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Récits et lettres de la Guerre 1914 – 1918 du Sous-lieutenant Jean-Paul Duverger
Récits et lettres de la Guerre 1914 – 1918 du Sous-lieutenant Jean-Paul Duverger
Récits et lettres de la Guerre 1914 – 1918 du Sous-lieutenant Jean-Paul Duverger
Livre électronique346 pages5 heures

Récits et lettres de la Guerre 1914 – 1918 du Sous-lieutenant Jean-Paul Duverger

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À propos de ce livre électronique

Jean-Paul Duverger, coiffeur à Paris, n'a que 24 ans lorsque la guerre éclate. Classé dans la première partie de la liste 1911 par décision du conseil de révision, il est inscrit sous le n° 137 de la liste de Libourne. Dirigé le 1er octobre 1911 sur le 6e Régiment d’Infanterie, il est nommé soldat 2ème classe le 10 octobre 1911 et 1ère classe le 27 juin 1912. Cet ouvrage se compose des récits et lettres du soldat Duverger dans le cadre de sa correspondance privée avec sa sœur Marthe pendant la Grande Guerre. Il connaîtra Verdun, la Somme, l'offensive du Chemin des Dames ; la boue, les rats et les poux, le feu, le sang et la mort. Au front, Duverger note tout ce qu’il voit et ressent en espérant de retour chez lui rédiger son propre journal de guerre.
LangueFrançais
Date de sortie13 déc. 2011
ISBN9782312006062
Récits et lettres de la Guerre 1914 – 1918 du Sous-lieutenant Jean-Paul Duverger

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    Récits et lettres de la Guerre 1914 – 1918 du Sous-lieutenant Jean-Paul Duverger - Frédéric Pascal Perri

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    Récits et lettres

    de la Guerre 1914 – 1918

    du Sous-lieutenant

    Jean-Paul Duverger

    Présentés et annotés par

    Frédéric Pascal Perri

    Récits et lettres

    de la Guerre 1914 – 1918

    du Sous-lieutenant

    Jean-Paul Duverger

    Les ÉDITIONS DU NET

    70, Quai Dion Bouton – 92800 Puteaux

    Du même auteur

    Carrières criminelles dans le Milieu marseillais, Paris, Edilivre – Editions APARIS, 2007

    © Les Editions du Net 2011

    ISBN : 978-2-312-00606-2

    – Mort Homme –

    Verdun

    « Qui que tu sois, Français qui passe, arrête-toi et salue.

    Donne un peu de ton cœur à ceux qui sont morts ici pour toi. »

    Au Sous-Lieutenant, Jean-Paul Duverger

    Mort pour la France

    Introduction

    L’original du manuscrit se présente sous la forme d’un épais cahier de 367 pages où est compilé l’ensemble des écrits de Jean-Paul Duverger dans le cadre de sa correspondance privée avec sa sœur : Marthe. C’est cette dernière qui, à la mémoire de son frère, Mort pour la France, décide dès le 29 novembre 1918, date de son décès, de retranscrire à la plume son journal, ses lettres, cartes postales et citations. A mon tour, afin que le sacrifice des hommes tombés aux combats ne soit pas oublié, j’ai décidé de vous présenter le récit de ce soldat, mon arrière grand-oncle, qui couvre la période du 5 août 1914 au 23 octobre 1918, date de sa dernière lettre. Cet ouvrage est donc un témoignage direct de la Grande Guerre à partir du prisme d’une vie.

    L’environnement familial

    Deuxième d’une fratrie de trois, Jean-Paul Duverger est né le 23 septembre 1890 à Saint-Émilion, dans le canton de Libourne, en Gironde. Tout au long de ses lettres, il ne cesse d’évoquer combien lui manque son village natal, église, vignes et vins, et jure de retourner s’y installer définitivement lorsque la paix sera revenue. Il avait vingt-quatre ans lors de la déclaration de guerre en 1914 et était célibataire. Il est le fils de Pierre Duverger, cultivateur de profession, âgé de trente deux ans, et de Marie Marchandou, sans profession, âgée de vingt sept ans. Son frère cadet, Louis, dit « Clovis », né le 23 mai 1893, sera Artisan boucher et ne fera que quelques mois la guerre. Enfin, Louise Marthe, l’aînée, sa sœurette, sa confidente, son centre du monde, née le 7 janvier 1886, jouera par ses lettres un grand rôle dans le devenir du futur sous-officier.

