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Carnets de guerre 1914-1918 du Médecin Major Jules Beyne
Carnets de guerre 1914-1918 du Médecin Major Jules Beyne
Carnets de guerre 1914-1918 du Médecin Major Jules Beyne
Livre électronique994 pages5 heures

Carnets de guerre 1914-1918 du Médecin Major Jules Beyne

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À propos de ce livre électronique

L’auteur : le médecin général Jules Beyne (1880-1968) est connu comme le fondateur de la médecine aéronautique en France : grâce à lui l’expertise du personnel navigant, la recherche et l’enseignement ont été développés entre les deux guerres mondiales. Mais rares sont ceux qui ont connaissance des épreuves qu’il a partagées, en tant que médecin de son régiment, avec les braves du 283e régiment d’infanterie pendant 1501 jours de guerre.

Ce sont les notes, brutes, dans l’état où il les a écrites au jour le jour, que nous présentons. Ces notes dont il disait « En dehors des souvenirs qu’elles fixent ou qu’elles évoquent pour moi, [elles] n’ont d’autre valeur que leur sincérité dans le moment où elles furent écrites ». Cependant, à travers ses réflexions, ses inquiétudes, ses doutes, ses interrogations, on comprend comment un acteur du drame a vécu et analysé le conflit.

Il raconte la retraite éperdue des survivants de son régiment décimé dans le combat d’Eton en août 1914. Il dit avec un humour féroce l’absurdité de certaines missions « destinées à conquérir les plumes blanches » de certains grands chefs, exprime l’ennui et la mélancolie des longs jours d’attente. Il nous emmène dans les profondeurs de son poste de secours du secteur de Fleury près de Verdun, où des hommes hallucinés, sortis des peintures noires de Goya, suffoquent dans l’angoisse.

Des photographies que Jules Beyne nous avait transmises illustrent ce récit complété par des cartes des champs d’opération successifs et des notes explicatives.
LangueFrançais
Date de sortie25 mai 2012
ISBN9782312003559
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    Carnets de guerre 1914-1918 du Médecin Major Jules Beyne - Ouvrage collectif de la famille de Jules Beyne

    cover.jpg

    Carnets de guerre

    Carnets de guerre

    1914-1918

    du Médecin Major

    Jules Beyne

    Ouvrage collectif

    de la famille de Jules Beyne

    Carnets de guerre

    1914-1918

    du Médecin Major

    Jules Beyne

    LES ÉDITIONS DU NET

    70, quai Dion Bouton 92800 Puteaux

    © Les Éditions du Net, 2012

    ISBN : 978-2-312-00355-9

    Avant-propos

    Pierre Jules Emile Beyne est né à Marmande (Lot et Garonne), le 11 mai 1880. Il est le premier enfant de Victor Beyne (1839-1909), Chef d’escadron du train des équipages, Chevalier de la Légion d’honneur et de Thérèse Massat (1854-1942). Son oncle Simon Beyne (1826-1878) Chef d’escadron au 7e Cuirassiers en 1875, est lui aussi Chevalier de la Légion d’honneur.

    Bachelier à 17 ans, Jules Beyne débute ses études de Médecine en PCN[1] à Bordeaux. Sa famille n’est pas riche (lui rêvait de l’École Centrale[2]). Il rentre à l’École du Service de Santé de Lyon en 1899 et soutient sa thèse de Médecine à Lyon en 1902. Étant alors détaché à Bordeaux, il travaille avec le Professeur Victor Pachon, physiologiste de renom, et devient son assistant en 1903-1904. Après un court séjour comme médecin stagiaire au Val de Grâce, puis une affectation à Tours, il retrouve le laboratoire du professeur Pachon de 1905 à 1908.

    En 1908 sa préparation de l’Agrégation de Physiologie est interrompue : il est affecté en Algérie (Hôpitaux de Blida, Laghouat, Ghardaïa, Aumale). Il y apprend l’arabe[3]. Promu Médecin Major de 2ème Classe en 1909, il quitte l’Algérie pour le Maroc en novembre 1911. Comme chef d’ambulance de colonne mobile il participe sous Mangin à des combats très durs, et il est cité à l’ordre des Troupes du Maroc Occidental. Il revient en France en décembre 1913, et la croix de Chevalier de la Légion d’Honneur lui est décernée le 8 juin 1914.

