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Invictus
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Livre électronique272 pages4 heures

Invictus

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Le deuxième roman historique de Cristiano Parafioriti, auteur sicilien traduit en 14 langues, commence par l’introduction remarquable du professeur Antonio Baglio, conférencier d’histoire contemporaine à l’Université de Messine. La trame est inspirée d’une histoire vraie, restée empreinte dans le cœur de son  protagoniste pendant plus de soixante-dix ans : l’épopée de Ture Di Nardo, un jeune paysan sicilien, arraché à sa famille et à sa bien-aimée, par un appel aux armes pendant la Seconde Guerre mondiale. Recruté dans la Division Julia, il subira le sort amer de l’ARMIR dans la pire défaite militaire italienne du XXe siècle. Invictus est le fruit de la réélaboration d’une expérience réelle vécue par le jeune paysan sicilien, une mémoire transmise de génération en génération, d’abord maintenue dans l’ambiance familiale, ensuite confiée-après une longue période de détachement vis-à-vis de ces évènements et de sédimentation-à la plume d’un talentueux écrivain, en mesure de donner la vigueur et l’épaisseur à la narration de cette expérience ’’ extrême ‘’, incarnant le témoignage pérenne d’un combat personnel afin de préserver sa propre humanité face à la horde destructive et aux horreurs de la guerre.

LangueFrançais
ÉditeurBadPress
Date de sortie11 août 2021
ISBN9781667410142
Invictus

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    Aperçu du livre

    Invictus - Cristiano Parafioriti

    CRISTIANO PARAFIORITI

    ––––––––

    INVICTUS

    ROMAN

    Avec la sage introduction du prof. Antonio Baglio

    ––––––––

    Traduit par Sanja Audar

    Des ténèbres impénétrables m’encerclant

    Noires comme la fosse impassible

    À ce n’importe quel Dieu  me montrant reconnaissant

    De mon âme invincible.

    Happé dans l’étreinte serrée de l’adversité

    Je n’ai ni crié ni reculé.

    Sous les coups amers du destin

    Mon front saigne, à l’esprit le dédain.

    Par-delà  cet endroit de rage et de pleurs

    Plane que d’épouvante une ombre.

    Toutefois  la menace de l’âge

    Me trouve et me trouvera sans peur.

    Aussi  étroite de sortie soit la porte,

    Aussi impitoyable soit la vie despote,

    Je suis  le maître de mon destin absolument,

    Le capitaine de mon âme suprêmement.

    Invictus (William Ernest Henley)

    À don Ture Di Nardo (Pileri)

    À mon grand-père Calogero Barone (Ccanino)

    À tous les anciens combattants

    Et à ceux qui ne sont jamais revenus

    NOTE DE L’AUTEUR

    L’ami Nino Amadore, journaliste réputé de ‘’ Il Sole 24 Ore’’, écrivit dans un de ses articles : « Cristiano Parafioriti est le fondateur d’un nouveau courant littéraire, le minimalisme sicilien, là où les histoires d’un village et de son peuple deviennent le paradigme des histoires du monde entier».

    Je garde jalousement cette définition dans ma mémoire et dans mon cœur, et plus j’«écris» les histoires, plus je me retrouve dans ces mots. Mes ouvrages naissent des tréfonds de mon petit village bien-aimé, Galati Mamertino, bourg montagnard, agrippé aux monts de Nébrodes, en Sicile. Galati est le creuset de tant d’autres minuscules endroits, et de tant d’autres réalités, émanant de leurs propres lumières, chacune avec sa propre histoire à raconter, ses habitants, ses mythes.

    Le roman est le fruit de l’un de ces angles magiques, le village reculé et désormais inhabité de San Giorgio, dont il ne reste de nos jours que quelques décombres oubliées. J’ai une conviction latente que certaines histoires viennent nous chercher. L’écrivain vit souvent dans une léthargie palpitante, mais, à l’improviste, quelque chose le secoue de cette délicate errance. Et c’est ce qui m’est arrivé lors d’une journée chaude du mois d’août 2019, lorsque Salvatore Di Nardo, le petit-fils homonyme du héros de cette histoire,  interrompit la sérénité de mon repos.

