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Les Voies
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Livre électronique276 pages3 heures

Les Voies

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À propos de ce livre électronique

L es Voies, qu’elles soient physiques ou mentales, sont toujours indéchiffrables. On les choisit ou elles vous choisissent pour vous guider vers un avenir incertain. Dans les années 30, un enfant juif, fils d’un employé de tramway à Marseille, en rupture de ban avec la société des adultes. Pauvreté et handicap religieux, deux obstacles à franchir, tout seul, pour réussir dans la vie aveugle. Jeune, il voyage dans le vieux tramway de son père et finit sa vie professionnelle sur les mêmes rails que ce dernier, mais dans un train de France Télécom dénommé TRAN PARC, au service de la communication entre les hommes. Un insignifiant petit Antoine de SAINT EXUPERY, volant non dans les nuages, mais sur les VOIES ferrées des hommes.
LangueFrançais
Date de sortie6 août 2013
ISBN9782312024035
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    Les Voies - Albert Rouas

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    Les Voies

    Albert Rouas

    Les Voies

    LES ÉDITIONS DU NET

    22 rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    © Les Éditions du Net, 2013

    ISBN : 978-2-312-02403-5

    Le Tramway

    Montre-moi ton ticket, me dit un monsieur, coiffé d’un beau képi, causant avec mon père. Ce képi flamboyant de galons et ce costume bleu marine impressionnèrent passablement le petit garçon de six ans que j’étais.

    En effet, je prenais pour la première fois de ma longue vie, le tramway de Marseille.

    Quel ticket, répliquai-je, flairant une plaisanterie.

    Eh, mon petit bonhomme, il faut acheter un ticket pour avoir le droit de monter dans un tramway !

    Non, ce n’est pas vrai ! Mon père ne paye jamais pour monter dans un tramway !

    Ton père est un traminot, qui a le droit de ne pas payer, et même de faire payer les autres. Heureusement que tu es accompagné de ton papa, me répondit le contrôleur.

    Incrédule, je me mis à rire, à rire, et n’en croyais rien. Il fallut toute l’autorité naturelle de mon papa pour que je daigne accepter ce que je considérais comme une blague marseillaise. Je fus donc convaincu d’être un petit resquilleur par cet impertinent monsieur. De plus, je faisais l’innocent, ce qui aggravait notablement mon cas. Cette petite scène se termina par un éclat de rire général, auquel des voyageurs, amusés, se joignirent avec des accents chantants.

    Dans l’esprit généreux de ce gamin altruiste, le tramway devait être gratuit pour tout le monde. Ce qui n’était pas tout à fait absurde.

    Mais il apprit que pour utiliser ce moyen de transport si écologique revenant à la mode, il fallait payer, même en étant le fils d’un vénérable employé de tramway et qui servait depuis longtemps de professeur aux chauffeurs débutant dans le métier.

    Il en déduisit, avec une logique infaillible, qu’il fallait nécessairement « resquiller », c’est-à-dire « chaler » à l’extérieur sur l’arrière de la voiture, pour ne pas être aperçu par l’employé de service, avec les risques d’accidents que cela comportait.

    Cette pratique a disparu, sur les tramways flambant neufs circulant aujourd’hui à Marseille. Les gens les plus démunis possèdent aujourd’hui des cartes à tarif réduit leur évitant ainsi de telles acrobaties.

    Ce souvenir est le premier qui me reste de mon enfance, laquelle conditionne comme chacun sait le reste l’existence.

    « On reste infirme de ses rêves non réalisés », disait JACQUES BREL

    Suis-je resté infirme ?

    Peut-être un peu moins, depuis qu’en racontant une vie peu commune, je la revis, en rêve.

    Cela me rappelle quelques vers que j’ai écrits dans une chanson bien plus tard :

    « Pourquoi vouloir écrire vouloir chanter

    Est-ce pour panser une plaie non refermée

    Pour occulter la triste réalité

    En s’évadant sous la ramée »

    C’est tout d’abord grâce aux maigres revenus salariaux de mon père que toute une famille a pu survivre à une époque bien plus dure que la nôtre, même si le chômage était moins endémique que de nos jours.

    Tous les soirs, le père revenait, courbé de fatigue accumulée, transpirant l’été, toussant bruyamment l’hiver, avec sa peau de bique octroyée généreusement par la compagnie des tramways de MARSEILLE. Revêtu de celle-ci, il ressemblait à un esquimau.

    Combien de bronchites a-t-il ramenées ainsi, de sa plate-forme exposée au Mistral et à la pluie, stoïquement debout, face aux glissants rails luisants qui le guidaient vers un avenir incertain.

