Sur les traces de Bartimée
Par Yves Cormier
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À propos de ce livre électronique
Ce conte, inspiré de la Bible, invente une histoire à Bartimée et imagine un aspect inconnu du périple que les Rois mages ont accompli pour porter leurs offrandes à Jésus nouveau-né.
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Aperçu du livre
Sur les traces de Bartimée - Yves Cormier
Olwin
À première vue, personne ne s'en serait douté. Bartimée ressemblait à un garçon comme les autres. On lui devinait une âme enjouée, espiègle, et la journée ne lui semblait jamais assez longue pour qu'il puisse s'adonner à toutes ses activités.
Au moindre souffle, ses boucles de cheveux venaient lui chatouiller les tempes et son sourire laissait transparaître un coeur léger.
Comme il aurait été plaisant de jouer avec cet enfant ! Mais il faut savoir qu'une grande distance et plusieurs siècles nous séparent. En fait, Bartimée a vu le jour au temps de notre Seigneur, voilà donc bien longtemps. Mais est-ce pour cette raison qu'il était très différent des autres garçons du monde entier ? Malgré les siècles écoulés, consolons-nous en sachant que Bartimée possédait, comme tout enfant, une envie de savoir et de découvrir les moindres recoins de sa ville : il connaissait probablement ses rues pour les avoir parcourues, ses maisons pour les avoir visitées, ses arbres pour y avoir grimpé, ses habitants pour les avoir abordés. Nous pouvons ainsi nous imaginer son enfance, comme si nous l'avions nous-mêmes connu, parcourant les rues poussiéreuses de Jéricho, où il grandit.
Au-delà de sa ville, c'était le désert qui s'étendait à perte de vue. Jéricho était effectivement planté, telle une oasis, au milieu d'une vaste région désertique. Celle-ci cherchait constamment à réclamer son hégémonie sur les quelques espaces verts que ses habitants avaient réussi à lui soutirer. La moindre parcelle de terre y était cultivée avec persévérance et fierté, mais la sueur du paysan ne suffisait pas toujours à étancher la soif des cultures en mal d'eau : sous ce climat, le soleil était le plus souvent implacable. Le désert montrait décidément peu de complaisance pour la culture.
Et que dire de la pénible avancée des boeufs sur cette terre ingrate ! Parce qu'à l'époque où grandissait notre jeune Bartimée, c'était avec ces bêtes que l'on cultivait la terre. Quelle endurance paisible manifestaient ces animaux, quand on pense qu'ils creusaient la terre en traînant derrière eux une charrue sous le joug du maître. Et ce soleil qui, du haut de son perchoir, plombait impétueusement sur les champs poussiéreux. On peut bien leur attribuer le don de patience, à ces bêtes ! Clochettes au cou, ces laborieux travailleurs n'avaient comme diversion que ces sons de fête qui venaient égayer l'atmosphère autrement sèche et suffocante. Ding, ding ! Ding, ding !
Bartimée ne connaissait pas l'acharnement de ces bêtes sous l'ardent soleil du midi. Il les aurait sûrement trouvées valeureuses en les voyant avancer résolument à travers champs. Peut-être même aurait-il pris plaisir à les accompagner dans leur parcours. Mais il n'en fit rien.
Devrait-on ajouter qu'il ne connaissait pas davantage le désert qui bordait sa ville ? Ce vaste espace, il ne l'avait jamais parcouru. Quelque chose le retenait-il ?
C'est dans ces petits détails anodins que l'on en vient à deviner chez Bartimée une particularité. Il était pourtant aussi enjoué que n'importe lequel de ses amis et son enthousiasme n'avait pas de bornes. Peut-être cherchait-il à oublier dans ses nombreuses activités le fait qu'il n'était pas tout à fait comme les autres. Ce n'est pas toujours facile de se savoir différent de ses amis.
