Vive la République! » La clameur surprend les soldats autrichiens du prince Frédéric de Saxe-Cobourg à l’aube du 16 octobre 1793, qui voient médusés émerger du brouillard une masse bleue hérissée de baïonnettes. Au pas de charge, les assaillants grimpent sur le plateau qui mène au village de Wattignies, près de Lille. À la tête d’une des colonnes, un personnage hisse à la pointe de son sabre le chapeau généreusement emplumé des représentants en mission de la Convention: c’est Lazare Carnot. Le spectacle est si impressionnant, l’assaut si furieux que les vieux professionnels de l’empereur François II détalent, contraignant Saxe-Cobourg à abandonner le siège de Maubeuge. Dix ans plus tard, devant le Conseil d’État, Napoléon déclare: « La bataille de Wattignies est le plus beau fait d’armes de la Révolution ». Mais qui mérite le compliment? Le général Jourdan, véritable auteur de la manoeuvre victorieuse? Ou le député Carnot qui, bien audelà d’avoir chargé ce jour-là, aurait dit-on organisé les armées de la Convention? La réponse est plus compliquée qu’il n’y paraît…
Un sentimentalisme à la Rousseau
Né à Nolay, en Bourgogne en 1753, Lazare Carnot grandit dans un milieu de petits robins catholiques (son père est notaire) qui ne rêvent que d’accéder à la noblesse. En vain d’ailleurs. Après de solides études chez les oratoriens – dont il garde le goût de la poésie et l’admiration pour la République romaine –, la protection lointaine d’un duc le pousse vers le corps du génie, seul ouvert aux roturiers. – sa seconde idole. L’académie de Dijon lui décerne deux médailles d’or, ce qui lui ouvre les sociétés savantes et littéraires.