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Adolescence sacrifiée (58)
Adolescence sacrifiée (58)
Adolescence sacrifiée (58)
Livre électronique205 pages2 heures

Adolescence sacrifiée (58)

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À propos de ce livre électronique

Ma mère est malade. À cause de sa dépression, elle dort sans arrêt. Ce n’est pas sa faute.
À part ma meilleure amie, personne ne le sait. Si mon école ou celle de mon petit frère et ma petite sœur s’en rendait compte, on pourrait être envoyés en famille d’accueil. Alors, je m’occupe d’eux le mieux possible.
Bien sûr, mon père est au courant. Mais il travaille sur la route et ne rentre que la fin de semaine. Ces jours-là, elle sort du lit. Elle mange avec nous. Elle prend même sa douche.
Le reste du temps, c’est moi, la mère. Je gère tout. La cuisine, la vaisselle, le ménage, les bains, les devoirs. Je donne ses médicaments à maman, aussi. Je les garde toujours avec moi. Elle pourrait être tentée d’en prendre trop…
Je suis fatiguée. Je ne sors jamais. Je m’inquiète tout le temps. Mais je ne peux pas abandonner les plus jeunes. De toute façon, elle va finir par guérir. Hein ???

La parentification décrit le phénomène où un enfant ou adolescent est laissé à lui-même et doit prendre soin de son parent, voire des autres membres de la famille. De la gestion des finances à l’hygiène, en passant par l’alimentation et le travail scolaire, il sacrifie son adolescence et s’attribue les responsabilités d’un adulte. La plupart du temps, ses efforts ne sont pas reconnus. Il peut alors se retrouver dans une impasse destructrice.
LangueFrançais
Date de sortie6 oct. 2021
ISBN9782897922924
Adolescence sacrifiée (58)
Auteur

Madeleine Robitaille

Deuxième d’une famille de cinq enfants, Madeleine est née à Mont-Laurier dans les années 60 d’une mère artiste et d’un père touche-à-tout. Bien qu’elle ait vécu dans de nombreuses régions du Québec, c’est dans la magnifique municipalité de Mont-Laurier qu’elle a trouvé un chez-soi. Le goût de l’écriture a été présent chez elle dès l’adolescence, mais ce n’est qu’à l’âge adulte qu’elle se lance dans la rédaction d’un premier roman. Quelques autres ont suivi, toujours écrits d’abord pour son plaisir personnel. Madeleine est très inspirée par les sursauts de la météo : la chaleur, le froid, la pluie, l’orage, la neige… autant de caprices de mère Nature qui deviennent des prétextes pour faire naître une histoire. Profitant de sa facilité à se mettre à la place des autres, Madeleine adore explorer le côté psychologique de ses personnages. De son point de vue, ses romans (Le quartier des oubliés, Les orphelins du lac, Dans l’ombre de Clarisse, Chambre 426 et Cobayes – Elliot) sont essentiellement des thrillers psychologiques. Avec Adolescence sacrifiée, son plus récent roman, elle fait une première incursion dans la littérature pour les adolescents.

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    Adolescence sacrifiée (58) - Madeleine Robitaille

    1

    Il est vingt-trois heures cinq.

    La maison est plongée dans le silence. Un silence relatif. Trompeur.

    Mon oreille tendue détecte les pas feutrés qui arpentent inlassablement le couloir, qui montent et descendent l’escalier.

    Je suis braquée dans le noir, raide dans mon lit. J’appréhende le pire des sons : les pleurs étouffés de ma mère.

    C’est la troisième nuit d’affilée que je veille. Et que papa travaille… Bien sûr, je peux l’appeler sur son cellulaire en cas de problème. Il répondrait, mais il ne s’agit pas d’une situation assez importante pour que je le dérange.

    Est-ce que maman est en train de faire une rechute ?

    Pourtant, elle n’a pas cessé de prendre ses médicaments. Je vérifie chaque jour qu’elle n’oublie pas. C’est facile, ses comprimés quotidiens sont dans un pilulier préparé par la pharmacie.

    C’est sans doute juste une semaine d’insomnie. Je me concentre. Comment était maman ces derniers jours ? Elle n’avait pas d’énergie, mais ce n’est pas nouveau… Ça peut s’expliquer par le fait qu’elle ne mange pas beaucoup. Ça non plus, ce n’est pas nouveau.

    Je ne l’ai pas entendue pleurer dernièrement. Déjà une victoire !

    Elle pleure peut-être en cachette…

    Je veux chasser cette pensée, sans trop réussir.