Des remarques désobligeantes à son endroit ? Ses camarades ne lui auraient certainement pas reproché quoi que ce soit, car Bartimée était en fait un enfant dont on chérissait l'amitié. Qu'il soit différent ou non, son sourire et son entrain réjouissaient les coeurs. Si seulement ses yeux avaient pu rire aussi. Mais voilà ce qui distinguait le garçon des autres enfants : ses grands yeux bruns étaient éteints, comme s'ils étaient voilés d'une lourde draperie qui leur interdisait toute lumière, même la plus pâle. Bartimée était aveugle.
C'est en raison de cette petite différence — grosse, certainement, pour l'enfant — que nous connaissons son existence. Bartimée, fils de Timée, tel que nous le présente l'évangéliste Marc dans la Bible, possédait effectivement un handicap qui allait l'accompagner, peut-on croire, jusqu'à son dernier souffle. Mais voilà où une histoire peut se transformer en un récit extraordinaire, dans une tournure d'événements surprenante qui défie l'imagination, qui déjoue nos attentes. Que l'histoire de Bartimée nous soit parvenue après deux millénaires indique qu'il y avait sûrement matière à récit, matière à surprise. C'est cette histoire qui vous est racontée aujourd'hui.
Et que dirait le héros de ce récit qui débute à l'instant, après ces nombreux siècles écoulés ? Il rirait d'un coeur léger et dirait que c'est bien inutile de se déranger pour si peu.
Bartimée était donc aveugle. De naissance. Mais sa condition ne l'empêchait pas de courir tous azimuts, même au risque de se cogner la tête de temps à autre. Et David était là, à ses côtés, pour lui montrer le chemin. David, c'était son grand frère et, du haut de ses douze ans, il avait déjà accumulé bien des expériences de vie. Il avait, par exemple, développé un très bon flair pour deviner ce qui plaisait aux grandes personnes. Là-dedans, il était passé maître et Bartimée s'en remettait totalement à lui à ce sujet. C'est ainsi que David avait prévenu son jeune frère de ne pas contrarier Moustaphat :
— Il faut l'aborder avec des gants blancs !
Voilà qui était toute une commande pour un enfant de six ans, d'autant plus qu'il ne comprenait pas tout à fait ce que des gants venaient faire dans le tempérament intempestif de Moustaphat. Et comment allait-il se procurer des gants, et blancs par-dessus le marché, alors qu'il n'était même pas capable de concevoir ce qu'était une couleur !
Moustaphat n'était pas leur père, et il possédait encore moins les attributs d'une mère. C'était en fait un voleur, un vrai voleur. Oui, déjà à cette époque, les brigands couraient les rues, et Moustaphat en était un exemple de la pire espèce. Et il était fier de ses prouesses ! Depuis sa jeunesse, il avait perfectionné son métier au point d'en faire un art. Il savait utiliser tous les moyens, trucs ou subterfuges pour soutirer à ses pauvres victimes la moindre pièce de monnaie.
Constatant qu'un enfant pouvait souvent passer inaperçu là où un adulte n'aurait fait qu'éveiller les soupçons, il s'était entouré d'une clique de jeunes garçons. « On ne se méfiera pas de ces jeunes », s'étaitil dit. Il lui suffisait de les roder au métier et, bientôt, ce petit clan savait lui rapporter gros. C'était en quelque sorte un investissement pour lui : plus d'apprentis, donc plus de vols et plus de profits ! Mais gare à celui qui ne serait pas à la hauteur de ses attentes : il ne lésinait pas avec les garçons qui ne se pliaient pas à ses règles.
— De la vermine comme vous, il y en a plein les rues ! leur disait-il pour les mettre à leur place.
Moustaphat avait décidément un coeur de pierre qui sonnait aussi creux que les jarres qu'il faisait remplir d'eau au puits communal.
