ALEXANDRE SOLJÉNITSYNE
Fayard, 2008
Dès l’abord, l’ouvrage impressionne. 910 pages, 82 chapitres, 10 documents historiques intercalés, des centaines de noms cités dont beaucoup écorchent un gosier français. Imaginé et en partie écrit en 1937 quand l’auteur est encore adolescent, il est repris dans les, Alexandre Soljénitsyne est contraint à l’exil. C’est aux États-Unis qu’il reprend l’ouvrage et lui ajoute 20 chapitres. Si cette genèse déconcerte, que dire de l’ampleur du projet lui-même ! Concentré au départ sur le désastre de la 2 armée russe à Tannenberg en août 1914, l’auteur l’inclut dans un cycle colossal, qu’il intitule , dont l’objectif est de raconter comment le lourd chariot de l’histoire russe s’est abîmé dans un gouffre en octobre 1917. Du même coup, le désastre d’août 1914 devenait le premier noeud – défini comme « » – d’une série de vingt environ. Soljénitsyne n’a écrit que les quatre premiers noeuds : août 14, novembre 16, mars 17 et avril 17. Dès les premières pages d’, on comprend que l’on a affaire à un roman historique qui s’appuie sur les personnages et les événements réels, bien plus que ce qu’exige d’habitude ce genre. Ces personnages et ces événements deviennent à leur tour des noeuds de réalité dont les vides sont remplis par l’imagination du romancier qui leur prête pensées, sentiments, désirs, qui imagine des rencontres, des scènes, points minuscules – souvent saisissants de beauté et de vérité – dans le gigantesque mouvement qui conduit, à travers sables et forêts de Prusse-Orientale, la 2 armée du général Samsonov vers son destin à Tannenberg. On peut ne pas lire les 20 derniers chapitres qui sont des noeuds antérieurs à août 1914, ajoutés tardivement (assassinat de Stolypine, portrait psychologique de Nicolas II, etc.). En se cantonnant aux 600 premières pages, on se trouve devant le récit minutieux d’une opération militaire écrit par un homme qui fut capitaine d’artillerie dans l’Armée rouge, qui a connu la guerre de près et sait toujours de quoi il parle. Je n’ai jamais lu une analyse aussi fine de ce qui fait un bon et un mauvais officier et comment la politique, le carriérisme, le service du temps de paix finissent par sélectionner des hommes qui, le jour venu, se trouvent dépassés irrémédiablement.