’étranger ; elle a recueilli, en 1841, 2,752,215 francs, chiffre d’autant plus remarquable que la cotisation obligatoire n’est que de cinq centimes par semaine ; mais, quand le pauvre donne un sou, il y a des riches qui donnent 1,000 francs. La propagation publie, à cent cinquante mille exemplaires, des Annales qui font suite aux Lettres Édifiantes. Les sacrifices que s’impose l’Europe catholique dans l’intérêt de ses croyances religieuses ont été grands sans doute dans ces derniers temps ; quoi qu’il en soit cependant, le protestantisme s’est montré dans son prosélytisme beaucoup plus prodigue d’argent : les diverses communions protestantes de l’Europe ont dépensé, en 1842, pour les missions et les distributions de livres, 26,734,474 francs.
Dans Paris, chaque paroisse a, pour ainsi dire, sa confrérie ; la plus étendue, celle qui a pris le nom d’archi-confrerie du Sacré-Cœur, et qui est dirigée par M. l’abbé Desgenettes, l’apôtre le plus actif, le plus influent du prosélytisme parisien, a réuni cinquante mille associés dans la capitale, et elle offre cela de remarquable, qu’elle a discipliné, sous la direction d’un prêtre dont les sympathies politiques sont loin d’êtres acquises aux idées révolutionnaires, un grand nombre de membres du parti républicain, et christianisé en quelque sorte les débris de la société des Droits de l’homme et les démolisseurs de l’archevêché.
Le jansénisme lui-même, après un long assoupissement, s’est réveillé dans cette résurrection générale ; il a choisi pour sa métropole Saint-Séverin. Deux cent cinquante familles environ le représentent dans cette paroisse, son dernier refuge. Unanimes dans les convictions religieuses et parfaitement unies par le rigorisme, les familles jansénistes de Saint-Séverin sont également ralliées à une même foi politique ; elles votent aux élections comme un seul homme, et toujours avec l’opposition.
L’esprit monastique, de son côté, gagne et se propage ; les ordres de la plus sévère observance, les trappistes, ont compté les fondations les plus nombreuses, et la France, en moins de vingt-cinq ans, a vu s’établir plus de monastères que le XVIIe siècle dans toute sa durée. Il va sans dire que les jésuites n’ont pas attendu, pour reprendre position la levée du ban d’exil qui pèse sur eux ; comme toujours, ils ont dissimulé leur enseigne : ce ne sont plus même les pères de la foi, ce sont tout simplement des prêtres appliqués aux fonctions du saint ministère ou des prêtres pensionnaires suivant les cours publics de Paris, qui habitent à Paris, rue des Postes, une maison ecclésiastique, sous la direction de M. Loriquet, le fameux historiographe de M. le marquis de Buonaparte, généralissime des armées de sa majesté Louis XVIII. Les jésuites, à Paris comme dans la province, tendent sans cesse à empiéter sur les attributions du clergé séculier ; ainsi, dans la maison de la rue de Postes, on célèbre chaque jour, pour accaparer les fidèles, des messes qui se succèdent sans interruption, et qui ne durent que le temps voulu par la discipline liturgique. On n’attend jamais, il en est de même pour la confession, et l’affluence des femmes est grande ;