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Sur la Trace
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Livre électronique144 pages2 heures

Sur la Trace

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À propos de ce livre électronique

C’est en me traînant pitoyablement, au prix d’efforts surhumains, qu’enfin, en début d’après midi, après une journée et demie de marche, je m’effondrai devant l’entrée de la grotte. Trois jours auparavant j’avais quitté l’hôtel. Et j’étais mort hier...
LangueFrançais
Date de sortie28 oct. 2013
ISBN9782312017808
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    Sur la Trace - Claude Eychenne

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    Sur la Trace

    Claude Eychenne

    Sur la Trace

    LES ÉDITIONS DU NET

    22 rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    © Les Éditions du Net, 2013

    ISBN : 978-2-312-01780-8

    « La termitière future m’épouvante, et je hais leurs vertus de robots. Moi, j’étais fait pour être jardinier. »

    Antoine de Saint-Exupéry

    Marc

    Plus d’une fois, Marc a rêvé d’arriver seul dans une ville inconnue. Là, sans ami ni famille, il aurait mené une existence humble et secrète, retiré du monde, passant anonyme au milieu de la foule. Garder le mystère, devancer la curiosité en ne livrant de son passé ou de sa vie présente que de franches mais insignifiantes confidences, se fondre dans la masse pour mieux s’en isoler. Existe t-il plus grande liberté ?

    Dans la douce lumière de cette fin de mois d’octobre, il lui semble que les jardins du Retiro lui offrent ce refuge tant attendu. Ici, son accablement paraît marquer une trêve. Au fil des jours, sous un soleil Madrilène encore estival, il sent se dissiper peu à peu cette brume de tristesse qui l’enveloppe depuis des mois. Quelquefois, elle s’empare encore de lui, le prenant alors totalement au dépourvu. Il reste assurément du chemin à parcourir, et même s’il sait le bonheur à tout jamais hors de portée, il devine confusément qu’en ces lieux étrangers le temps fait une pause et joue en sa faveur. Ici, tout semble suspendu, en attente… Les heures, les journées et les mois peuvent glisser autour de lui, il n’esquissera pas le moindre geste pour les retenir.

    La sérénité qui semble naître en lui succède pourtant à un terrible gâchis, une grande confusion, qui l’ont entraîné dans cette fuite solitaire.

    Tout a commencé avec cette idée de voyage. Quelle mauvaise inspiration ! Fallait-il que les mois précédents l’aient durement éprouvé pour imaginer qu’un changement d’air, l’éloignement de tous les lieux heureux d’autrefois, pourraient un tant soit peu l’apaiser. Voyage organisé, médecins retraités, Madrid : ses musées, ses palais… Rien de ce qui en d’autres temps l’eût fait fuir sans délai ne put cette fois le dissuader de partir tout de même. Très vite, pourtant, se confirmèrent ses craintes quant aux tourments inhérents aux pérégrinations des groupes troisième âge dont il ne se sentait proche ni de corps ni d’esprit. Moins de deux heures après le départ - mais il était déjà trop tard - il comprit à quel point il s’était fourvoyé. Il se sentait tellement différent de ses collègues, à cent lieues de leurs préoccupations.

    En réalité, depuis trois mois Marc était au plus bas… L’absence de l’être cher qui à chaque réveil l’assaillait avec la même cruauté, cette souffrance lancinante dans sa chair et son âme, le laissaient désemparé, rompu, incapable du moindre sursaut. Il espérait à tout moment déceler au fond de lui une infime étincelle de vie, une éclaircie dans la nuit de sa mélancolie, pareil à ces malades guettant au petit matin le déclin d’une fièvre ou la rémission d’une douleur. Mais nul répit ne semblait devoir lui être consenti.

