Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

L'aiguilleur des rêves
L'aiguilleur des rêves
L'aiguilleur des rêves
Livre électronique209 pages2 heures

L'aiguilleur des rêves

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

"Personne ne savait grand-chose sur Connelly, juste que, comme tant d'autres, il était apparu un matin entre deux paires de rails.
Crachée par l'horizon huileux du désert blanc, sa silhouette s'était détachée des mirages."

Amnésique, Connelly débarque dans la plaine. Il n'a rien à offrir à ce monde inconnu, hormis la force de ses bras. Solitaire, il survit grâce au seul souvenir qui lui reste : Suzanne, l'amour de sa vie, restée là-bas, derrière l'horizon. Suzanne et ses cheveux d'ébène, Suzanne et ses lettres au parfum de vanille... Suzanne, seul vestige de son histoire perdue.
LangueFrançais
Date de sortie30 sept. 2021
ISBN9782322417650
L'aiguilleur des rêves
Auteur

Cyril Jégou

Né à Paimpol, Cyril Jégou publie"Pearl Jam au pays du grunge" en 2011, sur les débuts de la scène rock américaine du début des années quatre-vingt dix, suivi Pearl Jam Pulsions Vitales publié aux éditions du Camion Blanc, qui retrace la carrière du groupe de rock Pearl Jam au travers de l'histoire punk-metal de Seattle. Scénariste et écrivain, Cyril Jégou habite à Goven près de Rennes. Avec "L'aiguilleur des rêves"Il signe ici un roman onirique, social et dystopique.

Auteurs associés

Lié à L'aiguilleur des rêves

Livres électroniques liés

Dystopie pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur L'aiguilleur des rêves

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    L'aiguilleur des rêves - Cyril Jégou

    Merci à Emmanuel Simonnet,

    Sommaire

    Zénith de pierres sèches

    Chapitre I

    Chapitre II

    Chapitre III

    Chapitre IV

    Chapitre V

    Chapitre VI

    Chapitre VII

    Chapitre VIII

    Chapitre IX

    Chapitre X

    Chapitre XI

    Chapitre XII

    Crépuscule de sable

    Chapitre I

    Chapitre II

    Chapitre III

    Chapitre IV

    Chapitre V

    Chapitre VI

    Chapitre VII

    Chapitre VIII

    Chapitre IX

    Chapitre X

    Chapitre XI

    Chapitre XII

    Chapitre XIII

    Zénith de pierres sèches

    I

    Personne ne savait grand-chose sur Connelly ; juste que, comme tant d’autres, il était apparu un midi entre deux paires de rails. Crachée par l’horizon huileux du désert blanc, sa silhouette s’était détachée des mirages. Ses pas lourds charriaient dans leur sillage des paquets de poussières aussitôt balayés par un vent brûlant.

    Au premier point d’eau il s’était libéré de ses sacs, avait ôté le châle ensablé qui lui protégeait la tête pour dévoiler un visage jeune et fatigué, molesté par des journées caniculaires. Pourtant, ses yeux clairs restaient vifs, aux aguets. À genoux, il avait bu de grosses gorgées d'eau à même la pompe, puis il s’était relevé pour observer la plaine. D’est en ouest, à perte de vue s’étendait le champ de rails. Par milliers, ses sillons parallèles tantôt d’argent tantôt rouillés marquaient le sol aride.

    Connelly tritura sa poche pour en extraire un paquet de tabac si sec qu’il peina à se rouler une cigarette. Dans une autre poche il saisit un papier qu’il consulta. Clope au bec, l’homme reprit ses affaires. Une demi-heure plus tard, face à un bâtiment à la façade décrépite, il jeta son mégot froid, grimpa les marches et poussa la porte.

    Aveugle, il mit quelques secondes à s’habituer à l’obscurité. Un couloir menait à une femme assise derrière son bureau. Sans même décrocher les yeux de sa lecture, la femme pointa du doigt une porte ouverte sur la droite. L’homme la franchit. Au centre d’une salle fraîche encombrée d’armoires métalliques se trouvait un second bureau. Assis derrière, un employé aux yeux globuleux attendait. Connelly lui tendit son papier. Accrochée au mur, une horloge indiquait 08h36.

    — Bien bien, approuva après lecture l’employé qui fit tourner ses yeux tels deux grosses billes sur le document. Bienvenue au centre ferroviaire des rêves de la plaine de Transit, monsieur Connelly, récita-t-il mécaniquement, un sourire plaqué sur son visage pâle. Vous avez fait bon voyage ?