    La fiche signalétique

    Jean-Paul Duverger est, selon nos critères modernes, de petite taille. Il mesure 1 mètres 54 mais en 1900 la taille moyenne est de 166 cm. Les cheveux de couleur châtain, il a les yeux orangés verdâtres, un haut front, un menton pointu et un visage ovale.

    De famille très modeste, il fut d’abord cultivateur comme son père, avant de devenir coiffeur. Le 20 avril 1914, il habitait au : l09 Avenue Bolivar, 75019 Paris. Pour rédiger ces centaines de pages, cette correspondance de guerre qu’il désirait par-dessus tout reprendre dès la fin du conflit, le futur sous-officier Duverger n’a qu’un degré d’instruction de niveau 3[1], c’est-à-dire qu’il arrêta l’école avec le certificat d’études primaires. Précisons que, par la suite, il se classa parmi les meilleurs élèves de l’école des Officiers qu’il intégra en 1917.

    Rappel historique et état d’esprit

    On ne peut comprendre l’état d’esprit qui animait le soldat Jean-Paul Duverger à la veille du conflit sans se référer à l’histoire car seule l’histoire peut nous renseigner sur cette interrogation.

    Lorsque l’Ordre de mobilisation générale[2] fut donné, il ne faisait aucun doute que la guerre serait courte. Comment pouvait-il en être autrement ? Le jeu des Alliances, pensait-on, ne laisserait aucune chance à la Triplice (alliance de l’empire allemand, prospère et solidement organisé autour de la Prusse, de l'empire austro-hongrois, riche mais corrodé par les revendications nationalistes des populations slaves, roumaines et italiennes, et du royaume d’Italie, unifié depuis peu mais qui reste dans l’expectative). Elle ne résisterait pas longtemps aux pays de la Triple-Entente composée de la France, du Royaume-Uni et de la Russie. L’empereur Guillaume II, disait-on, en perdrait ses moustaches et, la France, enfin, récupérerait l’Alsace et la Lorraine « volée » par Bismarck après le désastre de Sedan en 1870 (capture de Napoléon III) et la capitulation de ses troupes à Francfort le 10 mai 1871.

    Guerre trop longtemps négligée par les historiens, la guerre de 1870 marque l’avènement en Europe de l’exacerbation des nationalismes et fait naître en France, le sentiment d’une revanche à prendre contre cet arrogeant ennemi, l’Allemagne, relayée jusque dans les formations scolaires et militaires. Il ne pouvait en être autrement. Comme l’explicitait la propagande : « la France se bat pour le droit, elle participe à la lutte du bien contre le mal, à la défense de l'humanité et de la civilisation. » L’Allemagne devient alors la bête immonde à abattre et, les crises marocaines de 1905 et 1911 ne feront qu’amplifier le désir de vengeance qui, en 1914, atteindra ses ultimes et dramatiques conséquences.

    C’est dans cet esprit que les palefreniers, laboureurs, tourneurs, mécaniciens, tonneliers, arpenteurs, boulangers, garçons de café, coiffeurs, maîtres d’hôtel, garçons de bureau, clercs de notaire, bouchers, charcutiers, instituteurs, colporteurs, cheminots, facteurs, ouvriers, bourgeois, intellectuels, aristocrates et autres, partirent au combat dans une rare euphorie le dimanche 2 août 1914.

    Détails des services

    Le dossier militaire de Jean-Paul Duverger, conservé au château de Vincennes, nous indique que : classé dans la première partie de la liste 1911 par décision du conseil de révision, il est inscrit sous le n° 137 de la liste de Libourne. Dirigé le 1er octobre 1911 sur le 6e Régiment d’Infanterie, il est nommé soldat 2ème classe le 10 octobre 1911 et 1ère classe le 27 juin 1912. Dans ce Régiment qu’il servira jusqu’au 29 novembre 1918, il devient caporal le 26 septembre 1912 avant de passer dans la réserve le 3 novembre 1913. Rappelé par décret de mobilisation générale du 1er août 1914, il rejoint son Corps le 3 août 1914 avant de partir pour le front le 5

    Il sera ensuite nommé sergent le 2 mai 1916, puis sous-Lieutenant par Décision le 8 juillet 1918, avant de décéder à l’ambulance le 29 novembre 1918.