    De là, sur un coup de tête, cette résolution de partir, simple besoin de compagnie ou plutôt désir irrépressible de fuir le désert qu’était désormais sa vie. Au fil du trajet, il avait senti croître son désarroi. La solitude semblait tellement plus accablante au milieu de ces êtres qui lui étaient indifférents et lui apparaissaient sous leurs dehors les plus grossiers. Leur sollicitude l’irritait, peut-être même injustement. Ici, et c’est précisément ce qui l’étonnait, chacun avait l’air de tout savoir de la vie de l’autre, excepté Marc. Sans doute, la plupart de tous ses confrères se connaissaient-ils et cela expliquait leur familiarité. En revanche, il comprenait moins qu’elle s’étendît à lui-même qui leur était totalement étranger. Il ne tarda pas à entrevoir l’explication dans la confidentialité pour le moins relative du formulaire d’inscription. Il semblait en particulier que la rubrique : Marié, célibataire ou veuf eût été l’objet de toutes les curiosités. Il se souvenait très bien qu’en dépit d’un trouble passager, c’était d’une main ferme qu’il avait rayé les deux premières mentions. Qui se préoccupait désormais du prénom de Julien sur cette tombe dont il était l’unique visiteur ?

    Peut-être était-ce trop pour lui. Trop de visages, de mots, de questions, surtout après toutes ces semaines d’isolement. Pourquoi les hommes s’efforcent-ils obstinément de combler un manque par une vacuité souvent bien plus vertigineuse ? Et en acceptant ce périple, n’avait-il pas fait précisément comme eux tous ?

    Finalement, il parvint quand même à exhumer de la profondeur de son être une dernière once de volonté qui lui permit de se libérer de ce piège en autocar. Ainsi, dès son arrivée à Madrid, après de longues heures de route au milieu de ses volubiles collègues, n’avait-il pas hésité une seconde à leur fausser compagnie, bien décidé à rentrer chez lui par ses propres moyens sitôt qu’il en ressentirait le besoin.

    Dès lors, livré à lui-même en ces lieux inconnus, de bref et contraint son séjour est devenu une pause apaisante. Pour la première fois depuis ce qui lui a paru une éternité, chaque jour apporte à Marc davantage de quiétude. Découvrir cette ville le comble. Alternant les perspectives de Velázquez du Paseo del Prado, les flâneries solitaires le long des places et des rues, du marché aux puces du Rastro à la foire aux timbres de la Piazza Mayor, se glissant le soir dans ces cafés enfumés où se joue un jazz flamboyant, ce n’est que fort tard qu’il rejoint l’hôtel du centre ville où il s’est réfugié.

    Marc aime à terminer l’après-midi autour de la Roseraie du Parque del Retiro, accordant son pas à sa respiration, profitant du calme de l’endroit, loin de la joviale agitation de la Puerta del Sol qu’il laisse bien volontiers à ses congénères. Au loin, la circulation sur la Piazza de la Indépendencia mêle son fond sonore à peine perceptible aux gazouillis des oiseaux et aux bruissements des fontaines. Comme partout ailleurs dans la ville, un flot nonchalant de jeunes gens aux visages radieux s’écoule paisiblement, échangeant à mi-voix de tendres secrets. La cité et ses habitants irradient d’une joie de vivre sans exubérance que jamais Marc n’a perçue auparavant dans les villes du sud, ni en France, ni même en Italie où les dispositions sont pourtant si démonstratives.

    Sept, huit jours ? Marc ne sait plus depuis combien de temps il dérive ainsi, et peu lui importe. Il a perdu le fil et se laisse entièrement porter par les événements de ces derniers jours.

    Plutôt le huitième jour…

    Le soleil encore chaud de la fin d’après-midi lui fait retirer la veste. Il la dépose à ses côtés sur un banc public d’où un joli point de vue s’offre sur le plan d’eau et les jardins. Survolant tout autour de lui mais ne se fixant nulle part, son regard sans dessein s’intéresse bientôt à un jardinier appliqué à débarrasser de leurs fleurs fanées les rosiers qui le cernent. Marc contemple avec un distrait ravissement la délicatesse de ses gestes, la précision avec laquelle il manœuvre son petit sécateur et la prévenance dont il fait preuve à l’égard des fleurs mortes qu’il recueille néanmoins avec douceur au creux de sa paume avant de les déposer dans un sac de toile porté en bandoulière. L’agilité de ses mains et la finesse de ses doigts contrastent avec la lourdeur de sa démarche. Son grand corps voûté apparaît de côté et pour la première fois depuis toutes ces minutes d’observation le regard de Marc se porte sur son visage. Les traits figés du profil gauche, l’occlusion anormale de l’œil et la commissure tombante de la bouche évoquent immédiatement au médecin chevronné une paralysie faciale, ce qui se confirme dès le moment où l’homme lui fait face.

