Cela faisait des mois qu’on parlait de la guerre. Les évacuations des ambassades, les chars à la frontière, les scénarios catastrophe. En janvier, avec ma colocataire, Anastasia, journaliste à la télévision ukrainienne, depuis le balcon en bois de ma khrouchtchevka, un bâtiment typique des quartiers dortoirs soviétiques, nous observons la forêt qui s’étend du nord de Kiev jusqu’à la frontière biélorusse, là où les troupes russes sont massées. « En tout cas, s’ils viennent, on sera les premiers sur le chemin », dis-je en plaisantant. Quelques semaines plus tard, le 19 février, sur les conseils des autorités ukrainiennes, je prépare ma « valise d’urgence ». Je jette dans un vieux sac de sport des barres de céréales, des nouilles lyophilisées, des vêtements chauds, mes papiers… Une invasion? Je n’y crois toujours pas. Si jamais « ça » arrive, je me promets que je partirai. Je suis restée.
Soixante-douze heures pour survivre
24 février 2022, cinq heures du matin. Je me réveille avec le fracas des bombes à Kharkiv, où je suis en reportage. Boum, boum, boum. Les Russes sont à 40 kilomètres. Trois jours plus tôt, Poutine a reconnu l’indépendance des républiques séparatistes prorusses de Donetsk et Louhansk, dans le Donbass. Tout le monde s’attendait à la guerre, mais pas ici. Les bombardements sont continus. La nouvelle s’affiche sur mon téléphone: « Vladimir Poutine annonce une “opération militaire” de “démilitarisation” et de “dénazification” de l’Ukraine ». Sentiment d’horreur absolue. Je tambourine à la porte de mon collègue, qui loge dans le même hôtel: « Réveille-toi, la guerre a commencé! » Je