    Salvatore, surnommé Salvo, vit à Pise depuis longtemps avec sa famille. Or lui aussi est affecté par le doux mal du pays, la sicilianité, qui fait de nous les fils exilés, arrachés à leurs racines, mais toujours, de tradition ancestrale, liés à leur terre natale.

    Je le connais depuis des époques de notre groupe musical, lorsque nous habitions tous les deux dans notre petit village. Nous avons passé de beaux moments ponctués par les concerts, les rires, les sorties arrosées en compagnie des amis. Cela fait belle lurette.

    Ce jeune homme, pour un motif inconnu, a toujours suscité chez moi une bonne sensation, comme si autour de lui se produisaient uniquement de belles choses. C’est une conviction fantaisiste, provenant de mon inconscient, aussi décalée fût-elle, pour moi elle reste parfaitement réelle et consistante. C’est ma nature, je suis mon instinct et je vis passionnément.

    Salvo me communiqua qu’il souhaitait publier sur Facebook, sur la page avec un très grand nombre d’abonnés, Tuttogalatimamertino, quelques vidéos de son grand-père, l’homonyme Salvatore di Nardo (né en 1921), alpin en Russie au sein de l’Armée Italienne durant la Seconde Guerre mondiale.

    Nino Serio, administrateur de la page, en fut un peu perplexe, puisque le matériel était complexe et d’une durée de plus de trois heures ! C’était une longue interview de son grand-père sur ce parcours tragique,  complété par le métrage documentaire. Néanmoins, je ne parvenais pas à me convaincre que les faits relatés pussent finir ainsi ! Ce garçon avait un charme troublant et je me trouvai en proie à la verve effervescente de visionner ce matériel, de connaître cette histoire restée ensevelie pendant plus de soixante-dix ans.

    Ces images furent comme une lueur qui provoque l’incendie. La bataille créative s’enclencha, me faisant vibrer d’émoi. Je fus envahi de cette envie irrépressible que j’avais déjà éprouvée dans ma vie et qui m’était familière : écrire.

    Je passai un coup de fil à Salvo Di Nardo.

    ―Cette histoire sera un roman ! ―lui dis-je à brûle-pourpoint.

    ―C’est ce que j’attendais intimement― me répondit-il, ému.

    Cet ouvrage est donc inspiré d’une vraie histoire. Il n’empêche que certains personnages, quelques trames et circonstances peuvent être le fruit de l’imagination artistique, ou, si réels, utilisés dans l’objectif narratif. Ou presque.

    INTRODUCTION SAGE

    LA CAMPAGNE ITALIENNE EN RUSSIE DU 1941- 1943 ET SA MÉMOIRE

    J’ai encore dans le nez l’odeur que répandait le graissé fusil-mitrailleur brûlant. J’ai encore dans les oreilles et jusqu’au cerveau le bruit de la neige grinçant sous les pas, des éternuements et  des coups de toux de vedettes russes, le bruissement des herbes sèches battues par le vent sur les rives du Don. J’ai toujours dans les yeux le tableau de Cassiopea suspendu en-dessus de ma tête la nuit et les piquets de soutien des bunkers au-dessus de moi tout au long de la journée. Et quand j’y repense, j’éprouve l’effroi d’un matin du janvier, lorsque la Katioucha, pour la première fois, propulsa soixante-douze roquettes en rafale¹.

    1 Mario Rigoni Stern, Il sergente nella neve. Ricordi della ritirata di Russia, avec la recension d’Eraldo Affinati, Einaudi, Torino 2008. Écrits durant l’emprisonnement dans un camp allemand en hiver 1944, les souvenirs du retrait de Russie de Rigoni Stern furent publiés, pour la première fois en 1953, pour l’édition Einaudi, dans la série «I Gettoni», dirigée par Elio Vittorini, devenant rapidement le classique de la littérature du vingtième siècle.