    Il y a à nouveau du bruit. Je prête l’oreille.

    Maman redescend l’escalier.

    Elle a peut-être seulement mal à l’estomac ? Ça lui arrive de temps en temps. Je croise les doigts pour que ce soit ça.

    Une minute passe.

    Il faut que je me lève. C’est plus fort que moi. Je dois aller m’assurer de son état. Me rassurer sur son état, plutôt. Je repousse mes couvertures en silence, en essayant de ne pas réveiller ma petite sœur Claudie, endormie dans le lit voisin.

    Maman fait les cent pas de la cuisine au salon. Elle fume. Je ressens sa tension et sa nervosité.

    — Qu’est-ce qui se passe, maman ?

    — Marianne, j’ai besoin d’un clona, me dit-elle d’un ton rapide.

    Clona, c’est pour clonazépam. Un médicament utilisé pour diminuer l’anxiété.

    — Je me sens mal, explique-t-elle. J’ai l’impression d’étouffer. Regarde comme mes mains tremblent. Va m’en chercher un, s’il te plaît, ma grande.

    Jugeant qu’elle en a réellement besoin, je remonte à ma chambre et récupère le comprimé dans mon sac à main. À la demande de mon père, j’en ai la garde. Comme il le répète : l’accoutumance peut mener à l’abus… Maman risquerait de s’intoxiquer accidentellement, si elle ne respectait pas la posologie.

    Je redescends aussitôt.

    Maman m’attend debout dans la cuisine, la main tendue. J’y laisse tomber le petit cylindre blanc, qu’elle s’empresse de mettre dans sa bouche pendant que je lui verse un verre d’eau.

    — Merci, ma grande.

    On dirait qu’elle se détend déjà. L’effet n’est pas aussi rapide, mais le simple fait d’avoir pris le médicament et de savoir qu’il agira bientôt la soulage.

    — Je suis tellement tannée, si tu savais, soupire-t-elle.

    Je hoche la tête. Je le sais plus qu’elle ne peut l’imaginer.

    — En plus d’être inutile, continue-t-elle, je suis un fardeau pour tout le monde…

    — Mais non, maman. Ne dis pas ça, voyons.

    Elle écrase son mégot dans le cendrier sur la table et s’allume immédiatement une autre cigarette.

    Elle aspire une longue bouffée.

    — Vous seriez vraiment mieux sans moi.

    Mon cœur fait un bond dans ma poitrine. Est-ce qu’elle a envie de mourir ?

    — Tu racontes n’importe quoi, maman. On a besoin de toi. Tu es notre mère. C’est important, une mère.

    — Pourquoi j’ai cette fichue maladie ? Je suis une bonne personne, je ne mérite pas de souffrir autant. C’est injuste, la vie.

    Je l’écoute en lui frottant le dos.

    Dans quelques minutes, elle sera moins stressée et elle pourra s’asseoir.

    — Tu as quand même eu une bonne journée, hier, tu as fait deux brassées de lavage…

    Il faut miser sur les petits progrès, lui rappeler des événements positifs.

    — Tu as même nettoyé la salle de bain du haut.

    Maman sourit tristement.

    — Assieds-toi. Je vais te préparer une tisane, dis-je en tirant une chaise.

    — Merci, Marianne. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi.

    2

    Comme chaque soir que ma mère ne va pas bien, je suis restée auprès d’elle jusqu’à ce qu’elle ait été prête à se mettre au lit. Cette fois, c’était à deux heures. J’ai un examen d’anglais ce matin ; je n’ai pas beaucoup étudié et en plus je n’ai pas assez dormi…

    J’aurais pu parler de tout ça à mon père quand il est rentré du travail, quelques minutes avant que nous partions pour l’école, mais mon inquiétude s’était atténuée. Maman a fait une crise d’anxiété et elle a dit quelques phrases un peu inquiétantes, sans plus.

    — Tu en penses quoi, Marianne ?

    — Hein ? Quoi ?

    — Tu ne m’écoutais pas…, me reproche Anne-Sophie.

    Je la connais depuis la rentrée scolaire, il y a un mois. Nouvellement arrivée dans notre région, elle occupe la case à côté de celle que je partage avec Lydia, ma meilleure amie. Anne-Sophie se joint à nous entre chaque cours et à l’heure du dîner. On peut dire qu’on est un groupe d’amies, toutes les trois.

    — Désolée, j’ai mal dormi, expliqué-je en refermant ma case.

