Le Retour du Héros: Roman historique
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À propos de ce livre électronique
Il arrive à destination où l’attend son ancien patron… Quel accueil lui réservent les villageois et Josette qu’il a fréquentée avant la guerre et dont il est sans nouvelles depuis sept ans ? Quel avenir peut-il espérer dans cette France encore marquée par la défaite et l’occupation, cette France qu’il a défendue en 1940 et libérée en 44 ? Bien des surprises l’attendent…
Des annexes riches en anecdotes permettent à l’auteur de rappeler des réalités historiques, d’évoquer des personnes et des souvenirs propres liés à cette période de l’Histoire.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Jean-Pierre Steck, né en 1941, habite depuis toujours en Picardie. Professeur des écoles honoraire, ancien combattant et officier de réserve honoraire, l’écriture est sa passion. Il a publié des ouvrages pédagogiques consacrés à l’expression écrite aux Editions Hachette Education, des romans, un essai, une biographie et des recueils de nouvelles chez différents éditeurs.
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Avis sur Le Retour du Héros
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Aperçu du livre
Le Retour du Héros - Jean-Pierre Steck
1
ELLE
Jeudi 24 octobre 1946.
Le train quitta la banlieue de Bruxelles un peu avant midi. Il accéléra et s’enfonça dans la campagne déjà marquée par l’automne. Les champs et les bois rivalisaient, se paraient de teintes dorées, rouges ou rousses. Des nuages d’un blanc de neige se pourchassaient, poussés par des rafales de vent tiède.
Le halètement de la locomotive et le claquement rythmé des roues aux jointures des rails composaient une musique que Marek Kozak savourait. La musique de la liberté. Une liberté acquise après sept années offertes à l’armée et à la guerre.
Il avait quitté la Basse-Saxe depuis trois jours. Un premier arrêt à Breda en Hollande pour retrouver des compagnons de combat (et pour vendre un pistolet ramassé sur le cadavre d’un officier allemand – de quoi arrondir son maigre pécule), un deuxième à Bruxelles pour acheter deux boîtes de cigares, deux autres de chocolats et des jouets (pour offrir à son patron, à son épouse et à ses enfants, ainsi qu’à son ami Jacek et à sa famille) et le voilà en route pour son ultime destination : Grandpré-la-Vallée, un village picard situé non loin de Saint-Quentin.
La fumée, rabattue par la vitesse et le vent, glissait le long des wagons où elle pénétrait et répandait une odeur piquante en abandonnant des particules d’escarbilles noires.
Marek releva la vitre et reprit sa place.
Cinq autres personnes occupaient le compartiment : deux couples et un enfant de cinq ans environ que sa maman s’évertuait à se tenir tranquilles dans cet espace confiné.
Marek observa le groupe. Il estima être le mieux vêtu. Il portait un blazer en flanelle, un pantalon gris au pli impeccable en dépit du voyage, une chemise blanche (il avait renoncé à la cravate) et des chaussures vernies (il avait bourré les bouts avec du coton car elles affichaient deux pointures de trop). Cette élégance, c’était à ELLE qu’il la devait.
ELLE ?
Il ferma les yeux. Se souvint.
*
Le 8 mai 1945, l’Allemagne capitula. Le vent de la liberté qui ne soufflait plus depuis cinq ans balaya l’Europe occidentale. Le creuset de la guerre avait attiré, avalé et broyé des millions d’êtres humains sur les champs de bataille, dans les camps de travail, de concentration et d’extermination, au cours de violentes représailles, après des procès sommaires ou des séances de tortures, dans mille autres circonstances.
Certains fêtaient la victoire à grand bruit, à grand renfort d’alcool, en chantant, en dansant, en s’aimant.
Marek et son chef de char discutaient en buvant de la bière, comme ils le faisaient parfois. Ce dernier dit :
Marek, les jours et les semaines qui suivirent, réalisa combien son chef avait raison.
Il oublia progressivement le vacarme de la guerre, ses explosions, ses cris et ses gémissements pour réapprendre à écouter le cocorico matinal d’un coq, le chant des oiseaux dans les frondaisons, le murmure d’une rivière sur un lit de cailloux, les tintements d’une cloche qui indiquait l’heure ou appelait les fidèles, la tessiture des voix d’une conversation… et le silence.
Il oublia progressivement la vue des charniers, des cadavres allongés en attendant une sépulture, des matériels détruits, des habitations ruinées, de la nature saccagée pour réapprendre à contempler un ciel tourmenté où roulaient en ordre dispersé des nuages aux teintes nacrées, à admirer la nature qui renaît sans cesse et à observer les humains capables de survivre en toutes circonstances et dans toutes les conditions.
Il oublia progressivement les odeurs de la guerre, des incendies qui ravageaient tout, de la mort qui rôdait et emportait hommes et animaux pour réapprendre à humer les fragrances d’une fleur, le fumet d’un plat, le parfum de la vie.
Il oublia progressivement le goût de la guerre, celui de la nourriture fade souvent la même, de la soif qui assèche la gorge, de la faim qui serre l’estomac pour réapprendre et apprécier la saveur d’un mets longuement mijoté, d’un fruit cueilli sur l’arbre, d’une tranche de pain fraîchement cuit.
Il oublia progressivement le toucher de la guerre, le métal brûlant ou glacé de son char, le contact des cadavres dont il fallait fouiller les vêtements à la recherche de papiers et d’objets personnels pour réapprendre et apprécier la douceur d’une main tendue, la rugosité du tronc d’un arbre, la fluidité de l’eau qui abreuve, nettoie ou glisse sur le corps en apportant un bien-être inouï.