    Quelques chiffres

    On dénombrait le 1 août 1914, 880 000 hommes[3] sous les drapeaux, les classes 1911 à 1913, formant l’armée d’active. Auxquels s’ajoute, le jour de la mobilisation : 2 200 000 hommes[4] des classes 1900 à 1910, la réserve, et 700 000 hommes[5] des classes 1886 à 1899, la territoriale. A ces hommes contraints au service s’ajouteront 71 000 engagés volontaires, qui soit devancent l’appel[6], soit sont des étrangers[7]. Au total, 3 887 000 sont mobilisés en août 1914 pour une population d’un peu plus de 39 millions d’habitants.

    Sur les huit millions de français mobilisés[8] entre 1914 et 1918, 1 4000 000 hommes ne revirent jamais leurs mères, pères, sœurs, frères, femmes, fiancés, enfants, familles… Plus de 4 000 000 millions d’hommes ne survécurent qu’après « avoir subi de graves blessures, les gueules cassées, les corps coupés, courbés, entaillés, marqués, mordus, les membres arrachés », Guéno et Laplume (1998, p.7)[9]. Quant aux les survivants, « il leur restait le souvenir de l’horreur vécue pendant plus de 50 mois, la mémoire du sang, de l’odeur des cadavres pourrissants, de l’éclatement des obus, de la boue fétide, de la vermine, la mémoire du rictus obscène de la mort »[10].

    Aucune modification n’a été apportée au texte

    afin d’en garder l’authenticité.

    Le sous-Lieutenant, Jean-Paul Duverger, affecté au début de la Guerre, au 6ème Régiment d’Infanterie, à Saintes, partait pour le front, le 5 août 1914, avec son unité, en qualité de Caporal – Brancardier.

    Après une permission de deux jours, passée au sein de sa famille, il commença cette correspondance afin de relater son vécu durant cette sanglante revanche qui devait durer du 2 août 1914 au 11 novembre 1918.

    Voici la compilation de ses lettres. Elles retracent avec netteté, jour après jour, les moments d’angoisses, de découragements, mais aussi d’espérance et de vaillance qu’a traversé, avec ses frères d’armes, ce loyal et glorieux défenseur de notre sol pour la Liberté duquel il a donné sa vie.

    Marthe

    Récits et lettres : Année 1914

    J’ai vécu durant ces deux jours, vous qui m’êtes si chers, toutes les douleurs morales que l’on puisse imaginer. Quel courage il faut avoir pour ne pas se laisser attendrir ! Quel moment terrible j’ai vécu !

    Jamais je n’ai connu pareille situation, pareilles sensations. Mon âme tressaillait de douleur à la pensée que peut-être aujourd’hui fusse la dernière fois que Dieu me permette d’être en la précieuse compagnie de ma sœurette bien-aimé, alors que mon cœur battait la chamade, comme pour un premier émoi, exalté par l’esprit de revanche qui nous animait tous. Je n’ai été soulagé qu’après les avoir quittés. Denis avait tenu à nous accompagner jusqu’au bout. Alors l’oubli momentané de ceux que l’on vient de laisser, peut-être pour toujours, se fait. Je me laissai ensuite transporter par le tumulte de cette cohue qui, comme moi, est là pour partir se battre. Nous voulons tous nous battre. Tout le monde est impatient ! Puis, arrive la rencontre des amis que l’on ne va plus quitter jusqu’à la caserne.

    Enfin l’embarquement se fait. Nous partons le train bondé sous une pluie fine et le temps semblait s’être mis de la partie. Il avait pris pour la circonstance son manteau de deuil.          Arrivé à Bordeaux, mon seul but est de rencontrer Clovis[11] que j’aperçois quelques instants plus tard. Nous dînons ensemble. Il vient m’accompagner à la gare et mon voyage jusqu’à Saintes se poursuit, voyant à chaque instant des groupes de bons vieux, de femmes et d’enfants, crier : « Vive la France », « Au revoir » tout en lançant des fleurs.