    Ainsi c’est en tant que médecin militaire aguerri qu’il est entre dans la Grande Guerre. Il reste près de quatre ans au front ou à proximité. Il tient alors un journal quotidien, sur de petits carnets qu’il recopiera en 1934 et lèguera à ses filles.

    Voici ces carnets.

    Les rares corrections ou ajouts apportés par Jules Beyne en 1934 ont été mis en italique et entre parenthèses dans le texte.

    Nous n’avons rien enlevé ni corrigé.

    Nous avons ajouté des cartes, quelques photos de l’époque, et des notes expliquant certaines expressions obscures pour le lecteur actuel, ou localisant les évènements mentionnés. En effet Jules Beyne était bien informé des évènements partout en Europe, et s’y intéressait.

    Le texte a été segmenté en 14 périodes qui correspondent aux différents secteurs d’activité successifs de Jules Beyne, et aux cartes correspondantes.

    Pour qui et pourquoi Jules Beyne écrivait-il ? Certains de ses petits enfants se sont interrogés sur la motivation de leur grand-père pour tenir un tel journal au jour le jour. Sans doute pas pour le publier car il ne l’a jamais fait. Il leur semble qu’il écrivait pour lui-même, parce qu’en tant qu’officier conscient de ses devoirs il ne pouvait exprimer à voix haute ni ses angoisses ni ses révoltes ni ses souffrances, et aussi parce qu’il aimait écrire. Les carnets racontent avec un humour féroce l’absurdité de certaines missions, destinées à conquérir des plumes blanches ; l’idiotie de certaines inspections ; ils expriment l’ennui des longs jours d’attente et la mélancolie « mauve ». Ils décrivent l’horreur de la guerre et les cadavres atrocement mutilés, et la mort des camarades et des amis. Il nous semble qu’ils ne sont pas écrits pour les contemporains. C’est une affaire privée.

    Au moment de sa mort, ce document était bien rangé au fond d’un tiroir loin de la curiosité de ses proches. On ne peut qu’évoquer ici la dernière phrase du texte rédigée le 22 novembre 1918 : «Et puis enfin le droit de mettre un point final à ces notes de guerre, et d’enfouir dans un tiroir, avec les autres, ce carnet de route ».

    Un épilogue et des annexes ont été ajoutés afin d’apporter quelques éléments destinés à apprécier comme il convient la personnalité de ce personnage attachant.

    Ont contribué successivement à cette édition : ses filles Denise Beyne et Françoise Willig, toutes deux décédées, qui ont transcrit les carnets ; ses petites filles Anne Leroy-Willig et Sylvie Louis et le médecin général inspecteur Jean Timbal comme relecteurs ; Jean-Louis Leroy comme auteur des cartes et des notes explicatives.

    Les cartes ont été établies à partir du site Géoportail.

    Carte d’ensemble

    Période 1 : 1er août – 2 septembre 1914

    Guerre de mouvement autour de la vallée de la Meuse au N-E

    puis à l’Ouest de Verdun (Carte 1, p. 14).

    Période 2 : 3 septembre – 20 septembre 1914

    Guerre de mouvement d’abord au S-O (3-13septembre)

    puis au N-E de Verdun (Carte 2, p. 28).

    Période 3 : 21 septembre – 2 octobre 1914

    Mouvements entre la Meuse et la tranchée de Calonne (Carte 3, p. 40).

    Période 4 : 2 octobre 1914 – 8 juin 1915

    Bois des Chevaliers, secteur S-E de Verdun (Carte 4, p. 48).

    Période 5 : 9 juin – 15 octobre 1915

    Malinbois, face à St Mihiel, 35 km S-S-E de Verdun (Carte 5, p. 102).

    Période 6 : 16 octobre – fin décembre 1915

    Retour au Bois des Chevaliers (Carte 4, p. 48).

    Période 7 : 4 février – 14 mars 1916

    Chattencourt, Mort-Homme, Bois des corbeaux ; au N-N-E de Verdun (Carte 6, p. 134).

    Période 8 : 19 mars – 24 août 1916

    Cernay, aux portes de Reims, vers l’E-N-E.

    Période 9 : 6 septembre – 30 septembre 1916

    Verdun, Secteur de Fleury, Fort de Souville (Carte 7, p. 174).

    Période 10 : 8 octobre 1916 – 17 juillet 1917

    Front de Lorraine à l’Ouest de Pont-à-Mousson (Carte 8, p. 184).

    Période 11 : 9 juillet 1917 – 29 janvier 1918

    Le Chemin des Dames (Carte 9, p. 220).