    Ainsi racontait l’incipit d’un célèbre roman autobiographique, Le Sergent dans la neige, écrit par un alpin Mario Rigoni Stern, destiné bien rapidement à devenir le témoignage le plus connu sur le plan littéraire de la campagne italienne en Russie durant La Seconde Guerre mondiale. Lorsqu’au mois de juin 1941 Hitler décida d’entreprendre l’invasion de l’Union Soviétique, déclenchant «l’opération Barbarossa», Mussolini avait riposté en offrant sa propre disponibilité à seconder les troupes allemandes à travers la constitution d’un corps italien en Russie (Csir), qui serait parti vers la mi-juillet au front oriental sous la commande du général Giovanni Messe. L’année suivante, uni aux nouveaux corps de l’armée au sein de l’Armir (Armée italienne en Russie), il fut déployé sur les rives du Don, n’aboutissant pas à résister à l’offensive soviétique, qui, entre  décembre 1942 et  janvier 1943, l’aurait décimé. L’ampleur du désastre est tragiquement confirmé par les chiffres implacables : sur deux-cent-trente-mille Italiens partis pour le front oriental, un tiers de ceux-là ─ environ quatre-vingt-quinze-mille─ auraient perdu la vie, les uns morts lors de la bataille, les autres à la suite des maux et du froid au cours du retrait, durant les étapes de transfert vers les camps d’internement, tristement connues comme «Les marches de Davaj» ( du terme utilisé pour exhorter le pas à part des soldats russes de l’escorte) ; sans oublier tous ceux qui périrent  durant le même emprisonnement et un nombre considérable de disparus.

    Un événement si tragique et aux conséquences graves pour les milliers de soldats italiens- happés par la steppe russe, souffrant de tenace résistance russe, en outre des conditions climatiques hostiles- de même que pour leurs familles, souvent ignorant le sort de leurs proches, a fini par alimenter de nombreux ouvrages littéraires, motivés par la volonté de perpétuer la mémoire d’une expérience aussi particulière et dévastatrice. Ce n’est pas le hasard que la campagne russe ─ comme l’a souligné l’historienne Maria Teresa Giusti, auteure d’un volume remarquable sur le sujet ─ s’est imposée comme «un des évènements militaires du vingtième siècle ayant l’impact majeur sur la mémoire collective italienne».²

    2 Maria Teresa Giusti, La campagna di Russia 1941-1943, Il Mulino, Bologna 2018 ; de la même auteure, le tome I Prigionieri italiani in Russia se réfère au même sujet, Il Mulino, Bologna 2003(nouvelle éd. 2014).

    Une mémoire sans doute incommodante, d’une part, si nous considérons le fait que la campagne de guerre fut pour autant l’expression de politique agressive de Mussolini, mais aussi perturbatrice pour les souffrances et les circonstances dramatiques du retrait dont elle révèle la rancœur profonde à l’égard du régime, l’amer constat de l’impréparation marquante de la participation italienne dans cette entreprise, faisant un contrepoids aux actes héroïques incontestables de ceux qui eurent la chance de survivre à cette terrible épreuve et de revenir à la maison. À ce sujet-là il est intéressant de relire le témoignage bien fondé d’un autre survivant, Nuto Reveli, parmi les premiers à dénoncer dans ses mémoires écrites le calvaire des soldats sur le front russe :