    Arrivé à Saintes, je descends chez Monsieur Fage à qui je dois une grande reconnaissance. Le lendemain je suis habillé et commence mon rôle de brancardier.

    Le grand jour du départ arrive, nous sommes le 5 août 1914. Tout le monde est fiévreux ! Le bataillon est rassemblé et c’est entre un cordon de femmes et d’enfants que l’on nous conduit à la gare, nous envoyant une pluie fine de fleurs et de baisers, certains chantant la Marseillaise. C’est à ce moment qu’arrive le moment tragique pour la femme ou la maman qui a pu accompagner son fils ou son mari. Le signal du départ a sonné, on s’embarque pour ….. ? On ne sait, et le train s’ébranle. Cette fois on est bien parti. On voit encore quelques mouchoirs s’agiter et c’est fini ! Nous ne débarquons que 52 heures après. Nous passons à Tours, Blois, Orléans, Troyes. Un panorama magnifique… Inutile de dire que le voyage a été assez difficile dans des wagons non munis de paille, aussi les nuits étaient plutôt pénibles durant les trois jours passés dans le train. La plupart d’entre nous étaient courbaturés et surtout enrhumés.

    Arrivés à Troyes, à 10 heures, nous partons en direction de Châlons, mais en cours de route nous changeons d’itinéraire et nous nous dirigeons vers Belfort passant par Gonchery, Bologne (Haute Marne), Remaucourt, Neufchâteau très accidenté… Notre voyage se termine enfin et cantonnons à Barisey-au-Plain (Vosges). Le lendemain, c'est-à-dire le 9 août, nous marchons en direction de Toul, parcourant 12 kilomètres sous un soleil de feu, afin de cantonner à 5 kilomètres de la ville. Le 10 août, apparition du premier aéro allemand sur lequel le canon tire. Premières émotions !! Le 11 au matin, nous partons de très bonne heure et n’arrivons au cantonnement qu’à 15 heures, à Xeuilley. La marche fut terrible. Les hommes tombaient comme des mouches. Il fallait s’arrêter à chaque instant pour soigner les malades. Nous n’avions qu’un faible groupe. Dès notre arrivée nous organisons des convois pour ramasser ceux qui étaient tombés sur la route et les plus atteints furent recueillis par une ambulance de la localité. Les quelques malades partirent dès le lendemain matin pourvus de provisions et tous contents, oubliant la première journée pénible qui doit compter parmi le nombre.

    J’ai eu le plaisir de coucher dans un lit, chose rare chez le militaire. Je ne m’étais pas déshabillé depuis le 2 août.

    Le 12 août, nous partons de Xeuilley de très bonne heure. Nous traversons la Moselle et la longeons sur un parcours de 10 km. Nous faisons halte dans un bois où je fais la rencontre de Flajac ; sur le soir nous allons bivouaquer sur un flan de coteau jusqu’à deux heures. Inutile de vous dire qu’il ne faisait pas très chaud, tout le corps d’armée était concentré dans cette partie au bord de la Moselle, les 123e – 144e – 57e – 6e régiments.

    Le 13, départ à 1 heure de la nuit, direction l’Est, la frontière, et après un parcours de 25 km nous nous arrêtons à Toul à quelques kilomètres de la frontière de Pont-à-Mousson.

    Le 14 au matin, nous occupons un bois à gauche de ce village avec l’artillerie où je vois le fils Dernallet. La journée se passe dans l’attente. Nous entendons gronder dans le lointain, le canon. Ce sont les allemands qui bombardent Pont-à-Mousson. Le 14, nous partons et faisons 25 km environ sous la pluie, arrivons à Domèvre-en-Haye où nous logeons dans une salle de théâtre d’une société catholique. Le curé bon enfant, lui ayant promis que nous irions à la messe, me fait cadeau de quelques bouteilles de vin. Il nous est très difficile de nous procurer quoi que ce soit, le vin est payé entre 3 et 5 francs le litre. J’arrête là mon histoire, à bientôt pour la suite.

    ***

    J’étais arrivé à Domèvre-en-Haye, nous restons là durant trois jours. Arrivés le 14 à 18 heures et partis le 17 août. Pendant ces quelques jours, nous prenons un repos bien mérité. Nous faisons de la bonne cuisine. Une femme nous a aussi aidé à cuisiner. Elle est excellente cuisinière. Nous avons comme loisir un paysage magnifique qui s’offre à notre vue.