C'est chez lui que David et Bartimée s'étaient éventuellement retrouvés ; c'est donc dire que les deux garçons étaient aussi voleurs. Oui, c'est vrai. Mais en fait, leur histoire n'était pas si simple. À la suite d'un événement aussi surprenant que tragique, David et Bartimée s'étaient retrouvés dans la rue. Les vents, le soleil implacable, le froid de la nuit, les insultes des passants, voilà ce qui avait été leur lot, comme à tous les gens de la rue. « Que faire ? » s'était demandé David.
Jusqu'au moment de leur rencontre inopinée avec Moustaphat, David avait dû composer avec cette nouvelle réalité. Se sachant responsable de son jeune frère, il dénicha tout d'abord un refuge pour les accueillir. « Voilà ce qu'il nous faut : un petit coin tranquille », s'était-il dit.
Ils élurent domicile dans le fond de la cour d'une maison où trônait un assez grand bosquet. Il était heureux pour les deux garçons que le propriétaire des lieux soit un vieil homme seul à l'ouïe déficiente et à la vue déclinante. Loin du bruit et du mouvement des rues de la ville, Bartimée y était en sécurité.
Arriver à se sustenter exigeait un peu plus de savoir-faire. Surtout avec deux bouches à nourrir. Piquer des aliments semblait la seule façon de s'en sortir. Mais que de remords David ressentait ! Il n'avait certes jamais imaginé qu'il serait rendu à cet extrême un jour, mais la réalité d'une situation est souvent plus déterminante que de beaux idéaux. Comment pouvaitil ne pas être ému en regardant son frère devenir de plus en plus affamé, lui qui était déjà si maigre ? D'abord révolté par ses propres gestes, David s'y résigna tranquillement. Puis, bientôt, sa jeunesse et son agilité aidant, il se rendit compte que ce nouveau métier allait leur permettre de manger à leur faim. Les remords s'estompaient devant la perspective d'un festin pour son frère et lui-même.
Si ses larcins s'étaient limités aux maigres besoins nécessaires à leur survie, peut-être que David s'en serait tiré sans trop de mal à l'âme. Mais son agilité, bientôt remarquée par Moustaphat, le mena dans des eaux beaucoup plus troubles, où le salut risquait de chavirer au profit d'une damnation éternelle.
— T'es un fin filou, jeune homme ! l'avait d'abord complimenté Moustaphat.
À trente-cinq ans, cet homme avait déjà bien de l'expérience derrière lui et ses belles paroles savaient atteindre le coeur du plus méfiant des hommes. David avait peut-être senti sa fourberie, mais il savait d'autre part qu'un adulte pourrait leur apporter, à son frère et à lui, une certaine sécurité qu'il lui tardait de retrouver.
— Tu voudrais peut-être qu'on fasse équipe ensemble, hein ? Qu'est-ce que t'en dis ?
David se laissa amadouer par Moustaphat. L'homme lui offrit ainsi qu'à son frère un gîte qu'ils acceptèrent volontiers. Mais la compassion ici n'avait pas prise ; David comprenait d'ores et déjà que les motifs de l'homme étaient purement égoïstes. Moustaphat avait sûrement soupesé l'avantage d'avoir à ses côtés un jeune et habile élève comme David. Peut-être celui-ci deviendrait-il un jour son apprenti le plus accompli ?
« Nous aurons au moins un logis et de quoi manger », raisonna David.
À cela s'ajoutait le fait que Jéricho n'était pas toujours une ville qui tolérait bien les vagabonds : le climat souvent impitoyable sous ce soleil ardent étendait sa sévérité sur l'ensemble de la ville et de ses habitants. La chaleur pouvait facilement exacerber les tempéraments, et les vagabonds étaient alors, souvent, la cible d'attaques et de propos surchauffés. Le seul répit à espérer était la venue de la fraîcheur du crépuscule. Chez Moustaphat n'était décidément pas le pire endroit où chercher refuge. Voilà pourquoi il importait que Bartimée sache plaire au maître voleur.
— Avec des gants blancs, petit frère !
L'enfant se taisait devant un si grand mystère.
Deux