    — Je ne dirais pas ça comme ça. Pas fâché d’être arrivé en tout cas.

    — Quelle chaleur, n’est-ce pas ? L’été s’annonce aussi difficile que l’an dernier. Vivement un peu de ce vent du nord. Votre affectation est le poste 2379. Voici une copie de votre contrat de travail ainsi qu’un plan des sites. Vous y trouverez l’adresse de votre logement de fonction. Prenez ces documents je vous prie. Merci. En annexes figurent les documents juridiques des départements et la convention du rail ; à lire attentivement. Prenez, merci. Votre prédécesseur n’étant plus en poste, vous ne pourrez bénéficier de la formation en doublon. Mais rien de tel qu’apprendre sur le tas pour exceller. Merci. Votre premier train est pour demain à 9h19. Passez une bonne journée, merci et au revoir.

    Se félicitant d’intégrer une structure si bien organisée, son dossier en main l’homme quitta le bâtiment et retrouva la chaleur accablante. À la recherche d’un peu d’ombre il s’installa sur un banc en terre sous l’avancée d’un entrepôt clos. Là il feuilleta son contrat sur lequel était inscrit qu’à compter de ce jour il devenait aiguilleur des rêves pour le compte de la compagnie de Transit, la plus grosse compagnie de gestion et de transport de rêves de la région. Le contrat vantait un grand nombre d’avantages sociaux et salariaux honnêtes, ainsi que deux semaines de congés annuels. Il leva la tête, les yeux plissés par le sol clair lumineux, et chercha son tabac.

    Sur l’un des feuillets figurait une carte de la plaine. Une croix noire y situait l’emplacement approximatif de son logement. Sous le soleil de plomb, il chercha, erra dans un dédale de rails, de passerelles et de souterrains. Les seuls panneaux d’indications qu’il croisa étaient illisibles, car recouverts de grossiers traits de peinture noire. La détérioration était signée de trois lettres : CLP. Plus perplexe qu’agacé, Connelly s’interrogea sur l’intérêt d’une telle action avant de poursuivre sa route, au hasard.

    Il découvrit enfin son logement : une petite bâtisse en terre pâle et pierres sèches, entourée de caillasses et de rails. L’intérieur se résumait à une pièce principale avec lit, armoire, table, chaise, une salle d’eau dans un coin au fond. Accroché à un mur, un écran de verre bombé diffusait un programme à faible volume sonore. Au-dessus, le cadran d’une horloge précisait l’heure à laquelle commençait la nuit (22h30) et l’heure à laquelle elle se terminait (6h).

    Le nouvel aiguilleur des rêves posa son barda, ôta sa veste et tâta le matelas. Satisfait, il sortit sur le perron pour observer son nouvel univers. De petites maisonnettes comme la sienne éparpillées dans la plaine et cernées de rails, des passerelles d’acier et de grands ponts qui enjambaient les voies, des colonnes de fumée blanche échappée de cheminées d’usines, des immeubles lointains, des tours grises aux têtes gommées par les brouillards de chaleur.

    D'abord murmures portés par les vents, des bruits se précisèrent, s'amplifièrent ; quelque chose arrivait. Sur toute la plaine, par centaines des trains déboulèrent ; cylindres monstrueux de cinq cents mètres de long, aux reflets de mercure, aux vitres incandescentes. De leur cheminée, charriées par la vitesse s’échappaient des fumées aux teintes diverses – violettes, bleutées, jaunes. Les machines hurlantes apparaissaient puis disparaissaient en quelques secondes, alors que des sirènes criaient de tous côtés. Le spectacle mêlait sauvagerie, froideur et couleurs pastels. La plaine se recouvrit de la brume colorée des trains. Le ciel disparut.

    Le jeune homme rentra chez lui et, dans la salle de bains, fit sa première toilette depuis longtemps. Il trouva un gant, un reste de savon, et traqua les grains de sables accrochés à son corps. Dans une étagère il dénicha également un rasoir rouillé et, à sec, freina comme il put la progression de ses poils de barbe. Enfin, il observa avec attention l’individu dans le miroir au-dessus du lavabo et dut admettre l’évidence : son reflet lui était inconnu. À peine trentenaire, Connelly possédait des yeux vert clair sous de profondes cernes sombres, une coiffure courte, châtain, une mâchoire carrée qu’habillait une barbe de trois jours. Sa peau bronzée, tâchée de croûtes, de peaux mortes, témoignait des brûlures infligées par le désert assassin.