    Ces rails avaient accompagné toute sa vie et devaient, plus tard, accompagner une partie de la mienne !

    Plus encore, le tramway fut pour sa famille un véritable bouclier idéal la protégeant de la répression allemande. Cette profession, si primaire, si rude, si insoupçonnable de profits illicites, si éloignée de tout commerce toujours un peu suspect ; ce travail, si modeste aussi, était tout à fait incompatible avec l’idée que l’on se faisait, ici ou là, du monde juif quelquefois bourgeois ou commerçant. Mais la richesse, quelles qu’en soient les origines, n’est-elle pas suspecte aux yeux des pauvres gens surtout en France et contrairement à l’adulation qu’elle suscite aux ETATS UNIS ? De la suspicion à la délation, il n’y a qu’un pas.

    Car les juifs à l’époque étaient surtout arrêtés par dénonciation, pour mésentente de voisinage, jalousie gratuite, défaut de simplicité dans le comportement. Cela était très efficace et d’une totale impunité : la gestapo ne dévoilait jamais ses sources.

    Mais comment être jaloux d’un pauvre hère, qui payait pourtant toujours son loyer, dont les enfants étaient toujours propres bien qu’un peu turbulents : parfait exemple d’intégration de l’époque 1920.

    Pourtant, les soldats allemands côtoyaient tous les jours ce chauffeur patibulaire sur la plate-forme du tramway. Ils arrêtaient ce véhicule pour incarcérer les israélites ou les communistes, sans suspecter qu’ils oubliaient le conducteur ! Pourtant les juifs n’avaient-ils pas un air sémite bien caractéristique ? Hitler le prétendait pourtant. Mais mon père n’avait heureusement ni nez crochu (contrairement à PIE 12) ni autre attribut si caractéristique parait-il de cette race persécutée depuis toujours, sauf par les romains de la ROME antique qui elle, s’en prenait aux chrétiens. Certains chrétiens devraient s’en souvenir.

    On peut donc affirmer que l’extrême médiocrité de son train de vie, alliée à une incontestable intervention divine, ont protégé cette famille du four crématoire, tout cela sans aucune précaution préventive.

    Voilà, en deux mots, à quoi se résume l’importance du tramway. Sans oublier, tout de même, la symbolique de ce moyen de transport qui date moralement et philosophiquement les faits.

    À cette époque, le temps n’avait pas d’importance en soi. Seule, comptait la qualité de l’ouvrage artisanal. On avait le goût du beau et du durable.

    Le tramway ancien l’était.

    C’est pourquoi il est si important de l’évoquer, mais à travers les souvenirs d’un enfant que je prends par la main presqu’un siècle plus tard.

    Cet enfant était pauvre mais non gâté, diable mais non méchant.

    Sa scolarisation fut mouvementée et plutôt pénible pour ses parents. Les institutrices voulant absolument le faire entrer à l’école, étaient allègrement gratifiées de violents coups de pieds dans les tibias. Même traitement, à l’encontre de mes pauvres sœurs affolées et impuissantes devant cette tornade d’énergie. Des hurlements stridents résonnaient aux abords de l’école maternelle. Il fallait à tout prix dompter le jeune poulain, l’instruire malgré lui, en faire un homme, si possible, disait son père.

    Car, être un homme à cette époque, était plus flatteur que d’avoir la légion d’honneur aujourd’hui.

    Pour avoir droit à cette flatteuse appellation, il fallait réunir une panoplie rare de qualités civiques : courage, honnêteté, altruisme, sens familial, goût immodéré pour le travail, non pas uniquement pour gagner de l’argent, mais pour rendre à la société ce qu’elle vous avait apporté.

    Une manière de remercier nos aînés.

    Ce sentiment se rattachait à un certain patriotisme, désuet de nos jours.

    On rejoignait un peu l’entraide des travailleurs face au patron dans un syndicalisme plus fort qu’aujourd’hui.

    Les discussions devenaient vite passionnées et même violentes dés qu’elles abordaient certains sujets politiques. On se fâchait pour une idée et l’on chantait, le visage en feu l’Internationale !

    Le grand soir à n’en pas douter, était pour demain. Blum et Jaurès vivaient toujours dans les esprits. Les congés payés aussi.

    Pour un enfant, rien de plus exaltant mais aussi paralysant. Mon père claquait souvent la porte au nez de mon oncle au sujet de la souhaitable évolution du monde

    Déjà, je considérais comme particulièrement stérile ce genre de discussion : on ne prouvait jamais ce que l’on avançait. Tout était affirmations péremptoires.