    — C’est Zachary qui te fait faire de l’insomnie ? plaisante-t-elle. Tu veux que je lui en parle ? Je suis certaine qu’il serait facile de le convaincre…

    — Convaincre de quoi ? T’es folle ! Il ne m’intéresse pas…, dis-je en riant.

    — Ouais, ouais.

    Ça se voit à l’œil nu que Zachary Lavoie me trouve de son goût, mais je ne suis pas certaine d’avoir envie d’être sa petite amie. Pas pour le moment : je ne suis pas assez disponible pour sortir avec un garçon. Je devrais toujours dire non pour des activités après l’école… il se tannerait. Et puis, il ne m’attire pas tant que ça.

    — En tout cas, j’en connais une autre qui est intéressée.

    Anne-Sophie parle d’Ingrid Vallée. Ce n’est un secret pour personne qu’elle a un faible pour Zachary, mais il fait semblant de ne pas s’en rendre compte.

    Lydia me prend par le bras. Nous nous mettons en route vers notre cours d’anglais.

    J’ai révisé à la va-vite ce matin, pendant que les plus jeunes déjeunaient. J’espère que ce sera suffisant pour l’examen. Heureusement, j’ai une bonne mémoire : ça me permet d’obtenir des résultats pas trop désastreux.

    — Je disais qu’on pourrait aller chez moi pour avancer le travail d’histoire, reprend Anne-Sophie.

    — Quand ça ? Aujourd’hui, ce n’est pas possible. Ma mère ne va pas très bien.

    En fait, pour être honnête, ce ne sera jamais possible. Chaque jour, je vais chercher ma sœur à l’école et je me dépêche d’aller voir comment va ma mère. Bien sûr, Claudie pourrait rentrer avec Marco qui va à la même école – et qui, depuis la rentrée, en vertu de ses dix ans, a revendiqué le droit de ne pas rester au service de garde avec elle. Sauf que je trouve qu’il est encore trop jeune pour prendre cette responsabilité.

    — Ta mère n’ira pas plus mal si tu viens chez moi, argumente Anne-Sophie.

    Lydia me jette un coup d’œil.

    — Je sais, mais je dois m’occuper des devoirs des petits en arrivant.

    — Ton frère Antonin peut s’en charger.

    — Il travaille après l’école.

    — Les devoirs, tu pourrais les faire faire plus tard, suggère-t-elle du tac au tac.

    — C’est sûr, mais je ne veux pas laisser les petits seuls à la maison.

    — Ils ne seront pas seuls : ta mère est là…, insiste-t-elle.

    Brusquement, je tourne la tête vers elle et je sens au même moment une pression sur mon bras, celle des doigts de Lydia, comme pour m’appeler au calme. Elle me connaît tellement bien.

    — Je viens de te dire qu’elle va mal…

    La tournure que prend cette conversation m’irrite. Malgré moi, je me raidis.

    — Tu es trop mère poule, ajoute Anne-Sophie.

    — Ce n’est pas du tout ça. Je suis la plus vieille quand Antonin n’est pas là. Je fais ce que j’ai à faire…

    — En tout cas…

    Cette réplique, qui signifie tout et rien, m’agace au plus haut degré. Je m’arrête pour regarder mon amie en face.

    — Quoi ? lâché-je en contrôlant un début de mauvaise humeur.

    — Rien.

    — Dis ce que tu as à dire.

    Anne-Sophie prend une seconde avant de me répondre.

    — Elle a souvent quelque chose, ta mère…

    Je n’aime pas du tout ce que je ressens. J’ai l’impression que mon amie porte un jugement sur ma mère alors qu’elle ne sait absolument rien de sa situation.

    Lydia a délaissé mon bras. Elle reste muette.

    — Oui, elle a souvent quelque chose, et puis après ? riposté-je, sur la défensive.

    — Ne te fâche pas, voyons, réagit Anne-Sophie, l’air navrée. Je veux juste dire que ta mère n’a pas l’air d’avoir une grosse santé…

    — C’est vrai. Ce n’est pas sa faute… Si ta mère était malade, tu l’aiderais aussi, non ?

    — Bien sûr ! Elle a quoi, exactement ?

    — C’est compliqué…, réponds-je évasivement en me remettant à marcher.

    Je suis toujours gênée quand il est question d’expliquer la maladie de ma mère. Les gens ont des préjugés concernant la santé mentale. C’est encore un sujet tabou. Je n’en parle pas ouvertement, parce que je ne veux pas qu’on bavasse sur ma mère ni sur moi, par ricochet.

    — Tu ne veux pas me dire ce qu’elle a ?