    Dans le lointain la ville de Toul entourée de ses forts dans lesquels on aperçoit la gueule des canons qui attend le moment de se faire entendre. Enfin, le 17, l’heure du départ arrive et c’est sous une pluie torrentielle que nous arrivons dans l’Aisne (Gouy, Bergnicourt, …) par une pluie continuelle et c’est bien entendu trempés comme des canards que nous arrivons au cantonnement. Notre bonne étoile nous conduit dans un hôpital tenu par des soeurs, là nous installons notre poste de secours. Confort moderne, rien ne nous manque, matériel de cuisine, lits, en quantité. J’en profite pour y faire coucher les camarades. C’est si bon un lit pour y dormir. Nous ne savons toujours pas où nous allons et tout le monde est impatient et se demande si c’est ça la guerre. Voici bientôt 15 jours que nous marchons et n’avons pas encore tiré un coup de fusil. Toujours la même histoire pour se ravitailler, pas moyen d’avoir quoi que ce soit, le vin toujours hors de prix, enfin c’est la guerre !!

    Le 18 dans la soirée nous embarquions à Corcy : Quel voyage, fourrés dans un wagon les uns contre les autres, et chose plus terrible, c’est qu’une fois installés, plus moyen de bouger. Il a fallu faire un voyage de 14 heures sans pouvoir bouger. Certains avaient la colique et ont été obligés de chier dans leurs culottes (les pauvres).

    Enfin le train s’arrête à Fourmies, gare frontière de la Belgique. Là, l’accueil qui nous est fait a été sans borne et n’est pas à comparer avec notre départ de Saintes. A la sortie de la gare, c’est sous une pluie de fleurs que nous sommes reçus. Mais une surprise nous attendais, le Colonel nous fait arrêter 20 minutes sur la place. Alors, c’est une nuée de jeunes portant un panier dans lequel toutes sortes de bonnes choses : œufs, tartines de beurre, chocolat, tabac, vin, bière, lait, bouillon, … ; à tel point que nos musettes débordaient. Quel regret de ne pouvoir y passer une journée car les offres se faisaient : « J’ai chez moi une bonne table, un bon lit, enfin rien ne vous manquera… » Pensez donc ! Ces braves gens n’avaient pas vu les soldats depuis 24 ans ! Notez que ces gens là sont aisés. Ils ont des maisons bien construites avec tout le confort moderne. Malheureusement et vous le verrez par la suite, toutes ces maisons furent mises au pillage par ces ignobles individus que nous appelons allemands. Nous allons cantonner non loin de là dans une ville appelée Trélon où les gens sont aussi sympathiques qu’à Fourmies. Là, c’est presque la Belgique, le tabac et la bière sont à profusion. Nous y restons deux jours. Notre petit groupe, c'est-à-dire médecin et infirmiers, a trouvé une bonne dame qui veut bien nous faire la cuisine. Elle nous prend 2 francs par repas au lieu de 4 francs et l’agrément, chose que nous n’avions pas encore eu, c’était d’être servis par une gentille brunette qui m’aurait bien plu. Le matin de notre départ, la bonne femme m’a donné quelques tartines de confitures beurrées et quelques bonnes bouteilles. C’est le 21. Nous quittons ce beau pays de France, le dernier que nous allons rencontrer et longeons la frontière belge. Tout le monde est impatient. Nous voulons aller en Belgique. Sur le parcours, la 24e d’artillerie nous dépasse et je vois le fils Larran, frère de Denis, également, le fils Pezat du 123e. Enfin, le poteau frontière apparaît, je sens en moi une émotion. Reverrai-je la France ?? Et ma conscience me répond : Oui.

    Là, les douaniers belges nous accueillent et crient : « Vive la France ». Les quelques petites localités que nous traversons nous sont d’un bon accueil ; partout la bière coule à flot et c’est à Leugnies (Belgique) que nous nous arrêtons.