    Mon agressivité en était sans doute l’inévitable conséquence.

    L’entrée dans une école était pour moi la première contrainte sociale, pour un gosse habitué à jouer.

    On y apprenait un langage ésotérique qui permettait finalement de mentir avec élégance et diplomatie. La révolte était logique contre l’école et ses murs aveugles voulant absolument nous emprisonner dans des locaux vieillots et grillagés où régnait une discipline insupportable.

    Bref, je n’avais pas tout à fait tort de ruer dans les brancards, l’avenir serait pire encore.

    Ruer, c’est bien cela que je me suis appliqué à faire génétiquement toute ma vie, contre toute forme d’entrave à ma liberté de manœuvre ou d’expression.

    Au fond, les enfants très sages étaient déjà résignés devant l’inéluctabilité de cette broyeuse société. Ou, peut-être, n’étaient-ils pas encore bien réveillés en découvrant la triste porte de notre école de la Roseraie ?

    La propreté, l’ordre, étaient inconditionnellement imposés par des dames qui avaient l’air d’être gentilles, mais qui ne l’étaient pas. L’enfant tenait simplement à s’amuser : un monde entier coalisé, étranger, voulait absolument l’en empêcher. Sa dissipation se développait alors avec brio. De nombreuses « lignes » de punition le sanctionnaient impitoyablement, sans résultat tangible. Les parents se désespéraient.

    En vain.

    A quelque chose, heureusement, malheur est bon. Peut-être ai-je conservé de cette époque une certaine facilité physique pour écrire. Car il fallait écrire vite toutes ces lignes de punition le soir à la maison. Écrire, déjà, était mon impératif premier, sans fautes si possible. Mais hélas, écrire vite et écrire bien, ce n’est pas la même chose.

    Je ne comprenais rien à ces textes à reproduire par mesure disciplinaire et d’un niveau intellectuel bien au-dessus du mien.

    Quatre vers anciens, de mon cru, résument ce sentiment :

    « Alors j’en ai bavé, alors j’ai étudié

    J’en ai pris des fessées et toujours au piquet

    Cinquante lignes cent lignes le soir à copier

    Et sans jamais comprendre bien sur ce qu’j’écrivais »

    Une certaine familiarité avec les mots et un goût évident pour leur musique en sont, peut-être, aujourd’hui l’unique conséquence. Il m’arrive d’écrire des chansons musique et paroles et je sais que l’harmonisation des mots peut se passer de musique.

    Mes devoirs ? Plus le temps pour les faire. Les leçons, également. Les fautes d’orthographe ? Aussi nombreuses que des prunes sur un prunier. Ma sœur était scandalisée, elle qui faisait religion de cette discipline.

    Subitement, la guerre éclata. Je dus me passer, notamment le jeudi, de mon pain et du beurre. Ma mère, pour qui j’étais le petit dernier, tenta de priver toute la famille pour me satisfaire. Les restrictions s’accentuant cruellement, elle y renonça. On dut se rabattre sur des moyens de fortune : les figues que l’été seulement, nous pouvions chaparder sur les arbres du voisinage. Cette cueillette comportait des risques incontestables : les propriétaires lâchaient leurs chiens menaçants ; mais cela était si bon pour combler un petit creux.

    Ce larcin dont le but était primitivement alimentaire, restera toute ma vie un souvenir inoubliable de liberté en marge de la légalité trop contraignante, comme le sont bien d’autres actes de la vie. D’ailleurs même aujourd’hui, lorsque je vois une branche de figuier pendre lourdement, chargée de fruits abandonnés prêts à tomber pour être écrasés par les passants, je résiste difficilement à la tentation. Au fond, n’est-ce pas rendre service aux voisins que de se nourrir aux frais de la princesse ?

    Enfin, il y avait les sardines, seule source de protéines disponible pendant cette terrible période. Il y en avait certes, mais très peu au Vallon des Auffes, petit port de pêche sur la Corniche. Toute la famille se relayait pour aller faire la « queue » devant la barque des pêcheurs sur le quai. Une trentaine de personnes affamées attendaient patiemment leur tour. On obtenait un demi-kilo par personne et l’on s’en retournait à la maison, tout joyeux d’avoir économisé des tickets.

    En effet, les tickets de rationnement étaient imposés par Vichy pour tous les aliments, hormis le poisson acheté directement au pêcheur.