    Tout était inadapté à l’ambiance. Même l’uniforme, si vert, était inapproprié, faisait trop l’effet cible. Nous avions des wagons de matériel pour la guerre en montagne, des crampons pour la glace jusqu’aux ficelles pour l’avalanche et des cordes pour les rochers. Nous étions alpins, nous étions formés pour la guerre lente, pour marcher à pied. Nous avions 90 mules pour chaque compagnie et 4 charrettes dans tout le bataillon. L’armement individuel consistait en fusil modèle 1891 : une arme qui, pour cause de son âge, avait un avantage : n’ayant pas de chargement par la bouche. L’armement de la division consistait en fusil mitrailleur Breda, avec lequel on pouvait tirer uniquement si bien nettoyé et bien huilé. Nous ne devions donc pas trop abuser de rafales, pour éviter que la canne devînt rouge, que l’arme se coinçât ou qu’elle tirât toute seule. Les armes d’accompagnement-mortiers brixia, mitrailleuses Breda, mortiers de 81 et canons de 47/32 étaient majoritairement les armes obsolètes, et donc, insuffisantes. Notre unique arme antichar- le canon de 47/32- ne criblait que des chars italiens. Contre les blindés russes aucune chance. L’artillerie dans le périmètre divisionnaire consistait en matériel de musée : le 75/ 13 et le 100/17. Grenades à main incroyablement inoffensives et anodines, qui n’explosaient pas chaque fois. Moyens de communication, faits pour la guerre en montagne, inadaptés aux grandes distances ; les drapeaux anciens au balisage en couleur, les héliographes, sur ce terrain vallonné ne servaient absolument à rien du tout. De peu nombreux appareils radio, pesants et rafistolés, étaient parfois plus lents que les officiers de liaison. Pas de mines, pas de fusées de détresse, pas de barbelés, pas de balles traçantes. Et peu de munition, presque déficitaires. L’équipement était le même que pour le front occidental, lors du conflit en juin 1940. Des uniformes en laine de piètre qualité, des chaussures en cuir dur et desséché qui semblaient en carton. Les bandeaux pour mollets semblaient être faits exprès pour bloquer la circulation sanguine, surchauffer et provoquer des gelures. Nous n’étions pas l’unité de chars d’assaut. Nous étions des troupes de montagne, mal armées, mal équipées, mal fournies pour la guerre montagnarde. Nous jeter dans la plaine, ou la guerre aux blindés battait son plein, voulait dire nous jeter dans la fosse aux lions³.

    3 Nuto Riveli La guerra dei poveri, Einaudi, Torino 1993. Pages 16-17. Le texte contient, entre autre, un chapitre dédié à l’expérience du Retrait sur le front russe, dans lequel l’auteur réélabore le journal de guerre déjà publié en ’46, avec le titre Mai tardi (avec la préface d’E. Castellani, pour les éditions Panfilo di Cuneo).

    Comme cela aurait été confirmé plus tard par les recherches historiographiques, cela fut une aventure désastreuse, sur laquelle pesèrent de considérables carences en équipement militaire à l’armée italienne, et l’insouciance par laquelle fut affrontée l’entreprise, autant par les autorités militaires, autant par Mussolini. Convaincu que la guerre se serait résolue en un bref laps de temps, grâce notamment aux préparatifs et le pouvoir militaire de l’allié allemand, le Duce avait négligé la mobilisation du pays pour cette campagne, ce qui, néanmoins, avait été fait aux temps de la conquête coloniale de l’Éthiopie. L’histoire s’acheva en pire débâcle essuyée par l’armée italienne.

    Certes, en l’honneur de la vérité, on ne doit pas déduire à partir d’une seule donnée que dans la transmission de la mémoire et par sa représentation ultérieure l’affaire serait passée en arrière-plan, et que prévalut l’image de la condition de victime du soldat italien face à la politique criminelle du régime, face à la cruauté de l’Armée Rouge, dans les conditions climatiques sévères, sans parler de la justification parfois évoquée par rapport au défaut du soutien de la part de l’allié allemand : la considération de la nature offensive et non défensive de la guerre, telle à configurer pour l’armée italienne à juste titre le rôle d’envahisseur envers un pays s’étant trouvé à se défendre avec acharnement contre la politique d’occupation exercée par les Forces de l’Axe⁴. Au-delà des motifs et des responsabilités du conflit, qui sont évoqués pour éviter de lui attribuer une vision déformée et  «mythique», pour autant le souvenir de cette traumatique campagne militaire ait-il eu un puissant effet de générer la mémoire et l’écriture, nous révélant des pages parmi les plus intenses qui aient jamais été écrites sur la guerre italienne, imprégnées d’impressions fortes, chargées de pathos, d’épouvante et  de titanisme. Comme l’a bien remarqué Maria Teresa Giusti, ce n’est pas par hasard que les témoignages relatifs à l’expérience militaire en Russie, dans le cadre des mémoires sur La Seconde Guerre mondiale, aient largement devancé  sur le plan quantitatif toutes les autres concernant les autres fronts.