    À cet instant, un saisissement fulgurant s’empare de Marc, le livrant à un désordre à jamais gravé dans sa mémoire ! Il ne comprend pas ce qui soudain se dévoile à ses yeux. Outre l’image de ce faciès pitoyable, ce qu’il voit à cette seconde dépasse son entendement. En une vision fugitive, dans ce visage défiguré se révèle tout à coup un autre visage, connu celui-ci, presque familier et pourtant indéfinissable. Il a déjà vu cet homme, il en est sûr ! Sous ces traits déformés se dissimule une énigme qui excite sa mémoire. Son cerveau demeure cependant impuissant à identifier le mystérieux individu. La confusion étrange qui lui serre le cœur ne fait que s’accentuer avec l’observation opiniâtre à laquelle Marc se livre. L’inconnu la perçoit-elle ? Le fait est qu’il regarde autour de lui et croise les yeux inquisiteurs une fraction de seconde. Aussitôt il disparaît, se diluant dans le vermeil des buissons et des arbres au plus profond du jardin. Marc déambule dans le parc jusqu’à la nuit tombante mais en vain, la lourde silhouette ne reparaît point, semblant s’être littéralement volatilisée.

    Cette fugace apparition dont la nature lui échappe met Marc mal à l’aise toute la soirée. Ce n’est pourtant pas la première fois qu’il trébuche sur un nom, un lieu ou un visage. Pourquoi donc cet évènement lui cause t-il un tel trouble ? Après dîner il traîne un moment sur la Piazza St Anna puis se cale dans un coin du Central Café, mais le cœur n’y est pas. Les quelques bières qu’il y consomme n’apaisent en rien ses mauvaises sensations. Retournant à l’hôtel de méchante humeur, il s’endort avec difficulté, l’esprit inquiet et tout entier accaparé par ce visage monstrueux qu’il ne parvient décidément pas à identifier.

    C’est au beau milieu de la nuit, à deux heures précises, que Marc s’éveille en sursaut et qu’enfin tout paraît se révéler. Pierre Castet ! C’est lui qu’il a cru voir dans les traits du balayeur du Retiro. Mais aussitôt lui apparaît le caractère extravagant de cette hypothèse. Il ressent même de l’agacement face à une révélation aussi insolite qu’absurde. Comment, en effet, ne pas voir autre chose qu’une ressemblance entre ce misérable jardinier et l’homme dont le souvenir a si soudainement interrompu son sommeil. Quinze ans déjà… Quand bien même s’est-elle vaguement estompée, jamais l’image du cercueil de Pierre disparaissant en terre ne l’a pourtant quitté, en dépit de toutes les années écoulées depuis cette journée orageuse d’un triste mois de Juillet. Oui, seule une similitude de traits peut justifier la méprise et la difficulté de Marc à reconnaître le visage d’un être dont la mort avait effacé la trace dans son esprit. Cependant, alors qu’il devrait se sentir apaisé par ces conclusions implacables, il ne sait quelle obscure émotion perdure au fond de lui, le condamnant à une totale insomnie.

    Allongé sur le lit trop étroit, les yeux grand ouverts, lui revient alors en mémoire cette période où, jeune praticien anesthésiste, il découvrait auprès du brillant chirurgien qu’était Pierre Castet les codes et traditions des blocs opératoires. Quatre années les séparaient mais une sympathie réciproque très vite le rapprocha de son aîné. Elle ne dura malheureusement guère plus de six ans, jusqu’à sa

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