    Depuis cette triste époque j’adore celui-ci et surtout les sardines, plat du pauvre, brillantes et glissantes de fraîcheur, m’ayant permis de survivre, accompagnées de succulentes figues. A ces dernières, je décerne une reconnaissance éternelle. Elles constituaient nos « bartavelles », si chères à Marcel Pagnol enfant, dans le vallon du Passe Temps.

    Le reste de notre alimentation se réduisait à des navets, topinambours et rutabagas. Quant au pain, une tranche de dix centimètres de large constituait la ration journalière, sans supplément possible. J’en rêvais tous les petits matins avant de me lever. Il fallait absolument oublier, volontairement, de donner les tickets chez le boucher ou le boulanger pour espérer survivre. Pas de beurre mais seulement de la margarine ; pas de sucre, mais de la saccharine.

    Cette période a suffisamment été décrite par ailleurs pour ne pas s’y étendre.

    Ces souvenirs ont cependant une certaine affinité avec les « madeleines » de Marcel Proust. Il en reste une saveur accentuée par les privations subies et le gouffre du temps passé. Oh, je pourrais en rajouter pour me faire bien comprendre, comme lui, mais je pense que le lecteur avisé se rendrait vite compte de l’exagération emphatique de descriptions superfétatoires. Je pense qu’il vaut mieux suggérer que détailler.

    Le soir, avant de me coucher, je priais, non pas en hébreux que j’ignorais, mais dans un langage juvénile, pour que Dieu prête vie à mes parents le plus longtemps possible. Car je savais, non pas d’expérience, mais d’instinct, que souffrir de faim n’était rien. Souffrir du manque d’amour était bien pire, si nous étions relégués dans une maison d’orphelins.

    Dès que quelqu’un mourait dans nos relations de voisinage, je me disais que ce malheur pouvait très bien nous frapper. Une amie de ma mère était morte du cancer du sein. Rien n’avait pu être fait pour la sauver, voici cinquante ans.

    Pourquoi ce malheur arrivait-il à l’un et pas à l’autre ? Étions-nous programmés dés la naissance ou nagions-nous dans le domaine de l’aléatoire ? Et pour ce qui est de ce dernier, est-ce le bon Dieu qui le définit, qui le dicte et qui le rythme ?

    Mais Dieu a-t-il les mêmes critères que nous, sur le bien et sur le mal ? Est-ce bien en fonction de ses critères qu’il décide du succès d’un homme ou de ses échecs, de sa vie, de sa mort.

    La morale laïque ou religieuse enseignée aux enfants est-elle bien en phase avec la morale divine malgré toutes les bibles et tous les talmuds. Au bout du compte de nos réflexions, comment faut-il se comporter pour vivre longtemps et heureux ? Est-ce même souhaitable de vivre longtemps ?

    Telles étaient les questions posées dans ma petite tête, restées hélas sans réponses.

    Mon père m’avait raconté la mort de sa mère alors qu’il n’avait que dix ans. Il avait prié des nuits entières pour sa guérison, en vain !

    Je tremblais que ce malheur ne se renouvelât. Que faire pour éviter cela. ? Aucune science au monde ne peut garantir la vie ou le bonheur. Prier donc, sans connaître aucune prière, se bien conduire, sans savoir ce que cela pouvait signifier pour le tout puissant ; espérer être exhaussé, sans savoir si l’Éternel pouvait nous entendre, trop occupé par les malheurs du monde. Il fallait que les persécutions juives cessassent : elles ne faisaient que s’amplifier sans que personne ou aucun état, ne daigne s’interposer. HITLER était pour moi le diable personne et le ciel même semblait le protéger dans les attentats perpétrés contre lui.

    Aujourd’hui, on intervient, un peu tard, pour la Lybie. Mais on intervient, néanmoins, sans le moindre retour.

    Que de temps les américains ont-ils mis pour entrer en guerre ! On dit même qu’ils connaissaient l’existence des camps d’exterminations, sans s’en inquiéter outre mesure. Il fallut qu’ils soient touchés directement avec Pearl Harbour. La solidarité ne se manifeste que lorsque l’on a peur de la contagion et rarement par humanisme. Souvent, hélas il est trop tard !

    Pour en revenir à mes rêveries ou prières nocturnes, je m’étonnais que personne, y compris les grands savants de ce monde, n’ait pu élucider le côté aléatoire de l’avenir ou n’ait pu inventer une théorie prospective même approximative.

    Ce manque de logique et de rigueur de tout ce qui n’était pas science exacte me gênait atrocement. Blabla bla…

    Pourtant, la question de la force irrésistible de la volonté me troublait également. D’après mon père, ange pourfendeur des hommes qui n’en sont pas, faute d’une volonté inflexible dont chaque individu devrait être doté, rien ne devait être impossible à obtenir avec le temps : richesse santé réussite sociale. Aussi ai-je essayé, toute ma vie, mais pas toujours avec succès, d’exercer obstinément cette volonté à toute épreuve.