    Période 12 : 31 janvier – 7 avril 1918

    Secteur à l’Est du Chemin des Dames (Carte 8, p. 184).

    Période 13 : 8 avril – 30 mai 1918

    Lataule et Mortemer au N-O de Compiègne (Carte 10, p. 256).

    Période 14 : 31 mai – 11 novembre 1918

    La vallée de l’Oise : Compiègne-Pleine-Selve

    (Carte 11, Carte 12, Carte 13).

    img1.png

    La première page du carnet

    Vingt ans ont passé.

    Je viens de relire de la première page à la dernière, ces notes prises au jour le jour, pendant 51 mois de guerre. Je n’y ai rien ajouté ni retranché. J’y ai laissé subsister jusqu’aux fautes d’orthographe, aux lapsus et aux mots oubliés qui précisément traduisent l’état d’épuisement physique et moral de certains jours écrasants. À peine y ai-je adjoint en bas de page où en marge certaines explications rendant intelligibles certains passages.

    En dehors des souvenirs qu’elles fixent ou qu’elles évoquent pour moi, ces notes n’ont d’autre valeur que leur sincérité dans le moment où elles furent écrites.

    Paris, novembre 1934

    Coupure de presse collée :

    « Je les connais bien, les Allemands ; ils ne sont pas fous ; ils ne nous déclareront pas la guerre, les Allemands. » A. Briand, le 2 août 1914¹.

    1er août – 2 septembre 1914

    Guerre de mouvement autour de la vallée de la Meuse

    au N-E puis à l’Ouest de Verdun (Carte 1, p. 14).

    1er août 1914

    5 heures du soir. Le télégramme prescrivant la mobilisation générale. On l’attendait d’un moment à l’autre. N’empêche, c’est un petit coup au cœur en songeant combien grave est la partie qu’on va jouer.

    2 août 1914

    Premier jour de la mobilisation générale. Sera-ce pour de bon ? On s’y met avec entrain mais avec calme.

    4 août 1914

    Déclaration de guerre à l’Allemagne. Enfin ça y est !

    6 août 1914

    Le deuxième bataillon du 283e¹ part ce matin à 6 heures, avec un entrain et une émotion qu’encadrent l’enthousiasme et l’émotion de la population.

    7 août 1914

    Puissions-nous partir aussi bien vite, et arriver assez tôt pour avoir notre bonne part à la grande œuvre. Impression de confiance inébranlable que nous donne le concours de circonstances grâce auquel nous avons pour nous l’Angleterre, la Belgique, la Serbie, la neutralité italienne. Nous prenons forme au 283e. Reçu nos cartes : frontière Alsace et Belgique.

    img2.png

    Carte 1. Guerre de mouvement autour de la vallée de la Meuse au N-E puis à l’Ouest de Verdun.

    Rien d’autre d’important que la nouvelle de notre entrée en Alsace.

    12 août 1914

    10 h 20 Embarquement sur Troyes.

    Voyage tranquille et lent par Toulouse, Montauban, Brive, Saint Sulpice, Bourges, Sancerre.

    13 août 1914

    On continue.

    Arrivée à Troyes le 14 à 10 h 30.

    Continuons immédiatement vers le camp de Chalons par la voie détournée de Ste Menehould.

    Vers 18 h 30 nous passons par Valmy où nous percevons le grand Kellerman, son chapeau de bronze brandi vers le ciel. Est-ce un présage ?

    8 h du soir. Débarquement à Suippes. Cantonnement pénible dans la nuit. Mais on se couche, enfin ! Nouvelles : rien de sérieux.

    15 août 1914

    Repos. Décrassage.

    16 août 1914

    On compte rester plusieurs jours ici, et, à 11 heures, ordre de partir à 14 h sur Somme-Tourbe. On est embrigadé et endivisionné. On s’attend à marcher demain sur l’Est. En attendant on couche dans des lits, mais dans des lits bien sales.

    17 août 1914

    Le régiment se porte vers les Islettes, c’est à dire qu’on marche pendant 32 km droit à l’Est. On revoit le chapeau de Kellerman, on traverse Valmy, puis Ste Menehould ; aux fenêtres des femmes nous regardant passer, les larmes aux yeux. On entend deux coups de canon.

    Arrivée tardive au cantonnement ; visite interminable et éreintement bien connu.