    J’en profite pour faire laver mon linge car je commence à en avoir besoin. Nous voulons payer, mais de tout ce que nous achetons, personne ne veut d’argent. Il faut se fâcher pour les décider à accepter. Tout le monde est gai, tout le monde est content, c’est la bonne vie et aussi tout le monde est insouciant de ce qu’il va faire. On se croirait être aux manœuvres, mais c’est là que nous allons nous apercevoir des effets de la guerre et comme je commence à arriver dans la zone dangereuse et aurai par la suite beaucoup de choses à dire, quoique réduisant le plus que je peux, je reporte mon histoire à plus tard.

    ***

    Leugnies, c’est là que nous commençons à voir les effets de la guerre. Durant toute la journée, une canonnade assez nourrie mais très lointaine se fait entendre. Les bruits les plus divers se répètent. Il parait que les Allemands sont aux portes de Charleroi et ont réussi à se frayer un passage entre Namur et Liège assez éloigné des forts, et se répandent en masse dans la plaine. Il est cinq heures de l’après midi et nous voyons apparaître des gens affolés qui fuient devant le danger. La chose devient pénible et nous plaignons amèrement ces pauvres gens, mais cela n’est rien comparé à tout ce que nous allons rencontrer sur notre route.

    Il est 20 heures, l’heure du départ sonne, où allons nous ? Personne ne le sait ! Nous marchons toute la nuit, marche très pénible, haltes fréquentes. Des convois de gens empaquetés dans des chariots, pleurant, criant, faisant les mille vies, nous croisent, l’air effaré, ne sachant pas que faire vue notre arrivée et nous croyons lire dans leurs yeux : « Vont-ils au moins les arrêter ? » Mais, nous continuons notre chemin. Des scènes des plus touchantes s’offrent à notre vue : C’est une maman conduisant son petit garçon ou fille portant un minuscule paquet, tout ce qu’elle a pu sauver du désastre ; puis un bon vieux traînant une pauvre vieille infirme dans une voiture de gosse, et comme cela bien d’autres cas qu’il n’est pas possible d’énumérer. Ma pensée va vers vous mes chers parents. Combien vous êtes heureux de ne pas subir les mêmes peines, vous pères, mères, sœurs, parents, dont la douleur d’avoir vu partir ce qui vous est cher, votre fils ou mari n’est pas à comparer avec tous ces gens qui fuient laissant à la merci de ces barbares, leurs maisons, biens, en un mot, toute leur vie. Ne pouvant emporter que peu de choses et ceux qui auront voulu trop se charger seront obligés en cours de route d’abandonner quelques menus objets, puis plus tard ce sera le cheval et la voiture et alors pour ces pauvres gens la question se pose … Où aller ? Et alors, c’est une marche qui se poursuivra sans repos vers la France, couchant à la belle étoile et mangeant ce qu’ils trouvent. J’ai vu donner un morceau de pain à une maman ayant à son côté un petit enfant de huit ans demandant à manger, car vous savez un soldat touché au cœur partage sans hésiter la moitié de sa boule. Heureux ceux qui auront réussi à fuir, mais dans quel état retrouveront-ils leur maison, sûrement pillée et peut-être brûlée ? A la vue de toutes ces choses tristes, nous marchons et les kilomètres se succèdent sans interruption. Nous nous demandons si cela ne finira pas bientôt ? Enfin, vers 7 heures, halte dans un champ, vingt minutes pour le café et on repart. Nous voyons à nos côtés des groupes de tirailleurs algériens et nous apprenons que ces gens revenaient du feu et s’étaient fait passer une bonne raclée, et alors la chose s’explique. Les 40 km que nous avions fait étaient ni plus ni moins pour leur venir en aide. Oui, les zouaves qui d’après eux rien ne devait arrêter ?! Mon impression est qu’ils nous sont nettement inférieurs et nous l’ont montré depuis lors. Leur seul travail sérieux consiste à piller les maisons abandonnées et en cours de retraite, de s’emparer de nos cantonnements, ce qui nous oblige à coucher dehors. Voici pour les zouaves !!