    Lorsqu’on écoutait, à l’époque, HITLER à la radio, on ne pouvait douter de l’efficacité incontestable de sa volonté plus forte que celle de ses adversaires politiques, un peu falots. Il fallait donc attendre une volonté plus forte. Celle de DE GAULLE, de CHURCHILL, de ROOSEVELT…. Mais ils ont dû s’y mettre à trois pour réussir !

    Autrement dit, le succès de la volonté conquérante était indépendant de la nature morale de son objet. C’était l’intensité magique de cette volonté qui en faisait le succès.

    Mais dans tout cela, à quoi servait-elle cette pauvre et défaillante morale civile ou religieuse qu’on nous inculquait bien vainement, au lieu de forger le caractère inébranlable de notre énergie ? L’essentiel n’est pas de s’instruire et de faire siennes les connaissances des génies qui nous précédés, si l’on n’a pas la force de conviction, d’élocution pour emporter l’adhésion, au besoin même en inspirant une certaine admiration ou crainte.

    Que dirais-je de plus sur cette période si longue et si désespérément courte à décrire ?

    Les amours ? Mais oui, même à cet âge tendre, on y pense, on les vit en rêve sans soubassement sexuel.

    Cette attirance vers la passion vient de l’image émanant de sa propre famille, de l’écoute de la radio, des conversations avec les copains, du développement de ses propres glandes. Mais ce sujet était trop galvaudé, trop irréel, pour un galopin.

    Ma famille constituait un environnement parfait pour le développement normal d’un gamin.

    La famille, c’est tout d’abord le père.

    Assez massif physiquement et surtout moralement.

    Des valeurs morales continuellement ressassées aux enfants chez eux, mais aussi à l’école où l’instruction civique régnait en maître.

    Le visage buriné par les intempéries au cours d’éternels voyages aller-retour, il devait être prédisposé à la méditation sur la nécessaire et apparente répétitivité des choses : le droit chemin dans la vie, la sécurité des personnes transportées, et la responsabilité d’une si importante famille. D’ailleurs ses réflexions tournaient souvent autour de la vie en général, ce qui ne laissait pas de surprendre agréablement, compte tenu de son instruction primaire.

    Son écriture d’intellectuel raffiné, rapide, déliée, retraçant par exemple les péripéties des guerres de tranchées en 14/18, était une anomalie inexplicable, sauf à se référer à une hypothétique hérédité intellectuelle ancienne.

    N’avons-nous pas chacun, d’après les profondes et actuelles recherches généalogiques, plusieurs ancêtres communs ? L’un d’eux, sans aucun doute, devait être Maréchal de France, ou écrivain célèbre, dans un quelconque siècle antérieur.

    Malgré une tribu nombreuse à nourrir dans une lancinante pauvreté, qu’il estimait vraisemblablement issue d’un des douze fils de Jacob, malgré les incessantes persécutions des juifs, malgré les douloureuses blessures de guerre, malgré un avenir professionnel bouché, malgré l’âge avancé, la vie pour cet homme simple, était néanmoins toujours aussi merveilleuse.

    Souvent il s’exclamait, à la fin d’un frugal repas, le visage curieusement penché sur le côté droit, dans un rôt de satisfaction traditionnel :

    « Eh bien, moi, j’ai bien mangé ! En URSS, ce n’est pas pareil avec Joseph ! »

    Il s’agissait bien entendu de Joseph Staline, sa bête noire, au sujet duquel il se disputait régulièrement avec « Chiffour », un voisin parent par alliance, mais communiste enragé ! Ce dernier clamait bruyamment que seuls, les communistes pourraient un jour nous sortir de la misère !

    Contrairement à ce dernier, employé de tramway également, mon père figurait parmi les rares ouvriers non encore Marxistes-léninistes.

    Il considérait comme bien d’autres que, seule la liberté politique avait de l’importance…. Même si l’on devait mourir de faim pour la conserver. Cela rejoignait mon goût enfantin pour cette liberté vis-à-vis de l’école.

    Un avenir, très lointain encore, devait lui donnait raison avec la chute du mur de BERLIN, la dislocation de l’U. R. S. S. et de la théorie politique qui en était la base idéologique.

    L’écroulement du Communisme avait été prévu, soixante dix ans à l’avance, par un modeste employé de tramway, sans

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