    18 août 1914

    On repart, mais toute petite étape qui amène l’État Major et le 6e bataillon à Brabant en Argonne, le 5e bataillon à Parois. Il fait un gai soleil et aujourd’hui, dix-septième jour de la mobilisation. À 60 km de la frontière, des vieux et des femmes tranquillement, moissonnent.

    À l’Officiel, bonnes nouvelles de l’armée, une division française de cavalerie aurait culbuté dans la Meuse la cavalerie de la Garde. Bruits : 30 000 allemands seraient cernés dans une forêt ???

    Qu’allons-nous faire ? Dieu seul le sait, et je le connais bien, le bougre, il ne nous en dira rien.

    19 août 1914

    Repos.

    Nouvelles de la guerre excellentes. Mulhouse récupéré par nous ? Les 14e et 15e corps allemands reculent en Alsace et s’apprêtent à repasser sur la rive droite du Rhin. Avec le 288e et le 259e nous formons la 134e Brigade de la 67e Division de Réserve qui maintenant appartient au 3e Groupe de Division de Réserve, lequel comprend aussi les 54e, 55e, 56e, (72e et 73eDivisions de Réserve). Les 3egroupes de DR constituent, avec les places de Toul et de Verdun, une subdivision d’armée dépendant de la 3e Armée.

    Ici tranquillité complète. Impression d’être en manœuvres.

    Demain nous devrons marcher sur Verdun.

    20 août 1914

    Rien. On stagne. Pas de nouvelles. Partira-t-on demain ?

    21 août 1914

    Départ 4 heures. On se porte en plein vers l’Est, sur Vaux-devant-Damloup, N-E de Verdun.

    À mesure qu’on marche, l’impression de guerre se précise ; nous cheminons sur une route qui nous fait passer au Nord de Verdun. Le pays porte les stigmates tout frais d’impressionnants passages de troupe ; partout des défenses s’organisent, le pays se hérisse de fortifications, s’agrémente de réseaux de fils de fer, de chausse-trappes, de chevaux de frise.

    À Vaux-devant-Damloup, grande halte. Ordre de se porter sur Abaucourt. Au total, 40 km au moins. Étape très dure pour notre troupe d’Armée du Salut. On atteint qu’à 4 heures et demie du soir un cantonnement extra serré. Tout un chacun en a plein les bottes.

    Un tringlot² croisé en route sur son convoi administratif brandit une paire de bottes allemandes et un uniforme vert. « Ça, dit-il, c’est à Guillaume ».

    22 août 1914

    Abaucourt. Repos. Rien. Pas de nouvelles.

    On cantonne dans le purin d’un infâme petit bourg. On semble devoir y rester.

    À 15 h branle-bas ; départ annoncé pour 5 h du soir. On marche jusqu’à la nuit, après quoi on continue à marcher dans la nuit. Arrêt brusque dans un champ, auprès du village d’Eton, paraît-il. On bivouaque, le nez aux étoiles, à quelques mètres du drapeau placé au travers de deux faisceaux. Quelques heures seulement à dormir, puis réveil raide et humide.

    23 août 1914

    Au petit jour, formation de combat. Le 283e, épaulé par la gauche au village d’Eton occupe par deux compagnies Dommary et la station de Baroncourt, et termine sa ligne à la corne des bois communaux. On se retranche et on attend.

    Les hommes sont moins nerveux qu’hier, après la rencontre que nous fîmes en pleine nuit des restes du 160e qui, après deux heures de combat, a perdu une grande partie de son effectif. Une division française aurait été démolie du côté de Spincourt. Nous avons été croisés par le 160e en déroute, démoralisé, débandé, prédisant à nos hommes les pires catastrophes. Aussi, dans la nuit, un simple galop de mulets échappés a suffi à mettre le bivouac en émoi aux cris de : « Les voilà, les voilà, les uhlans». Cris, des hommes courent sans but, d’autres mettent la baïonnette au canon.

    Aujourd’hui rien, quelques coups de feu isolés ; une patrouille d’uhlans est étrillée par la 19 Cie à Baroncourt. On couche sur ses positions, nous avec le Colonel dans une tranchée rendue confortable par beaucoup de gerbes. Quand sortira-t-on ses souliers ?

    24 août 1914

    On a si bien dormi dans les gerbes de la tranchée, que la vie semble plus belle.