    Ensuite il lut plus attentivement son contrat de travail. Il y était stipulé que le nouvel aiguilleur avait sous sa responsabilité cinquante-deux voies, trente-huit aiguillages et cent cinquante-quatre signaux lumineux. Il était également responsable de l’entretien du site et de ses équipements, de la réparation et de la gestion des pièces de rechange, l’entretien des passerelles, ponts et locaux techniques étant du ressort des ouvriers de la voirie. Son travail commençait officiellement demain matin à 9h04 par les vérifications des appareils avant le passage du premier train de 09h19. Il déplia sur la table un plan de sa zone de travail pour l’étudier, prit quelques notes.

    Il s’intéressa brièvement au programme que diffusait l’écran monochrome sur le mur. Attablé, Un couple bien habillé retraçait face caméra la grande histoire ferroviaire de la plaine. Comme il était impossible d’augmenter le volume de l’écran, Connelly n’entendit pas la moitié des mots à cause du trafic ferroviaire. Il s’inquiéta du bruit qu’allaient générer au quotidien tous ces monstres d’acier. Aujourd’hui, son secteur était vierge de transporteurs, mais ce ne serait plus le cas demain.

    Connelly quitta la maisonnette et s’alluma une cigarette. Le plan en tête, il prit des repères sur ce qui l’entourait. Sa zone comptait trois petites passerelles pour piétons, un grand pont métallique qui enjambait quatre voies, deux cabanons - le premier accolé à une armoire électrique, à moins de vingt mètres de la maison, le second perdu au sud de la zone. Il marcha vers le pont, grimpa les marches et observa le monde d’en haut.

    Vers midi les trains cessèrent de circuler. Le silence retomba sur la plaine et le soleil réapparut. L’aiguilleur se demanda ce qu’il en était des repas quand il entendit des bruits à la porte. Une femme en robe à fleurs, tenant d’une main sa bicyclette, s’était arrêtée devant son porche. Elle avait les cheveux bruns bouclés, le regard pétillant.

    — Bonjour. Je suis Edwina la factrice du secteur.

    — Bonjour. Connelly.

    — Je passe tous les jours vers midi, midi et demi, pour vous apporter le courrier.

    Elle sortit d’une sacoche du vélo une première enveloppe kraft qu’elle lui tendit le bras bien raide. Il constata qu’elle restait à distance, comme si la proximité d’un corps la rebutait ou qu’elle respectait un protocole. Il trouva cette attitude saine.

    — Voici le pli du département transport, dit elle, votre feuille de route pour la journée de demain. Chaque jour ouvré, vous en aurez une qui détaille vos consignes train par train pour le jour suivant. L’enveloppe est plus épaisse aujourd’hui car elle contient aussi vos cahiers. Ils vous en ont parlé ?

    — Non.

    — C’est toujours la même chose ! soupira-telle. Vous avez deux cahiers à remplir. L’un est votre journal de bord dans lequel vous racontez votre journée - soyez précis, ils peuvent vous le demander - et l’autre c’est le cahier de rapports dans lequel vous inscrivez les problèmes que vous rencontrez, les conclusions que vous en tirez ou bien vos remarques pour améliorer votre poste.

    D’une autre sacoche la femme sortit une lettre, blanche, plus petite. Elle la lui présenta en souriant.

    — Et avec, il y a votre courrier personnel.

    Qui pouvait bien lui écrire ? Connelly chercha dans sa mémoire et soudain il se crispa. Aucun nom, aucun visage, pas d’image ; rien. Il n’avait aucun souvenir de son passé, aucune piste quant à son histoire avant d’arriver dans la plaine ce matin. Il serra les mâchoires pour masquer sa panique et songea qu’il était urgent de sourire à son tour. Il n’y parvint pas, saisit la lettre et remercia la factrice. Avait-elle perçu son trouble, il n’aurait su le dire, mais elle fut assez aimable pour n’en rien laisser paraître.

    — Si vous avez des lettres à envoyer, remettez-les moi quand je passe vous voir, je m’occuperai de l’affranchissement et de l’envoi. La note sera déduite de votre salaire suivant.

    Elle enfourcha son vélo pour atteindre la prochaine maison. Le nouvel aiguilleur resta sur le pas de la porte à déterrer de sa mémoire vide un son, une image, n’importe quoi, mais rien n’y fit. Connelly n’avait pas d’histoire. Pourtant, s’il avait trouvé le chemin de la plaine à travers le désert, s’il s’était présenté en temps et en heure au bureau du type aux gros yeux, sa fiche d’embauche en main, c’est bien que quelque chose quelque part subsistait d’avant. Cela le rassura un peu ; pas beaucoup. Pour le reste, il jugea qu’en l’instant une mémoire pleine ne lui servait pas.