La guerre avait occulté une foule de sensations ressenties auparavant. Une rééducation de ses sens s’avérait nécessaire pour retrouver des perceptions neuves. Il lui appartenait d’oublier les laideurs passées pour rechercher les beautés d’une vie nouvelle.
*
Il LA rencontra au mois de juin 45. Il flânait dans l’allée ombragée qui menait à la gare de Löningen, en Basse-Saxe. Ce bourg d’une dizaine de milliers d’habitants avait été bombardé dès 1940 puis début 1945 avant d’être pris par les troupes britanniques durant la première quinzaine d’avril. La 10ème Brigade de la Première division blindée polonaise y avait établi son PC.
Il différenciait les passants qu’il croisait. Les Allemands d’abord. Certains baissaient la tête ou détournaient les yeux – se sentaient-ils en faute ? D’autres le toisaient ou lui adressaient un regard hautain ou même chargé de haine – l’esprit revanchard prenait-il son essor ? Les Displaced Persons (DP) ensuite, d’origine polonaise ou pas, fraîchement libérés des camps de concentration ou de travail et pris en charge par l’armée polonaise. Eux le regardaient avec bienveillance ou, parfois, un sourire mélancolique aux lèvres. Par contre tous étaient fagotés et traînaient un air sombre à la recherche de nourriture ou d’un objet aussi introuvable qu’indispensable à leur survie.
Il remarqua que les enfants et les couples ne représentaient qu’une infime partie des piétons croisés. Cette constatation, il l’attribua aux conséquences de la guerre ou alors à l’occupation qui incitait les premiers à fuir des rencontres parfois mauvaises et les autres à cacher leur bonheur (ou leur chance) de survivre à deux.
Marek était-il distrait ? Était-ELLE distraite ? Étaient-ils distraits ? Ils se heurtèrent, ELLE faillit tomber, il LA rattrapa. Nez à nez, il reconnut instantanément ce visage de madone nimbé de blondeur, ces traits fins d’une régularité parfaite, ce nez mutin, cette bouche presque pulpeuse, ces yeux bleu pervenche. Et, surtout, ces deux minuscules grains de beauté, l’un à la commissure gauche des lèvres, l’autre au-dessus de la paupière droite.
Il LA serra dans ses bras, plongea le visage dans son cou en sanglotant. Sa jeune sœur ! Il retrouvait sa jeune sœur à des centaines de kilomètres de la maison familiale.
Des images, des souvenirs enfouis dans sa mémoire surgirent aussitôt. Il se rappela les moissons d’antan, lui fauchant, ELLE rassemblant les longues tiges en gerbes qu’ELLE nouait avec un lien de paille. Il se rappela quand il guidait le cheval tandis qu’ELLE se pavanait sur la croupe de l’animal docile. Il se rappela les soirées à la lueur de la lampe à pétrole : ELLE rédigeait ses devoirs, il LA surveillait, LA contemplait avec une fierté indicible. Il se rappela les parties de pêche dans l’étang communal où barbotaient oies et canards, où buvaient vaches et chevaux en liberté.
Quel âge avait-ELLE quand il avait quitté la Pologne pour gagner son pain en France ? Treize ans. ELLE en avait donc vingt-deux maintenant !
Par quel hasard se trouvait-ELLE ici ? Quel destin plutôt ? Ne sortait-ELLE pas du stalag XI C qu’il avait libéré trois mois plus tôt ? D’anciennes prisonnières erraient encore en ville et dans la campagne…
Il dit en polonais :
ELLE demeura immobile. Muette. La chaleur de son corps irradiait, pénétrait celui de Marek. Une osmose fabuleuse. Un bien-être inouï.
Marek songea : ELLE est femme maintenant. J’ai quitté une adolescente et je retrouve une femme.
ELLE repoussa doucement le soldat. Comme à regret. Leurs yeux s’accrochèrent. ELLE dit :
*
Marek se figea. Il regarda Hilda de la tête aux pieds. Elle portait une robe misérable mal rapiécée, des chaussures éculées. Comment croire ce qui, pourtant, était la réalité, il devait l’admettre. Il se présenta :
Elle lui adressa un pâle sourire (comme Sosia quand elle se sentait acculée) et répliqua :
Il lui proposa de la raccompagner chez elle. Elle accepta. Elle habitait une maison à un étage, en périphérie de la ville, au bord de la Hase, un affluent de l’Ems. Le soleil étincelait à la surface de l’eau et les arbres de la rive se reflétaient dans ce miroir que la brise ridait. Image de paix. Carte postale de vacances.
Ils entrèrent dans le salon. Hilda disparut à l’étage. Marek admira le mobilier : un canapé en cuir vert d’eau, deux fauteuils cossus où il devait faire bon s’enfoncer, une table basse, un vaisselier garni de verres en cristal et de poupées en costume folklorique… et un piano. Un instrument qu’il ne connaissait que par les images.
Marek leva la tête quand il entendit les pas de la jeune femme. Elle descendait les marches. Une à une. Avec une lenteur calculée. Elle était éblouissante. Vêtue d’un chemisier blanc liseré de dentelle, d’une jupe prune et chaussée de bottines assorties.
Le soldat s’extasia de manière presque grossière :
Marek devina plus qu’il ne comprit le sens de sa réponse. Il était subjugué. Tétanisé. Il imaginait Sosia parée des mêmes atours. La ressemblance relevait de l’extraordinaire. Du miracle. Il le lui expliqua à sa manière.
*
Marek s’interrogeait : pourquoi m’accepte-t-elle chez elle ? Qu’attend-elle de moi ? Elle n’ignore pas les ordres donnés aux soldats d’occupation : interdiction de sympathiser avec la population