    Matinée calme, on tiraille un peu à Dommary (Cie Thévenot), et à Baroncourt (Cie Tardy) ; vers 9 heures, mouvement offensif vers la gauche. Je vais voir Tardy à Baroncourt, par un bon défilement qui malheureusement aboutit à un glacis inévitable. Mon infirmier et moi nous faisons de très agréables cibles.

    3 blessés seulement ici à la 19e. Un sergent tué à la Cie Thévenot.

    Pendant ce temps-là, l’artillerie allemande ouvre le feu sur nous ; le premier obus tombe au milieu du parc des voitures (ouest du village) qu’il met en déroute. Le Train de Combat et le Train Régimentaire s’enfuient sans ordres jusqu’à Gincrey et au-delà (5 km S-O). Le tir des batteries lourdes allemandes continue sur nos batteries qui sont à droite et à gauche du village.

    À 10 heures, revenant au village, je reçois quelques blessés de diverses compagnies qui sont installés dans un premier refuge de la Cie Sabrié.

    La fuite du Train de Combat empêche d’établir un poste de secours faute de matériel.

    Le tir ennemi s’accélère ; nous reprenons position dans le blockhaus du colonel, un moment abandonné, mais vers midi, le bombardement du village et de notre blockhaus devient tel que nous devons nous terrer le nez dans la paille.

    Un coup sur la poitrine à gauche, un claquement sec : il ne faut pas vérifier pour être sûr que le projectile qui vient de traverser ma tunique a bien voulu ne pas aller plus loin ; il est demeuré dans mon étui à lorgnon.

    Des blessés arrivent éperdus, fuyant de la ligne de feu vers les secours du médecin qui pour eux représente à ce moment un envoyé tout puissant de Dieu le père.

    Une heure de bombardement subi dans notre tranchée. Le colonel nous y rejoint au pas de course sous l’arrosage des shrapnells. Devant nous dans le petit bois nos chevaux broutent paisiblement sous l’avalanche de mitraille.

    L’ennemi fait agir maintenant son artillerie lourde et fait du tir percutant sur le village cette fois. Dès les premiers coups des incendies s’allument dans le village.

    Je décide d’évacuer le blockhaus devenu intenable. File indienne de blessés suivant les murs derrière moi et courant comme lapins en bordure des jardins qui entourent le village. Un certain nombre de fois nous nous aplatissons pour laisser éclater les énormes projectiles qui tombent de plus en plus serrés. Passant entre les deux batteries particulièrement visées nous fuyons jusqu’à une carrière profonde où les blessés et nos chevaux sont mis à l’abri.

    Je reviens vers le colonel en rampant dans les fossés. Chevaux éventrés sur la route, cadavres d’hommes sidérés dans des positions diverses.

    Ma voiture à blessés a été amputée de ses avant trains, de ses deux chevaux et de son conducteur. Il est 4 h environ. On ne peut plus aller au blockhaus car les balles d’infanterie balaient maintenant les zones découvertes. Les obus n’en continuent pas moins à tomber formidables, faisant éclater des maisons entières avec eux.

    Rencontré la Cie Tardy rentrée de Baroncourt exténuée et décimée. Le Commandant Clanet est parti avec mission de prendre l’offensive au N-E Le colonel est inquiet et se plaint amèrement de n’avoir rien derrière lui comme réserve.

    Nous réunissons les blessés qui affluent, derrière un mur bas de jardin, loin des maisons qui risquent l’explosion ou l’incendie. Le conducteur gémit sans arrêt : morphine. Explosion formidable devant nous. Un blessé, le bras arraché, arrive hurlant de terreur en transportant son bras dans ce qui lui reste de manche de capote. Un autre, balle dans la hanche, a fait 2 km à pied pour arriver jusqu’ici. Ils arrivent tous affolés cherchant l’abri, le pansement, le voisinage du médecin, sa protection. « Ne nous laissez pas seuls quand les Allemands arriveront » supplie l’un d’eux.

    On plante le fanion de neutralité sur le mur, les rafales l’arrachent.

    L’attaque du village bat son plein. Notre régiment a été refoulé et se défend avec une énergie désespérée. La situation dans le village est effroyable. Les éclatements de gros projectiles se succèdent sans arrêt. Nous sommes aveuglés de fumée noire et âcre couverts de terre et de débris ; inutile de songer à passer la tête par-dessus le mur.

    Lannelongue qui m’a rejoint m’annonce qu’une trentaine de blessés sont abrités dans une grange voisine.