    4 Cfr. Thomas Schlemmer, Invasori non vittime, La campagna italiana di Russia 1941-1943. , Laterza Roma-Bari 2009.

    C’est justement la campagne de Russie qui fait la toile de fond aux pages de Invictus, roman historique, fruit de l’élaboration d’une expérience réelle vécue par un jeune paysan sicilien, originaire d’un bourg de la commune de Nébrodes, Galati Mamertino, dans la province de Messine, envoyé à la guerre sur le front oriental. Même dans ce cas-là, on se trouve devant une histoire transmise d’une génération à l’autre, initialement gardée au sein de la famille et puis confiée ─ après une longue étape du détachement de ces événements et de sédimentation─ à la plume d’un écrivain talentueux, notre compatriote Cristiano Parafioriti, à la hauteur de donner la vigueur et la profondeur à la narration de cette expérience «extrême», jusqu’en faire un témoignage pérenne de la lutte des humains pour préserver leur humanité face aux hordes destructives et  l’horreur de la guerre.

    Le roman raconte, telle une grande fresque, l’épopée d’un journalier sicilien, Salvatore, nommé Ture, le fils aîné de la famille Di Nardo. Bien que le père, ayant déjà vécu en personne le drame du Karst durant La Première Guerre mondiale, eût essayé avec des astuces et de nombreuses ruses, de préserver le fils de cette triste perspective, Ture n’aurait pas réussi à éviter le service militaire et l’ordre de mobilisation. Le destin lui réserve la pire des destinations : la steppe russe. Habitué aux sacrifices, aux hivers durs dans la montagne, endurci par le train de vie rude dans les champs, il aboutira à survivre l’austérité d’une campagne de guerre, conduite dans les conditions prohibitives, et à revenir, mais pas sans risques et péripéties consécutifs, dans sa terre bien-aimée, renouant le fil des affections que la guerre avait risqué d’interrompre à jamais.

    Sortie de l’écrin de la mémoire, dans le cadre d’un roman historique qui la réélabore et l’enrichit, n’altérant aucunement la véracité─ au contraire, en la nuançant─ l’histoire de Ture Di Nardo devient paradigmatique de la condition de tant de paysans, arrachés à leur travail, souvent les seuls à subvenir aux besoins de leur famille, loin de leurs proches, propulsés dans une sorte de « terre de personne», le champ de bataille, en proie à une guerre qui les abrutissait, et en quelque part, les dépersonnalisait, dominée par la mort «anonyme et massive».

    La perspective démontre bien la vision «d’en bas» de ces paysans provenant des villages les plus reculés, jetés à l’improviste dans un conflit «infernal», submergés par les sensations de résignation et de frustration, généralement indifférents par rapport aux motifs de la guerre, de la même manière comme à un désastre naturel. L’attitude du protagoniste du roman reflète la condition de ce monde rural patient, habitué au sacrifice, ayant du mal à s’identifier à l’État, et dont les points de vue restaient toujours restreints au local, municipal. Loin des idées du pouvoir et de la grandeur propagées par le régime, réfractaire aux mythes fascistes, distant de ce sentiment patriotique alimenté dans cette phase-là, Ture se trouvera plongé dans la tragique réalité de la guerre italienne sur le front oriental, dans lequel le seul réconfort serait offert par la solidarité avec les compagnons d’armes et par un doux espoir de pouvoir revenir un jour à la maison pour couronner un rêve d’amour avec sa chère Rosa.

