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Profession médecin de famille
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Livre électronique82 pages59 minutes

Profession médecin de famille

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À propos de ce livre électronique

« Médecin de famille » L’expression en dit beaucoup plus qu’on ne l’imagine. Cette figure est chargée de symboles, de souvenirs d’enfance, d’émotions intenses et d’expériences de vie marquantes. Elle véhicule son poids d’histoire et de réalité contemporaine. Et, parce que l’expression est riche, il est difficile d’en faire le tour en quelques mots ou quelques pages.



Marc Zaffran raconte ici comment la médecine générale est devenue, sous ses yeux, une spécialité à part entière qui exige de hautes compétences scientifiques et relationnelles, ainsi qu’une ouverture d’esprit et une créativité importantes. On ne naît pas médecin de famille, on le devient. Le livre est dédié à tous les étudiants en médecine, dans toutes les spécialités, à leurs professeurs, et aussi au grand public qui connaît, et aime, les livres de Martin Winckler.



Né en Algérie et médecin de formation, Marc Zaffran a exercé en France comme médecin de famille en milieu rural et en milieu hospitalier. À partir de 1987, il publie sous le pseudonyme de Martin Winckler des ouvrages dans des styles très différents : romans, récits autobiographiques, contes, recueils de nouvelles, articles scientifiques, analyse filmique de séries télévisées, essais sur le soin, manuels médicaux pour le grand public. Il vit maintenant à Montréal, avec sa famille.
LangueFrançais
Date de sortie12 janv. 2012
ISBN9782760627406
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    Aperçu du livre

    Profession médecin de famille - Marc Zaffran

    Découverte

    J’ai treize ans et je suis aux anges.

    Assis à la place du passager dans une Renault 4L, j’accompagne mon père dans une de ses tournées. On est en mai 1968 et, bien que nous ne vivions qu’à quatre-vingt kilomètres de Paris, les jets de pavés et de grenades lacrymogènes entre étudiants et policiers me semblent se dérouler sur une autre planète. La route qui défile devant nous est plate comme la main, tout comme les champs de céréales qu’elle traverse. Nous sommes en Beauce, le «῀grenier à blé῀» de la France. La 4L tangue, vibre et ondule, mais je n’ai pas le mal de mer, je suis heureux.

    Mon père, Ange Zaffran, me parle en conduisant.

    J’adore mon père. Il ressemble un peu à Edward G. Robinson dans ses rôles de truands, mais il ne m’a jamais fait peur. À mes yeux, il est la bonté incarnée.

    Il est médecin généraliste dans une petite ville française de 10῀000῀habitants, Pithiviers. Il s’y est installé en 1963 après avoir exercé la médecine en Algérie pendant près de vingt ans. Son cabinet médical est situé au rez-de-chaussée de notre logement, une «῀maison de docteur῀» depuis plusieurs générations, mais dans laquelle nous vivons depuis cinq ans seulement. Chaque jour à 17῀heures, quand je rentre du lycée, je le trouve assis dans son bureau, la porte ouverte, après le départ du dernier patient. En attendant de sortir faire ses visites à domicile, il lit l’hebdomadaire satirique Le Canard enchaîné ou un hebdomadaire de courses hippiques῀: comme des millions de Français, il joue au tiercé tous les dimanches. Lorsque j’apparais à la porte de son bureau, il me demande comment s’est passée ma journée῀; je commence à lui dire ce que j’ai appris et je m’assieds sur le divan d’examen sur lequel des patients se sont allongés quelques minutes ou quelques heures plus tôt. Il m’écoute et, au détour d’une question — j’ai toujours des questions à lui poser —, il se met à me parler de son enfance, de la ville où il a grandi, de l’école qu’il a fréquentée.

    Le téléphone sonne῀; c’est l’épouse d’un de ses patients. Elle aimerait savoir quand il va passer le voir. À la manière dont Ange lui répond, je comprends qu’elle a déjà appelé, qu’elle est inquiète. Il dit qu’il part sur-le-champ et, comme il n’a pas fini de me raconter son histoire, il me propose de l’accompagner.

    Il remet les lunettes qu’il essuyait pensivement quelques instants plus tôt, se lève, saisit une petite sacoche posée sur un meuble, sort du bureau, se plante au pied de l’escalier et appelle ma mère pour la prévenir qu’il part en tournée.

    Il lui dit le nom des patients qu’il va voir, afin qu’elle puisse le joindre si quelqu’un d’autre demande une visite entre-temps. Les cellulaires n’existent pas encore, et nombre de gens n’ont pas le téléphone chez eux, mais ma mère sait toujours chez qui le joindre.

    Beaucoup de patients de mon père vivent hors de Pithiviers, dans un rayon de vingt kilomètres. Même s’il n’a que quelques visites à faire, si c’est aux quatre coins du canton, la tournée peut durer trois heures. Nous rentrerons seulement passé l’heure du souper.

    Quand j’accompagne mon père, nos conversations ont toujours deux versants. En partant vers le domicile d’un patient, il continue l’histoire qu’il avait commencé à me raconter῀: comment un prof de violon, après l’avoir écouté poser la première fois un archet sur des cordes, a préféré l’emmener à la pêche. Ou comment, lorsqu’il était enfant puis adolescent, il jouait au foot avec un camarade de classe nommé Albert Camus. Ça, c’est le versant drôle, épique, coloré.

    Puis il guide la voiture sur un chemin étroit, pénètre dans une cour de ferme où un chien nous accueille en aboyant et il se gare devant un bâtiment d’habitation. Il allume la radio pour que je ne m’ennuie pas et, saisissant la petite sacoche posée sur le siège arrière, il sort à la rencontre de la femme qui va le guider vers le malade.

    Je ne regarde pas les poules, les oies ou le chien qui tourne autour de la voiture. Je sors un livre et je lis, ou un cahier et j’écris. Je ne vois pas le temps passer.

    Quand mon père ressort, quarante minutes ou une heure plus tard, son visage est sombre. Il me demande si j’ai faim, si je veux qu’il me dépose à la maison avant d’aller voir le patient suivant. Il est prêt à faire trente kilomètres de plus pour que je soupe à une heure correcte, mais je préfère rester avec lui.

    Lorsque la voiture quitte la cour de ferme, je l’entends soupirer.

    — Quelle misère. Quel malheur. Il y a vraiment des gens qui n’ont pas de chance.

    Je sais qu’il parle du patient très malade qu’il vient de voir et d’écouter, de sa femme qu’il a tenté de réconforter de son mieux, des enfants qui vont peut-être bientôt perdre leur

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