    Nous fléchissons de plus en plus ; pris d’enfilade par des feux venant de l’Est et du S-E Les mitrailleuses allemandes font rage.

    Des sections se jettent en retraite. Le général de brigade se retire lui aussi. Je replante mon fanion de Genève sur le mur. «Tous les blessés qui pourront marcher, en avant, direction le soleil couchant». Presque tous les blessés sont debout et s’enfuient ; les blessés graves qui gisaient inertes sautent sur leurs pieds et trouvent encore la force de partir en courant pour aller tomber un peu plus loin épuisés et démolis par les mitrailleuses allemandes.

    Je sors avec les derniers blessés, nous nous cachons derrière les murs des jardins, par instinct, sans raison puisque maintenant nous sommes pris à revers des feux d’infanterie. Après avoir sauté la route il y a à gravir une très longue pente sans abri, sans rien pour se cacher, sans autres trous pour se terrer que ceux que ceux que font les abominables projectiles à fumée noire. Et cet immense champ de retraite sur lequel s’enfuit le régiment éperdu est balayé par les feux d’infanterie et les mitrailleuses allemandes.

    C’est le désastre effroyable. J’attends avec une angoisse atroce l’arrivée de la cavalerie : les uhlans vont nous charger, ils devraient déjà être là. Derrière nous le village est un brasier immense.

    Nous fuyons chacun pour son compte, sans s’occuper du voisin, de toutes les forces qui nous restent, vers l’Ouest, vers le soleil couchant. Au sortir d’Eton, retrouvé Cheynet et les restes de la compagnie.

    Derrière le talus de la route de Paris à Longuyon³, nous soufflons un peu, on essaye de regrouper quelques hommes pour résister à une cavalerie possible, qui décidément ne vient pas. Avec Cheynet nous regroupons deux secteurs en position de tir derrière le remblai de la route.

    À travers champs d’abord, sur une route ensuite, dans les bois enfin on marche, on marche toujours vers l’Ouest, vers le secours, vers Verdun. On est moulu de fatigue, épuisé, torturé par la soif, on marche toujours.

    Arrivée à Maucourt d’abord, à Ornes ensuite. On se terre dans des granges. On dort. J’ai grignoté en route trois pains de guerre trempés dans une gamelle abandonnée. Je n’ai pas fait un repas depuis le 22 août à midi.

    Les blessés qui ont réussi à suivre, qui à pied, qui sur un cheval ou un mulet, se sont aussi réfugiés dans la paille hospitalière de quelque grange.

    25 août 1914

    Réveil sinistre par un jour gris.

    Village encombré de troupes diverses, désorganisées et assez faibles comme moral.

    Des blessés ont reflué ici pendant la nuit entière. Venus on ne sait comment ; ils remplissent la mairie, la Croix Rouge et la filature. Ordres et moyens d’évacuations nuls.

    Verdun, interpellé par téléphone, répond avec l’insolence normale du rond de cuir.

    Matinée passée à évacuer sur Verdun par tous les moyens possibles, réquisitions, chariots qui passent portant des habitants en fuite, automobiles, d’un convoi sanitaire de tous les blessés que nous trouvons. On rassemble tout ce qu’on retrouve et tout ce qui revient d’élément du 283e. Ordre de revenir sur Maucourt à 13 heures. On reste à côté de ce village le derrière dans un champ jusqu’à 6 heures du soir. Retour à Ornes, arrivée dans la nuit, cantonnement interminable dans une effroyable pagaille d’artilleurs et de fantassins.

    On réussit ce soir-là à faire un repas chaud, un vrai repas, une vraie soupe ; ça n’était pas arrivé depuis le 22. Nuit dans un lit chez le médecin de l’endroit qui est parti hier avec la Croix Rouge locale, par ordre.

    26 août 1914

    Réveil à 4 heures. On repart, on se débarbouillera une autre fois. Rassemblement du régiment dans la prairie à la sortie d’Ornes. Et puis on ne fait rien… Si, on se compte.

    Il manque au 283e :

    –          Le colonel qui serait sorti du village, avec le colonel Chiché, puis plus de nouvelles.

    –          Le Commandant Clonet, poitrine traversée par coup de feu, part sur son cheval le 24 vers 16 h. Plus de nouvelles.

    –          Le Commandant Manuel : serait tombé.

    –          5 capitaines sur huit (Rennes tué ? Crouzet tué. Lamotte d’Incompe ? Sapin blessé, Sabrié blessé)

    –          14 lieutenants sur 17.