    Donc notre quart de jus pris, nous partons et après un kilomètre, le régiment va occuper le sommet d’une crête et se mêler aux zouaves. Nous, le service de santé, insouciant du danger, nous restons au bord de la route à quelques mètres des batteries françaises. Nous étions là, depuis une heure, quand tout à coup une pluie d’obus tombe à quelques mètres de nous. Aussitôt, c’est l’affolement ! Je fuis derrière un gros arbre et tout le monde en fait autant. Un obus tombe à dix mètres de moi, puis un autre va tomber dans la marmite d’un zouave faisant voler tout en l’air. Ce n’est pas tout, je préviens le médecin que notre place n’est pas là, qu’il faut évacuer vers l’arrière. Enfin, nous réussissons à nous mettre derrière un talus énorme, accompagnés toujours par les obus et attendons. Alors la sérénade commence ! Un fracas épouvantable se fait entendre. Un échange d’obus de part et d’autre puis, la fusillade, et cela dure toute la journée sans interruption. Leurs obus sont peu de chose comparés aux nôtres, presque pas de dégâts, nous nous contentons de les voir tomber à 300 mètres environ de nous. Arrivée des premiers blessés, quelques uns presque rien, d’autres affreusement mutilés. Sur le soir, à notre grande surprise, il faut céder, nous devons nous replier. C’est l’ordre. Tout ceci se passe le 23 août 1914, jour de ma première bataille. Un succès remporté par le 6e qui ne devait tenir le front que jusqu’à midi et qui l’a tenu jusqu’au soir, ayant en face de lui, une masse évaluée a 14 corps d’armée et nous n’avions nous, pour les arrêter, momentanément, que 3 corps d’armée.

    Je dois expliquer la situation et le rôle que la brigade, c'est-à-dire le 6e et le 123e, devait tenir en Belgique.

    Tout d’abord, sachez que nous devions établir une ligne de résistance de concert avec les armées Belges. Pour cela, quelques corps d’armée furent envoyés pour les renforcer. Le 3e Corps devait tenir entre Charleroi et Namur. Le 23 août, l’armée Allemande vint butter sur cette ligne. Comme ils arrivaient en masse au nombre de 14 corps d’armée (on l’a su depuis), notre ligne fut éprouvée le 22 et c’est pour cela que l’on fit faire à la 69e brigade une marche forcée de 33 km pour renforcer la ligne éprouvée la veille, occupée par ces fameux soldats du Maroc qui furent les premiers à céder. Le 23, jour où nous nous sommes battus toute la journée, avec l’impossibilité d’avancer, la retraite fut organisée et un piège leur fut tendu.

    Il s’agissait d’établir un couloir dans lequel l’armée Allemande devait être prise au piège. Pour cela, une partie du 18e Corps eut la mission de les attirer dans ce passage et, au point convenu, les armées cachées et massées devaient immédiatement prendre l’offensive. Ce couloir était formé de l’armée Anglaise et Belge du côté gauche. Et, de l’armée Française ou troupes de l’Est, du côté droit.

    Notre mission, à nous qui formions l’appât, ne s’est arrêtée qu’à 80 km de Paris, près de Provins et Montmirail.

    Maintenant, parlons de cette retraite. Nous reculons de 6 à 7 km pendant la soirée alors que nous bivouaquions sur une hauteur en plein air, nuit pas très agréable. Le régiment se reforme dès la 1ère heure du matin pour continuer à reculer. Nous arrivons après un parcours de 15 km à Walcourt où nous avons la mission d’occuper les crêtes et d’attendre. Vers les 15 heures, pendant que nous étions en train de faire griller quelques bons poulets, nous sommes dérangés et de partout, on entend les mêmes cris : « Aux Armes ». C’étaient les premiers éclaireurs allemands qui venaient de monter sur la côte apposée à la nôtre. De suite, marmite, café, furent renversés et sacs au dos sommes prêts à partir. Les dispositions de combat sont prises, nous recevons l’ordre de tenir le plus que nous pourrons. Tout le monde est aux aguets, quelque chose se prépare et enfin les premiers coups de canon se font entendre balayant une crête qui se trouvait de notre côté. J’oubliais de vous dire que Walcourt se trouve dans un trou, et nous attendions toujours l’ordre de quitter le village car le sachant occupé, ils allaient déverser sur nous une pluie d’obus. En effet, tout à coup, ça tombe partout, sur le clocher qui est démoli, ensuite l’église qui prend feu. La voiture médicale est abritée par un mur dans lequel un obus vient se fourrer. Résultat, tous ceux qui se trouvaient autour sont tombés par

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