    — C’est chronique. Elle n’a pas d’énergie… Elle ne peut même pas occuper un emploi.

    — Elle fait de la fibromyalgie, intervient subitement Lydia. Anne-Sophie connaît cette maladie : elle a une tante qui en souffre aussi.

    Le regard de ma meilleure amie se rive au mien.

    — C’est vrai ? s’étonne Anne-Sophie. Ta mère fait de la fibromyalgie ?

    Je hoche la tête rapidement.

    — Merde… Oui, je connais. Ouf…

    Anne-Sophie semble tout d’un coup très compréhensive.

    Je suis reconnaissante envers Lydia pour sa présence d’esprit. On est amies depuis longtemps et elle sait que je n’ai confiance qu’en elle. Elle est la seule au courant de ce par quoi ma famille et moi sommes passées au cours des dernières années. Elle était déjà ma meilleure amie à onze ans, quand maman a été hospitalisée pour la première fois.

    Je frissonne en repensant à l’unité psychiatrique où ma mère a été internée pendant de nombreuses semaines. Il m’arrive parfois encore d’en faire des cauchemars. Heureusement que Lydia était là.

    — C’est pour ça que tu ne sors pratiquement jamais le soir ?

    — Mon père travaille de nuit… Le soir, ma mère est fatiguée… C’est normal que je l’aide. Tout le monde participe à sa façon.

    Anne-Sophie fait oui de la tête.

    — Tu ne trouves pas ça difficile de toujours… de ne jamais…

    Elle piétine.

    J’ai hâte que cette conversation soit terminée.

    — Ce n’est pas une vie, me semble, conclut-elle.

    — Ce n’est pas aussi pire que tu le penses, dis-je avec un peu de raideur.

    Le silence tombe entre nous. Nous arrivons dans la salle de cours, où nous nous asseyons côte à côte, comme d’habitude. Je suspends mon sac à main au dossier de ma chaise. J’entends les calmants de maman qui tressautent dans leur contenant. Les clonas. Ça me rappelle que je dois passer à la pharmacie avant la fin de la semaine, pour le renouvellement. On ne doit surtout pas en manquer, au cas où elle en aurait besoin, comme hier soir.

    Je me penche sur l’examen. Je jauge rapidement les questions et je repère ma bête noire : les verbes irréguliers. Ouais, il aurait vraiment fallu que je mette plus de temps là-dessus.

    Je tourne la tête vers ma gauche et croise le regard de Lydia. Je sais que je peux toujours compter sur elle pour m’autoriser un coup d’œil furtif à sa copie, au pire.

    Je soupire. En plus de ne pas avoir assez révisé, j’ai la tête ailleurs à cause d’Anne-Sophie et de ses foutues réflexions. De ce qu’elle m’a dit tout à l’heure… que ma vie n’est pas une vie. Non mais, de quoi elle se mêle, celle-là ? Est-ce que je me suis déjà plainte de quoi que ce soit devant elle ou quelqu’un d’autre ? Non ! Je ne me plains jamais ! Je ne suis pas en train de sacrifier ma vie. Je fais ce que je peux pour aider ma mère, avec plaisir. Point à la ligne. Il me semble que tout le monde agirait comme moi dans ma situation.

    Tout à coup, je fulmine. Anne-Sophie ne sait rien de rien. Ma vie ne la regarde pas et il n’est pas question que ça change !

    3

    Je n’ai pas encore seize ans, pourtant j’en sais déjà beaucoup sur la dépression.

    Les médecins ont diagnostiqué plusieurs troubles à ma mère, dont deux plus évidents : la dépression chronique et des troubles anxieux. Chronique, parce que ça revient souvent et que ça peut s’étendre sur plusieurs années, avec des symptômes plus ou moins intenses : insomnie, tristesse, manque d’énergie, manque d’intérêt, perte d’appétit, irritabilité, isolement… Quant à l’anxiété, ma mère en souffre beaucoup, sans toujours savoir pourquoi. Internet m’a aussi appris qu’une personne peut faire une dépression nerveuse sans véritable raison. Beaucoup de gens croient que ça découle nécessairement d’un événement mal géré comme un deuil, un divorce ou une maladie grave. C’est faux : ce n’est pas toujours le cas.

    Le siège de la dépression est dans le cerveau, et il y a un facteur génétique important à considérer. Papa m’a raconté que, dans la famille de ma mère, beaucoup ont été plus ou moins atteints de cette maladie. Bonne nouvelle, la pharmacologie évolue sans arrêt et il suffit de trouver le bon médicament ou la bonne combinaison de médicaments pour remettre

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