    Il considéra l’enveloppe blanche. Elle sentait un parfum de vanille qu’il reconnut à la seconde.

    Suzanne.

    Et soudain, en un flash un pan de son passé se dévoila qui lui redonna du baume au cœur. Suzanne. Grande, belle et désirable à en mourir, alanguie sur cette plage magnifique, une main dans ses cheveux d’ébène. Sa voix, chantant à chaque syllabe. Et ses yeux d’un bleu sans pareil dans tout l’univers.

    Si la mémoire de Connelly resta muette sur tout le reste, l’important était sauf. Suzanne. Comment avait-il pu l’oublier ne serait-ce qu’un instant ? La traversée du désert l’avait-elle rendu fou ?

    De son écriture fine, aérée, Suzanne expliquait tenter l’impossible pour se faire muter à la plaine de Transit, au service ferroviaire des rêves. Cela prendrait du temps, peut-être des années. Elle le suppliait de l’attendre. La lettre se terminait par une chaude déclaration d’amour. L'homme en avait les jambes qui chancelaient.

    — Suzanne…

    Bien sûr qu’il l’attendrait ! Toute la vie s'il le fallait. Au dos de l’enveloppe figurait l’adresse de l’expéditeur, au 563 rue des vents, Plaine du Nord. Sa mémoire ne lui offrant aucune clé, aucun indice quant à un logement qu’il aurait pu occuper avec Suzanne, cette adresse l’apaisa néanmoins. Dès que possible, il lui écrirait.

    Connelly fuma encore une cigarette puis, la faim au ventre il rendit visite à son voisin l’aiguilleur du poste 2380. Il frappa à la porte.

    — Entrez ! lui répondit-on.

    Il pénétra dans une pièce semblable à la sienne, en moins impersonnelle. Sur les murs étaient accrochés des feuilles dactylographiées, des plans, des dessins inégaux et toute une série d’outils ; surtout des clefs à main. Sous sa casquette, le propriétaire des lieux, un gaillard mal rasé au teint mate se tenait debout devant une armoire ouverte.

    — Je m'appelle Connelly, l’aiguilleur du poste 2379.

    — Moi c’est Nathanaël. Bienvenue au Transit.

    Ils se serrèrent la main. Contrairement à la factrice, cet homme-là n’était pas avare de contact, de rapprochement des corps. Dès qu’il put libérer sa main Connelly prit ses distances.

    — Comment ça se passe ici pour les repas ? demanda-t-il. Est-ce qu’il y a un restaurant ouvrier dans le coin ?

    — Oui. J’allais m’y rendre, justement. Allons-y ensemble.

    Comme ils quittaient la maison, Connelly montra du doigt le soleil meurtrier.

    — Depuis ce matin il n’a pas bougé.

    — Et il ne bougera jamais. Il est toujours midi par ici, même la nuit. Faudra vous y habituer. Je vous conseille de porter votre casquette le plus souvent possible. Des gars plus costauds que vous ont vu leur cervelle flancher après cuisson. Un autre conseil que je pourrais vous donner, c’est de vite vous imposer une routine. Toujours avoir à s’occuper, surtout hors des horaires de boulot, ça évite de ruminer. Bien occuper vos journées, c’est vital par ici.

    Nathanaël le conduisit à la cantine la plus proche. Souterraine, éclairée par des néons bleus, la salle, bruyante, était déjà pleine de monde. Pour la plupart, hommes et femmes mangeaient à des tables séparées.

    Connelly prit place près de son voisin à une longue table d’aluminium. D’autres personnes - des aiguilleurs probablement - les rejoignirent. La nourriture était correcte, mais il n’aurait su identifier ce qu’il avalait. Les aiguilleurs attablés portèrent un toast au nouveau venu qui les remercia sans discours, puis ils discutèrent de cargaisons, de ponts à entretenir, de syndicats à fédérer. Bourrus, les visages brûlés marqués par le labeur, fatigués, certains édentés, d’autres bedonnants, ces gars-là savaient de quoi ils parlaient. Sans la moindre idée de ce qu’allait être sa journée de demain, en retrait le novice écoutait les conversations.

    — Ils ont encore réduit l’effectif des ouvriers de chantier chez les Omégas ! s’énerva Brandevial du poste 2365. Là-bas c’est maintenant aux aiguilleurs d’entretenir tout le réseau de voirie. Il faudra pas longtemps pour que ça se passe chez nous aussi.

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1