    –          Le médecin auxiliaire Pujol tué.

    Soit 22 officiers sur 35, 1 médecin sur 4.

    –          Un millier d’hommes desquels il faut défalquer quelques traînards qui rejoindront. Combien restent sur le terrain : 700 ? 800 ?

    8 heures. On peut prendre les avant-postes dans un bois de la cote 254. Longue station dans le bois ; conserves, pain biscuité, la pluie. Y couchera-t-on ?

    9 heures du soir. Ordre d’aller cantonner à Belleray. On annonce 15 km. On marche dans la pluie et dans la boue jusqu’à 1 heure du matin.

    27 août 1914

    Arrivée dans un petit village bien sale et bien obscur. Les distributions n’ont pu être faites.

    On se couche.

    Réveil 4 h ½. Départ 6 heures. On en a plein les bottes.

    Les hommes éreintés, ahuris, mal alimentés, à peine encadrés marchent quand même, mais quelle foire aux ânes ! Ce qui reste du 283e

    Étape longue. 35 km. La pluie toujours, la boue. Arrivée à 6 h ½ à Dompcevrin.

    Nouvelles : rien. Pas de lettres. Ce qui se passe en France ? Mystère ; aux armées ? Discrétion. On annonce cependant au bulletin des Communes que les Russes avancent en Allemagne. Il est probable qu’en attendant nous supportons tout l’effort allemand dont le seul espoir doit être de nous enfoncer assez tôt pour pouvoir faire tête aux Russes ensuite.

    On commence à reprendre un peu de poil de la bête : l’éreintement de ces journées de combat se dissipe ; la dépression morale de la défaite persiste cependant chez certains officiers et détermine un pessimisme que je ne saurais partager.

    Va-t-on enfin s’arrêter un peu, se reposer, se réorganiser, rendre à ce régiment des cadres, du matériel de campement, des fusils même, des mitrailleuses ?

    28 août 1914

    Séjour à Dompcevrin.

    29 août 1914

    Départ 5 heures. On revient complètement sur ses pas en se portant sur Senoncourt. Marche, temps d’arrêt, à coups.

    Une longue halte au coin d’un bois. On refait demi-tour une fois de plus sous prétexte que Senoncourt ne peut nous loger, et on se porte sur Ancemont à 3 km en arrière. Là, pas de cantonnement possible. On arrive à 17 h. Nuit au bivouac dans un pré.

    30 août 1914

    Nous marchons toujours mais cette fois dans la direction Verdun dont nous revoyons les tours de la cathédrale, les innombrables casernes, le hangar à dirigeables, bref toute la formidable cité de guerre que constitue le camp retranché de Verdun. Nous aurons ainsi fait en quinze jours le tour complet de Verdun.

    Vers 11 h une grande halte qui se prolonge jusqu’à 5 h du soir. Pas d’ordres ; on attend, le derrière dans le fossé, tandis que nos belles troupes qui ont trouvé un bistro avec du vin, de l’absinthe et de l’alcool se soûlent. Ils ont presque raison les Verdunois qui nous regardent de travers au passage.

    On marche de 5 heures à 10 heures du soir pour arriver à Bezonvaux ; les vivres n’arrivent qu’à minuit. On se serre la ceinture ce soir. Nous l’État Major avons cependant trouvé deux poulets. Nous les mangeons dans une ferme déjà mise au pillage par les Français : lits saccagés, armoires éventrées, fouillis de linge, d’assiettes sales, de bouteilles brisées ; et, épars çà et là d’humbles souvenirs de famille, tout ce qui faisait l’intimité d’un chez soi, profané, souillé, brisé par des soldats français.

    Nuit brève, sur quelques paillasses défoncées.

    31 août 1914

    Encore un départ matinal pénible. Formation de combat presque tout de suite à travers des vallonnements très durs ; chaleur écrasante. Cela jusqu’au village d’Haumont. Nous prenons positions entre Haumont et le bois des Comures tenu par le 259e. On tiraille vaguement pendant la journée. Nous sommes aux avant-postes ; nous y resterons cette nuit.

    Le village a été dévasté par les troupes françaises qui nous ont précédés.

    Et comme hier les distributions n’ont pu être faites, la viande répartie ce matin est immangeable. Menu, conserves et rogatons. Ce soir, rien. Nous volons deux poulets, qui, saignés sur l’heure, sont fricassés incontinent

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