    Le roman transcrit une portion extraordinaire de l’univers matériel et mental des valeurs, peurs, besoins et aspirations des familles de paysans de région montagnarde- celle de Nébrodes, aux prises avec le travail dur et laborieux sur les champs, dans la sueur de leurs fronts, subissant l’oppression de la part d’une classe de propriétaires, issue de l’aristocratie, qui détenait toujours fermement durant la première moitié du vingtième siècle la possession de la majeure partie de terres, en tirant de gros bénéfices par le biais des mandatements, souvent avec les critères tout à fait arbitraires.

    Dans une prose de style réaliste, fluide et agréable à lire, dans le sillage de la meilleure tradition littéraire sicilienne, Parafioriti enrichit le schéma narratif suivant les développements du rapport amoureux entre Ture et sa cousine Rosa, dans la jonction des évènements et des circonstances, rappelant l’œuvre de Manzoni, qui empêchent l’accomplissement entier. Il esquisse en mode réaliste divers personnages, saisis dans leur essence intime, engendrant un vrai pittoresque social fondé sur une érudition historique et un usage soigné du registre linguistique. Après les récits Era il moi paese (2014), Sicilitudine (2016) et le passage au roman historique avec D’amore e di briganti (2019), installé dans le décor post-unitaire du dix-neuvième siècle, ce nouveau labeur littéraire marque l’atterrissage de l’auteur à une épreuve de maturité accomplie, avec un roman «organique», en mesure de tenir le lecteur captivé par la force de l’histoire et sa valeur universelle. Tous les écrits de Parafioriti ont un dénominateur commun : un fil rouge distinctif : exprimant un lien profond avec le territoire sicilien de ses origines. Galati Mamertino, avec son hameau San Basilio, dans les Nébrodes, qui devient un tout inséparable avec les personnages décrits par l’auteur. À partir d’un tel contexte de référence, les histoires du roman Invictus évoluent, s’imbriquant dans le cadre le plus vaste de l’histoire du vingtième siècle.

    Pour conclure, il me semble utile pour la réflexion sur la genèse et la portée de cet ouvrage de rappeler l’observation suivante :

    Chaque être humain est unique, ayant une existence si exclusive, qu’aussi déboussolé qu’il déambule dans l’obscurité mélangeant les accidents à ses intentions, il ne décalque jamais les mêmes empreintes qu’un autre, ne répète jamais le même parcours, ne rentre pas dans la même histoire. Ainsi les histoires de la vie sont racontées et écoutées avec l’intérêt, puisqu’elles se ressemblent et pourtant chacune est nouvelle, irremplaçable et inopinée, du début à la fin⁵.

    5 Adriana Cavarero, Tu che mi guardi, tu che mi racconti. Filosofia della narrazione, Feltrinelli, Milano 1997, p.9.

    Ainsi Hannah Arendt avait-elle remarqué : « Il n’y a pas d’existence digne d’estime sur laquelle on ne peut pas raconter une histoire⁶». Et racontant la réalité cruelle de la guerre, l’auteur a voulu réaffirmer et  mettre en valeur justement la particularité de chaque destin humain, mais aussi la valeur pérenne et exemplaire d’un témoignage de souffrance et de dignité en mesure de surmonter la barrière du temps et de se projeter dans le monde contemporain. Dans l’espoir que la mémoire puisse représenter toujours―citerais-je Liliana Segre― « Un vaccin précieux contre l’indifférence».

    6 Hannah Arendt, Isak Dinesen (1885-1962), dans «aut aut», 1990, pp 239-240.

    Prof. Antonio Baglio

    (Université des Études de Messine)

    PREMIÈRE PARTIE

    I

    Bourg de San Giorgio, avril 1941

    Les monts Nébrode

    Zi Peppe Pileri revenait des champs le soir.

    Les jours commençaient à rallonger et il essayait d’en profiter jusqu’au dernier rayon du soleil. Donc, peu avant de partir, il ramassait les derniers branchages secs de la terre et les entassait dans un coin de la parcelle, remplissant le sac en jute avec la récolte du jour, attachant une cordelette de genêt autour du fardeau, et déposait sur la mule quelques morceaux de bois sec qui auraient servi à alimenter le poêle. C’était au début du mois

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